Chapitre 35: Juin (9)

Eloïse ne comprenait pas comment elle faisait pour tomber malade aussi souvent. D'abord sa perte de connaissance qui était survenue quelques jours plus tôt, et maintenant de la fièvre et une désagréable impression que son crâne allait exploser.

S'il n'y avait eu que ça, elle s'en serait contentée, elle avait plutôt l'habitude. Mais les hallucinations n'étaient généralement pas de la partie.

Caleb l'observait remuer sous sa couette d'un air perplexe, adossé contre le mur de l'autre côté de sa chambre. Était-ce vraiment une hallucination ? Eloïse se pinça. Elle était éveillée.

- Pourquoi vous êtes là ? lui demanda-t-elle.

- Aucune idée, répondit-il.

Eloïse se frotta le front dans l'espoir vain de faire partir la douleur sourde qui l'habitait. Elle s'endormit plusieurs minutes sans s'en rendre compte. Quand elle rouvrit les yeux, Caleb n'était plus là.

Il revint quelques dix minutes plus tard exactement au même endroit. Puis disparut de nouveau dès qu'elle tourna la tête de l'autre côté.

Fantastique.

Eloïse passa une grande partie de sa nuit à s'endormir et à se réveiller en sueur. Elle rêva à trois reprises du sceptre de Valiammée, tenu entre des bras qui ne ressemblaient pas aux siens. C'était déconcertant, surtout quand tous furent identiques jusque dans leurs moindres détails. Une vision similaire à sa précédente, elle n'en doutait pas, même si elle aurait aimé en comprendre la provenance.

Elle finit par se redresser tout en restant enroulée dans sa couette. Ça devenait lassant.

Elle aperçut la silhouette de Caleb à proximité de la porte, fondu dans la noirceur de la nuit. Ah, il était de retour.

- Vous êtes une hallucination, n'est-ce pas ? demanda-t-elle.

- Oui, répliqua Caleb.

- Comment je peux en être sûre ?

Il haussa les épaules. Eh bien, il n'était pas très bavard, si Eloïse le comparait à sa version originelle. Les rares fois où elle avait vu Caleb en rêve, il était plus ouvert. Là, il ressemblait juste à quelqu'un de blasé.

Comme elle n'avait rien d'autre à faire et que dormir était pire encore que de sacrifier le reste de sa nuit, Eloïse remua sur son matelas et posa ses deux pieds au sol. Quand elle se leva, elle fut prise par un vertige et dut se rasseoir.

- À ta place, j'irai me recoucher, dit Caleb.

- Non merci.

Il n'ajouta rien. Eloïse en fut agacée.

- Je voulais vérifier si vous étiez dans la pièce, déclara-t-elle. C'est pour ça que j'ai voulu me lever.

- Je ne suis pas là, contra Caleb.

- J'ai dit que je voulais le vérifier.

- Ce qui est inutile.

- Ça, c'est vous qui le dites.

Eloïse, devant son silence, saisit son oreiller et lui lança à la figure. Il passa au travers et retomba au sol.

- Décevant, commenta-t-elle.

Elle se frotta les tempes tout en marmonnant à quel point elle devait avoir l'air stupide à parler ainsi toute seule. Le temps qu'elle cligne des yeux, Caleb s'était volatilisé.

Eloïse concentra ses forces pour aller ramasser son oreiller. Cette fois, elle se leva sans que sa tête tourne, mais elle se retint tout de même au mur par précaution. Elle retourna s'enfoncer sous sa couette et réussit à dormir une heure supplémentaire.

À son énième réveil, son mal de crâne s'était encore empiré. Cette fois-ci, Eloïse se décida à quitter sa chambre pour trouver de quoi se soigner un peu. Il était quatre heures du matin et elle aspirait à finir sa nuit d'une façon ou d'une autre.

Seul problème : elle ne savait absolument pas où chercher et toutes les pièces ne lui étaient pas accessibles. Normalement, Victorien ne rangerait pas de médicaments dans sa chambre, son bureau ou dans le grenier, mais elle se méfiait tout de même.

Eloïse enfila le premier pull qui lui passa sous la main et ouvrit sa porte pour s'aventurer dans le couloir, guidée par la lampe torche de son téléphone. Elle tenta d'abord de fouiller les placards de la salle de bains – c'était là que tout était rangé au Centre et chez ses parents –, mais ne trouva absolument rien.

Où est-ce que Victorien rangeait les fichus médicaments ?

Eloïse partit en direction de la cuisine. Elle connaissait déjà le contenu de la plupart des rangements, mais peut-être que quelque chose lui avait échappé. Autant poursuivre ses recherches, de toute manière elle n'avait rien de mieux à faire.

Elle passa en revue tout ce qui lui passa sous la main en désespéra à mesure qu'elle progressait dans la pièce. Toujours rien.

- Qu'est-ce que tu fiches ?

Eloïse sursauta. Victorien s'était glissé dans l'entrée de la cuisine, et comme d'habitude, elle ne l'avait pas vu ou entendu arriver.

