Chapitre 45: Juillet (7)
Victorien savait qu'il n'aurait jamais dû laisser Eloïse seule chez lui. Il aurait dû se douter qu'avec tous les efforts qu'avaient déployé les laboratoires dans cette attaque, quelque chose allait mal tourner.
Elle était partie avec le Livre des Miroirs. Elle n'avait même pas tenté de communiquer avec lui et était allée se jeter dans leur piège avec l'espoir de sauver l'Ombre et le AMI.
Comme si les laboratoires feraient en sorte que tout soit aussi simple.
- Où est-ce qu'elle est ? demanda Miranda.
- Partie, répondit-il sèchement. Où est-ce qu'elle pourrait être d'autre ?
- Qu'est-ce qu'elle a marqué ?
Plutôt que de lui en faire un résumé, Victorien lui donna la note abandonnée par Eloïse sur la table pour qu'elle puisse la lire. Le visage de Miranda, déjà crispé, se fit plus sombre encore.
Ils s'étaient tous les deux rendus à la Cité pour combattre les laboratoires, mais en comprenant que leur plan semblait plus complexe qu'il ne l'avaient anticipé, ils avaient fait marche arrière et étaient retournés chez Victorien. La raison principale avait été la sécurité d'Eloïse.
Sauf que le mal était déjà fait.
- Pourquoi elle ne nous a rien dit ? s'agaça Miranda en reposant le mot sur la table. Elle n'est pas inconsciente à ce point là, d'habitude.
- Parce que je ne l'aurais jamais laissée y aller, répondit Victorien.
- Je vais l'appeler.
- Fais ce que tu veux, mais je doute qu'elle te réponde.
Miranda tenta néanmoins. Elle porta le téléphone à son oreille après avoir composé le numéro d'Eloïse et, comme Victorien l'avait prédit, tomba sur le répondeur. Elle réessaya une seconde fois pour faire bonne mesure, puis abandonna quand le résultat fut identique.
Soit elle les ignorait, soit il lui était arrivé quelque chose. C'était difficile d'évaluer la chose quand ils n'avaient aucune idée depuis combien de temps elle était partie.
- On va devoir aller la chercher, conclut Miranda. Elle n'a pas laissé l'adresse ?
- Non, confirma Victorien. Est-ce que ça t'ennuierais d'aller chercher l'un de ses cheveux dans sa chambre ?
- Magie rouge ?
- Il va bien falloir la retrouver d'une manière ou d'une autre.
- Je reviens.
Miranda s'éclipsa hors du salon. Victorien, lui, vérifia son téléphone, au cas où. Pas de nouvelles d'Eloïse, mais un message en provenance de Michaël, qui demandait s'il pouvait l'appeler en urgence. Il avait été envoyé à peine cinq minutes plus tôt.
Victorien ne prit pas la peine de répondre et se chargea lui-même de l'appel. Cela avait plutôt intérêt à être important.
- Victorien, je suis content que tu aies vu mon message, soupira Michaël en décrochant. On a un problème.
- Tu n'es pas le seul, alors essaies de faire court.
- Les laboratoires ont tenté de s'en prendre aux parents d'Eloïse. On suppose que c'était pour exercer un chantage contre elle et qu'elle leur donne le Livre des Miroirs.
- Ils vont bien ?
- Oui, on avait deux Chevaliers sur place avec nous, grâce à Mila. Son transfert sur Terre était de bonne augure.
- Parfait, surveille les attentivement. Eloïse est déjà partie avec le livre.
- Attends, quoi ?
Miranda revint dans le salon, plusieurs cheveux blancs entre les mains. Victorien lui fit signe d'aller les poser sur la table.
- Il y a d'autres personnes à part ses parents que les laboratoires ont décidé d'utiliser, expliqua-t-il.
- Oh, alors c'est pour ça que certains membres de l'Ombre ne répondaient plus...
- Je vais les retrouver. Reste sur Terre pour le moment, j'aimerais autant que la situation ne dérape pas davantage.
- Je ne bouge pas, ne t'inquiète pas. Bon courage.
Victorien raccrocha et déplaça immédiatement son attention vers les cheveux. Les sortilèges de traçage étaient bien plus simple à réaliser avec du sang, mais ce n'était pas comme s'il en avait prélevé à Eloïse pour anticiper ce cas de figure.
- C'était qui ? demanda Miranda.
- Michaël Zepleski, répondit Victorien. Les laboratoires ont voulu s'en prendre aux parents d'Eloïse.
- Ils n'en ratent pas une, ceux-là.
- Tu n'as pas idée.
