Chapitre 9: Avril (7)
L'enveloppe blanche claqua sèchement contre la table. Sakura, qui n'aimait pas la brusquerie qui animait Miranda aujourd'hui, releva la tête pour la foudroyer du regard.
Elle ne s'était pas attendue à la voir débarquer dans son bureau dès sa prise de fonction, encore moins sans expliquer ce qui l'amenait. Si elle ne l'avait pas retenue en se raclant bruyamment la gorge, Miranda serait repartie aussi vite qu'elle était arrivée, et ce sans même la saluer.
- Pour commencer, bonjour, dit sèchement Sakura. Ensuite, je peux savoir ce que c'est ?
- Ma lettre de démission et celle d'Eloïse, répondit Miranda. J'ai tout mis dans la même enveloppe, tu sauras te débrouiller avec.
Leurs lettres de démission ? Voilà une chose que Sakura n'aimait pas entendre.
- Autant j'accepte la tienne, autant tu diras à Eloïse que la sienne n'est pas recevable et qu'elle le sait. D'ailleurs, tu lui demanderas de revenir ici rapidement si elle veut éviter les problèmes.
- Tu te fais des illusions. Je te conseille de lire le contenu de l'enveloppe.
- Je sais à quoi ressemble une lettre de démission, merci bien. Comme j'ai dit, c'est bon pour toi, pas pour Eloïse.
Miranda, bien loin de se laisser démonter, récupéra l'enveloppe et sortit les documents contenus à l'intérieur. Sakura put immédiatement constater qu'il y avait bien plus que leurs deux lettres. Ça sentait le coup fourré.
- Eloïse est mineure et sous la tutelle du AMI, insista Sakura.
- Je soussigné Victorien Aprehensen, autorise ma fille Eloïse Aprehensen à démissionner de son travail au sein du AMI, lut Miranda d'un voix forte. Besoin d'autre chose ?
- Sa fille ? Je te demande pardon ?
Miranda colla la feuille devant le visage de Sakura, qui la repoussa non sans agacement.
- Eloïse a été adoptée, donc elle n'est plus sous la tutelle du AMI, expliqua Miranda.
- Le AMI n'a aucunement donné son accord sur cette décision.
- Parce qu'il n'était pas nécessaire. Eloïse et Victorien sont apparentés, donc ça rentre dans la loi Fraghri et le AMI n'a pas son mot à dire. Je l'ai imprimée, pour que tu puisses le constater par toi même.
- Eloïse est humaine. Comment pourrait-elle être apparentée à un magicien ?
- Je savais que tu tenterais tous les recours possibles, raison pour laquelle j'ai un document officiel qui stipule que Victorien et Eloïse sont de la même famille. Bon courage pour passer au dessus des lois.
Miranda replaça tous les documents dans l'enveloppe et la jeta nonchalamment sur le bureau de Sakura, qui avait les doigts si serrés que ses jointures en devenaient blanches.
- Pour résumer, conclut Miranda, tu trouveras là-dedans deux lettres de démission, l'accord parental pour celle d'Eloïse, les papiers de son adoption, le détail de la loi Fraghri et une confirmation de correspondance génétique. Oh, et si jamais tu perds un document, sache que j'ai déjà donné un double à Jerome.
- Très bien, grinça Sakura, mais compte sur moi pour décortiquer ces documents. S'il y a la moindre faille, Eloïse reviendra.
- Tu peux toujours rêver, Valentiana. On a tout prévu.
Cette fois, c'était trop. Sakura se redressa pour faire à Miranda, le regard sombre.
Bien sûr que l'Ombre avait découvert sa seconde identité. Ses supérieurs aux laboratoires n'avaient pas voulu la croire, mais Valentiana en avait gardé la conviction. Miranda lui apportait les dernières preuves nécessaires.
Elle inspira à fond et ferma les yeux. Sa peau se mit à ondoyer sur son squelette, qui lui, se rétrécit pour retirer à sa taille quelques centimètres. Ses cheveux noirs s'éclaircirent et son visage remodelé se constella de tâches de rousseurs. Quand elle rouvrit les paupières, ses iris grises étaient devenues turquoises.
Maintenir les apparences ne servait plus à rien.
Miranda laissa échapper un sifflement.
- Amusant, tu es encore moins intimidante comme ça.
- Garde tes remarques inutiles pour toi. Qu'on soit clairs, Miranda, ton petit groupe est clairement en train de nous sous-estimer. À votre place, je cesserai de jouer avec le feu. Je sais exactement quels membres font partie du AMI. Peut-être que tu pars, mais eux sont toujours là et feraient bien de faire surveiller leurs arrières.
- Je te retourne la menace avec joie. On n'est pas stupides.
- Je suis sur mon propre terrain. Ne fais pas comme si vous aviez l'avantage, ce n'est pas le cas.