- Je ne savais pas que tu étais là, marmonna-t-elle.

- Je suis rentré il y a peu et je repars dans la matinée. Qu'est-ce que tu fiches ?

- Ça te regarde ?

- Tu es chez moi, donc oui. Sachant que tu fouilles tous les placards, j'en déduis que tu cherches quelque chose.

- Merci, Sherlock.

Au regard ennuyé qu'il lui renvoya, Eloïse constata avec ravissement qu'il avait la référence littéraire. L'avantage que Victorien soit à moitié humain.

- De quoi tu as besoin ? demanda-t-il.

- Un médicament contre le mal de crâne.

Victorien s'approcha jusqu'à se retrouver à un mètre d'elle. Eloïse ne comprit qu'avec un temps de retard ce qu'il était en train de faire.

- Effectivement, tu as de la fièvre, constata-t-il.

- Ah, ouais, le super-sens de Madrigan. T'as pas besoin de toucher les gens pour que ça fonctionne, normalement ?

- Si, mais pas cette fois.

Ce qui signifiait que son état était pire qu'elle n'avait supposé. C'était bon à savoir.

- Je veux juste un médicament et je retourne me coucher, soupira-t-elle.

- Je n'en ai pas, indiqua Victorien.

Il aurait tout aussi bien pu maudire Eloïse sur plusieurs générations.

- Comment ça ?

- Je n'en ai pas l'utilité. Il n'y en a pas.

- D'accord, les Madrigans ne tombent presque jamais malades, mais tu ne l'es qu'en partie. Tu n'es certainement pas immunisé à tout.

- Je suis aussi mage rouge. Nous sommes naturellement plus résistants.

La génétique était un peu trop de son côté pour qu'Eloïse trouve ça juste. Elle posa une main sur son front brûlant.

Alors elle allait juste devoir souffrir en silence ?

- Je peux chercher des sortilèges Madrigans ou des recettes alchimiques, précisa Victorien sans grand enthousiasme.

- Dis tout de suite que ça te dérange.

- Je ne le dirai pas. Retourne t'allonger. Je reviens.

Au moins il était coopératif. Sachant qu'Eloïse et lui ne s'étaient pas parlés depuis deux jours – cela aurait pu être dû à ses absences chroniques, mais ils s'étaient croisés à plusieurs reprises –, elle estimait que c'était très bien.

Elle retourna dans sa chambre, toujours guidée par la lampe torche de ton téléphone, et s'enterra sous sa couette. Elle dut s'endormir pendant quelques minutes, puisque Victorien la réveilla lorsqu'il toqua à la porte.

Eloïse l'avait laissée entrouverte justement pour qu'il n'ait pas à le faire, mais soit, c'était considéré de sa part. Elle se redressa. Victorien, lui, alluma la lumière, s'engouffra dans la pièce et s'installa sur sa chaise de bureau.

Le flot de lumière força Eloïse à se couvrir les yeux de sa couette. Rien de mieux pour faire empirer son mal de tête.

Il voulait la tuer.

- Je ne vois pas dans le noir, se justifia-t-il en l'entendant grommeler.

- J'aurais pu mettre ma lampe torche si tu me l'avais demandé.

- Je ne vois pas non plus dans la pénombre.

Eloïse sortit la moitié de son visage de son cocon protecteur. Victorien tenait un livre de sortilèges assez fin entre ses mains. Bon, d'accord, elle lui accordait que c'était difficile de lire dans le noir complet.

- Depuis quand tu es dans cet état ? demanda-t-il.

- Hier soir.

- C'est sorti de nulle part ?

- Oui, je n'avais rien du tout avant. Je n'ai pas le meilleur système immunitaire du monde.

- Ça, je sais.

Eloïse fronça les sourcils avant de se rappeler que le projet Alpha remontait à sa petite enfance et donc que Victorien avait forcément bien plus d'informations à son sujet qu'elle ne l'imaginait. Sachant qu'elle en connaissait très peu à son sujet en retour, elle ne savait pas trop comment le prendre.

- Quelques sortilèges là-dedans conviendront, indiqua-t-il. Je ne sais pas dans quelle mesure ils seront efficaces, mais je n'ai rien de mieux.

- Et l'alchimie ?

- Je n'ai pas le temps d'en préparer.

- Tu dois partir dans combien de temps ?

- Environ quatre ou cinq heures.

- C'est si long que ça à faire ?

Eloïse, qui s'était finalement habituée à la luminosité, sortit complètement sa tête de la couverture.

- Non, mais crois-le ou non, j'ai besoin de dormir, répondit Victorien.

D'accord, donc il voulait bien être sympathique tant que cela n'empiétait pas sur son sommeil. Si l'état d'Eloïse s'empirait, elle saurait qui blâmer.

Enfin, sachant qu'elle ne savait pas depuis combien de temps il n'avait pas dormi, elle préférait garder ses réflexions pour elle. Au moins, il faisait quelque chose.

- Où est-ce que tu dois aller ?

- Travailler.

