Chapitre 38: Juillet
Le vent soufflait doucement dans les cheveux d'Eloïse, qui tentait désespérément de mettre de l'ordre dans ses pensées.
Victorien, Miranda et elle s'étaient rendus à Caméone dès que possible pour inspecter le parc aérien où était autrefois entreposé le sceptre de Valiammée Astrada, et ce dans l'espoir de comprendre comment Caleb s'y était pris pour le lui donner.
De nombreuses personnes s'y rendaient depuis son vol, sans doute dans l'espoir de le voir un jour revenir à sa place originelle. Ils risquaient d'attendre longtemps.
Avec le passage fréquent de magiciens, ils attiraient peu l'attention, à observer silencieusement les alentours. Quoi que, certaines personnes se retournaient pour observer les capes noires de Victorien et Miranda, qui les ignoraient royalement. Eloïse, placée entre les deux, avait presque l'impression de faire tâche.
La zone sacrée face à elle, cercle d'herbe bordée de cailloux qui empêchaient tout passage au delà – de nombreux sortilèges étaient posés dessus – était très rudimentaire pour un lieu contenant un objet millénaire ayant appartenu à une magicienne légendaire. Enfin, avec tous les arbres qui les entouraient, c'était difficile de faire dans l'ostentatoire.
L'absence du sceptre conférait un profond sentiment de vide. Pour Eloïse qui n'était jamais venue, à part en rêve, c'était étrange de le ressentir aussi vivement.
- Rien qui n'attire ton attention ? demanda Miranda.
- Absolument rien, répliqua Eloïse. J'avais dit que je n'y avais jamais mis les pieds en personne. Je ne vois pas pourquoi vous avez insisté pour venir.
- Et tu n'as aucun indice sur ce que Caleb a pu faire ?
- Les quelques heures avant ma mort sont floues. J'ai cru sentir beaucoup de magie, mais je ne peux rien te dire de plus.
Miranda arqua un sourcil.
- Le plus simple serait encore d'analyser les flux telluriques. Si Caleb a effectivement utilisé beaucoup de magie, il doit bien en rester une trace, même infime.
- C'est clairement pas mon domaine de prédilection, je passe mon tour, annonça Eloïse.
Victorien poussa un soupir et s'accroupit au sol pour s'en charger. Là encore, il s'attira des regards curieux de la part des passants, qui se demandaient ce qu'il fichait.
Heureusement que lorsqu'il ne portait pas sa capuche, il était difficilement indentifiable comme étant le Seigneur des Ombres.
- Tu sens quelque chose ? demanda Miranda.
- Ça fait quatre mois que le sortilège, quel qu'il soit, a été lancé, répondit Victorien. Tu es optimiste quand tu affirmes qu'il en resterait une trace infime.
- J'en conclus que c'est un non.
- Et si je sors le sceptre ? proposa Eloïse.
- Je te déconseille de faire ça si tu veux éviter les problèmes, indiqua Victorien.
Elle s'était attendue à une telle réponse, mais c'était toujours mieux de demander. Si sortir le sceptre était une terrible idée, faire apparaître l'âme de Valiammée Astrada devait être pire encore. De toute manière, Valiammée ne serait pas d'une grande aide.
- En quoi c'est si important de savoir ? s'impatienta Eloïse. On s'en fiche de comment il a pris le sceptre. L'important c'est le pourquoi.
Victorien se releva et retira les brins d'herbes qui s'étaient collés à son pantalon.
- Il faut bien commencer quelque part sachant qu'il ne dira sans doute pas quel était son objectif.
- Mouais.
La prochaine fois qu'il la contacterait, Eloïse tenterait de lui tirer les vers du nez, mais c'était sans la moindre garantie. De toute façon, même si elle obtenait une réponse, Victorien risquait de lui faire une énième fois la leçon sur ses échanges avec Caleb qui n'avaient pas lieu d'être. Elle préférait y couper court, elle devenait lassée de les entendre.
- On peut s'en aller ? soupira Eloïse. J'aime bien prendre l'air, mais là c'est clairement inutile.
- Tu ne fais aucun effort, constata Victorien.
- Sincèrement, qu'est-ce que tu veux que je fasse à part observer de l'herbe et des cailloux ?
