Chapitre 43: Juillet (5)

Eden ne sut pas si elle sursauta quand l'objet que faisait léviter son professeur de sorcellerie chuta au sol, ou quand des bruits suspects émergèrent depuis la cour de l'académie.

Qu'est-ce que c'était, encore ? Elle aurait aimé s'approcher de la fenêtre pour voir ce qui se passait dehors, mais elle était assise côté couloir. Il aurait été malvenu de se précipiter dessus, même si elle sentait que ses voisins étaient à deux doigts de le faire.

Le professeur Scremayeur, d'habitude pas aussi maladroit, s'empressa d'aller ramasser le mannequin de bois miniature dont il s'était servi pour montrer l'exercice du jour aux élèves : faire bouger ses bras et ses jambes uniquement en utilisant sa magie.

- Les bruits m'ont surpris, s'excusa-t-il.

- Vous savez ce que c'est ? demanda un élève assis au premier rang ?

- Absolument pas, non. Attendez.

Le professeur Scremayeur, inquiet même s'il tentait de le dissimuler, s'approcha de la fenêtre la plus proche et poussa les rideaux translucides qui la couvraient. Eden remarqua que deux filles assises à côté avaient fait de même et arboraient des mines horrifiées.

Elle fronça les sourcils, piquée par la curiosité. Elle échangea un regard avec Peter, hésita à se lever, mais dut se raviser quand le professeur retourna devant son bureau, soucieux.

- Tout le monde reste dans la salle, ordonna-t-il. Éloignez-vous au possible des fenêtres.

- Qu'est-ce qui se passe ? insista Eden.

- Une intrusion dans l'établissement. Je suis désolé, mais je ne peux pas vous donner davantage de détails pour le moment, je ne les ai pas moi-même.

Encore une attaque sur la Cité ? Ça commençait à devenir sacrément redondant.

Le professeur se retrouva inondé de questions. Il garda son sang froid et tâcha de répondre à tout le monde comme il pouvait, même s'il était aussi dépassé par les événements que les élèves.

Il sortit son téléphone portable de sa poche et lut quelque chose sur son écran – peut-être des informations provenant d'autres membres du personnel de l'académie ?

- Ce sont des magiciens non identifiés, avoua-t-il en relevant la tête. Aucun lien apparent avec Pyros ou le Futuro pour le moment.

Les chuchotements s'élevèrent. Le professeur Scremayeur tenta de les rassurer pour que le calme revienne, mais ce fut un peu plus compliqué qu'escompté.

- Je vais retrouver plusieurs collègues pour que nous prenions des mesures, annonça-t-il. Je reviens dans cinq minutes. S'il vous plaît, ne sortez pas de la salle pour votre sécurité.

Il désigna un élève du deuxième rang – le seul sorcier de onzième année à se trouver dans ce groupe – et lui demanda de gérer la surveillance pendant son absence. Ensuite, il s'éclipsa de la salle dans un coup de vent.

Une sorte de chaos organisé s'installa dès la porte fermée. Tout le monde se leva pour rejoindre ses amis et discuter avec inquiétude de la situation. Eden et Peter, après un regard entendu, s'isolèrent à la table de la Madrigane.

- Des magiciens non identifiés ? chuchota-t-elle. C'est quoi ça, encore ?

- Peut-être Pyros et le Futuro sans leurs uniformes ? se hasarda-t-il.

- Ça me semble un peu tiré par les cheveux. Ou alors ils le feraient vraiment ? J'y connais rien en politique, mais qu'on les reconnaisse n'avait pas l'air d'être leur préoccupation jusque là.

Peter haussa les épaules. Il n'était clairement pas plus avancé qu'elle.

- Je vais envoyer un message à Lucas le beau-fils du premier ministre, proposa-t-elle. Avec un peu de chance, il aura la science infuse.

Eden sortit son téléphone de la poche du pantalon de son uniforme, imitée par Peter. De nombreuses notifications apparurent sur son écran, chose surprenante.

Six messages. Tous en provenance de membres de l'Ombre.

À mesure qu'Eden les lut, son regard se fit plus insistant sur les fenêtres.

L'attaque était orchestrée par les laboratoires du Phoenix. Ils n'étaient pas les seuls à en être les victimes.

- Synabella est sûre d'elle ? s'étonna Eden.

