Chapitre 24: Septembre (8)
Eloïse arriva sur les lieux aussi vite qu'elle le put. Et dire qu'à l'origine, elle avait séché les cours parce que Victorien avait insisté pour lui donner un entraînement de magie...
Les laboratoires avaient au moins la décence d'attaquer un jour où le mage noir était disponible pour l'accompagner. Même si, Eloïse le savait, ce n'était pas intentionnel et ils auraient préféré que ce ne soit pas le cas.
D'ailleurs, elle ne savait pas si attaquer son lycée un jour où elle n'était pas là était accidentel, avait été un moyen pour eux de s'en prendre uniquement à Mila, ou s'ils avaient voulu l'y attirer.
Eloïse ne croisa personne dans la cour – les élèves devaient avoir été renvoyés chez eux, ou alors étaient confinés quelque part – et entra dans le bâtiment de cours en direction du CDI.
Les deux intrus avaient été installés là-bas et selon les informations complémentaires transmises par Eugénie, on l'y attendait.
Quand elle poussa les portes du CDI, Eloïse vit tout le monde se redresser d'un coup, avant de se détendre en comprenant que ce n'était qu'elle. Michaël, assis dans l'un des canapés, s'élança à sa rencontre.
- Où est Victorien ? demanda-t-il.
- Dehors. Il y avait un autre magicien qui attendait sur le toit. Il s'en occupe et il arrive.
- Encore un ?
- Isidorh, l'un des supérieurs des laboratoires. Je suppose qu'il vérifiait que personne d'important ne s'échappait.
Elle n'avait pas souvent été confrontée à Isidorh, mais parmi les supérieurs des laboratoires, c'était le moins pire et de loin. Quand elle s'était retrouvée coincée là-bas, il avait été correct avec elle.
La barre était basse, Eloïse l'admettait.
Elle remarqua le sang séché que Michaël n'avait pas complètement retiré de son front.
- Ça va ? l'interrogea-t-elle.
- J'ai pris quelques coups, mais ça ira, oui. Ne t'inquiète pas pour ça.
- Bon... Les deux intrus, ils sont où ?
- Dans le fond. Suis-moi.
Ils traversèrent le CDI pour atteindre un espace de travail derrière des étagères de manuels scolaires, qui avait été réaménagé à la hâte pour installer les deux magiciens. Ils étaient attachés à des chaises et inconscients.
Julien d'un côté. Emma Jensen, l'ancienne capitaine de l'équipe Zéta, de l'autre. Deux très bons combattants en corps à corps.
- Je voulais les interroger, déplora Michaël, mais pour le moment ils dorment toujours.
- Tu les a assommés ?
- Endormis avec un sortilège, oui, mais Lysandre les a attaqués à la magie rouge. Je pense que ça fait durer les effets de mon sort plus que prévu.
La magie rouge pouvait ralentir l'organisme, alors c'était une possibilité. Il faudrait demander son expertise à Victorien quand il serait parmi eux.
- ... Lysandre ? s'horrifia Eloïse.
- C'est lui qui a retourné la situation, confirma Michaël.
Le Madrigan lui résuma brièvement l'attaque et Eloïse fut impressionnée. Ils avaient frôlé la catastrophe.
- Lysandre n'aurait jamais dû être mêlé à tout ça, soupira-t-elle, mais heureusement qu'il était là.
- Ne m'en parle pas, seul contre eux deux je n'avais aucune chance.
Il lui demanda si elle connaissait la fille, et Eloïse lui avoua que c'était une traîtresse du AMI qui avait basculé du côté des laboratoires. Une ancienne camarade d'équipe de Canelle.
- Heureusement qu'il y avait Lysandre, répéta-t-il avant de se détourner.
Eloïse le suivit lorsqu'il rejoignit le reste du groupe. Lysandre, Eugénie et Mila étaient assis dans l'un des canapés et échangeaient à voix basse. Devant eux se tenaient trois professeurs, dont M. Manent, ainsi que le directeur de l'établissement. Ce dernier, furieux, braqua son regard dans le sien dès qu'elle fut à proximité.
