Chapitre 7: Avril (5)

Depuis quelques heures, Célèste était envahie d'un mauvais pressentiment. Elle ne savait jamais trop comment ils finissaient par surgir, ni ce qu'ils signifiaient, mais son instint ne se trompait jamais.

Quelque chose allait se passer aujourd'hui. C'était d'autant plus frustrant qu'elle ne pouvait rien faire pour le prévenir.

- Tu n'as pas une sorte d'échelle pour évaluer ton ressenti ? lui demanda Kathleen.

Cela faisait plus d'un mois maintenant qu'elle logeait dans l'appartement que partageaient Kathleen et Jefferson, dans le quartier Nuit de la Cité.

- Oui et non, répondit Célèste. Si je m'en tenais à ça, je te dirais que c'est similaire à la dernière attaque à la Cité. Mais se baser uniquement sur le ressenti n'est pas fiable, parce que ça dépend davantage de l'intention que de la force de l'événement. Cela peut aussi dépendre du nombre de personnes impliquées.

- Et tu penses que c'est proche ? ajouta Jefferson.

Célèste ferma les yeux pour tenter d'améliorer sa perception. Non, c'était bien plus diffus que d'habitude. Elle n'était pas certaine que cela se produise à la Cité, même si elle était étonnée que sa perception en aille au delà.

Quoi que, elle avait pour habitude de se connecter aux flux telluriques ayant pour destination Astras, puisqu'il s'agissait de la cité dont elle dépendait. Est-ce que cela pouvait provenir de là-bas ?

Elle exposa ses inquiétudes à ses deux camarades, qui l'écoutèrent avec attention.

- Tu peux sans doute demander aux Magiciens Seconds d'Astras, proposa Jefferson. Peut-être qu'ils auront remarqué des choses.

- Tu as raison, oui. Laisse-moi leur envoyer un message.

Célèste sortit son téléphone portable de la poche dissimulée au milieu des plis de sa robe. Elle contacta celle qui était considérée par les autres comme la cheffe du groupe pour lui expliquer son mauvais pressentiment et lui demander des nouvelles.

Les heures passèrent et Célèste ne reçut aucune réponse. Certes, sa camarade n'était pas la plus assidue, mais passer tant de temps sans la moindre nouvelle était inhabituel. Elle se décida à contacter tous les autres, mais cette fois encore, elle n'obtint rien de plus que le silence en retour.

Une inquiétude profonde la gagna, et cette fois, elle se propagea jusqu'à Jefferson et Kathleen, qui prévinrent les Magiciens Seconds la Cité des événements actuels. Cependant, personne n'avait eu vent de quoi que ce soit, aussi ils ne purent rien faire d'autre que de leur promettre de transmettre les informations qu'ils trouveraient.

D'un seul coup, alors que l'après-midi touchait à sa fin, Célèste sentit son estomac se nouer. Le souffle court, elle se releva brusquement de sa chaise, suivie par Kathleen, alarmée.

- Il vient de se passer quelque chose, déclara Célèste. Maintenant j'en suis certaine, c'est bien Astras.

- Tu sais ce que ça peut être ?

- Après les événements récents qui ont frappé la Cité, je parie sur une attaque.

Jefferson fit le relais avec le reste de l'Ombre. Il en parla en priorité à Synabella, qui serait l'une des premières au courant de tous les détails. Avec un peu de chance, elle leur enverrait du concret dans les quinze prochaines minutes.

- Je dois retourner à Astras, déclara Célèste.

- Ça risque d'être trop dangereux, voulut la raisonner Kathleen. S'il vient d'y avoir une attaque, je ne suis même pas sûre que les Portes des Mondes seront encore accessibles.

Kathleen n'avait pas tort, mais ce n'était pas ce qui allait arrêter Célèste.

- Je peux emprunter celle des souterrains, affirma-t-elle. Elle n'est reliée à aucune de la Cité, mais ne sera pas bloquée par les autorités à cause de sa proximité avec plusieurs sectes.

- Tu sais depuis quel point tu peux la rejoindre ? demanda Jefferson.

- Caméone, Galinée ou Romée. Ce sont les plus proches, donc ça ne...

Célèste sentit son estomac se nouer pour la seconde fois. Un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale.

