Chapitre 1: 6 ans


02/02/2006.

Eloïse s'était éloignée de ses parents pendant quelques instants pour s'aventurer au rayon bandes-dessinées du supermarché.

Depuis qu'elle avait appris à lire au fil des derniers mois, elle en avait profité pour en dévorer un maximum dès que l'occasion se présentait à elle. Accompagner ses parents faire les courses était devenu pour elle l'un des meilleurs moment de la semaine – surtout quand, de temps en temps, ils lui achetaient l'ouvrage qu'elle était en train de feuilleter.

Eloïse repéra une bande-dessinée dont le bleu de la couverture attira son regard et la saisit pour faire défiler les pages. Elle en parcourut trois avant qu'une ombre ne vienne la stopper dans sa lecture.

Eloïse se retourna, persuadée de faire face à l'une de ses parents. Ce fut une inconnue qui se dressa devant elle.

- Qu'est-ce que tu lis ?

La femme était grande et avait des cheveux blonds coupés au carré. Oh, et ses yeux étaient d'un vert vif comme Eloïse n'avait jamais croisé auparavant.

Ses parents lui avaient dit de ne pas parler aux inconnus, alors elle se contenta de mettre la couverture de la bande-dessinée sous les yeux de la femme.

- Tu aimes bien ?

Eloïse hocha la tête.

- Je peux te l'acheter, si tu veux, lui proposa la femme. Si tu viens à la caisse avec moi.

Le devait-elle ? Eloïse avait vraiment envie de rentrer avec la bande-dessinée, mais ses parents n'allaient vraiment pas être contents. Elle était face à un dilemme.

- Je connais tes parents, insista la femme. Je les ai prévenus en passant. Ne t'inquiète pas pour eux.

- Ah bon ?

- Oui. Ta maman s'appelle Olivia et ton papa Philippe. Tu as aussi une sœur, Garance, et un frère jumeau, Alexandre. Je les connais. Je suis déjà venue chez toi, mais tu était trop petite pour t'en souvenir.

Oh ! Si elle connaissait ses parents, alors il n'y avait aucun problème, elle pouvait la suivre.

La femme posa une main sur le haut de son crâne pour l'entraîner doucement vers la caisse. Eloïse, la bande-dessinée dans les bras, se laissa faire.

- Éloigne-toi.

Leurs pas s'interrompirent. Lentement, la femme se retourna, son calme remplacé par de l'agacement. Elle avait immédiatement reconnu la voix, puisqu'elle appartenait à la personne qui venait systématiquement lui mettre des bâtons dans les roues.

- Tiens, Victorien, grinça-t-elle. Ça faisait longtemps.

Le mage noir s'approcha d'elle tout en la foudroyant du regard. Eloïse, pas très à l'aise face à tous ces gens qu'elle ne connaissait pas, serra davantage son livre entre ses bras.

- Je ne vais pas me répéter encore une fois, Kaladria. Éloigne-toi. Tout de suite.

- Je ne fais rien de mal, répondit Kaladria. Je vais juste lui acheter une bande-dessinée.

- Tu cherches à l'éloigner de ses parents.

- Loin de moi cette idée, voyons.

Kaladria tapota la tête d'Eloïse, qui ne comprenait absolument pas ce qui se déroulait sous ses yeux.

- Combien de fois encore je vais devoir vous repousser ? demanda Victorien. C'est ta cinquième tentative en un mois.

- J'ai un objectif à remplir, se justifia Kaladria.

- Je compte bien continuer à t'en empêcher. Autant de fois qu'il le faudra.

- Et tu comptes aller dormir à un moment donné ? Travailler, peut-être ? Tu vas avoir besoin d'argent et de sommeil pour vivre, tu ne peux pas tout abandonner pour la surveiller.

Kaladria avait toujours cette tendance à penser qu'il était seul dans cette entreprise. Ce n'était pas parce que Victorien était la personne qu'elle confrontait le plus souvent que d'autres magiciens ne venaient pas l'assister.

- Écarte-toi si tu ne veux pas qu'on règle les choses de façon moins pacifique, asséna-t-il.

- Nous sommes au milieu d'humains. Tu ne vas pas attaquer.

En réponse, Victorien vérifia qu'ils étaient seuls dans le rayon et agita leurs ombres projetées sur le sol. Kaladria, même si elle tâcha de garder une expression neutre, ne fut plus aussi à l'aise. Elle se tourna vers Eloïse.

- Donne moi deux petites minutes pour discuter, d'accord ? Ensuite on ira à la caisse.