- Si c'est toi qui analyse les flux telluriques, tu auras déjà plus de chance de trouver quelque chose. Tu étais présente quand il a lancé le sortilège et c'est toi qui a récupéré le sceptre.
Il pouvait toujours rêver. Eloïse n'était pas contre l'idée, mais elle avait toujours été exécrable dans le domaine, et ce n'était pas faute de s'être entraînée. Elle avait mis ça sur le compte de son humanité et complètement abandonné la discipline des années plus tôt.
Eloïse fixa le trou dans l'herbe où se trouvait autrefois le sceptre. S'il fallait qu'elle essaie quand même, soit, mais ils allaient le regretter.
Des flashs argentés envahirent brusquement sa vision. Eloïse n'eut pas le temps de prévenir les deux mages noirs que l'environnement autour d'elle changea complètement.
Elle se retrouva face à un magicien gigantesque. Un Phébéien penché vers elle. De longs cheveux au blond presque blanc descendaient jusqu'à sa taille et ses yeux aux iris rouges l'observaient avec prévenance. Il se dégagea de lui une aura de calme, particulièrement lorsqu'il lui adressa un sourire.
Tout disparut aussi vite que c'était arrivé.
Miranda claqua des doigts devant son visage. Eloïse sursauta.
- Hé. Tu nous écoutes ?
- Non, pardon.
- Une vision ? supposa Victorien.
Eloïse hocha la tête et se frotta les yeux.
- Elle était courte. J'ai juste vu Lysandre Anaxagoras.
Un autre magicien légendaire, lui aussi mort pendant la grande guerre. Selon les documents historiques qu'Eloïse avait passé une partie de la nuit à éplucher, lui et Valiammée avaient été des amis proches. Ainsi, ce n'était pas étonnant qu'elle ait une vision de lui.
Maintenant, elle comprenait leur origine.
Valiammée Astrada lui avait adressé la parole, à leur première et dernière rencontre en date. Elle n'était pas beaucoup plus au fait de la situation qu'eux, mais supposait que si son âme était enfermée dans le sceptre depuis sa mort, Eloïse était celle qui l'avait éveillée. En conséquence, Valiammée avait eu accès à une grande partie de ses souvenirs, et l'inverse était tout aussi vraie.
Les visions n'étaient rien d'autre que le passé de Valiammée Astrada. C'était déconcertant.
- Je ne vais pas réussir à me connecter aux flux telluriques, insista Eloïse. Si Victorien n'y arrive pas, je ne ferai pas mieux. De toute façon, au risque de me répéter, je ne vois pas à quoi ça nous avance de savoir comment Caleb a fait.
Le mage noir capitula après que Miranda ait affirmé qu'elle était effectivement très mauvaise dans la discipline.
- Très bien. Partons.
Il se tourna aussi sec pour rejoindre la Porte des Mondes la plus proche. Eh bien, c'était brusque.
Eloïse jeta un dernier coup d'œil à la zone sacrée vide de son contenu originel avant de lui emboîter le pas.
Caleb ne pouvait pas lui avoir donné le sceptre juste parce qu'il l'estimait en être la digne successeuse. Il avait forcément une autre idée derrière la tête.
◊
Eloïse était bien plus anxieuse qu'elle ne le laissait paraître.
Le jour du rendez-vous avec le directeur de son futur lycée était arrivé. Victorien et elle allaient devoir défendre son cas pour qu'elle ne se retrouve pas sans établissement à la prochaine rentrée scolaire. Or, elle ne savait absolument pas comment il allait agir.
La magicienne ne cessait de remuer sur la chaise où on lui avait demandé d'attendre. Victorien, assis juste à côté, ne disait rien mais l'observait du coin de l'œil. Il était venu habillé comme un humain, ce dont Eloïse n'avait pas l'habitude, même si en tant que magicien son style était très basique et donc similaire. Il portait toujours son éternelle chemise noire – toujours avec des manches malgré la température –, mais avait enfilé un jean.
- Arrête de te tortiller comme ça, ça ne va t'avancer à rien, fit remarquer Victorien.
- Laisse-moi paniquer en paix, merci.
Victorien poussa un soupir de découragement et croisa les bras. Il porta un regard agacé vers la porte du directeur, comme si de cette façon elle allait enfin s'ouvrir.