- Caméone, articula-t-elle.

- Tu veux emprunter celle de Caméone ? s'assura Kathleen.

Célèste ne répondit pas tout de suite et décrocha sa baguette magique, fixée sur son avant-bras. Elle traça un cercle de concentration sous ses pieds pour ressentir les flux telluriques avec plus d'intensité. D'habitude, elle n'avait pas besoin d'en utiliser, mais cette fois, les énergies étaient trop lointaines pour qu'elle fasse totalement confiance à ses ressentis.

Pendant un instant, le monde autour d'elle disparut et elle ne sentit plus que l'énergie qui s'agitait sous ses pieds. Un chaos organisé où elle parvenait à trouver son chemin comme s'il ne s'agissait que d'une ligne droite.

Quand elle rouvrit les yeux, elle fut certaine de ne pas s'être trompée.

- Non, corrigea-t-elle. Il se passe quelque chose à Caméone également.

Si Eloïse appréciait beaucoup Maximilien, elle aimait moins quand ils s'entraînaient au combat ensemble. Non qu'il ne soit un mauvais professeur, il était même très patient, mais elle embrassait l'herbe un peu trop souvent à son goût.

La Madrigan lui tendit la main pour l'aider à se relever quand il la plaqua au sol pour ce qui devait être la dixième fois de la soirée. Eloïse, épuisée, s'en saisit.

- Tu as fait beaucoup de progrès depuis qu'on a commencé, l'encouragea-t-il. C'est bien !

- Je n'ai pas réussi une seule fois à te battre, donc tout est relatif.

- Les laboratoires m'ont fait beaucoup travailler mes techniques de combat au corps à corps, contrairement au AMI avec toi. C'est normal qu'il y ait une différence de niveau.

Certes, elle ne pouvait le nier. Mais c'était frustrant de savoir que pour obtenir un niveau équivalent au sien, Eloïse allait devoir en baver pendant des mois.

- Il se fait tard, on devrait rentrer, proposa Maximilien.

- Excellente idée, approuva Eloïse. Je n'ai pas envie que Victorien s'impatiente et qu'il nous ramène chez lui par la peau du cou.

- C'est pas trop son genre, tu sais.

- Avec toi peut-être.

Comme la maison de Victorien se trouvait en périphérie d'Astras, en dehors des murs de la cité, il n'y avait pas grand chose aux alentours, à part des étendues d'herbe et des champs. Eloïse en avait plusieurs fois profité pour passer ses soirées, voire ses nuits, dehors, elle qui avait régulièrement des insomnies. C'était sans compter sur Victorien.

La dernière fois qu'elle s'y était risquée, il avait débarqué à deux heures du matin pour la ramener à l'intérieur. Comme il n'était pas là toutes les nuits à cause de son travail de mage noir, il n'avait pas pu se rendre compte de ses escapades tout de suite.

Il n'y avait personne dehors, certes, mais ce n'était pas non plus sans danger. Impossible de savoir si les laboratoires oseraient roder à proximité, mais mieux valait ne prendre aucun risque.

Depuis, Victorien sortait un peu moins la nuit, même s'il y était régulièrement contraint.

- Ça sent le vécu, plaisanta Maximilien.

- Ouais, marmonna Eloïse. J'ai pas trop le droit d'aller prendre l'air en pleine nuit, et même la soirée ça ne lui plaît pas.

- Question de sécurité ?

Elle hocha la tête. En soit, Eloïse comprenait ces restrictions – elle n'avait pas envie de se réveiller un beau jour aux locaux des laboratoires comme cela lui était arrivé en février – mais le problème était davantage la façon qu'avait Victorien de présenter sa requête. Il n'était pas doté de beaucoup de tact, ni d'une patience extensive.

- Tu sais, si les circonstances avaient été différentes, ça ne lui aurait pas posé problème, dit Maximilien.

- Si les circonstances avaient été différente, je ne serais même pas ici, répliqua Eloïse.

- Ah, oui, c'est fort possible.

Alors qu'ils se rapprochaient de la maison – ils s'étaient un peu plus éloignés que d'habitude – Eloïse sentit une migraine pointer le bout de son nez. Tiens, cela faisait longtemps.