- Je peux savoir pourquoi des magiciens ont débarqué ici ? J'avais pourtant prévenu que je ne voulais aucun incident qui soit lié de près ou de loin à la magie.
- J'y suis pour rien, je n'étais même pas là, se justifia Eloïse.
- Ils en avaient visiblement après Mila, ajouta Michaël.
L'adolescente se figea dès qu'elle entendit son prénom et pâlit devant les regards posés sur elle. Elle joua nerveusement avec sa tresse blonde.
- Pourquoi elle ? insista le directeur. Je viens déjà de découvrir un magicien supplémentaire, j'espère que ce n'est pas une deuxième.
Ce fut au tour de Lysandre, mal à l'aise, de se gratter l'arrière du crâne. Les pauvres.
- Mila est une humaine tout ce qu'il y a de plus normal, objecta Eloïse. Je ne sais pas ce que les laboratoires lui veulent et j'aimerais bien le comprendre aussi.
Le directeur posa des questions à propos de ces fameux laboratoires et Michaël s'affaira à expliquer qui ils étaient, tout en disant le minimum possible – et en omettant notamment la partie sur les expérimentations. Eloïse s'étonnait que personne n'ait posé de questions avant concernant Emma et Julien.
Enfin, ils l'avaient sûrement fait, mais pas à propos du groupe auquel ils appartenaient. Ce n'était pas la première chose à laquelle des humains devaient penser.
- Stylée ta cape.
Eloïse se tourna vers Eugénie, qui avait quitté le canapé pour se glisser à ses côtés. La cape en question était d'un bleu sombre brodé de constellations dorées au niveau du col, cadeau d'Ilyann pour son anniversaire. Comme il faisait plus frais à Astras aujourd'hui, Eloïse avait décidé de l'enfiler, sans savoir qu'elle finirait sur Terre. Autrement, elle n'aurait pas risqué de l'abîmer et aurait mis autre chose.
Les vêtements qu'elle portait en dessous, par contre, étaient ceux d'humains. La mode de Thélis n'avait jamais été sa tasse de thé.
- D'abord la veste de Rory et maintenant ma cape, plaisanta Eloïse. Il va falloir que je surveille mes affaires.
- Moi je crois surtout que je vais apprendre à coudre.
La magicienne l'observa plus attentivement et fit de même avec Mila et Lysandre. Ils tachaient de rester calme, mais elle sentait qu'ils avaient du mal à tenir en place, probablement mus par l'angoisse.
- Ça va ? leur demanda Eloïse.
- Honnêtement, j'ai connu mieux, répondit Eugénie.
- Pareil, confirma Lysandre.
Mila, elle, se contenta d'arborer un air de chien battu. Eloïse hésita à s'excuser auprès d'eux, mais abandonna aussitôt l'idée. Ce n'était pas sa faute et ça n'aurait rien changé de toute façon.
- Où vous en êtes avec la police ? demanda une professeure à ses collègues. Elle va finir par venir ou pas ?
- J'ai rappelé il y a quelques minutes et ils pensaient toujours que c'était une blague, répondit M. Manent. Ils vont passer, mais pas avant quarante minutes.
- Une blague ? s'agaça le directeur. Comme si c'était la première occurrence de magiciens dans la ville. C'est de l'incompétence.
- La police ne peut rien faire face à des magiciens, argua Eloïse. Je pense surtout que c'est justement parce qu'ils ont déjà été confrontés à eux qu'ils n'ont pas envie de se déplacer.
Michaël acquiesça, presque désolé. Cette réponse amena des protestations de la part des humains, qui se demandaient comment la police pouvait être si inutile que ça face à eux.
La capacité des magiciens à augmenter leur force avec leurs pouvoirs, à passer à travers les murs, à se téléporter et à lever des boucliers devant eux étaient les principaux facteurs. Impossible de les arrêter ou de les mettre en prison, ils allaient s'enfuir dès la première seconde.