Le rendez-vous avait déjà du retard.
- Tu n'as pas chaud ? lui demanda Eloïse.
- Non.
- Je suis en t-shirt et j'ai chaud. Comment tu fais ?
- Simple. Je ne remue pas sur ma chaise.
Eloïse lui renvoya un regard noir. Elle hésita même à lui donner un légère tape sur l'épaule avant de se raviser. Ils n'étaient pas assez proches pour ça et elle ne savait pas comment il le prendrait.
Elle n'avait jamais eu la manie de se ronger les ongles. Pourtant, à ce moment précis, elle hésita à le faire.
- Je ne comprends pas pourquoi tu es stressée à ce point, dit Victorien pour briser le silence.
- Parce que je n'ai pas envie que tu m'enfonces. C'est déjà la galère.
Il fronça les sourcils.
- Tu penses sincèrement que c'est mon intention ?
- Je ne sais pas ce qui va se dire dans ce bureau, mais je sais que tu manques clairement de tact.
- Je suis ravi de constater à quel point tu as toujours aussi peu confiance en moi.
- Excuse-moi mais vu comment tu t'adresses aux gens en général...
Plusieurs personnes – sans doute des professeurs ou des personnels de l'établissement – traversèrent le couloir où ils se trouvaient. Ils adressèrent un regard furtif vers Eloïse et ses cheveux blancs avant de s'éloigner en chuchotant. Eh bien, le mot devait déjà être passé sur la possible arrivée d'une magicienne au lycée. Eloïse s'enfonça dans sa chaise et tapota sur son genou avec insistance.
Elle n'était pas inscrite qu'on l'avait déjà identifiée. Ça promettait.
- Eloïse, l'appela Victorien.
La jeune fille leva le regard vers lui. Elle s'attendit à le voir agacé par ses propos, aussi elle fut étonnée de constater que ce n'était pas le cas. Il était bien calme, par rapport à d'habitude.
- Je n'ai aucunement l'ambition de t'enfoncer, plutôt le contraire. De plus, je ne suis pas stupide au point d'aller insulter le directeur de ton futur établissement.
- J'espère bien, marmonna-t-elle. Il ne manquerait plus que ça.
- Pour les vingt prochaines minutes, essaies de me faire confiance. Ça nous facilitera la vie à tous les deux.
- ... D'accord.
Après tout, Eloïse ne pouvait pas faire grande chose de plus que de se reposer sur lui. Elle espérait juste que le directeur n'aurait pas davantage de retard, l'attente était déjà assez inconfortable comme ça.
Comme s'il avait lu dans ses pensées, le directeur de l'établissement ouvrit la porte de son bureau et tourna la tête pour apercevoir Eloïse et Victorien. C'était un homme dans la cinquantaine au crâne plus ou moins dégarni, qui portait un costume malgré la chaleur actuelle. Eh bien, il avait du courage.
- Eloïse et Victorien Aprehensen ? supposa-t-il.
- C'est ça, confirma la magicienne.
- Entrez, je vous en prie. Nous avons beaucoup de choses à nous dire.
Lui sans doute, mais ce n'était pas le cas d'Eloïse. Elle voulait juste être acceptée et passer à autre chose. Elle avait déjà suffisamment de préoccupations dans sa vie comme ça.
- Confiance, marmonna Victorien comme rappel alors qu'elle se levait.
- Ça va, pas besoin de me le répéter quarante fois, articula-t-elle entre ses dents.
Victorien lui tapota néanmoins l'épaule avec un regard d'avertissement. L'un à la suite de l'autre, les deux magiciens entrèrent dans la pièce et s'installèrent sur les chaises positionnées face au bureau quand le directeur les y invita.
- Désolé du retard, commença-t-il en s'asseyant à son tour, j'avais un coup de fil important à passer. Mais maintenant je suis à vous.
- Aucun problème, assura Victorien. Nous vous écoutons.
Eloïse n'était pas certaine d'en avoir très envie. Elle analysa le bureau presque rangé devant elle pour se focaliser sur autre chose que son envie de partir.
Amusant, le directeur avait des post-it en forme de têtes de chats.