Comme d'habitude, Victorien n'était pas avare de détails. Eloïse supposait qu'en tant que mage noir, quelqu'un devait avoir commandité un meurtre ou elle ne savait trop quoi – elle n'avait pas spécialement envie de le savoir – et que sa fenêtre d'action était restreinte. Arriver en retard ou s'abstenir de s'y rendre pour vérifier qu'elle n'était pas en train de mourir roulée en boule dans son lit ne devait pas être une option.

- Soit, répliqua-t-elle.

Victorien ouvrit le livre dans sa première moitié. Il posa une main sur le front d'Eloïse, récita un sortilège, puis fit défiler les pages pour en trouver un second et réitéra l'expérience. Pendant ce temps, la magicienne profita de son angle de vue pour tenter de décrypter les écritures du livre, sans grand succès. Tout était en Madrigan, et malgré les quelques cours que Rory lui avait donnés, elle ne pouvait lire qu'un nombre restreint de syllabes. L'alphabet lui était encore trop étranger.

- Ça devrait faire baisser la fièvre, annonça Victorien en retirant sa main.

- Et le mal de crâne ?

- C'était le sortilège précédent, mais ça ne suffit visiblement pas. Je demanderai à Ilyann de passer demain s'il peut. Il fera mieux que moi.

- Ah...

D'un côté, Eloïse était toujours ravie de voir Ilyann, mais de l'autre, elle avait envie que la douleur disparaisse maintenant.

- Je penserai aux médicaments pour la prochaine fois, précisa Victorien. J'aurais de toute façon dû l'anticiper.

- Tant pis, répliqua Eloïse. J'ai connu bien pire.

Elle tourna la tête quand un mouvement au fond de sa chambre attira son attention. Une haute silhouette aux longs cheveux blond platine était adossée contre le mur.

L'hallucination de Caleb était revenue.

- Je suppose que tu ne le vois pas ? demanda Eloïse.

Victorien arqua un sourcil et suivit son regard. Sa perplexité était à son comble.

- Vois pas quoi ?

- Rien, rien. Oublie.

- J'attends un peu plus d'explications que ça, maintenant que tu as lancé le sujet.

- Ça doit juste être la fièvre, insista-t-elle. C'est rien.

Victorien fut loin d'être convaincu, mais ne posa pas davantage de questions. Comme quoi il devait être vraiment fatigué. Il n'était pas aussi buté que d'habitude.

Le mage noir se leva, prêt à quitter la chambre. Eloïse ne sut pas trop pourquoi elle le retint avant qu'il ne le fasse. Là encore, elle blâmait sa fièvre.

- Je peux te poser une question ?

- Rapidement. J'ai besoin de dormir et toi aussi.

- Tu as fait partie des laboratoires. Pourquoi tu es parti ?

- Abrupt, comme changement de sujet.

Peut-être, mais il n'allait pas l'esquiver aussi facilement. Eloïse le foudroya du regard, ce qui l'ennuya suffisamment pour qu'il finisse par délier sa langue.

- Un différend, admit-il.

- C'est tout ?

- Un certain nombre de différends, se corrigea-t-il. Tu n'as pas besoin d'en savoir plus, ça ne te concerne pas.

- C'est drôle, je savais que tu répondrais quelque chose dans le genre.

Victorien croisa les bras.

- Je ne vois même pas pourquoi tu me poses la question en premier lieu.

- Parce que figure toi que ça fait un moment que je l'ai en tête. Ça fait plusieurs mois que je suis ici, maintenant. Ça aussi tu aurais dû l'anticiper.

Vu son air stoïque, il n'en avait pas envie. Il se retourna, prêt à partir. Eloïse ne le vit pas de cet oeil.

- Est-ce que je vais mourir ?

- Ce n'est que de la fièvre, s'agaça-t-il, pas la peine de...

- Je parle du projet Alpha, le coupa-t-elle.

Cette fois, le silence se fit.

- Comment veux-tu que j'ai la réponse à cette question ?

- Tu en sais beaucoup plus que tu ne veux le dire.

- Ce qui ne fait pas de moi quelqu'un capable de prédire le futur.

- Mais il y a des possibilités que je meure.

- Oui.

Eloïse ne savait pas trop où s'en tenir par rapport au projet Alpha. Depuis que les laboratoires l'avaient tuée pour qu'elle absorbe le pouvoir de la pierre Alpha, la situation s'était quelque peu ralentie, ce qui la rendait plus confuse qu'autre chose, surtout quand Mila avait été ajoutée à l'équation. Ils avaient besoin d'elle vivante, mais maintenant au moins, elle savait à quoi s'en tenir.

Elle voulait des réponses.

- Il va bien falloir que tu parles à un moment donné, maugréa-t-elle.

- Cesse de le répéter à chaque fois, je l'avais intégré la première.

Eloïse, vexée, s'enfonça sous sa couette.

- N'oublie pas d'éteindre la lumière en partant.

Elle entendit à peine Victorien quitter la pièce, qui fut de nouveau plongée dans l'obscurité.

Elle espérait qu'un jour, elle comprendrait tout et serait fixée sur son sort.

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