La technologie des bracelets et autres objets coupe-magie était pour le moment exclusive aux magiciens et aux chasseurs de magiciens.
- Les rares fois où il y a eu des gros incidents, c'est le AMI qui a été envoyé, précisa Eloïse.
- Et eux, ils ne peuvent pas venir ? demanda le directeur. Il va bien falloir qu'on nous débarrasse des deux énergumènes là-bas.
- Je vais voir ce que je peux faire.
- Ne t'embête pas, j'ai déjà transmis à l'Ombre, indiqua Michaël. Framboise a dit qu'elle allait chercher des agents disponibles, mais je n'ai pas encore eu des nouvelles.
En même temps, depuis la chute du AMI, s'organiser était un peu plus compliqué. Surtout que là, cela concernait une mission sur Terre et qu'elles engendraient des dérogations spéciales. Le AMI ne serait pas plus rapide que la police.
Tant pis. Avec Emma et Julien immobilisés et Victorien dehors pour s'occuper d'Isidorh, ils étaient pour le moment tranquilles. Si les laboratoires avaient envoyé d'autres gens, ils auraient déjà débarqué maintenant que Victorien était ailleurs.
- Qui est-ce ? demanda la professeure de français en désignant un point derrière eux.
Quelqu'un était entré ? Sans doute Victorien, puisqu'il n'y avait eu aucun bruit. Pourtant, quand Eloïse se retourna, ce fut pour faire face à Isidorh, debout trois mètres plus loin.
Vu comme il était translucide, ce devait être un sortilège de translation.
- Les problèmes, répondit Eloïse. Ça faisait longtemps.
Si Isidorh avait eut l'occasion de jeter un sortilège qui demandait tout son attention, où était passé Victorien ?
- Eloïse, l'appela Isidorh, il faudrait que tu sortes.
- Non merci. Où est Victorien ?
- Je l'ai semé.
- ... Je ne pensais pas que c'était possible.
- Je te donne cinq minutes pour sortir, l'ignora Isidorh. Si tu n'es pas là à ce moment, je viens te chercher.
Eloïse voulut répliquer, mais la figure translucide du supérieur des laboratoires disparut avant qu'elle n'en ait l'occasion.
Super, comme si elle avait besoin de ça. Elle sortit son téléphone pour appeler Victorien, mais sans surprise, il ne décrocha pas. Qu'est-ce qu'il fichait ? Les laboratoires avaient envoyé une quatrième personne ? Dans ce cas ce devait soit être Cassandre, soit Raven.
- Tu ne vas quand même pas y aller ? s'inquiéta Michaël en la voyant regarder la porte du CDI.
- Rejoindre Isidorh ? Non. Je vais aller retrouver Victorien.
- Ce qui inclut de sortir et donc de croiser Isidorh.
- Tu as une meilleure idée ? Je ne vais certainement pas le laisser venir ici.
Personne ne dit rien, mais c'était la réponse que les humains attendaient.
- Dans ce cas je viens avec toi, décréta Michaël.
- Pour laisser Emma et Julien sans surveillance ? Et s'ils se réveillent ?
Ils n'auraient aucun mal à se détacher de leurs liens de fortune. Même s'il leur restait de la magie rouge dans l'organisme, ils s'en prendraient aisément aux humains. Ces derniers ne pouvaient pas compter une seconde fois sur Lysandre et ses capacités de mage rouge qui échappaient à son contrôle, ça pourrait se retourner contre eux.
Michaël non plus ne suffirait pas, mais c'était mieux que rien. Avec un peu de chance, le AMI arriverait à un moment donné pour régler la situation. Attraper Emma allait leur faire très plaisir.
- Tu ne peux pas y aller seule, argua Michaël.
- Sauf que là il n'y a personne d'autre. Je ne suis pas non plus la cible la plus facile à abattre.