Miranda posa sa main sur la sienne avant qu'il ne puisse se mettre à l'ouvrage. Victorien, d'abord surpris par le contact, tourna le regard vers la magicienne.
- Ça va aller ? s'assura-t-elle.
- Ça ira mieux quand on aura rectifié la situation.
- Dis-moi si tu as besoin de quoi que ce soit.
- C'est de la magie rouge, alors je vais me débrouiller seul. Pour la suite, en revanche, je ne suis pas contre un peu d'aide.
- Noté.
Il serra ses doigts entre les siens un court instant, puis saisit les cheveux d'Eloïse. Miranda s'éloigna pour le laisser opérer.
Victorien ferma les yeux pour sentir les flux telluriques avec plus de précision et récita le sortilège lysirien de traçage. Pendant une éternité, rien ne se passa, aussi il usa de davantage de magie rouge pour augmenter sa portée. L'atmosphère de la pièce en devint étouffante.
Enfin, il sentit sa présence au loin et remonta les flux telluriques jusqu'à déterminer son emplacement approximatif. Il rouvrit les yeux.
- La Cité, indiqua-t-il. Quartier Sombre.
Victorien espérait que ce n'était pas déjà trop tard.
◊
Seule contre Raven, Eloïse aurait peut-être pu s'en sortir. Là, elle avait du mal à entrevoir une issue. Elle comptait huit personnes autour d'eux, dont deux Phoenix et Julien, qui n'avait pas la réputation d'être une cible facile.
Le plus simple était encore d'éviter toute altercation.
- Je peux savoir ce que vous faites ? demanda Eloïse.
- Devine, répliqua Julien.
- Tu es conscient que je venais vers vous, n'est-ce pas ?
- Dans ce cas, qu'est-ce qu'il fait là, lui ?
Julien désigna Zéro d'un geste de la tête.
- Je ne savais même pas que vous vous connaissiez, mais j'en déduis que vous aviez pour but de nous attaquer. Ce n'est pas exactement ce qu'on t'avais demandé, Eloïse.
- Je l'ai croisé par hasard, se défendit-elle.
- Ça ne change rien.
La magicienne tourna la tête vers Zéro dans l'espoir qu'il intervienne lui aussi, mais il n'avait pas l'air d'humeur à prononcer le moindre mot. Il regardait Julien avec une telle fureur que c'en était presque inquiétant.
- Écoute, tenta Eloïse. Je ne suis pas là pour me battre. Je vais remplir ma part du marché et on en restera là.
- D'où tu connais Zéro ? insista Julien.
- De nulle part.
- On ne fait généralement pas des alliances avec le premier idiot qu'on croise dans la rue, surtout dans des circonstances pareilles.
- Qu'est-ce que ça peut te faire ?
- Si tu sais qui il est, tu dois aussi savoir pourquoi on ne l'apprécie pas trop et que te trouver en sa compagnie est un mauvais présage.
Cette fois enfin, Zéro se décida à prendre la parole, piqué au vif.
- Parce que je suis votre expérience ratée qui a réussi à s'échapper, asséna-t-il, n'est-ce pas ?
- Parce que tu nous poses de sacrés problèmes depuis le début, corrigea Julien. Il va falloir passer à autre chose.
- Certainement pas après tout ce que vous avez fait.
- On ne t'a pas poursuivi après ta fuite, tu aurais dû t'en contenter et cesser de te mettre en travers de notre chemin.
Pour couper court à cet échange qui allait bien vite tourner en rond, Eloïse jeta le sac qui contenait le Livre des Miroirs devant elle. Julien et Zéro cessèrent immédiatement de parler.
- C'est ce que vous vouliez, vous l'avez, annonça Eloïse, j'ai donc rempli ma part du marché. Je rentre chez moi.
Julien, méfiant, s'avança pour le ramasser. Après avoir vérifié son contenu, il retourna sur ses pas, le sac entre les mains.
- Je te remercie. Par contre, désolé de te décevoir, mais on va avoir besoin de toi encore un peu.
- Hors de question, trancha Eloïse.
- Je ne t'ai pas demandé ton avis.
Julien la défia du regard de faire quoi que ce soit, donna le sac à dos à sa voisine, puis fit signe à tout le monde de se jeter sur eux.
Eloïse n'eut pas l'occasion de discuter de quelconque stratégie avec Zéro. Elle espéra sincèrement qu'il savait combattre, même si avec ses aventures avec les chasseurs de magiciens, elle doutait du contraire.
Raven et Julien se décidèrent à la prendre pour cible, tandis que tous les autres foncèrent en direction de Zéro, déjà en position d'attaque.