Miranda lui adressa un sourire moqueur et fit glisser l'enveloppe plus près de ses mains posées à plat sur la table.
- C'est bien, on est contents. Tu vas commencer par t'occuper de ça, le reste on verra plus tard. Maintenant, les prochaines menaces que tu voudras m'adresser, tu m'enverras un courrier. Je n'ai pas que ça à faire de ma journée.
Miranda recula de plusieurs pas. Son sérieux revint à la charge.
- Quoi que vous vouliez accomplir avec le projet Alpha, ne comptez pas sur nous pour vous laisser faire.
- Tu ne sais pas à quoi tu t'attaques, contesta Valentiana.
- Ça n'a jamais été nécessaire pour contrer quelqu'un.
Si les laboratoires du Phoenix pensaient être ceux avec le plus de ressources, l'Ombre se ferait un plaisir de leur prouver le contraire.
Miranda, non sans un dernier regard d'avertissement à l'intention de Valentiana, quitta son bureau pour ce qui risquait d'être la dernière fois.
◊
Eden attendait avec impatience que Cara et Synabella rendent enfin le résultat de leurs recherches sur Hayden Rivière. Elle était à deux doigts d'implorer Heather pour qu'elles retournent chercher des informations incriminantes dans son bureau, même si son amie risquait de faire une crise cardiaque en l'entendant proposer une chose pareille.
Elle voulait savoir si la professeure de sorcellerie était réellement celle qui avait repéré les élèves de l'académie présents sur la liste trouvée au AMI. Difficile pour elle d'envisager un autre scénario maintenant que celui-ci s'était fait une place dans son esprit.
Enfin, Eden entretenait également l'espoir d'en découvrir plus sur les autres élèves de la liste. Peut-être pourrait-elle mettre le doigt sur un facteur commun entre eux ? Elle voulait désespérément se sentir utile.
Par chance, l'occasion de dénicher des informations se présenta sous forme d'un travail de groupe, lancé par leur professeure de maîtrise de la magie.
- L'objectif est de vous mettre par quatre et d'inventer un sortilège utilitaire. Autrement dit, il faut qu'il puisse servir dans la vie de tous les jours. Je ne doute pas de votre créativité pour y parvenir. Vous avez les deux heures du cours pour le réaliser.
La professeure esquissa un geste de la main pour que les élèves choisissent leurs groupes. Avant que Heather n'ait pu faire la moindre réflexion, Eden l'entraîna vers deux figures qui avaient déjà posé leurs sacs sur une table pour la privatiser.
- On se met avec Peter et Lucas.
- Quoi ? s'étonna Heather. Mais pourquoi ?
- Pour en savoir plus sur eux. Tu sais, la liste, tout ça.
- C'est un travail de groupe, pas le moment pour mener l'enquête.
- Sois coopérative deux minutes, s'il te plaît. De toute façon, c'est pas noté.
Eden fit abstraction totale du couinement de désespoir de Heather et s'avança vers Peter et Lucas, sourire aux lèvres.
- Salut vous deux, leur dit-elle. On se met à quatre.
- C'est très sympa mais on avait déjà un groupe, fit remarquer Lucas.
- Quitte le, il n'en vaut pas la peine.
- Et puis quoi encore ?
- Objectivement, on est bien mieux.
- Il faudrait penser à te regarder dans un miroir un de ces jours.
- Je vais faire mine d'être vexée par ta remarque. Ce qui ne change pas mon annonce précédente.
- Donc ma réponse va être la même.
Lucas n'en démordait pas. Eden n'en attendait pas moins de lui, qui était presque plus têtu qu'elle. Bien, il était temps de sortir ses derniers atouts. Elle passa un bras sur ses épaules à la façon d'une conspiratrice.
- Mon cher Lucas, tu dois bien te rappeler que notre professeure a tendance à nous donner certains travaux, puis à les noter à la fin sans nous prévenir ? Heather est l'une des meilleures élèves de la classe, tu ne voudrais quand même pas manquer l'occasion de travailler avec elle pour faire équipe avec deux cancres ?
- Pourquoi tu veux absolument te mettre avec nous ? soupira Lucas.
- Il faut croire que je suis tombée sous ton charme, même si j'ai des doutes sur son existence.
- Tu plaides mal ta cause.
- Je te paye ton repas ce midi.
- Tu es dure en affaires. Vendu.
Après s'être tapés dans la main comme l'auraient fait deux amis de longue date – ce qu'ils n'étaient pas, même s'ils traînaient régulièrement ensemble – Lucas fit signe aux deux autres garçons qui s'apprêtaient à les rejoindre que finalement, ils avaient d'autres plans.
Dans cette histoire, Peter avait l'air tout aussi dépité que Heather.
