Chapitre 2: Juillet (8)

Il y eut un instant de flottement.

Eloïse, le regard rivé sur les volutes de magie qui s'échappaient du livre dans un flot continu, eut bien du mal à faire sens de la situation. Anthéon, qui avait dû s'écarter pour ne pas se faire littéralement renverser, n'avait pas l'air d'être beaucoup plus avancé.

- C'est normal, ça ? s'écria Eloïse.

- Je t'ai déjà dit que je n'en savais rien ! répliqua Anthéon.

Bon sang, les laboratoires n'avaient pas pu envoyer plus inutile que lui ? D'ailleurs, quel intérêt avaient-ils à ouvrir le Livre des Miroirs s'ils n'avaient pas la moindre idée du contenu ? Si c'étaient les sortilèges qu'ils voulaient...

Le flot de magie se tarit brutalement. Anthéon, sonné, ne réagit pas aussi vite qu'Eloïse, dont le plan terrible tournait en boucle dans son esprit. Elle évita les morceaux de verre qui avaient été projetés au sol quand les vitres avaient explosées et se jeta sur le livre. Ses yeux se posèrent sur les sortilèges qui couvraient les deux pages offertes à sa vue.

Pas le temps de faire dans la finesse et de lire leurs descriptifs. Si elle voulait s'échapper, c'était maintenant.

- Qu'est-ce que tu... Anthéon.

Au point où elle en était et après la quantité monstrueuse de magie rouge qui s'était échappée du livre, ce n'était pas en utiliser un peu plus qui allait changer grand chose à la situation.

En espérant que le contenu de ce fichu livre n'était pas aussi terrible que beaucoup semblaient le croire.

Le premier sortilège de la page. Quatre mots lysiriens qui ne l'aidaient absolument pas à comprendre ce qu'elle allait faire. Eh bien, tant pis, le choix était fait. La magie rouge s'échappa de ses doigts.

- Rankteo, hara fe odeis, prononça-t-elle.

La douleur qui s'en suivit ne fut pas aussi brutale que lors de l'ouverture du livre, mais pas agréable pour autant. Eloïse serra les dents.

Anthéon, conscient que la situation risquait très vite de lui échapper, s'approcha, menaçant, pour récupérer le livre. Il fut repoussé par une main, qui l'envoya valser contre les bris de verre qui couvraient le sol.

Une main ?

Eloïse observa avec un mélange d'horreur et de fascination sa magie rouge devenir plus dense jusqu'à former un bras entier, puis un torse, des jambes, et enfin une tête sans visage.

Un sortilège d'invocation.

Le souffle court, Eloïse ramassa le livre, l'entoura de bras et pria intérieurement pour réussir à se lever du premier coup. Elle tituba, prise par un vertige, mais tint bon sur ses appuis.

Elle ne savait pas si c'était le tranquillisant qui faisait toujours effet ou si toute la magie utilisée jusque là avait pompé ses forces – sans doute un savant mélange des deux – mais elle allait devoir en faire abstraction.

Anthéon, furieux, se redressa tout juste pour éviter un assaut de l'invocation, qui projeta un de ses longs bras là où il se tenait une seconde plus tôt. Le parquet fut littéralement transpercé et des échardes volèrent tout autour de lui.

Ni une ni deux, Eloïse brisa ce qui restait de la vitre derrière elle d'un coup de coude et enjamba l'encadrement de la fenêtre pour retomber au milieu d'une rue qu'elle ne connaissait pas. Nez à nez avec cinq employés des laboratoires du Phoenix, qui lâchèrent le ciel du regard pour la dévisager avec surprise.

Bon, elle avait vu juste, la maison était encerclée. Au moins, Raven n'était pas là. Quant au ciel... Il semblait que toute la magie contenue dans le livre s'était déversée à l'intérieur dans des volutes rouges et noir qui obscurcissaient l'atmosphère. Eloïse ne savait pas si elle devait s'en inquiéter ou se réjouir de cette distraction involontaire.

D'un geste du bras, la magicienne ordonna à son invocation de la rejoindre à l'extérieur et d'éloigner les indésirables. Les magiciens n'eurent pas eu le temps de réagir que la créature de magie rouge étira ses membres pour se poster devant Eloïse. L'horreur les saisit, si bien qu'ils hésitèrent à attaquer.

Parfait.