- J'ai inspecté votre dossier avec attention à la demande de M. Zepleski, le professeur à votre collège. Et je dois dire que si vos notes sont absolument excellentes, il y a plusieurs petits détails qui m'ont gêné.
- C'est à dire ? demanda Victorien.
- Le nombre considérable d'absences et de retards qu'Eloïse a accumulé les quatre dernières années est la première chose. Je pense en avoir rarement vu autant dans ma carrière.
Ah, ça. C'était en grande partie la faute du AMI, même si Eloïse admettait qu'elle avait pris goût à sécher.
- Vous avez dû comprendre que nous étions des magiciens, indiqua Victorien, et donc que des circonstances diverses ont pu pousser Eloïse à ne pas venir en cours lorsque la situation l'imposait.
- Certes, je veux bien l'accepter, mais Eloïse a manqué la moitié de l'année scolaire, répondit le directeur en appuyant bien sur les derniers mots. C'est à se demander comment elle parvient à maintenir une moyenne générale à plus de dix-huit quand elle a assisté à si peu de cours.
Il posa le regard sur elle comme pour qu'elle explique ses secrets. Eloïse hésita sur la réponse à apporter.
- Je travaille, se justifia-t-elle. Je n'ai pas toujours la possibilité de venir, mais je fais des efforts.
- Je crois le constater, oui. Et j'aurais été prêt à accepter cette situation particulière si seulement il n'y avait pas eu d'autres choses qui me préoccupaient.
Il poussa un soupir et alla récupérer des coupures de journaux qui trainaient dans un coin en attendant d'être brandies. Il n'eut qu'à les poser devant Eloïse pour qu'elle comprenne ce à quoi elles faisaient référence.
Les vrais problèmes étaient soulevés.
- Comme vous le voyez, il y a eu plusieurs incidents graves dans votre collège, souvent liés à la présence de magie là-bas, poursuivit le directeur. Je ne doute pas que vous ne les avez pas cherchés, mais ils vous ont en tout cas suivie et je ne souhaite pas qu'il se passe la même chose dans cet établissement.
- Ce n'est pas arrivé si souvent que ça, se défendit Eloïse, et comme vous l'avez dit ça a toujours été indépendant de ma volonté.
- J'en ai au moins cinq en mémoire. Sur quatre ans de votre scolarité là-bas, ça vous semble peut-être peu, mais ce n'est pas mon cas.
Eloïse ne savait pas quoi répondre à ça. Le tout premier incident, celui qui avait révélé la magie aux humains, avait été le plus médiatisé. Les autres moins à mesure que la ville s'habituait à la présence occasionnelle de magiciens – de toute manière, que pouvaient-ils y faire ? D'accord, elle était impliquée dans la plupart parce qu'elle était la cible, mais c'était injuste de la pénaliser pour les actions des autres.
- Vous l'avez vous même reconnu, Eloïse n'y est pour rien, intervint Victorien.
- Peut-être, mais ça implique tout l'établissement. Je ne peux pas mettre les autres élèves et les personnels en danger.
- Sauf que vous ne pouvez pas refuser sa présence parce qu'il s'agit de son lycée de secteur et que l'éducation est obligatoire jusqu'à seize ans.
Le directeur se pinça les lèvres, crispé. Eloïse, elle, était impressionnée. Il s'était vraiment renseigné sur sa situation.
- Et vous ne pouvez pas juste lui fournir une éducation par correspondance ? demanda le directeur. Ça faciliterait les choses pour tout le monde.
- Donc sous prétexte qu'elle est une magicienne elle n'aurait pas le même droit à l'éducation que les autres ?
- C'est pour le bien du plus grand monde.
Victorien se pencha vers lui. Bon, il en faisait un peu trop. Le directeur lui-même n'était pas très rassuré.
- La décision finale ne vous revient pas, asséna le mage noir. Je l'ai rappelé, c'est son lycée de secteur, aussi elle y sera inscrite, point. Vous pouvez dire ou faire ce que vous voulez, ça ne changera pas.
Son ton était posé, mais la menace se ressentait facilement à travers ses paroles. Eloïse hésita à lui donner un coup de pied discret pour qu'il arrête.
- Très bien, concéda le directeur à contrecœur. Mais si jamais des incidents se produisent, je me réserve le droit de l'envoyer en conseil de discipline et de la renvoyer.