Ce fut à ce moment qu'elle vit le premier flash traverser son champ de vision. Elle ralentit sa marche et cligna furieusement des yeux. Les éclats argentés se multiplièrent, si bien qu'elle eut du mal à discerner le paysage devant elle.

Qu'est-ce qu'il lui arrivait ?

Cette fois-ci, Eloïse se figea totalement et se frotta le visage. Maximilien s'immobilisa à son tour.

- Ça va ? s'inquiéta-t-il.

- Je ne sais pas, je vois des flashs. Je ne comprends pas d'où ça vient.

- Des flashs ? Ça t'étais déjà arrivé avant ?

- Non, jamais.

Eloïse, confuse, leva les yeux au ciel pour tenter de calmer le phénomène. Cela ne fit, au contraire, que l'empirer.

Une douleur sourde traversa son crâne, aussi vite disparue. Pendant ce court laps de temps, il lui sembla que l'image au dessus de sa tête changea. Les nuages gris sombres furent remplacés puis un ciel clair, d'où des figures drapées de capes argentées en tombèrent comme des gouttes de pluie. Dans leurs mains, une magie d'un bleu électrique était projetée vers le sol.

Eloïse recula d'un pas par réflexe. Sa vision redevint normale. Du moins, des flashs vinrent toujours s'y superposer à intervalles irréguliers.

Maximilien lui attrapa doucement le bras.

- Dépêchons-nous. Je n'ai pas envie qu'il t'arrive quoi que ce soit ici.

Eloïse acquiesça et accéléra sa marche. À ce rythme, ils furent à l'intérieur en un rien de temps.

Maximilien fit asseoir Eloïse sur l'un des fauteuils du salon et s'éclipsa aussitôt chercher Victorien. Heureusement, il était rentré un peu plus tôt.

Avec un peu de chance, il arriverait à trouvait du sens à cette situation.

Le mage noir débarqua dans le salon dans un coup de vent et se posta juste devant Eloïse, qui dut lever la tête. Maximilien suivit juste derrière.

- Tu as apparemment un problème, commença-t-il. Maximilien m'a parlé de flashs.

- Je ne comprends pas d'où ça sort, répondit Eloïse, ça ne m'étais jamais arrivé avant.

- Est-ce que tu peux décrire la chose ?

- Eh bien... Je vois comme des éclairs de lumière qui traversent mon champ de vision. Et tout à l'heure, pendant deux secondes, j'ai cru voir autre chose.

- C'est à dire ?

- C'était comme si j'étais ailleurs. Il y avait des magiciens qui tombaient du ciel.

Victorien fronça les sourcils.

- Voilà qui est inhabituel.

- Tu sais ce que c'est ?

- On dirait une vision. Tu as toujours des flashs ?

Eloïse acquiesça. Victorien, en pleine réflexion, traversa le salon pour prendre une chaise, puis s'installa face à la magicienne.

- Tu penses pouvoir en provoquer une nouvelle ?

- Je n'en ai aucune idée, admit Eloïse, je sais pas du tout comment ça fonctionne. Je ne sais pas non plus si c'est une bonne idée de le faire.

- Tu ne risques rien tant que je suis à côté. Essaies de te concentrer sur les flashs.

Eloïse posa ses mains sur ses genoux et appliqua ce qu'il lui demandait. C'était définitivement plus facile à dire qu'à faire.

Il lui fallut tâtonner avant de trouver le fil qui lui permit de tirer une nouvelle vision jusqu'à elle. Les éclats argentés se multiplièrent, et ce jusqu'à ce que l'intégralité du décors autour d'elle ne change.

Une clairière, entourée d'arbres anciens qu'Eloïse ne savait pas reconnaître, apparut. Au sol, des cailloux formaient des arcs de cercle brisés en de nombreux points. Dans le ciel aussi clair qu'à sa précédente vision, elle distingua une fumée grise s'élever de plusieurs emplacements plus ou moins éloignés.

En revanche, l'élément le plus marquant ne fut rien de tout ça. Pour cause, il était en premier plan.

Le sceptre de Valiammée Astrada, planté dans le sol.