Isidorh était peut-être un Phoenix, mais Eloïse avait absorbé la magie de la pierre Alpha. D'accord, elle la maîtrisait encore mal en grandes quantités, mais elle n'en était pas moins puissante.
- Non, mais tu es la cible quand même, insista Michaël.
- Écoute... soupira Eloïse. Pour le moment, c'est ça ou rien. Je compte éviter l'affrontement et mettre la main sur Victorien. On ne peut rien faire d'autre dans l'attente des renforts.
Michaël dut s'y résoudre, puisque non sans réticence, il hocha la tête.
- Fais bien attention à toi, d'accord ? Ne prends pas de risques inconsidérés.
- Ça n'a jamais été l'objectif.
Elle entendit Mila lui souhaiter bon courage et Lysandre lui demander d'éviter les ennuis. Eloïse, qui ne voulait pas perdre plus de temps, quitta le CDI pour retourner dans la cour de l'établissement.
Elle avait une stratégie bancale. Trouver la position d'Isidorh avant de sortir, puis rester invisible pour chercher Victorien. Le tout était de ne pas se faire repérer.
Aussi, quand elle fut au rez-de-chaussée, elle regarda discrètement à travers la vitre de la porte au fond du couloir. Isidorh ne fut pas difficile à localiser, puisqu'il était adossé à l'un des paniers de basket que comptait la cour. Le problème était qu'il surveillait les entrées.
Si Eloïse ouvrait la porte, il la verrait. Si elle passait à travers un mur, par contre, il y avait moins de chances. Bien, le choix était fait. Elle remonta jusqu'au bout du couloir, jeta un sortilège contre le mur, puis s'engouffra au travers. Un regard à sa droite, puis à sa gauche : personne. Parfait.
Eloïse se para de son invisibilité et longea la façade pour se retrouver dans la cour. Elle ignora la présence d'Isidorh, qui ne l'avait pas encore remarquée, et chercha Victorien des yeux. Aucune trace de lui.
Un Phoenix l'avait forcément amené à l'écart, autrement, il serait déjà de retour. Elle sortit son téléphone et essaya de l'appeler une nouvelle fois, mais il ne décrocha toujours pas.
Si elle montait sur le toit, peut-être aurait-elle un meilleur point de vue sur les environs ?
Pas le temps de trop réfléchir. Eloïse revint sur ses pas, là où Isidorh ne l'avait pas dans son champ de vision, et baissa temporairement son invisibilité. Ensuite, elle récita un sortilège pour que ses mains et ses pieds adhèrent au béton de la façade et la gravit avec aisance – heureusement qu'ils avaient appris à faire ça au AMI. Une fois sur le toit, elle rétablit son invisibilité, par précaution.
La magicienne tourna sur elle-même à la recherche de quelconque signe de magiciens dans les parages. Rien. Pas un éclair de lumière suspect au loin. Elle se serait bien connectée aux flux telluriques pour trouver la position de Victorien autrement, mais étant mauvaise dans le domaine, elle n'y parviendrait pas avant la fin de l'ultimatum d'Isidorh.
Eloïse fronça les sourcils. Est-ce que les cinq minutes étaient passées ? Elle avait comme un doute.
Pour le vérifier, elle s'approcha du bord du toit et sentit son sang descendre jusqu'à ses pieds.
Isidorh avait quitté son panier de basket.
Eloïse se pencha dangereusement à sa recherche. Elle le vit à deux doigts de rentrer dans le bâtiment de cours et cessa complètement de réfléchir. Elle délaissa son invisibilité pour de bon.
- Je suis là ! s'écria-t-elle.
Isidorh se figea et leva la tête pour voir la sienne dépasser du toit. Il se recula et s'entoura de son armure de Phoenix de lave, qui forma deux épaisses ailes d'un orange lumineux dans son dos.
Eloïse admettait qu'elle n'avait aucune envie de le combattre. Elle avait largement préféré leurs précédentes rencontres, même celle coincée aux laboratoires.
