Chapitre 23: Mai (8)


Depuis qu'Eloïse avait retrouvé un contrôle correct sur ses pouvoirs, Victorien insistait à longueur de journée pour l'entraîner et rattraper le temps perdu. Vu son caractère et sa patience limitée, elle avait au départ refusé. Cependant, quand ce furent Ilyann et Maximilien qui plaidèrent pour lui, elle eut un peu plus de mal à s'entêter.

- Victorien est un très bon magicien, tu le sais, argua Maximilien. Ça va t'aider.

- Oui, je suis parfaitement conscience de ça, mais il y a un fossé entre être un bon magicien et être un bon professeur. Il manque clairement d'amabilité et ça use ma patience, ce qui par extension use la sienne.

- Je lui demanderai de faire un effort, promit Ilyann. Ça ne garantit rien, mais c'est toujours ça.

- Vu comme les laboratoires ont attaqué la dernière fois, mieux vaut que tu te remettes sérieusement à la magie, ajouta Maximilien. C'est l'occasion.

- Bon... soupira Eloïse.

Si tout le monde s'y mettait, alors soit, elle céderait. Mais Victorien avait plutôt intérêt à ne pas lui taper sur les nerfs trop vite.

Il n'était pas là aujourd'hui, raison pour laquelle Ilyann et Maximilien restaient pour la surveiller et lui tenir compagnie. Elle devrait attendre le milieu de la nuit ou le lendemain pour lui en parler.

En considération de ses insomnies, peut-être le faire cette nuit était la meilleure option, puisque l'échange serait extrêmement bref.

Cependant, à trois heures du matin, alors que Maximilien et Ilyann étaient partis depuis bien longtemps, Victorien n'était toujours pas rentré. Eloïse, ennuyée, se résigna à dormir et à lui parler le lendemain dans la matinée.

Elle ne savait pas trop quelles étaient les prestations de Victorien en tant que mage noir – du peu qu'elle savait sur ce type de carrière, ils faisaient un peu de tout, même si les assassinats étaient beaucoup demandés – mais il rentrait souvent très tard.

Si son rythme de sommeil à elle était chaotique, elle n'imaginait pas le sien.

Eloïse se réveilla un peu avant neuf heures, pas complètement reposée mais incapable de dormir plus longtemps. Elle échangea son pyjama contre un jean noir et un pull délavé, comme presque tous les jours, puis s'en alla vers la cuisine à la recherche de quelque chose à grignoter. Elle n'avait pas spécialement faim, mais n'aimait pas rester le ventre vide pour autant.

Quand elle arriva dans la cuisine, Victorien s'y trouvait déjà, une tasse de thé entre les mains. Il se décala pour la laisser accéder au placard où elle rangeait sa nourriture, ce qui chez lui, revenait à dire bonjour. Enfin, selon les suppositions d'Eloïse. Ils n'avaient pas l'habitude de se saluer d'une quelconque façon lorsqu'ils se croisaient.

Elle attrapa une madeleine, referma le placard, puis hésita sur la marche à suivre. S'efforcer de faire la conversation ou alors lui dire qu'elle acceptait les entraînements sans aucun préambule ? Victorien préférerait sans doute la seconde option, mais Eloïse se dirigea tout de même vers la première. Elle habitait chez lui, il allait bien falloir qu'ils aient un jour des échanges corrects.

- Tu es rentré quand ? demanda-t-elle.

Victorien, sa tasse toujours entre les mains, tourna le regard vers elle. Vu la courte latence entre la question et sa réponse, il avait du croire qu'elle partirait immédiatement après avoir récupéré son petit-déjeuner.

- Il y a quelques heures, répondit-il.

- Seulement ? Mais tu as eu le temps de dormir ?

- Oui. De quoi tu as besoin ?

Très bien, donc il s'imaginait qu'Eloïse s'éternisait ici uniquement pour tirer avantage de lui.

- Je n'ai jamais dit que j'avais besoin de quoi que ce soit, objecta-t-elle.

- Tu ne viens jamais pour faire la conversation. Je tire les conclusions logiques.

Il haussa les sourcils.

- À moins que tu aies une soudaine envie de parler de la pluie et du beau temps, auquel cas je peux faire semblant de t'écouter avec intérêt.