Le Conseil des Cinq, les agents du AMI ainsi que les Magiciens Seconds avaient été visés. Les laboratoires cherchaient apparemment le Livre des Miroirs.

- Les attaques sont toutes à des endroits où des gens de l'Ombre se trouvent ? demanda Peter.

- J'en sais rien, se défendit Eden. Vu comme Synabella, Etan et Kathleen décrivent la chose, je dirais que oui, mais ils n'ont pas des yeux partout.

Elle demanda des informations à Lucas, comme prévu originellement, et si sa réponse ne se fit pas tarder, lui non plus n'était pas bien avancé. Il attendait des nouvelles du premier ministre et reviendrait vers eux dès que possible.

Eden et Peter relevèrent brusquement la tête quand des bruits secs, similaires à des coups portés sur une surface dure, retentirent à l'extérieur. Plusieurs élèves foncèrent vers les fenêtres et soulevèrent les rideaux pour observer ce qui se passait.

- Ils s'attaquent aux dortoirs ! s'exclama une fille de huitième année.

- Écarte-toi de la fenêtre, répliqua le sorcier en charge de la surveillance. Les profs vont se débrouiller. Ou les chasseurs de prime.

- Quand est-ce qu'ils auront le temps de s'en charger ? Il y a des attaques simultanées partout dans la Cité !

- Dès qu'ils pourront ! De toute manière, tu veux faire quoi ? Écarte-toi !

Eden sentit son sang descendre jusqu'à ses pieds. Les laboratoires étaient à l'origine de l'attaque sur l'académie ? Ils visaient les membres de l'Ombre ? Les dortoirs étaient devenus leur cible ?

Andromeda et Liam étaient dedans ! S'il leur arrivait quoi que ce soit...

À en croire l'expression horrifiée de Peter, il avait suivi le même raisonnement qu'elle.

- On va les chercher, déclara-t-elle.

Lui qui, en temps normal, aurait catégoriquement refusé, hocha immédiatement la tête. Ils profitèrent que l'élève en charge de la surveillance soit occupé à écarter leurs camarades des fenêtres pour se précipiter vers la porte de la salle et l'ouvrir à la volée.

- Hé !

Trop tard, Eden et Peter tapèrent un sprint dans le couloir désert. Ils ralentirent à peine quand ils parvinrent aux escaliers et les descendirent en quatrième vitesse.

Tout cela pour tomber nez à nez avec le professeur Scremayeur, qui revenait vers la salle de classe. Les deux magiciens s'arrêtèrent net pour ne pas lui rentrer dedans.

L'expression du professeur, d'abord médusée, se fit de plus en plus sévère.

- Mais qu'est-ce que vous faites ici ?

Pas le temps pour Eden d'établir un mensonge.

- Le dortoir est attaqué et on pense savoir qui sont les cibles. On doit les aider.

- Pardon ?

- Andromeda Hansen et Liam Enderson, tous les deux élèves en cinquième année. S'il vous plaît, laissez-nous passer.

Les noms ne devaient rien lui évoquer – Liam avait Hayden Rivière comme enseignante de sorcellerie et Andromeda était une Lysirienne – mais tant pis. Eden devait avoir l'air suffisamment affolée pour qu'il accepte de les écouter plus attentivement.

- Comment vous pouvez être au courant de leurs cibles ? demanda calmement le professeur. Vous savez qui sont ces gens ?

- C'est compliqué, concéda Eden.

- Vous êtes consciente que je ne peux pas vous laisser passer, n'est-ce pas ? Surtout si vous refusez de me communiquer ce que vous prétendez savoir.

Devait-elle parler de l'Ombre et des laboratoires du Phoenix ? Cela lui paraissait être une idée terrible, et à en croire le mutisme de Peter, il n'en pensait pas moins.

- Vous pouvez venir avec nous, tenta-t-elle. S'il vous plaît, on doit se dépêcher...

Des bruits de pas retentirent dans l'escalier. Eden ne put contenir sa surprise quand elle vit Heather et Lucas, suivis par la professeure Ivling, descendre droit sur eux.

Soit ils s'étaient enfuis et avaient été rattrapés comme pour elle et Peter, soit ils avaient réussi à marchander. Vu leur allure soutenue, elle penchait plutôt pour la seconde option.

Avec un peu de chance, ils n'avaient pas eu besoin de parler de l'Ombre et des laboratoires.