Eloïse passa entre eux et courut aussi vite que ses jambes le lui permirent. Quand ses opposants voulurent s'élancer à sa poursuite avec une seconde de retard, l'invocation leur bloqua le passage et étira ses doigts pour tenter de les lacérer. Eloïse ne se retourna pas pour voir ce qui se passait, mais entendit Anthéon ordonner de la rattraper immédiatement et les magiciens lui crier en retour qu'ils ne faisaient pas le poids contre une créature pareille.

Eloïse leva la tête pour tenter de s'orienter par rapport aux bâtiments. Elle admettait ne pas s'être rendue souvent dans le quartier Sombre, mais elle avait bon espoir de tomber dans une rue qu'elle reconnaissait. Et, de préférence, une rue qui serait exempte des laboratoires. Elle prit le premier embranchement à sa gauche et repoussa les cheveux qui lui tombèrent dans les yeux. Ensuite, elle guetta nerveusement le ciel.

Qu'elle arrive à s'orienter pour regagner le quartier Eau et sa Porte des Mondes était une finalité dont elle ne doutait pas. Ce qu'elle redoutait, c'était que les laboratoires lancent leurs Phoenix à ses trousses avant qu'elle n'arrive là-bas. Il s'agissait d'une possibilité bien trop plausible à son goût.

Quand Eloïse tourna à un nouvel embranchement, elle s'assura que personne ne la suivait et fit disparaître son invocation. Avec la distance qui les séparaient et le puits à énergie que cela devenait, si elle continuait deux minutes de plus, elle allait s'évanouir. Or, ses forces, elle en avait encore besoin.

Eloïse ralentit contre sa volonté, incapable de tenir son rythme effréné plus longtemps maintenant que l'adrénaline refluait. Au moins, elle supposa se rapprocher de la frontière avec le quartier Eau.

Elle freina brusquement quand une figure sombre apparut juste devant elle, comme sortie de nulle part. Deux bras lui saisirent les épaules pour ne pas qu'elle lui fonce dedans la tête la première. Eloïse avait les poumons en feu et serrait si fort le Livre des Miroirs contre elle qu'elle en avait mal aux doigts. Pourtant, à ce moment précis, elle oublia la douleur et la fatigue pour ressentir une once de joie.

- Victorien ?

Le mage noir jeta un regard derrière elle pour vérifier que personne n'approchait, puis posa une main dans son dos pour l'obliger à reprendre sa course.

- Dépêche-toi.

Eloïse ne se fit pas prier, même si elle avait clairement du mal à prendre de la vitesse.

Devait-elle s'excuser auprès de lui maintenant ou après ? Elle aurait aimé arracher le pansement et s'en occuper immédiatement, malheureusement, ce n'était sans doute pas le moment approprié et elle n'était pas sûre d'arriver à articuler quelque chose de cohérent.

Miranda surgit à leurs côtés, une arme ensanglantée dans chaque main.

- Je me suis débarrassée de deux ou trois récalcitrants qui étaient un peu près, indiqua-t-elle.

- Parfait, répondit Victorien.

- Le périmètre est toujours bloqué pour les téléporteurs ?

- Oui. Tant pis, on va prendre la Porte des Mondes du quartier Eau. Si les laboratoires s'approchent trop, je te laisse t'en occuper.

- Noté.

Heureusement pour eux, ce ne fut pas nécessaire. Les laboratoires devaient avoir perdu leur trace. Ils arrivèrent sans encombre à la Porte des Mondes, où une file de magiciens attendaient pour passer au travers.

D'habitude, il n'y avait pas autant de monde, mais Eloïse pouvait sentir la tension et la confusion de tous.

- Ce serait bien qu'ils se dépêchent, commenta Miranda, agacée. Je n'ai pas envie qu'on se fasse rattraper.

- Les laboratoires ne veulent sans doute pas envoyer leurs Phoenix dans le ciel avec toute la magie qui stagne dedans, répondit Victorien. Ils ne devraient pas nous rattraper.

- D'ailleurs, cette magie, elle sort d'où ?

Le regard de Victorien tomba sur Eloïse, qui tentait désespérément de reprendre son souffle, le livre fermement serré contre la poitrine.

- La théorie n'est pas dure à établir.

- Ça vient du livre, confirma Eloïse.

Miranda la détailla de haut en bas, ce qu'elle n'avait pas fait jusque là avec leur course. Ses sourcils se froncèrent.

- Eloïse, ça va ? C'est ton sang ?

La magicienne hocha la tête. Elle avait sans doute des coupures sur le visage et sur le corps après l'explosion des fenêtres. Quant à la main qu'elle avait utilisée pour ouvrir le Livre des Miroirs, elle était couverte de rouge.

- On tirera la situation au clair un fois rentrés, trancha Victorien.