Eden s'empressa d'aller s'asseoir à la table et y posa ses affaires. Ses trois camarades vinrent l'imiter avec un engouement mitigé.
- Tu as plutôt intérêt à avoir l'idée du siècle, fit remarquer Lucas.
- Je laisse l'utilisation des neurones à Heather, elle s'en sert mieux que moi, répondit Eden.
- Alors là... soupira Heather.
Les dix premières minutes furent passées à établir la base de leur sortilège. Même si cela ne l'enchantait pas plus que ça, ce fut Heather qui trouva leur sujet, pour le moins basique : faire leurs lacets à l'aide de magie. Leur professeure ne pourrait pas contester l'utilité de la chose, même s'il y avait mieux.
Quand l'essentiel fut posé sur le papier, Eden en profita pour enquêter plus ou moins discrètement.
- Dis-moi, Lucas, j'ai toujours trouvé ça étonnant que tu n'aies pas d'essence magique. Tu sais à quoi c'est dû ?
- De quoi je me mêle ? répondit-il sur un ton léger.
- Je t'ai dit que j'étais tombée sous ton charme douteux, maintenant j'ai besoin d'en apprendre plus sur toi pour pouvoir te vouer un culte de la personnalité.
- J'ai soudainement la nausée.
- L'occasion parfaite pour que tu craches le morceau.
Il regarda à gauche, puis à droite, comme pour s'assurer que personne ne les écoutait.
- Bon. Depuis le temps qu'on se connaît, je suppose que je peux te révéler ça.
- Ah, une information croustillante, se réjouit Eden.
- J'ai bien une essence magique, j'évite juste de l'étaler sur la place publique.
Eden se redressa brusquement sur le dossier de sa chaise, attentive. Elle en était certaine !
Lucas laissa couler un silence pour rajouter de l'intensité dramatique. Peter secoua discrètement la tête, non sans lui chuchoter qu'il abusait.
- Accouche, s'impatienta Eden.
- Si tu insistes, capitula Lucas. C'est une sorte de voyage dans le temps. Je peux voir ce qui s'est autrefois passé sur le lieu où je me trouve.
Voyage dans le temps ? C'était un pouvoir extrêmement rare, ni Eden ni Heather n'en avaient jamais entendu parler avant.
- Comment ça fonctionne ? voulut savoir Heather. Tu penses à une date et tu vois ce qui s'y est passé en superposition ?
- Quelque chose comme ça, oui. C'est un peu compliqué à réaliser, mais ça fonctionne mieux si j'ai un objet de l'époque en question.
- Eh bien, je comprends pourquoi tu gardes ça pour toi, siffla Eden. Plein de gens paieraient cher pour un avoir un pouvoir comme ça.
- C'est bien le problème, admit Lucas.
Eden et Heather échangèrent un regard discret. Finalement, aller à la pêche aux informations n'était pas une si mauvaise idée.
Lucas, qui en avait assez de parler de lui, posa son menton sur le dos de ses mains jointes et adressa à Eden un sourire empli de défi.
- Alors, Samahel, je t'ai révélé un secret, à toi de faire de même. C'est pas drôle si ça ne va que dans un sens.
- Qui te dit que j'ai un secret ? répliqua la magicienne.
- Te connaissant, il y a forcément un coup fourré quelque part.
Il n'avait pas tort, mais Eden ne savait pas si c'était une très bonne idée de révéler sa véritable ascendance. Cela aurait un petit peu plus d'incidence qu'une essence magique cachée si cela se répandait dans l'académie.
- Il l'a fait, à ton tour, l'encouragea Heather d'un coup de coude dans les côtes.
- Donc il y a bien quelque chose, se délecta Lucas. Allez, j'attends.
Eden ramena ses cheveux blonds derrière ses oreilles et se racla la gorge pour se redonner une contenance. Elle fit signe à Peter et Lucas de se rapprocher et se pencha vers eux à son tour.
C'était ridicule d'être aussi nerveuse à propos de ça, mais elle était presque certaine qu'ils ne la croiraient pas.
- Je suis une Madrigane, murmura-t-elle. Le premier qui cafte à qui que ce soit, je crée un sortilège pour lui encastrer le derrière dans le mur de chambre de la directrice.
Lucas arqua un sourcil. Peter n'avait pas l'air très convaincu non plus.
- Tu as des preuves de ce que tu avances ? l'interrogea Lucas. Aux dernières nouvelles, je t'ai toujours vue une baguette à la main et les Madrigans ne sont pas connus pour être très ouverts aux autres populations.
Eden leur demanda de lever leurs feuilles pour faire barrage avec la table d'à côté, vérifia que personne ne regardait en leur direction, puis étala son bras sur la table. Un filet de magie vert clair s'échappa de ses mains.