- Qu'est-ce qui se passe ? demanda le professeur Scremayeur, de plus en plus confus.

- Ces deux là affirment savoir qui est à l'origine de l'attaque et disent que deux élèves sont en danger dans les dortoirs, répondit sa collègue. Et toi ?

- Ils m'ont dit exactement la même chose.

Eden ignora complètement les regards qui pesaient sur eux et s'approcha de Lucas. Elle n'était pas mécontente de le croiser.

- Des nouvelles de ton beau-père ?

- Les points visés coïncident, reconnut-il. Des informations qu'il m'a transmises, en tout cas.

C'était de mauvaise augure. Synabella avait plutôt intérêt à leur donner régulièrement des nouvelles.

- Vous ne comptez vraiment pas nous dire quoi que ce soit ? supposa le professeur Scremayeur.

- Eh bien... Non, admit Eden.

Les deux enseignants échangèrent un regard incertain, puis finirent par céder.

- Je vais les chercher, je les connais, indiqua la professeure Ivling. Vous autres, vous restez ici.

- Je les surveille, promit son collègue.

Eden observa la magicienne s'éloigner. Elle savait que même si la professeure Ivling enseignait les mathématiques, elle était une dure à cuire. Depuis des années, des rumeurs couraient dans l'établissement sur son passif en tant que chasseuse de prime à Romée.

- J'espère que ma sœur va bien... s'inquiéta Heather, qui avait du mal à tenir en place.

- Il ne va rien lui arriver, promit Lucas. Si qui que ce soit est entré dans les dortoirs, elle saura se défendre suffisamment longtemps.

- J'espère...

- Ne restons pas ici, remontons, leur enjoignit le professeur Scremayeur. Vos deux amis vous rejoindront dans ma salle de classe.

Les magiciens, conscients qu'ils ne pouvaient rien faire de plus que d'attendre, remontèrent les escaliers sans beaucoup d'entrain, Heather en tête du groupe.

- Vous pensez qu'il y a combien d'attaquants ? demanda Lucas.

- Trop, répliqua Eden.

- Ça, je ne vais pas dire le contraire, mais...

Lucas tourna la tête quand il vit du mouvement dans sa vision périphérique. Il ouvrit la bouche, mais avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, une magicienne traversa la vitre qui illuminait la cage d'escaliers dans un craquement qui fit trembler les murs.

Peter tira Lucas vers lui dans un réflexe qui lui épargna d'être projeté au bas des marches. Eden, elle, se retint à la rampe et se ratatina pour se protéger des morceaux de verre qui volèrent autour d'eux.

Voilà qui s'annonçait mal.

Eden, le cœur battant, releva la tête. Le professeur Scremayeur, dont les réflexes étaient bien meilleurs que les siens, posa un champ de force entre ses amis et l'assaillante.

Elle, en revanche, se retrouvait du mauvais côté. Elle aurait dû marcher un peu plus vite.

- La salle ! s'écria le professeur. Vite !

Il n'en fallut pas plus aux trois élèves pour se sauver. Tout du moins, Heather et Peter durent trainer Lucas par le col de son uniforme pour qu'il les suive.

Eden, rattrapée par son instinct de survie, se redressa et dévala les marches pour retourner au rez-de-chaussée du bâtiment, suivie par le professeur Scremayeur. Sa baguette braquée derrière lui, il tenta de déstabiliser l'ennemie, sans grand succès. Lui, il n'avait aucune réputation d'ancien combattant.

- Eden, montez par le second escalier, je m'en occupe.

- Euh, quoi ? articula-t-elle.

Lui-même n'avait pas l'air convaincu d'en être capable. Elle récupéra sa propre baguette pour lui venir en aide. Tant pis si elle s'attirait encore plus de problèmes, de toute manière, cela ne pouvait pas être pire que la présente situation.

- On l'immobilise et on l'assomme ? proposa-t-elle.

- Eden, ce n'est pas...

L'assaillante, qui leur collait dangereusement aux baskets, esquissa un grand mouvement de bras. Des éclairs gris zébrèrent le couloir tout autour d'eux. Ils les évitèrent de justesse en bondissant hors de leur trajectoire et en érigeant des boucliers.

- D'accord, se corrigea-t-il, faisons ça. Mais ne vous éloignez pas.

- Je ne garantis rien.