Ce fut dans la nervosité qu'ils patientèrent pour emprunter la Porte des Mondes. Comme tous les magiciens devant eux étaient inquiets et pressés de partir, la file diminua vite et ils purent rapidement regagner Astras.

Maintenant, Eloïse s'attendait à se faire sérieusement taper sur les doigts.

Synetelle s'éveilla avec un mal de crâne et une envie fulgurante de casser les deux jambes d'Emma Jensen, la traîtresse de l'équipe Zéta.

Lentement, elle se redressa sur ses coudes et avisa le lieu dans lequel elle se trouvait. Pas de doute possible, il s'agissait d'une des salles d'entraînement à la magie du cinquième étage. Elle y avait passé un sacré paquet d'heures depuis son adhésion au AMI.

À ses côtés étaient allongées Framboise et Alicia, toujours endormies à en croire leurs yeux fermés et leurs poitrines qui se soulevaient lentement. Plus loin, elle remarqua Evan et deux membres de l'équipe Zéta, eux aussi endormis.

- Synetelle, ravi de te voir debout.

L'intéressée se tourna vers Jerome. Ah, tous ceux déjà réveillés se trouvaient un peu plus loin. Synetelle reconnut, en plus de Jerome, Synabella, Rory, Geoffrey et Eelis Philomenna, le supérieur de l'équipe Zéta.

Après un dernier regard pour ceux qui dormaient encore, Synetelle se leva pour les rejoindre, l'esprit en ébullition. Elle regarda l'heure sur son téléphone portable – cela faisait un peu plus de deux heures qu'elle avait perdu connaissance – et constata qu'il n'y avait pas de réseau. Fantastique.

- Qu'est-ce que j'ai manqué ? grommela Synetelle.

- Pas grand chose, répondit Synabella. Les traîtres du AMI nous ont installés ici et nous ont enfermés. Peut-être qu'ils comptent revenir, peut-être pas. Qui sait ?

- Vous êtes réveillés depuis longtemps ?

- Rory ça fait une heure. Nous, dix minutes environ.

Les tranquillisants faisaient effet moins longtemps sur les Madrigans, ce qui expliquait pourquoi il y avait un si grand décalage.

- On n'a ni réseau, ni magie, et la porte est verrouillée aussi bien à clé qu'avec un sortilège posé à l'extérieur, ajouta Eelis.

- Il y a de nombreuses claques qui se perdent, maugréa Geoffrey. Pour tous les traîtres qui cohabitaient avec nous, à commencer par Emma.

À l'entente du prénom, Eelis se pinça les lèvres, amer. Il était l'un des mieux placés pour lui en vouloir, lui qui l'avait encadrée des années durant.

- Depuis combien de temps est-ce que ce renversement était planifié ? se désespéra Jerome. On aurait dû comprendre qu'il se tramait quelque chose.

Connaissant les laboratoires du Phoenix, Synetelle doutait qu'ils aient pu l'apprendre avant. Ils savaient s'y prendre pour garder des secrets.

- Il y a d'autres gens enfermés comme nous ? s'assura-t-elle.

- Sans doute, vu tout ceux qu'on avait croisé dans les couloirs, répliqua Geoffrey. Si tu veux estimer la quantité de traîtres, par contre, ça va être compliqué.

- Ça, je m'en chargerai plus tard, trancha Synabella, revanche personnelle. Là, le plus important, c'est de partir d'ici. J'aimerai autant éviter d'autres désagréments si tous ces idiots reviennent.

- D'accord, soupira Synetelle, et comment on sort d'ici ?

- À la base je voulais passer par la ventilation, mais la grille est vissée au mur et on n'a littéralement aucun outil, indiqua Rory. Seule solution : casser la porte.

- Avec quoi ?

- Avec nos bras et nos jambes, qu'est-ce que tu veux utiliser d'autre ?

Pas besoin pour Synetelle d'aviser la salle d'entraînement, elle savait qu'elle était vide, puisqu'elle était utilisée uniquement pour la magie. Enfin, il y avait bien un miroir qui couvrait un pan entier de mur, mais ça n'allait pas les avancer à grand chose.

- Va pour la porte, alors.

Les magiciens se levèrent et se placèrent en arc-de-cercle autour de la sortie. Le battant était fait de bois et couvert de fines plaques de métal, ce qui n'était pas pour leur rendre service. Synetelle analysa la situation pour déterminer quelle zone serait la plus fragile. Parce que casser le verrou, d'accord, mais il restait le problème du sortilège. Il faudrait réussir à faire sortir la porte de ses gonds.