Eloïse attendit que Julien soit assez proche de lui pour le repousser d'un rayon de magie qui l'envoya rouler au sol. Malheureusement, il poussa sur ses avant-bras et se releva aussi vite. Elle tourna la tête quand Raven, le poing chargé de magie, se téléporta à ses côtés Eloïse forma un bouclier devant elle et manqua de chuter devant la force de l'impact. Elle le maintint en position d'une main et utilisa l'autre pour former un fil de magie, qu'elle envoya s'entourer autour de la cheville de Raven. Quand elle tira, la Madrigane s'étala le long des pavés.
Eloïse tourna la tête pour voir comment Zéro s'en sortait et remarqua qu'il avait quitté les lieux, suivi par les laboratoires. Excellente idée, elle allait faire de même, en espérant les semer en chemin par un quelconque miracle.
Avant que Raven ne puisse se relever et quand Julien voulut la saisir par le buste, Eloïse se téléporta au bout de la rue et courut aussi vite qu'elle put.
Ce n'était pas la bonne direction pour retourner dans le quartier Eau, mais impossible d'aller de l'autre côté. Elle connaissait peu le quartier Sombre, ce qui risquait de lui porter préjudice, mais il lui suffisait de tomber sur une arche pour vite partir à l'autre bout de la Cité, là où une Porte des Mondes pourrait la ramener à Astras.
Autrement, Eloïse aurait un gros problème, puisqu'elle atteindrait les murs de la Cité et se retrouverait coincée.
Raven, sous sa forme de Phoenix, descendit droit sur elle et chercha à lui saisir les bras pour la soulever dans les airs. Eloïse se jeta par terre avant qu'elle ne puisse la saisir.
Au moment où elle se releva, Julien la plaqua au sol sans aucun état d'âme et tordit ses bras dans son dos.
- Je cours beaucoup plus vite que toi, je te rappelle, marmonna-t-il.
Eloïse forma un pic de cristal entre ses doigts et tenta de le poignarder avec, mais ne réussit qu'à le lui planter dans le poignet. Julien, sous le coup de la douleur, recula. Eloïse en profita pour se redresser, mais le magicien, dès qu'il retira le pic, saisit son épaule et enserra son cou de son bras libre. Elle vit presque immédiatement sa vision virer au noir.
Il avait beaucoup trop de force.
Eloïse le repoussa d'une salve de magie au moment où il planta quelque chose dans son cou. Julien roula au sol en toussant, touché en pleine poitrine. Eloïse, elle, porta machinalement sa main à son cou. Elle repéra, abandonnée à côté d'elle, une seringue vidée au trois-quarts de son contenu.
Qu'est-ce que c'était ?
Elle comprit bien vite, en voulant se relever et en n'y parvenant pas, que ce devait être une sorte de tranquillisant. Le monde tangua sous ses pieds.
Julien, le poignet ensanglanté et le visage parcouru par un agacement non dissimulé, se redressa sur ses jambes et entoura sa plaie avec le bas de son pull. Raven vint se poser juste derrière lui.
- C'était pas une dose complète, mais ça devrait suffire, supposa-t-il.
Une nouvelle fois, Eloïse chercha à se relever, mais ne réussit qu'à s'allonger. Elle se sentait lourde et légère en même temps.
Elle vit Julien et Raven se rapprocher, puis ferma les yeux malgré elle.
Eloïse perdit complètement la notion du temps.
Elle resta partiellement consciente, même si incapable de bouger ou de desceller ses paupières. Tout ce qu'elle entendit lui parut lointain, et même si elle se concentra pour comprendre les paroles des magiciens, elle ne parvint pas à en décrypter quoi que ce soit. Elle sentit qu'on la déplaça à ses bras et ses jambes qui pendirent dans le vide, mais ne put absolument pas déterminer où est-ce qu'on la conduisit.
Eloïse aurait pu passer une Porte des Mondes et disparaître à l'autre bout du continent qu'elle s'en serait à peine rendue compte.
Quand elle reprit totalement conscience du monde qui l'entourait, la première chose que vit Eloïse fut le Livre des Miroirs, posé à même le sol, face à elle. Non sans difficultés, elle se redressa sur ses coudes et détailla la pièce sombre dans laquelle elle se trouvait.
Aucun meuble. Des murs blancs, un sol de bois clair et deux larges fenêtres couvertes par des rideaux bleu nuit. Anthéon était adossé contre le mur à attendre elle ne savait trop quoi. Rien d'autre.
- Où est-ce qu'on est ? demanda Eloïse.
- À l'adresse que je t'ai envoyée, répondit Anthéon. Le lieu neutre. J'ai respecté ta demande, et donc ma part de l'accord. À toi de faire de même.