Eloïse acquiesça et s'éloigna de trois pas pour continuer à feuilleter sa bande-dessinée.

- Tu ne peux pas m'agresser au milieu d'un magasin, marmonna Kaladria. Ça reviendrait soit à révéler la magie aux humains qui s'y trouvent, soit à semer le chaos. Laisse tomber.

- Je n'ai jamais dit que j'allais attaquer, répliqua Victorien. Tout ce que j'ai à faire, c'est attendre que ses parents viennent la chercher.

- Va-t'en.

- Certainement pas.

Kaladria se tut. Pendant un instant, il n'y eut plus que le bruit des roues de caddies contre le sol, de la musique qui passait en fond sonore et des pages qu'Eloïse tourna.

- Je me rappelle l'époque où tu travaillais pour nous, reprit Kaladria. Tu sais, si tu le voulais vraiment, tu pourrais revenir.

- J'ai l'air d'en avoir envie ? ironisa Victorien.

- On ne sait jamais.

- J'ai eu ma dose.

Victorien se rapprocha d'un pas. Si Kaladria tint sa position, en revanche, elle croisa les bras d'un air renfrogné. Généralement, quand elle avait des réactions pareilles, c'était qu'elle abandonnait.

Le même scénario à chaque fois. Ça devenait lassant.

- Tu ne pourras pas toujours être là, Victorien, dit-elle. Tu finiras par être pris au dépourvu.

- Tu veux parier ?

Ce n'était pas arrivé une seule fois en trois ans. Si elle pensait qu'il allait relâcher une once de son attention, elle se trompait.

- Dans ce cas, tu finiras par te lasser, conclut Kaladria. Je te souhaites de passer une mauvaise journée. À la prochaine.

De l'avis de Victorien, ce seraient les laboratoires qui se lasseraient de ces tentatives d'enlèvement en premier, mais il n'avait pas envie de rajouter de l'huile sur le feu en le lui disant. Elle partait, c'était déjà bien.

Kaladria fit demi-tour dans l'optique de quitter le supermarché. Eloïse releva la tête, intriguée, et l'observa partir du rayon de mauvaise humeur. Elle se tourna vers Victorien, qui n'avait pas bougé, par précaution.

- Elle va où la dame ? demanda Eloïse.

- Elle s'en va.

- Et ma BD ?

Ah. Elle tenait l'ouvrage entre ses petites mains d'un air déçu. Victorien, ennuyé, chercha son portefeuille dans la poche de son pantalon. Est-ce qu'il avait des euros sur lui ? Il ne savait même pas combien coûtait une bande-dessinée.

Il trouva un billet de vingt complètement froissé et le lui tendit. Ça devrait faire l'affaire.

- Tu pourras l'acheter avec ça, dit-il, mais attends tes parents. D'accord ?

- D'accord.

Eloïse saisit le billet et le garda bien serré dans sa main. Ensuite, elle retourna dans la contemplation de son livre. Victorien resta à proximité pour vérifier que Kaladria ne retournait pas faire des siennes et fit mine de regarder le contenu du rayon.

- Eloïse ? Tu es là ?

Ses parents étaient enfin de retour. Dans un réflexe, Victorien se transforma en ombre avant qu'ils ne puissent le voir. Eloïse se redressa pour répondre à ses parents et constata avec surprise qu'elle était maintenant seule dans l'allée.

Philippe et Olivia vinrent la rejoindre, leurs sacs de course entre les mains.

- Tu peux reposer la BD, ma puce ? demanda Olivia. On t'en a déjà acheté une il y a quelques jours.

- Mais j'ai de l'argent ! répliqua Eloïse en leur montrant le billet.

Cette fois-ci, ses parents furent interloqués.

- Où est-ce que tu l'as trouvé ? l'interrogea son père.

- On me l'a donné.

- Qui ça ?

- Je sais pas. C'était une dame qui voulait m'acheter ma BD, puis un monsieur est arrivé et l'a fait partir, et après il m'a donné ça.

- Où il est, le monsieur ?

- Il est parti aussi. D'un coup, c'était trop bizarre.

Philippe et Olivia échangèrent un regard inquiet. Victorien, qui observait discrètement la scène depuis son coin d'ombre, espérait qu'ils avaient compris qu'Eloïse avait échappé à une tentative d'enlèvement. Vu les chuchotements qu'ils échangèrent, c'était probable.

Philippe prit sa fille par la main en lui disant que dans ce cas, ils prendraient la bande-dessinée. Eloïse, ravie, le tira vers la caisse.

Avec un peu de chance, après cet incident, ils feraient plus attention à ne pas lâcher Eloïse du regard.

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