- Dites... commença Rory. La magie est bloquée uniquement dans la pièce, non ?

- Ce serait logique, acquiesça Jerome, pourquoi ?

- Il y a suffisamment d'espace sous la porte pour y glisser ses doigts.

Les magiciens baissèrent les yeux pour regarder au même endroit que Rory. Et si c'était la solution ?

Eelis, après une hésitation, prit l'initiative de s'accroupir.

- Je m'en occupe, déclara-t-il.

- Ce ne serait pas plus logique de laisser quelqu'un d'entraîné à la magie s'en occuper ? fit remarquer Geoffrey.

- Je suis peut-être agent technique, mais je sais utiliser mes pouvoirs.

Les autres n'étaient pas spécialement convaincus – ils auraient plutôt demandé à Rory de s'en charger, puisqu'il était le plus puissant du groupe. Eelis passa outre leur jugement et glissa tout ce qu'il put de sa main sous le battant. Ensuite, il tâcha d'accéder à sa magie. Un fourmillement familier anima le bout de ses doigts.

- Ça fonctionne, indiqua-t-il. Écartez-vous, au cas où.

- Qu'est-ce que tu comptes faire ? s'inquiéta Jerome.

- Employer la manière forte.

Les magiciens accédèrent à sa demande et se reculèrent de deux pas. Eelis, lui, concentra le maximum de magie rouge au bout de sa main.

- Palikao, récita-t-il.

Une onde de choc secoua la porte comme si quelqu'un venait de frapper dedans. Eelis se releva sous le regard ébahi des autres – à l'exception de Rory et Synabella, qui ne le connaissaient pas. Il appuya sur la poignée et, comme s'ils n'avaient jamais été enfermés, la porte s'ouvrit.

- On peut y aller, décréta-t-il.

- Attends, articula Jerome, tu es...

- Un Chevalier, oui. Je ne l'ai jamais dit au AMI pour éviter les problèmes avec l'administration. Je ne pensais pas que le secret serait percé dans des circonstances pareilles.

Synabella se racla la gorge alors qu'un silence gêné s'installait.

- Je vais vérifier qu'il n'y a personne dans les parages et je reviens. Pendant ce temps, si vous pouviez ramasser ceux qui dorment encore, ce serait aimable.

Elle n'attendit pas que quiconque ait donné son accord pour se faire la malle dans le couloir. Quand Jerome voulut la retenir, Synetelle l'en dissuada d'un grommellement. Ce n'était pas comme si quiconque pouvait facilement faire changer d'avis Synabella.

- D'ailleurs, je peux savoir qui est cette fille ? reprit Jerome. Et qui tu es, toi aussi ?

Il avait désigné Rory d'un mouvement de la tête.

- Des amis, éluda le Madrigan.

- On les a appelés à l'aide quand on a compris que le AMI se faisait attaquer, précisa Geoffrey. Qui compte porter qui ?

Mieux valait se concentrer sur l'essentiel pour le moment. Les réponses aux questions, ils les fourniraient quand ils auraient quitté le quartier général pour se retrouver dans un lieu sûr.

- C'est toi qui a le plus de force, tu prends le plus lourd, répliqua Synetelle. Je m'occupe de Framboise.

La capitaine de l'équipe Alpha s'approcha de sa coéquipière et passa ses bras dans son dos pour la soulever. Avec un peu de chance, elle se réveillerait bientôt et pourrait finir à pieds.

Jerome suivit son initiative et s'occupa d'Alicia. Quant à Rory, il porta Evan, pendant que Geoffrey et Eelis géraient les deux membres de l'équipe Zéta.

Heureusement qu'il n'y avait pas d'autres magiciens avec eux, ils étaient à court de bras.

Synabella fit son grand retour quelques deux minutes plus tard, l'expression neutre.

- Alors ? demanda Rory.

- Il y a une trace de magie rouge qui flotte partout, mais personne dans les parages. Je ne sais pas ce qui est le plus étrange, mais soit.

Les regards se tournèrent vers Eelis, qui se dédouana de toute responsabilité.

- Je n'en ai pas utilisé tant que ça. La trace ne devrait pas aller plus loin que ce couloir.

Si ce n'était pas lui, qu'est-ce que les laboratoires avaient fait, encore ?

Synabella, qui voulait profiter du calme tant qu'il était présent, les incita à partir sur le champ. Synetelle et Geoffrey prirent la tête de leur groupe vers la sortie du quartier général la plus proche. Par chance, c'était aussi la plus discrète que comptait le bâtiment.