- Nous verrons ce genre de choses en temps voulu.
Victorien et le directeur, de moins bonne humeur qu'à leur arrivée, réglèrent les dernières formalités. Ensuite, ce dernier les libéra. Eloïse poussa un soupir de soulagement dès qu'elle fut dans le couloir et que la porte se ferma.
- Je t'avais dit que je ne comptais pas t'enfoncer, indiqua Victorien.
- Peut-être, reconnut Eloïse, mais je ne suis pas sûre que l'intimidation était la meilleure solution.
- Elle a fonctionnée. Restons-en là.
Décidément, il était fidèle à lui-même. Le problème était peut-être réglé, mais Eloïse était presque sûre qu'après cette entrevue, le directeur la détestait déjà.
Sa rentrée au lycée promettait.
◊
Le Madrigan avait reçu un message de la part des chasseurs de magiciens.
Il devait l'admettre, pour le coup, ils avaient été futés. Tandis qu'il voulait récupérer le dernier morceau de la carte, il s'était rendu compte qu'elle était en mouvement dans les rues de Montpellier. Lui qui s'était imaginé les savoir assez idiots pour le confier à quelqu'un et le laisser se promener seul avec, il s'était rendu sur place.
Les chasseurs de magiciens avaient dû supposer, après leurs récentes déconvenues, que le Madrigan était capable de localiser les morceaux. Raison pour laquelle ils avaient orchestré ce petit manège et laissé un message à son intention.
Un lieu et une heure. Montpellier une fois encore. Donc plutôt que de le regarder leur voler leur bien une fois encore, ils voulaient directement le confronter.
C'était à la fois intelligent et stupide de leur part. Dans tous les cas, le Madrigan aurait récupéré la carte, alors ils n'avaient rien à perdre, mais s'ils voulaient se battre, ils auraient des pertes.
Le jour convenu sur le message, il se rendit à l'adresse indiquée. Il savait que le dernier morceau s'y trouvait déjà, alors il ne s'inquiétait pas de tomber dans un piège.
De toute façon, pour cette fois, il n'était pas venu seul.
Il s'agissait du manoir où il avait trouvé Margaux. Les autres magiciens avaient dû le récupérer maintenant qu'elle avait disparue et que son père était mort – même si sa mère devait encore être quelque part dans la nature. Ils s'imaginaient peut-être qu'ils parviendraient à se débarrasser de lui comme ça. C'était optimiste.
Le Madrigan poussa la large porte en bois qu'il n'avait pas pu emprunter à sa première visite. Elle s'ouvrit dans un grincement pour dévoiler un couloir sombre. Tout en s'assurant que personne n'allait lui sauter à la gorge, il s'enfonça à l'intérieur. Il remarqua un rai de lumière s'échapper d'une pièce adjacente et s'y avança discrètement.
Dès qu'il s'aventura de l'autre côté, une dizaine d'armes à feu furent pointées sur lui. Ça aussi, il s'y était attendu.
- Il était temps qu'on se rencontre.
C'était un homme, le seul qui ne le tenait pas en joue, qui venait de parler. Le Madrigan ne l'avait jamais vu, mais des informations en sa possession, il devait être le chef des chasseurs de magiciens de Montpellier.
- Je ne vois pas en quoi c'était utile, contra le Madrigan.
- Où est Margaux ?
- Elle est partie.
Le chasseur se rapprocha de plusieurs pas.
- C'est toi qui l'a enlevée pour lui voler la carte. On le sait. Où est-elle ?
- C'est elle qui m'a demandé de l'emmener, corrigea le Madrigan. Elle m'a donné la carte de son plein gré.
- Arrête de raconter des mensonges.
- Vous l'avez maltraitée, elle a voulu fuir, c'est tout.
Il n'avait ni l'envie, ni le temps de s'éterniser dans des conversations sans intérêt.
- Donnez-moi le morceau de carte, qu'on en finisse.
- Non. Tu ne repartiras pas d'ici en vie, alors ne te fatigue pas. Où est Margaux ?
- Pas sur Terre. Vous ne pourrez pas la récupérer.
L'homme, peu satisfait de sa réponse, fit signe à ses camarades de se préparer à tirer.