Isidorh atterrit délicatement à deux mètres d'elle et, contrairement aux prédictions d'Eloïse, abandonna sa forme de Phoenix. Son expression, légèrement pincée, était indéchiffrable.
- Nous pouvons régler ça simplement, annonça-t-il.
- Si vous rentrez gentiment chez vous, oui, répliqua Eloïse.
- C'est malheureusement optimiste.
- Je sais, mais j'ai la flemme de combattre.
Lui aussi, il fallait croire, vu comme il resta campé sur ses positions.
- Dans ce cas il y a une autre solution plutôt simple, qui est de me laisser faire.
Eloïse fronça les sourcils, suspicieuse.
- Vous laisser faire quoi ?
- Ça ne prendre qu'une minute, l'ignora Isidorh. Après, je partirai.
- Répondez à ma question.
- Non.
- Et vous vous attendez à ce que je me laisse faire ? C'est vous, qui êtes bien trop optimiste.
Eloïse le défia du regard et il soutint le sien de cette expression qu'elle avait toujours du mal à définir. Était-il irrité ? Ennuyé ? En pleine réflexion ? Ou alors était-ce naturel chez lui d'être pincé comme ça ?
- Une minute, insista-t-il.
- Certainement pas, marmonna Eloïse.
Elle observa les horizons. Si Victorien pouvait faire son grand retour maintenant, elle lui en serait extrêmement reconnaissante.
Isidorh suivit son regard et dut comprendre son flot de pensées, puisqu'il abandonna son immobilité, conscient que le temps était un luxe qu'il n'aurait pas éternellement.
- Dans ce cas...
Isidorh ne se transforma pas en Phoenix et attaqua de front avec sa magie, d'un jaune doré comme les rayons du soleil. Pour l'éviter, Eloïse dut se reculer de plusieurs pas et ériger un champ de force devant elle. Elle comprit rapidement qu'Isidorh cherchait à la faire quitter le bord du bâtiment pour ne pas qu'elle en saute et la garder dans une zone restreinte, où il aurait le contrôle.
Certainement pas.
Elle évita les fils de magie qui s'échappaient du sol pour s'enrouler autour de ses bras et de ses jambes. Ceux qui réussirent à l'attraper, elle les détruisit d'impulsions de magie. Ses bras se couvrirent de fumée bleue et Eloïse évalua ses options.
Descendre dans la cour n'allait l'avancer à rien. Puisqu'Isidorh voulait l'immobiliser pour faire elle ne savait trop quoi, le plus simple était encore de se débarrasser rapidement de lui en capitalisant sur sa puissance. Si elle le surpassait ne serait-ce qu'un peu sur ce terrain, un coup bien placé et la quantité de force relâchée suffirait à l'assommer.
Cependant, Eloïse se rendit vite compte qu'Isidorh était tout sauf une cible facile à atteindre. Il était vif et précis dans ses mouvements et avait une maîtrise aiguisée de sa magie, qui s'étendait naturellement de son corps. La magicienne en venait à se demander pourquoi les laboratoires ne l'avaient pas envoyé avant sur le terrain.
Eloïse se téléporta derrière lui et balança son poing en direction de son crâne. Isidorh l'évita de justesse et se retourna pour lui faire face. Il agrippa son épaule avant qu'elle ne puisse s'enfuir. De son côté, elle chargea sa main libre d'éclairs, qui crépitèrent dans l'air.
Ils s'immobilisèrent, le regard braqué l'un sur l'autre.
- Tu cherches à éviter quelque chose qui ne s'évite pas, fit remarquer Isidorh.
- C'est facile de dire ça. Vous, les laboratoires, vous vous croyez vraiment tout puissant au point d'estimer toute résistance inutile ?
- Personne n'est tout puissant. Tout ceci est parfaitement objectif.
Il faudrait qu'il cite ses sources dans ce cas, parce qu'Eloïse avait des doutes. D'accord, elle ne connaissait pas les capacités réelles des laboratoires, mais ils ne pouvaient pas être aussi préparés que ça.