Eloïse ne trouva rien à répondre à ça. Elle n'avait pas l'habitude de le voir aussi bien luné. L'échange était presque trop normal pour elle.

- Je venais juste te dire que j'acceptais, pour les entraînements à la magie.

- Vu le manque d'engouement chronique que tu présentais avant, je suppose qu'Ilyann et Maximilien ont quelque chose à voir là-dedans ? demanda Victorien.

- C'était pas difficile à deviner, marmonna-t-elle. J'ai un souvenir pas très agréable de la dernière fois.

- Si tu as véritablement retrouvé le contrôle sur ta magie, ça ne devrait pas être aussi catastrophique.

- Je parlais essentiellement de ta patience limitée, pas de ma performance plus que médiocre.

- Je n'ai aucune raison de perdre patience si tu fais les choses correctement, argua-t-il.

Le mage noir posa sa tasse sur le comptoir où il était appuyé et ne lui laissa pas le temps de formuler une réponse.

- Allons-y.

Eloïse fronça les sourcils.

- Maintenant ? s'étonna-t-elle.

- Tant qu'à faire. Je dois partir tôt, aujourd'hui.

Il quitta la cuisine en direction de l'entrée et attendit qu'Eloïse le rejoigne. L'intéressée, qui n'avait aucune envie de pratiquer maintenant, s'y obligea tout de même. Elle n'avait pas le courage d'argumenter, surtout s'il s'agissait de sa seule disponibilité de la journée.

Elle engloutit sa madeleine en deux bouchées et le suivit dehors.

Aujourd'hui, il y avait très peu de vent et le soleil n'était pas au rendez-vous. Vu les nuages sombres qui s'approchaient, Eloïse supposait qu'il risquait de pleuvoir d'ici peu de temps.

Victorien avait dû faire la même déduction, puisqu'ils ne s'éloignèrent pas autant dans les plaines que d'habitude. Ils restèrent à une dizaine de mètres de sa maison.

- Commençons par là où tu avais échoué la dernière fois, décréta-t-il. Crée une flamme dans ta main et augmente progressivement la puissance.

Une chose était certaine, il ne gaspillait pas sa salive dans les préambules. Eloïse, qui n'avait pas l'habitude – ses instructeurs du AMI, qu'il s'agisse de ses camarades d'équipe ou d'intervenants, expliquaient toujours les objectifs de la séance avant de commencer –, fit ce qu'il lui demanda. Elle ne put cacher son soulagement quand elle parvint à réaliser l'exercice correctement et que toutes ses sensations lui furent naturelles.

Un jour, elle espérait que Caleb lui expliquerait ce qu'il avait fait, parce que cela avait été diablement efficace.

- Très bien, tu ne mentais pas, constata Victorien.

- Parce que tu n'y croyais pas ? se vexa Eloïse.

- Le revirement est très brusque. Pour être honnête, je ne vois pas comment tu as pu retrouver ton contrôle au beau milieu d'une altercation avec les laboratoires. À moins qu'il y ait des choses dont tu ne m'aies pas parlé.

Eloïse n'allait certainement pas évoquer Caleb, aussi elle se contenta de hausser les épaules. Cela ne fit qu'accroître la suspicion de Victorien.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-il. Quand je suis arrivé, tu avais encore du mal à maîtriser tes pouvoirs, ce qui signifie que le changement a eu lieu quand tu faisais face à Vénérios. Est-ce qu'il t'a fait quoi que ce soit ?

- Non, rien, répliqua Eloïse.

- Donc tu veux me faire croire que c'est arrivé sans que tu ne saches comment ?

- Oui.

- Eloïse.

Il avait prononcé son nom avec une pointe d'agacement. La magicienne croisa les bras, prête à le confronter. S'il n'était pas satisfait de sa réponse, c'était son problème. De toute façon, même si elle avait jusque là repoussé le sujet dans un coin, elle aussi avait des questions à lui poser.

Quitte à ce qu'il la dispute, autant faire du donnant donnant.

- Donc tu ne me crois pas, résuma-t-elle.

- Non, concéda Victorien.

- Si tu es honnête avec moi pendant les prochaines minutes, je te dirai la vraie raison.

- Certainement pas. Je ne suis pas là pour marchander quoi que ce soit.