Eloïse voyait son bras – non, pas le sien, la personne avait une ossature plus frêle que la sienne – qui s'étendait jusqu'au manche et le serrait entre ses doigts.

La vision se dissipa d'un coup et Eloïse sursauta. Elle cligna frénétiquement des paupières dans un réflexe.

Les flashs disparurent pour de bon.

- Qu'est-ce que tu as vu ? demanda Victorien.

- Un parc aérien de Caméone, répondit Eloïse. L'endroit où le sceptre de Valiammée Astrada est entreposé.

La mémoire d'Eloïse lui faisait défaut concernant les quelques heures qui avaient précédé sa mort, fin février, mais elle se rappelait en partie l'échange qu'elle avait eu avec Caleb en rêve. Il l'avait emmenée à cet endroit précis, même si la version de sa vision était un peu différente : la végétation était plus dense et les cailloux qui constellaient le sol étaient disposés dans une configuration différente. Sans oublier toute cette fumée qui s'étendait vers le ciel. Le sentiment général que lui inspirait cette image était celui du chaos.

Elle tâcha d'expliquer tout ça à Victorien, qui l'écouta sans l'interrompre.

- Caméone et Astras ont été attaquées il y a une heure, annonça-t-il quand elle eut terminé.

Quoi ? Eloïse tapota les poches de son jean et se rendit compte qu'elle n'avait pas pris son téléphone avec elle dehors. À en croire le visage horrifié de Maximilien, elle n'était pas la seule.

- Attaqué par qui ? s'alarma-t-elle. Qu'est-ce qui s'est passé exactement ? Et quel est le rapport avec ma vision ?

- Je n'ai pas encore les détails de l'incident. Concernant le rapport, je trouve étrange que tu aies eu une vision du sceptre disparu de Valiammée Astrada dans une version de Caméone en train de brûler, et ce peu après qu'il y ait eu une attaque là-bas.

Cela faisait beaucoup d'informations à digérer d'un coup.

- Disparu ? s'inquiéta Eloïse. Qu'est-ce que tu veux dire ?

- C'était assez explicite, répondit Victorien. Il n'est plus à Caméone et personne n'a réussi à remonter sa trace.

- Depuis quand ?

- Fin février. Le même jour que ta mort.

Eloïse pâlit. Il avait disparu le jour exact de son rêve avec Caleb. Autant elle voulait croire aux coïncidences, autant là, elle avait du mal.

Pourquoi ne l'avait-on pas tenue au courant avant ?

- Je croyais qu'on ne pouvait pas le retirer du sol, argua-t-elle.

- Tout le monde le croyait, oui, répondit Victorien. Les circonstances sont floues.

La vision ne pouvait pas avoir rapport avec ça, si ? Eloïse ne savait absolument pas quoi en penser. Et pourtant, elle se sentait fautive.

Un nouveau puzzle faisait son apparition et elle n'avait aucune idée de comment assembler les pièces.

- Je crois que c'est moi qui ai pris le sceptre, laissa-t-elle échapper.

Elle s'attendit presque à ce que Victorien la rembarre, mais au contraire, il la prit très au sérieux.

- Je te demande pardon ?

- Le jour où il a disparu, poursuivit Eloïse, j'ai fait un rêve, et... Enfin, c'est compliqué. Mais je l'avais sorti du sol.

Devait-elle évoquer Caleb ? Victorien ne serait pas ravi d'apprendre qu'il était revenu lui parler, et encore moins qu'elle ait dissimulé cette information pendant plus d'un mois.

Après une hésitation, elle se décida à tout lui expliquer, même si ses souvenirs du rêve étaient morcelés. Comme prévu, Victorien n'apprécia pas.

- Tu aurais dû m'en parler avant, répondit-il sèchement.

- Je ne pouvais pas savoir, se défendit-elle.

- Ça n'excuse rien. Je t'ai plusieurs fois dit de te méfier de Caleb.

Si c'était pour qu'il lui fasse encore la leçon à ce sujet, Eloïse passait son tour. Heureusement, Victorien préférait pour le moment se focaliser sur les problèmes plus graves.

- Est-ce que tu as la moindre idée d'où peut se trouver le sceptre ? demanda-t-il.

Seulement, là était bien le problème. Eloïse n'en avait pas la moindre idée.

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