- Pourquoi vous cherchez Mila ? demanda-t-elle.
- Je ne suis pas là pour répondre à tes questions.
Eloïse sentit des fils de magie remonter le long de ses jambes pour l'immobiliser. Isidorh leva une main vers son front, mais elle l'électrocuta avant qu'il ne puisse la toucher.
La décharge fut violente, puisqu'il fut contraint de se reculer en grognant pour ne pas qu'Eloïse lui déverse toute sa puissance dessus – hors de question qu'elle se retienne, peu importe si elle se blessait au passage. Elle profita de cet avantage temporaire pour entourer des pieds de cristal et envoyer ses sphères de magie dans sa direction.
Cette fois-ci, Isidorh s'entoura de son armure de Phoenix, où les attaques vinrent s'écraser sans le blesser. Il se défit sans mal du cristal qui le retenait et s'approcha dangereusement d'Eloïse.
Elle voulut retenter la technique de l'électrocution, mais il leva un bouclier devant lui et les éclairs s'écrasèrent dessus dans un grésillement sonore qui effaça les bruits alentours.
Son bouclier, elle comptait bien le briser.
Eloïse chargea le plus de magie possible dans son bras jusqu'à sentir la douleur remonter dans ses nerfs et balança son poing sur la surface de magie translucide, qui éclata dans une myriade d'éclats aussi vite transformés en étincelles. La main tendue droit vers Isidorh, Eloïse stabilisa ses appuis, bloqua son coude et tira un rayon de magie droit vers son plexus.
Isidorh fut touché de plein fouet, même si son armure atténua le choc. Il s'écrasa au sol.
Ce à qu'Eloïse ne s'attendit pas, en revanche, fut d'être elle aussi fauchée.
Une sphère de magie, que le supérieur des laboratoires avait créé en dehors de son champ de vision, s'écrasa à l'arrière de son crâne et la fit tomber en avant, des points blancs constellant sa vision.
Le problème était le timing. Isidorh s'était retrouvé au sol avant elle. Aussi, il fut le premier à se relever pour reprendre les hostilités. Eloïse eut à peine le temps de pousser sur ses bras pour se redresser sur les genoux. Deux sphères jaunes apparurent à côté du visage d'Isidorh.
Victorien le frappa dans la tempe avant qu'il ne puisse faire quoi que ce soit. Il était apparu derrière le supérieur, d'abord une ombre, puis un magicien à la cape noire où la capuche était rabattue sur son visage. Isidorh voulut se retourner, mais Victorien le frappa une seconde fois et l'observa s'effondrer au sol, inconscient.
Il baissa sa capuche, l'enjamba pour rejoindre Eloïse et l'attrapa par les bras pour la relever.
- Où est-ce que tu étais passé ? demanda-t-elle sur un ton un peu trop véhément.
- Les laboratoires ont envoyé Cassandre et Raven, répondit-il, agacé. J'ai été obligé de laisser Isidorh filer. Crois-moi, j'aurais préféré éviter. Tu n'as rien ?
Eloïse secoua la tête. Elle avait un peu mal à l'arrière de son crâne à cause de l'attaque surprise, elle l'admettait, mais elle s'en remettrait.
- Raven et Cassandre sont hors d'état de nuire ? vérifia-t-elle.
- J'ai des doutes, elle sont coriaces. Partons avant qu'elles reviennent ou ne se décident à bloquer la Porte des Mondes.
- Partir ? Tu veux dire retourner à Astras ?
- C'est un piège, fit remarquer Victorien, hors de question qu'on reste ici.
- Il y a deux employés des laboratoires évanouis dans le CDI avec juste Michaël pour les affronter s'ils se réveillent. Il va se faire écraser.
- Dans ce cas je te dépose chez moi et je retourne m'en occuper directement après. Mais toi, tu restes le plus loin possible du danger.