- Tu n'aurais définitivement pas dû venir ici.
Le Madrigan concentra ses pouvoirs.
- Vous êtes optimistes si vous croyez que je n'ai pas anticipé ce genre de scénario.
Avant que quiconque ne puisse agir, un croassement sonore attira les regards à proximité de la large fenêtre aux volets baissés.
- Que... s'étonna le chef des chasseurs.
Il y avait une grenouille verte, immobile. Le signe exact que le Madrigan attendait.
Il profita de la seconde d'inattention que cette apparition provoqua pour se téléporter dans le couloir et claquer la porte de la pièce derrière lui. Heureusement qu'il anticipa et s'entoura d'un bouclier, puisque les tirs retentirent dès qu'il usa de ses pouvoirs. Là où les balles atterrirent, la magie se zébra comme l'aurait fait une plaque de verre.
Par chance, sa camarade fit son apparition à ce moment précis et s'aventura dans le manoir. Elle leva un bras et un champ de force blanc translucide aux reflets irisés se forma devant la porte trouée. Les boucliers des Astréiens étaient de loin les plus efficaces, alors mieux valait qu'elle s'occupe de la défense.
Le Madrigan, lui, posa sa main sur la poignée et récita un sortilège de verrouillage. Il ne tiendrait pas éternellement, mais suffisamment de temps pour qu'ils puissent terminer le travail sans que les chasseurs ne s'échappent. Vu leurs exclamations de frustration qui retentissaient de l'autre côté du mur, ils étaient tout sauf ravis et ne comptaient pas se laisser faire aussi facilement.
- Franchement, tu aurais pu faire un petit effort, fit remarquer la magicienne. Tu aurais tout aussi bien pu les enfermer là-dedans dès le départ sans te mettre en danger.
Le Madrigan la foudroya du regard.
- Arrête de te plaindre. On n'a pas terminé.
- Oui, oui. Deux secondes.
Elle sortit une fiole du sac posé sur son épaule et la lui tendit. Le liquide à l'intérieur était translucide, mais pas aussi fluide que de l'eau.
- Prêt ? demanda-t-elle.
- Ouvre. Je balance.
La magicienne posa une main sur le mur et récita une formule en lysirien. Un regard entendu vers son camarade, puis il jeta la fiole avec force. Elle passa à travers le mur comme s'il n'avait été fait que d'air.
Ensuite, il n'y eut plus que du silence.
- Le type a qui j'ai acheté le flacon m'a dit que l'effet était presque immédiat, mais que c'était mieux d'attendre deux petites minutes, expliqua la jeune fille.
- Et tu es sûre de son efficacité ?
- Je ne sais pas. Tu entends du bruit là-dedans, toi ?
La réponse était non. Ils attendirent tout de même le temps recommandé par la personne qui avait confectionné le poison avant de vérifier. Apparemment, il était extrêmement mortel, se diffusait par gaz dans un périmètre très restreint et se dissipait tout aussi vite qu'il agissait. Parfait pour cette occasion.
Quand la magicienne estima que le temps était écoulé, elle entrouvrit la porte. Le Madrigan, prêt à attaquer au moindre mouvement de travers, n'en repéra cependant aucun. Ça avait fonctionné.
Il y eut un croassement, puis la grenouille qui avait servi de distraction plus tôt quitta la pièce dans des bonds réguliers, avant de sauter dans la main de la magicienne. Elle ouvrit sa bouche pour recracher le dernier morceau de carte.
Scatach, que Margaux aimait surnommer Sophie puisqu'elle ne connaissait les prénoms de personne, était la personne avec l'essence magique la plus ridicule que le Madrigan connaissait : les grenouilles.
Elle lui tendit le morceau de papier avec un sourire qui fit apparaître deux fossettes sur ses joues.
- De rien, ironisa-t-elle.
- J'en reviens pas que c'est avec ça qu'on ait reconstitué la carte, maugréa-t-il.
- Arrête de faire le rabat-joie et allons nous en. Tu as un puzzle de six pièces à reconstituer.
Scatach avait raison, mieux valait ne pas s'éterniser ici en considération de ce qu'ils venaient de faire.
De toute manière, Zéro avait obtenu tout ce qu'il cherchait.
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