Il lui fit signe de recommencer l'exercice qu'elle venait juste de faire. Donc il allait juste passer à autre chose ?

- Pourquoi tu as essayé de me kidnapper quand j'étais enfant ? demanda Eloïse.

Victorien fronça les sourcils.

- En quoi ça te regarde ?

- Tu plaisantes ? Je suis la première concernée !

- D'une chose qui ne s'est jamais produite. Il n'y a pas à insister là-dessus.

- Tu as tenté, insista tout de même Eloïse. C'est ce que ma mère a dit.

- Et je n'ai jamais réitéré l'expérience par la suite, conclut Victorien. Le sujet est clos.

Alors là, certainement pas.

- C'est Caleb qui a réglé le problème de mes pouvoirs, annonça-t-elle. Maintenant, s'il te plaît, réponds à ma question.

- Je te demande pardon ?

Le mage noir, qui avait jusque là gardé ses distances, s'approcha. Comme à chaque fois que Caleb était évoqué, son ressentiment envers lui se faisait sentir.

- Combien de fois je vais devoir t'avertir à son sujet avant que tu ne m'écoutes ? Qu'est-ce qu'il a fait ?

- Je ne sais pas, mais ça a été efficace, répondit Eloïse.

- Que ça ait eu un effet ou non, ce n'est pas mon problème, trancha Victorien. Cesse de boire ses paroles quand tu ne sais pas qui il est réellement.

- Tu n'as qu'à me l'expliquer.

- Je ne peux pas.

Et après il s'attendait à ce qu'elle lui accorde une confiance aveugle ? Eloïse acceptait de l'écouter, mais jusque là, Caleb n'avait rien fait de mal, plutôt le contraire. Elle avait simplement du mal à comprendre ce qu'il lui voulait, entre l'épisode du sceptre de Valiammée Astrada, celui du quartier Doré et son aide pendant la précédente altercation.

Que Victorien ait un différend avec Caleb et veuille qu'Eloïse garde ses distances, soit, mais il allait lui falloir un peu plus d'arguments que ça.

- Que le résultat te plaise ou non, moi au moins j'ai été honnête, fit-elle remarquer. Comment tu veux que je te fasse confiance si tu ne me dis jamais rien ?

Victorien ferma les yeux un court instant, agacé. Quand il les rouvrit, ce fut pour les planter dans ceux d'Eloïse.

- J'ai effectivement essayé de te kidnapper il y a dix ans. Ça te va ?

- Donc le jour de l'altercation, tu avais délibérément gardé ta capuche pour que ma mère ne voit pas ton visage ? Parce que tu savais qu'il y avait une possibilité qu'elle te reconnaisse ?

Difficile d'oublier le visage de la personne qui avait tenté de s'en prendre à son enfant.

- Oui, confirma-t-il.

Eloïse poussa un soupir et passa une main sur le haut de son crâne.

- Pourquoi tu as voulu faire ça ?

- Parce que si les laboratoires ne t'ont pas sous la main, alors le projet Alpha est complètement bloqué, répondit Victorien. Te faire disparaître était une solution comme une autre.

- Alors pourquoi tu n'as tenté qu'une seule fois, si ça aurait pu régler tous les problèmes actuels ? Pourquoi tu n'es pas allé au bout du plan ?

Eloïse se rendit compte en voyant son expression perplexe que sa dernière question avait un peu trop sonné comme un reproche. Elle se reprit.

- Peu importe ce qu'il s'est passé ou non il y a dix ans, la finalité est la même. C'est toi qui a ma garde et je vis chez toi. C'est pour ça que je demande.

- Je ne l'ai pas fait parce qu'Ilyann m'en a dissuadé, expliqua Victorien. Peut-on clore le sujet, maintenant ?

Eloïse n'était pas complètement satisfaite, mais doutait d'obtenir davantage, alors elle accepta.

À partir de là, les seules paroles qu'ils s'adressèrent furent nécessaires à l'entraînement. Quand il toucha à sa fin, ils rentrèrent silencieusement à l'intérieur de la maison, Eloïse s'enferma dans sa chambre comme à son habitude et Victorien disparut faire elle ne savait trop quoi.

Un jour viendrait où elle lui demanderait véritablement des comptes.

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