Tant que quelqu'un réglait la situation pour que les humains puissent cesser de se faire un sang d'encre, Eloïse ferait ce qu'on lui demandait. Elle emboîta le pas de Victorien pour descendre du toit.
Une ombre apparut dans leur vision périphérique et les obligea à revoir leurs plans. Raven, sous sa forme de Phoenix, ralentit à peine avant de s'écraser sur le toit dans un dérapage contrôlé. Victorien tira Eloïse derrière lui avant qu'elle ne soit fauchée au passage.
- C'est exactement pour ça que je voulais décamper au plus vite, grommela-t-il. Reste derrière moi et ne t'en mêle pas.
Si elle n'avait pas à combattre, Eloïse n'allait pas s'en plaindre, affronter Isidorh lui avait suffi. Raven, même si elle l'avait déjà vaincue par le passé, n'était pas une partie de plaisir.
Elle se recula pour laisser à Victorien de l'espace. Un regard à sa droite lui suffit pour s'assurer qu'Isidorh était toujours allongé à terre, immobile.
Raven était épuisée, ça se sentait à ses mouvements qui manquaient de précision et à sa cage thoracique qui se soulevait avec force. Pourtant, elle se battait avec une volonté qu'Eloïse avait rarement vue chez un magicien. Victorien évita ses assauts et usa de magie noire pour la déstabiliser. Une chorégraphie se forma entre eux et Eloïse remarqua qu'il était celui à prendre l'ascendant.
Victorien avait l'air fatigué, lui aussi – affronter deux Phoenix était une explication de pourquoi –, mais il était meilleur stratège et savait faire davantage de dégâts avec moins d'efforts.
Des fils de magie s'entourèrent autour des jambes d'Eloïse, qui détourna ses yeux du combat. Là, elle remarqua son erreur.
Isidorh avait disparu. Elle fronça les sourcils. Est-ce que depuis le début il avait feint de s'être évanoui pour mieux la prendre par surprise ?
Eloïse élimina sans mal ses entraves. Elle sentit aussitôt une présence se glisser derrière elle. Elle voulut se retourner, mais deux mains se posèrent sur ses tempes. Le cri qu'elle voulut adresser à Victorien mourut dans sa gorge.
D'une poussé de magie vers son esprit, le monde s'effaça.
◊
Eloïse eut l'impression de faire une chute libre.
Le cœur battant, le souffle court, elle ouvrit les yeux et retint un sursaut. Tout reflua. Ses pieds étaient fermement ancrés au sol.
Elle était toujours sur le toit, complètement désert, mais une impression désagréable lui chatouilla la nuque. Elle comprit bien vite pourquoi.
La haute silhouette de Caleb apparut devant elle, inquiète. Tout ceci n'était qu'un rêve. Un rêve qui avait commencé quand Isidorh avait posé les mains sur son crâne.
Qu'est-ce qu'il se passait ?
- Qu'est-ce que tu fais ? demanda Eloïse.
- Quelqu'un est dans ton esprit, répondit Caleb.
Était-ce une vraie réponse, ça ? Eloïse se recula d'un pas, saisie par une vague de suspicion.
- Pourquoi tu...
- Ce n'est pas moi, la coupa-t-il. Laisse-moi t'aider.
En avait-elle envie ? Eloïse ne savait pas ce qui se passait, à part qu'Isidorh lui avait fait quelque chose. D'ailleurs, comment Caleb le savait-il ?
Une vive douleur lui transperça le crâne et l'empêcha de réfléchir. Eloïse ramena ses mains sur ses oreilles et ferma les yeux avec force, le souffle coupé. C'était comme si le monde tanguait sous ses pieds et que l'air devenait plus épais.
Les mains de Caleb posées sur ses épaules l'obligèrent à desceller les paupières. Il la dévisageait, mais Eloïse avait du mal à discerner les traits de son visage. Il était flou.
- Est-ce que tu entends ? demanda Caleb.
- Entendre quoi ?
- Le bruit.