Eden resserra sa prise sur sa baguette. Elle n'était vraiment pas habituée à combattre avec sa magie de sorcière, qu'elle n'utilisait que pour ses cours à l'académie. Aussi, ce fut avec maladresse qu'elle tenta de trouver une faille dans l'attaque de son adversaire.

La magicienne en question ne faisait pas partie des gens que les laboratoires envoyaient d'ordinaire, mais s'ils avaient lancé plusieurs attaques, ils devaient forcément avoir plus de ressources qu'ils ne l'avaient montré jusque là.

Où avaient-ils trouvé tous ces gens ?

Eden retint un cri et se jeta contre le mur quand l'ennemie fit pleuvoir des pierres taillées en pic dans sa direction. Elle se releva pour la voir éloigner le professeur Scremayeur et profiter qu'il soit déstabilisé pour poser un champ de force qui sépara le couloir en deux.

Encore une fois, Eden se retrouva du mauvais côté.

Tandis que le professeur Scremayeur s'affaira à le briser, elle fut contrainte d'assurer toute l'attaque seule. Ce fut encore plus inconfortable qu'anticipé. Les sorciers qui combattaient ne le faisaient pas avec des baguettes, mais avec des gants couverts de pierres de courant, ce qu'elle aurait tout donné pour avoir à ce moment précis.

Un fil de magie s'enroula autour de sa baguette. Un vent de panique s'empara d'Eden, qui ne put rien faire d'autre que de pester dans sa barbe quand elle lui fut arrachée des mains.

L'ennemie lui agita sous le nez pour la narguer.

- Toi, la membre de l'Ombre, tu vas venir avec moi.

- En quel honneur ? marmonna Eden.

- Le Livre des Miroirs.

Quoi ? Ils s'attendaient vraiment à ce que l'Ombre l'ait confié à elle ? Soit ils n'avaient rien compris, soit ils étaient désespérés.

- Je ne l'ai pas, bande d'idiots, fit-elle remarquer.

- Je sais.

Eden fronça les sourcils. Dans ce cas, quel était son but ?

Pas le temps d'y réfléchir, il lui fallait un plan pour se sortir de ce pétrin.

Elle se colla contre le mur pour esquiver un éclair et posa son regard vers le champ de force, qui était proche de se briser. Elle eut une idée.

Ni une ni deux, Eden fonça vers l'assaillante. Celle-ci, prise au dépourvu – après tout, elle la pensait incapable d'user de magie maintenant que sa baguette n'était plus en sa possession –, en oublia de se défendre et se contenta de reculer de deux pas.

Parfait.

Eden tendit une main dans sa direction, concentra ses pouvoirs et tira un rayon de magie qui la heurta en plein buste. Elle fut projetée contre le champ de force, qui se brisa en une multitude d'éclats de magie aussi vite dissipés, et s'écrasa au sol en grognant. Le professeur Scremayeur en profita pour faire sortir des fils de magie du sol et l'immobiliser complètement.

L'agitation retomba aussitôt. La baguette d'Eden roula aux pieds du professeur, qui la ramassa et observa son élève avec une confusion plus que palpable.

- Mademoiselle Samahel, vous êtes une Madrigane ?

Eden se retourna brusquement. La question émanait de la professeure Ivling, qui venait de les rejoindre, suivie par Andromeda et Liam. Pour une fois dans sa vie, elle ne trouva absolument rien à répondre.

Décidément, quand les problèmes arrivaient, c'était à la pelle.

Mila en était maintenant convaincue : c'était le pire jour pour que Lanehaërt et Lanehäden ne se décident à la ramener sur Terre.

À peine étaient-ils arrivés chez les parents d'Eloïse que Michaël avait reçu plusieurs messages alarmants de la part de l'Ombre. Des attaques coordonnées avaient été orchestrées par les laboratoires contre eux et ils n'avaient plus de nouvelles de plusieurs magiciens. Tout portait à croire qu'ils se serviraient de l'occasion pour s'en prendre à Mila. Du moins s'ils la trouvaient.

Pour le moment, elle espérait être en sécurité.

- Ils ne te localiseront pas aussi facilement, lui assura Lanehaërt en la voyant se ronger les ongles.

- Mais ils savent que je peux être ici, non ?

- Tu pourrais être n'importe où. Ils ne t'ont pas trouvée chez nous et personne ne nous a suivis jusqu'ici, donc il n'y a aucune raison de le penser.