- Vous n'avez rien respecté du tout.
Eloïse voulut se relever, mais abandonna rapidement l'idée. Elle avait besoin de cinq minutes supplémentaires pour reprendre ses esprits avant de tenter quoi que ce soit.
- Vous avez le livre, insista-t-elle. Pourquoi je suis encore là ?
- Tu vas l'ouvrir, répondit Anthéon.
- Il est scellé.
- Justement.
Eloïse avait imaginé tant de scénarios dans lesquels les choses pouvaient mal tourner, mais qu'elle soit celle à ouvrir le livre ?
- Certainement pas, objecta-t-elle.
- J'ai libéré tes amis, comme promis, mais le AMI est encore sous notre contrôle, indiqua Anthéon. Si tu ne fais pas ce que je te demande, il risque d'y avoir un problème.
- Je veux des preuves.
Anthéon, dont la patience était plus extensible qu'escompté, s'accroupit face à elle et colla l'écran de son téléphone devant son visage. Elle vit, non sans plisser les paupières, une photographie de ses amis, cette fois-ci allongés dans les couloirs au AMI.
- Vous les avez attrapés là-bas, vous avez très bien pu prendre la photo avant de les amener aux laboratoires, fit remarquer Eloïse.
- Sauf que je ne l'ai pas fait, répliqua Anthéon.
- Rien ne me le prouve.
De toute manière, s'ils avaient été ramenés au AMI et que les laboratoires l'avaient renversé, alors c'était comme s'ils ne les avaient pas libérés. Il se fichait complètement d'elle.
- C'est le mieux que je peux t'offrir, indiqua Anthéon.
- Ce n'est pas suffisant.
- Tu vas devoir faire avec, parce que je ne te laisse pas le choix.
Anthéon rangea son téléphone dans sa poche et saisit une fine lame fixée à son avant-bras.
- Ta main, demanda-t-il.
- Non, merci, marmonna Eloïse.
- Le livre est scellé à la magie rouge. Tu vas avoir besoin de sang pour l'ouvrir. C'est juste une petite coupure.
Eloïse le foudroya du regard, se redressa dans une position assise plus confortable, puis lui tendit son bras. Anthéon lui coupa l'intérieur de la paume sur deux centimètres. Ce n'était pas spécialement agréable, mais Eloïse avait connu pire.
- Pose ta main sur le livre, ordonna Anthéon. Tu auras un sortilège de magie rouge à réciter.
- Je ne suis ni mage rouge, ni Chevaleresse. Je vais me blesser, surtout si c'est un sortilège complexe.
- Tu as de la génétique d'Aprehensen. Tu sais aussi bien que moi qu'il ne t'arrivera rien. Arrête de retarder l'échéance et fais ce que je te demande.
Anthéon rapprocha le livre d'elle et l'incita d'un mouvement de tête à s'exécuter. Eloïse hésita, les yeux rivés sur la couverture vert sombre, son bras tremblant levé au dessus du sol. Plusieurs gouttes de sang roulèrent sur sa peau.
Eloïse savait qu'elle aurait dû prévenir Victorien. Au moins l'appeler pour lui expliquer ce qui se passait. Elle n'aurait pas apprécié sa solution, qui, elle le savait, aurait été de ne pas y aller, mais peut-être aurait-elle pu négocier avec lui qu'ils fassent quelque chose pour secourir des camarades.
Aurait-elle pu ?
Y avait-il seulement un moyen de reprendre le contrôle de cette situation ?
Eloïse regretta de ne pas lui avoir donné l'adresse fournie par Anthéon. Elle avait redouté qu'il ne vienne la chercher avant qu'elle ne soit à destination. Désormais, elle redoutait l'inverse.
Il ne faisait pas de miracles, mais elle aurait souhaité qu'il vienne la dépêtrer de cette situation d'une façon ou d'une autre. Même si ce n'était pas de sa responsabilité et qu'elle s'était fourrée là-dedans toute seule.
- Je n'ai pas toute la journée, commenta Anthéon. Fais-le.
- Est-ce que vous comptez me laisser partir après ? demanda Eloïse.
- Chaque chose en son temps.
- Ce n'est pas une réponse.
Anthéon poussa un soupir de frustration et marmonna elle ne savait trop quoi dans sa barbe. Cette fois, elle était définitivement en train de venir à bout de sa patience.
- Sincèrement, qu'est-ce que tu veux faire ? Tu es seule contre nous.
- J'en conclus que c'est non, résuma Eloïse.
- Bien évidemment que c'est non. Ta main sur le livre.
Elle n'avait pas eu le choix. Elle tenta vraiment de se convaincre qu'elle n'avait pas eu le choix.