Non, Eloïse n'entendait rien, mais ses pensées tournaient au ralenti avant d'aussitôt accélérer, alors c'était difficile de se concentrer. Ses doigts se décollèrent légèrement de ses oreilles.
Quoi que, il y avait effectivement un bourdonnement lointain qui semblait venir de l'intérieur de son crâne. Était-ce de ça dont il parlait ?
Les mains de Caleb s'enfoncèrent davantage dans ses épaules et Eloïse eut l'impression que de véritables lames lui transpercèrent la peau. Quand elle voulut s'écarter, elle n'y parvint pas. C'était comme si son cerveau et ses muscles s'étaient désynchronisés.
- Qu'est-ce que tu fais ? s'alarma-t-elle.
- Rien, répondit Caleb, sourcils froncés. Je ne fais rien.
Eloïse tenta de bouger un pied, puis l'autre. Ses jambes remuèrent à peine. Sa respiration s'accéléra, même si elle tacha de la garder sous contrôle.
- Arrête ça, l'implora-t-elle. Arrête.
Caleb la lâcha pour lui prouver sa bonne foi. Elle ne s'en sentit que plus mal.
- Eloïse, quoi qu'il puisse se passer, ça ne vient pas de moi, insista-t-il.
Elle voulut faire le vide dans son esprit. La douleur sourde qui emplissait sa tête ne lui facilita pas la tache.
- Qu'est-ce qu'Isidorh cherche à faire ? dit-elle à voix haute sans s'en rendre compte. Et toi, pourquoi tu es là ?
- J'ai senti que quelque chose n'allait pas, répondit Caleb.
- Comment ?
- De la même façon que je parviens régulièrement à communiquer avec toi.
Ne pouvait-il pas simplement expliquer ? Non. Non, il ne l'aurait pas fait, et Eloïse ne l'aurait de toute façon pas écouté.
Caleb saisit ses mains pour qu'elle les décolle de ses oreilles et les serra entre les siennes. Le brouillard se leva lentement et Eloïse sentit ses muscles lui répondre de nouveau.
Elle avait l'impression d'être enroulée dans du coton. Le bourdonnement lointain était toujours là, mais il en devint doux. Toute notion de temps s'effaça, du moins jusqu'à ce qu'elle entende son prénom.
Eloïse releva la tête.
- On m'appelle ? s'étonna-t-elle.
- Je n'entends rien, avoua Caleb.
La magicienne dégagea ses mains. Aussitôt, elle fut prise de nausée. Les pics vinrent de nouveau lui transpercer le crâne. Il lui sembla que la gravité doubla pour l'attirer vers le sol. Elle resta figée.
On l'appelait toujours. Son nom se faisait plus clair. L'écho lointain se dissipait.
- Je dois me réveiller.
- Isidorh t'a fait quelque chose, déplora Caleb. Eloïse, je peux t'aider.
- Je dois me réveiller, répéta-t-elle.
Elle ne lui faisait pas confiance. Elle préférait se réveiller et trouver Victorien pour qu'il règle le problème lui-même. Lui au moins, Eloïse connaissait ses motivations.
Elle se focalisa sur la voix avant qu'elle ne s'estompe pour de bon et obligea son esprit à s'en rapprocher. Le toit autour d'elle devint flou. Caleb s'effaça. Eloïse ferma les yeux et serra ses paupières à s'en faire mal.
Elle se réveilla.
Comment elle en fut certaine ? C'était difficile à dire. L'impression d'étrangeté s'était effacée pour ne laisser qu'une douleur sourde dans tout son corps.
Eloïse ne touchait pas le sol. Elle était dans les bras de quelqu'un. Elle rassembla ses forces pour ouvrir ses yeux rien qu'un court instant.
Ce fut à Victorien qu'elle fit face. Tout allait bien.
La lumière lui brûla les rétines. La fatigue s'empara d'elle dans une vague qu'elle ne parvint pas à contenir.
Eloïse se sentit sombrer.
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