- Vous en êtes certaine ? demanda le père de Mila.

Lanehaërt acquiesça. Elle rassura les parents de l'adolescente – et ceux d'Eloïse au passage – en leur indiquant qu'elle et Lanehäden seraient de toute façon capables de les défendre en cas d'incident. Ils étaient des Chevaliers avec quelques années d'expérience derrière eux.

- Tant que la situation n'aura pas été résolue, nous resterons ici, promit Michaël. Vous n'avez pas à vous en faire.

- De toute façon, rien n'indique que cet incident est pour trouver Mila, n'est-ce pas ? tenta Olivia Vandeuvre.

- Non, effectivement. De ce que mes camarades ont indiqué, c'est davantage pour voler un objet en notre possession.

- Ah, oui, le fameux Livre des Ténèbres, commenta Lanehaërt. Ou Livre des Miroirs. Je ne sais pas trop pourquoi il a deux noms.

- À quoi il sert ? demanda le père de Mila, curieux. Ça ne pourrait pas avoir de lien avec notre fille ?

- Il est scellé, on ne sait pas vraiment ce qu'il y a à l'intérieur à part un tas de sortilèges dangereux, reconnut Michaël. Je doute fortement qu'il soit lié à la raison pour laquelle les laboratoires cherchent Mila.

- Pourquoi vouloir récupérer quelque chose dont ils ne connaissent pas le contenu ? demanda Philippe Vandeuvre.

- Nous, on ne le sait pas. Peut-être qu'ils ont plus d'informations au sujet du livre que nous.

- Je pense fortement que c'est le cas, indiqua Lanehaërt. Je ne vois pas pourquoi ils établiraient des plans sans avoir la certitude de ce qu'il fait.

- Et vous n'avez aucune moyen de...

La sonnerie de la porte d'entrée coupa Philippe en pleine phrase. Les parents de Mila et d'Eloïse se fixèrent dans le blanc des yeux, comme pour se demander ce qu'ils devaient faire.

- Vous attendez quelqu'un ? demanda la mère de Mila.

- Personne, répondit Olivia, inquiète.

Ce n'était sans doute rien, mais tout de même...

- Ce sont des magiciens, annonça Michaël après un silence. Je sens des traces de magie dans les flux telluriques.

- Ça pourrait être vos amis ? s'enquit Olivia.

- Ils nous auraient prévenu.

Lanehäden, après que sa sœur l'ait tenu au courant de la situation par télépathie, se proposa pour aller voir qui était à la porte. Mila l'observa quitter le salon et s'engouffrer dans le couloir avec inquiétude.

Plus personne n'osa prononcer un mot. Mila avait presque peur de respirer trop fort.

Ils entendirent la porte d'entrée grincer lentement, une voix masculine saluer Lanehäden, puis un claquement sourd indiquant qu'elle avait été refermée aussi sec.

Immédiatement, Lanehaërt récupéra la lame dissimulée dans sa botte et se coupa la paume de main. Le sang coula sur sa peau et défia la gravité pour venir s'enrouler autour de son bras.

- Ce sont les laboratoires, annonça-t-elle.

Michaël, tendu, demanda aux humains de rester groupés à ses côtés.

- Vous n'allez quand même pas vous battre ici ? s'inquiéta Philippe.

- Si c'est nécessaire, répondit Lanehaërt. On nettoiera, ne vous inquiétez pas.

Si elle avait eu l'ambition de le rassurer, elle obtint l'effet inverse.

Lanehäden retourna dans le salon, lui aussi avec des entailles sur ses deux mains. Il déposa du sang sur les murs et récita un sortilège d'un ton feutré. Mila, qui l'entendait parler pour la toute première fois, était trop anxieuse pour s'émerveiller de trouver sa voix si douce.

Quelqu'un passa à travers le plafond du salon avant que Lanehäden n'ait pu apposer de sortilège dessus. Michaël se posta devant les humains et Lanehaërt projeta des fils de sang vers la nouvelle venue, qui à peine redressée, se retrouva embrochée en plein buste et violemment jetée contre un mur.

Deux autres personnes passèrent par le plafond, dont Julien, que les humains reconnurent immédiatement. Lanehäden, le plus proche, engagea le combat avec lui pour l'empêcher de s'approcher de Mila.