- Samahel n'est clairement pas un nom de sorcier, marmonna-t-elle. J'ai du mal à croire que si peu de gens s'en rendent compte.
Lucas attrapa son bras et le retourna, comme pour vérifier qu'il n'y avait pas une émeraude pour matérialiser ses pouvoirs cachée quelque part. Rien.
Peter, lui, était bouche-bée, si bien qu'Heather lui mima de refermer la mâchoire. Il le fit non sans gêne.
- Comment tu peux cacher un truc pareil ? s'indigna Lucas. J'en reviens pas, Eden.
- On a tous les deux nos raisons, répondit-elle. Et maintenant, on est quittes.
Lucas ne put contester.
En voyant les autres groupes avancer autour d'eux, ils durent s'obliger à retrouver un peu de sérieux. Le sortilège n'allait pas se créer tout seul.
Cependant, Eden avait encore le secret de Peter à percer. Quoi que, son essence magique était la terre, ce qui était déjà assez rare et puissant.
Tandis que Heather faisait une tentative sur les lacets de ses chaussures – qui résulta en un nœud au mauvais endroit – Eden se tourna vers Peter.
- Tu as un nom très anglais, lui dit-elle, tu as grandi sur Terre ?
Le sorcier, concentré sur les pieds de Heather et ses déboires à défaire le nœud, leva les yeux.
- Mon père a vécu à Londres dans une communauté de magiciens, mais non, je n'y ai jamais mis les pieds.
- Heather aussi est un prénom anglais, fit remarquer Lucas. Ça ne veut rien dire.
- Le nom de famille et le prénom, c'est pas pareil, se défendit Eden. Je pourrais appeler mon gamin table basse qu'il aurait toujours un nom de famille Madrigan.
- Super, comme prénom composé. Ça a de l'avenir.
Eden leva les yeux au ciel. Pour travailler dans la menuiserie ou l'ameublement, sans doute.
- Je viens de l'île de Riss, rappela Heather. Mon prénom, ma mère l'a trouvé au hasard en lisant un livre qui venait de la Terre.
- Ah, comme la mienne, s'enthousiasma Lucas. D'ailleurs, mon beau-père a voulu me le faire lire l'année dernière. Il a vite abandonné.
Beau père ? Jusque là, Eden ne l'avait jamais entendu évoquer une telle chose. Un frère ainé, d'accord, mais c'était la seule famille qu'il affichait au grand jour.
Le regret d'avoir laissé échapper l'information se lut sur le visage de Lucas.
- Ton beau père ? Je ne savais pas que tu en avais un.
- Oh, eh bien, il a légalement ma garde depuis le décès de ma mère, marmonna-t-il. Comme pour mon essence magique, j'évite de m'étaler sur ce sujet.
- Je flaire le chaos à plein nez.
- En même temps, si je te disais qui c'était, tu ne me croirais pas.
Cette fois-ci, même Heather releva la tête, intriguée.
- Ah oui ? ironisa Eden. Tu vas me sortir que c'est le premier ministre ou quelque chose du genre, c'est ça ?
Lucas la dévisagea comme s'il avait vu un fantôme et le crayon que Peter était en train de mâchouiller tomba sur le sol.
Non, elle n'avait quand même pas vu juste ?
- Vraiment ? s'immisça Heather.
- C'est pas une fierté, marmonna Lucas. Je ne l'ai jamais beaucoup apprécié.
- On parle bien du premier ministre ? s'assura Eden, incrédule. Armändo Alavès ?
- Oui, confirma Lucas. Lui-même.
- Tu plaisantes.
- C'est la Madrigane qui se fait passer pour une sorcière qui veut me faire une leçon de crédibilité ?
Eden se retint de lui taper le haut un crâne avec une feuille chiffonnée. Finalement, son secret lui semblait presque risible, maintenant.
- C'est pas de la même ampleur, là. Tu as des preuves ?
- J'ai des photos avec. Je te les montre tout à l'heure, si tu veux.
- Je me ferais un plaisir de me moquer.
La professeure se râcla bruyamment la gorge en passant à côté de leur table. Aussitôt, Heather et Peter, gênés, plongèrent la tête dans leurs notes.
- Qu'on soit bien d'accord, reprit Lucas quand l'enseignante se fut éloignée, ce qui s'est dit sur cette table reste sur cette table.
- Pas la peine de me le dire deux fois, répliqua Eden.
Ils se serrèrent la main pour sceller l'accord. Heather se plaignit de leur côté bien trop dramatique et Peter fourra un crayon dans les mains de son ami pour qu'il se mette enfin à rédiger quelque chose.
Eden se força à se concentrer sur leur travail, l'esprit en ébullition. Cette simple conversation lui donnait l'impression d'être plus proche des deux magiciens que jamais.
Ne restait plus qu'à étaler leurs petits découvertes à l'Ombre.
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