Eloïse baissa son bras vers le Livre des Miroirs et sentit sa paume se coller contre la couverture. Anthéon, satisfait, prononça distinctement la formule qu'elle devait répéter pour desceller l'ouvrage. Ensuite, il se releva et se recula de trois pas.
- Vas-y.
Eloïse déglutit. Qu'allait-il se passer, une fois le livre ouvert ?
Elle concentra sa magie rouge et répéta la formule. Aussitôt, une douleur sourde remonta le long de son bras, comme si quelqu'un avait planté des centaines d'aiguilles sous sa peau. Elle s'écarta vivement, le cœur battant.
- Qu'est-ce que tu fiches ? s'impatienta Anthéon.
- Je n'ai pas le niveau en magie rouge ! rétorqua Eloïse.
- Tu vas devoir te forcer un peu. Recommence.
Rien qu'à la douleur ressentie, la magicienne se doutait qu'il s'agissait d'un sortilège avancé, qui demandait une maîtrise rigoureuse de ses propres pouvoirs. Certes, il ne la tuerait pas grâce à la génétique de mage rouge qu'elle tenait de Victorien, comme Anthéon l'avait lui-même fait remarquer, mais ça n'en restait pas moins difficile à lancer.
Tuer Anthéon aurait été une solution pour y échapper, mais le bâtiment devait être gardé par un bon paquet d'employés des laboratoires.
Non sans une appréhension grandissante, Eloïse replaça sa main sur le livre. Une très mauvaise idée se faufila à la surface de son esprit.
Elle avait une solution pour renverser la situation, même si elle était dangereuse.
Eloïse contracta ses doigts, se prépara à la douleur et récita la formule. Comme à sa précédente tentative, ce fut comme si tous les nerfs de son bras prirent feu. Cette fois-ci seulement, elle s'obligea à ne pas bouger et à tenir bon.
Elle vit ses veines progressivement devenir plus sombres sous son épiderme. Le sang qui coulait contre la couverture se mit à faire des bulles et crépiter comme s'il était en train de bouillir alors même qu'Eloïse ne sentait que du froid sous ses doigts.
Elle manqua de s'évanouir, s'accrocha à sa conscience et usa de davantage de magie rouge. Elle ne savait même pas si c'était nécessaire ou la chose à faire présentement, or Anthéon n'avait pas l'air d'être plus compétent qu'elle dans ce domaine.
Après ce qui lui parut durer une éternité, la douleur reflua et le Livre des Miroirs se mit à trembler sur lui-même de façon inquiétante. Eloïse retira sa main, mais pris grand soin à ne pas trop s'écarter.
- C'est normal, ça ?
- Je n'en sais rien, reconnut Anthéon, ce n'était pas comme s'il avait été ouvert avant.
Les tremblements s'accentuèrent, le livre s'illumina de l'intérieur, puis il s'ouvrit dans un claquement sec, dévoilant deux pages couvertes de fines écritures lyrisiennes à l'encre noire. Anthéon, le regardé rivé dessus, était tendu comme un arc.
Au départ, il ne se passa rien, si bien qu'Eloïse crut que tout était terminé et qu'il était temps pour elle d'agir. Puis, contre toute attente, une fine fumée noire se mit à suinter du papier dans un flot de plus en plus important.
Une main sombre s'échappa des pages. Puis une deuxième.
Eloïse observa avec horreur les doigts s'accrocher au parquet de la pièce pour s'extirper du livre. Une tête passa la barrière des pages, bientôt suivie par des épaules, un buste et des jambes. Le corps, lui-même complètement recouvert de fumée noire, se mouvait avec lenteur, comme incertain de ses propres mouvements. Eloïse n'était qu'à un mètre à peine de lui.
Quand la chose releva la tête, deux yeux dorés se plantèrent dans les siens. Eloïse se figea complètement.
Qu'est-ce que c'était ?
La corps s'arqua vers l'avant, puis, comme tiraillé par une force invisible, explosa dans des volutes de magie noire et de magie rouge, qui rejetèrent les cheveux d'Eloïse en arrière. Le livre se mit à trembler de plus belle, jusqu'à ce qu'elle ait l'impression que la pièce entière vibrait.
Cette fois-ci, le flot de magie qui s'en échappa fut si abondant qu'Eloïse fut contrainte de se reculer pour ne pas finir submergée en dessous. Les volutes noires et rouges brisèrent les vitres de la pièce et se déversèrent à l'extérieur du bâtiment pour gagner le ciel dans un chaos qui emplit ses oreilles et effaça tout le reste.
Eloïse observa le spectacle, impuissante.
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