Le second magicien se tourna vers les humains. Son regard alterna entre les parents de Mila et ceux d'Eloïse.

- Julien ! C'est lesquels ?

- Pour toi ce sera personne, répliqua Lanehaërt.

La Madrigane se téléporta devant lui et balança son poing vers son visage. S'il l'évita d'un geste assuré, les fils de sang de Lanehaërt, eux, ne manquèrent pas leur cible et le transpercèrent dans le dos et dans le cou. Lui aussi fut jeté contre le mur et rejoignit la première magicienne, immobile au sol.

- Mais c'est pas possible, marmonna Julien en observant la scène du coin de l'œil. Quels incapables.

Dès qu'il eut une opportunité, il repoussa Lanehäden et, aussi vite qu'il arriva, il s'échappa en bondissant dans le couloir et en passant à travers la porte d'entrée.

Seul contre deux Chevaliers, il n'avait aucune chance. C'était encore le meilleur choix qu'il pouvait faire pour sauver sa vie.

- C'était rapide, commenta Lanehaërt.

Elle essuya sa main sur son pantalon et aida son frère à se débarrasser des deux corps. Michaël, lui, détourna l'attention des humains de la scène. Ils étaient un peu trop pâles.

- Je vais m'asseoir, articula Olivia.

Philippe la guida jusqu'au canapé et s'installa à ses côtés. Michaël proposa aux parents de Mila de s'asseoir aux aussi, mais ils refusèrent et affirmèrent qu'ils préféraient rester debout.

- Ils ne vont pas revenir, n'est-ce pas ? demanda la mère de Mila.

- Je doute, vu ce qu'il vient de se passer, répondit Michaël.

- Et s'ils le font quand même ?

- Alors ils vont devoir ramener plus de monde, ce qui va leur porter préjudice dans une pièce fermée. Ils n'oseraient pas.

Michaël observa du coin de l'œil les jumeaux déposer les corps dans le jardin et les brûler à la magie rouge. Au moins comme ça il n'en resterait rien à part de la poussière.

Dès qu'ils eurent terminé, ils retournèrent dans le salon. Philippe Vandeuvre leur donna des mouchoirs pour essuyer le sang qui couvrait leurs mains, même s'il fit bien attention à ne pas regarder les plaies.

- Je ne pense pas qu'ils cherchaient Mila, déclara Lanehaërt.

L'adolescente fronça les sourcils, presque surprise par ce constat après ses dernières mésaventures. Michaël, lui, hocha la tête.

- Je suis d'accord. Ils avaient plutôt l'air d'en avoir après les adultes.

- Qui a le Livre des Ténèbres ? demanda Lanehaërt.

- Le Seigneur des Ombres l'a récupéré quand il s'est allié à l'Ombre, répondit Michaël. Il doit être chez lui.

- Et Eloïse, elle vit avec, non ? Elle a accès au livre ?

- Je pense. Enfin, je ne sais pas si Victorien lui a dit où il se trouvait, mais elle doit au minimum avoir une vague idée de son emplacement.

- J'ai donc une théorie, conclut Lanehaërt.

Les parents d'Eloïse, particulièrement attentifs après avoir entendu le nom de leur fille, ne furent pas rassurés quand la Madrigane les pointa du doigt.

- Ce sont Philippe et Olivia qu'ils cherchaient. Les laboratoires savent très bien que le plus simple pour récupérer le Livre des Ténèbres est encore de convaincre Eloïse de le leur donner. Alors s'il trouvent un moyen efficace de le faire...

Les visages des parents d'Eloïse se décomposèrent en comprenant à quoi ils venaient d'échapper. Mila, elle, effaça ses précédentes pensées à propos de la pire journée pour retourner sur Terre. Si elle n'avait pas été ici, il n'y aurait eu aucun magicien pour les protéger. Que leur serait-il arrivé ?

Lanehaërt réduisit son mouchoir ensanglanté à une boule, le visage fermé.

- Toujours aucune nouvelle de certains camarades l'Ombre ? vérifia-t-elle.

- Non, répliqua Michaël, de plus en plus inquiet.

- On peut donc supposer que les laboratoires n'en sont pas à leur coup d'essai en venant ici. N'est-ce pas ?

Il ne répondit pas, mais n'en pensa pas moins.

Il y avait comme une odeur de chantage dans l'air.

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