Comme Synabella l'avait fait remarquer, partout où ils passèrent, ils sentirent une lourdeur dans l'atmosphère liée à la présence de magie rouge. Eelis lui-même fut confus quant à son origine.

Ce fut uniquement quand ils réussirent à atteindre la sortie, étonnamment sans croiser personne, qu'ils comprirent l'ampleur du problème. Et surtout, que le réseau fit son grand retour et que leurs téléphones se mirent recevoir les nombreux messages et appels manqués.

- Mais qu'est-ce qui s'est passé ? marmonna Geoffrey.

La magie rouge provenait du ciel.

Dès que Mila lui avait parlé de la tentative d'enlèvement des parents d'Eloïse, Lysandre s'était éclipsé de chez lui pour les rejoindre. Il le savait, ce n'était sans doute pas la chose la plus logique à faire s'il voulait éviter les ennuis, mais il fallait croire que sa peur s'était volatilisée aujourd'hui. Il l'admettait, cela le rassurait également, au cas où les laboratoires auraient l'idée de s'en prendre à lui par la suite. Après tout, ils avaient son adresse.

Il avait trouvé le salon où il avait passé de nombreuses heures quand il était enfant dans un état parfaitement normal. S'il y avait eu du sang, tout avait été soigneusement nettoyé.

Seulement, à peine était-il arrivé et avait-il salué les parents d'Eloïse, non sans gêne, qu'une ombre était apparue au tableau. Ou plutôt, de l'autre côté des fenêtres.

Lysandre aurait volontiers cru à une hallucination si seulement tout le monde ici n'avait pas vu la même chose que lui.

Le ciel, bleu encore quelques minutes auparavant, était désormais taché de rouge et de noir comme si de l'encre s'était renversée dedans. Les volutes inquiétantes se mouvaient au même rythme que les nuages, dans un glissement tranquille.

- Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il.

- Ça doit être le Livre des Ténèbres, lui répondit Lanehaërt. Je ne vois d'où ça pourrait provenir, sinon.

Lysandre fut le premier à s'aventurer dans le jardin des Vandeuvre pour observer le spectacle d'un meilleur angle de vue, suivi de près par Lanehaërt et Lanehäden. Les humains et Michaël, plus hésitants, finirent par leur emboîter le pas quand la curiosité prit le dessus. Les parents de Mila s'assurèrent tout de même de garder leur fille entre leurs bras, par précaution.

- J'ai l'impression que l'air est plus lourd, s'inquiéta Mila, c'est normal ?

- C'est un effet de la magie rouge, confirma Lanehaërt. Ce n'est rien.

- C'est oppressant, tout de même, ajouta Olivia Vandeuvre. Vous êtes sûre qu'il ne se passera rien ?

- Ça, par contre, je n'en ai aucune idée.

- Espérons que non, soupira Michaël.

Lysandre observa les autres, gagné par l'incompréhension. Ils avaient tous l'air mal à l'aise à des degrés différents, ce qui n'était pas son cas. Au contraire, il se sentait étrangement revigoré.

- C'est parce que je suis un mage rouge que je me sens bien ?

L'attention se tourna vers lui. Ça y est, il ressentait lui aussi de l'inconfort.

- C'est ça, confirma Lanehaërt. Si tu es débutant, ne te focalise pas trop dessus, ça pourrait te monter à la tête.

- Euh... Ça veut dire que je pourrais perdre le contrôle ?

C'était bien la chose que Lysandre redoutait le plus. Michaël secoua la tête pour tenter de le rassurer. Visiblement, c'était lui qui avait expliqué son cas à Lanehaërt et Lanehäden avant son arrivée.

- À mon sens, il y a très peu de chances. Ne t'inquiète pas trop, d'accord ?

Lysandre ne savait pas s'il appréciait que sa véritable identité, celle de magicien, ait été révélée. Mila le savait déjà, puisque quelqu'un le lui avait dit quand elle se trouvait encore sur Thélis, mais pour les parents de la jeune fille et plus particulièrement ceux d'Eloïse... Eh bien, c'était une nouveauté.

L'adolescent avait passé tellement de temps chez eux, dans sa jeunesse. Il avait presque considéré cet endroit comme sa deuxième maison. Comment les Vandeuvre vivaient-ils ce soudain afflux de magiciens dans leurs vies ?

Olivia lui adressa un sourire sans joie.

- Beaucoup de choses ont changées depuis la dernière fois qu'on s'est vus, je crois.

Lysandre acquiesça. Il doutait que ce soit pour le meilleur et s'attendait au pire.

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