Chapitre 18: Mai (4)
Aujourd'hui enfin, Eloïse et Lysandre étaient tous les deux présents en cours. Seulement, comme la magicienne était arrivée en retard et se trouvait à l'autre bout de la classe par rapport à lui, elle n'avait pas encore eu l'occasion de lui toucher deux mots. Tant pis, elle devrait attendre la pause de dix heures pour ça.
À ses côtés, Mila faisait de son mieux pour suivre le cours de français. Eloïse comprit après un échange de chuchotements qu'elle n'avait pas encore travaillé ces notions à Lyon.
Elle allait vivre deux heures d'amusement.
Eloïse elle-même se rappelait pourquoi elle séchait régulièrement. En règle générale, elle avait du mal à rester concentrée plus de dix minutes sur le discours d'un professeur, alors là...
En revanche, désormais, sécher voulait aussi dire abandonner Mila. Elle espérait que sa camarade ne lui en voulait pas trop pour ça.
Pour s'en assurer, elle se pencha vers elle.
- Au fait, tu t'es fait des amis ? demanda discrètement Eloïse.
Mila acquiesça.
- Mélanie, au troisième rang, répondit-elle.
- C'est vrai qu'elle est sympa.
- Tu ne lui parles pas ?
- Je ne parle à personne hormis Lysandre.
- Oh, le garçon du premier rang ?
- Lui-même.
Enfin, elle parlait un peu à Quinn, aussi, qui était installée sur la même rangée qu'elles, mais plus à droite.
- Ah bon ? s'étonna Mila. Mélanie m'a dit qu'elle l'aimait pas et c'est pas la seule.
- Elle est pas méchante, répliqua Eloïse.
- Non, c'est sûr, mais elle est plusieurs fois venue me parler parce que je te connais et je la sentais pas trop. Justement, je crois qu'elle a fait la même à ton pote Lysandre.
Oh. Certes, elle était au départ venue parler à Eloïse parce qu'elle était une magicienne, mais elle ne s'imaginait pas que ses connaissances en étaient aussi, quand même ? Sachant qu'elle la voyait souvent traîner avec plusieurs filles de la classe, elle supposait que c'était de la curiosité mal placée.
- Il y a aussi plusieurs garçons sympa, poursuivit Mila quand la professeure eut le dos tourné. Ton frère et ses potes.
- Ah. Alexandre, maugréa Eloïse.
Heureusement qu'il n'était pas dans sa classe.
- Je fais le trajet avec lui tous les matins, poursuivit Mila. Il a le même âge, donc c'est ton jumeau ?
- C'est ça.
- Vous vous ressemblez pas tant que ça, c'est marrant. Enfin, même en dehors de la couleur des cheveux et des yeux.
- On se ressemblait plus quand on était enfants. Pareil pour ma sœur.
- Ah, oui, Garance. Elle est gentille aussi. Elle m'a prêté pas mal d'affaires.
Sachant que Garance était plus grande que Mila, ce devait expliquer pourquoi ses vêtements avaient l'air un peu trop larges.
- Tes parents comptent te ramener des affaires quand ils viendront ? s'assura Eloïse.
- Je leur ai demandé de le faire, mais bon, ça garantit rien...
Selon Mila, ils allaient d'abord chercher à confirmer sa version des faits, puis la ramener à Lyon par la peau du cou. Elle n'avait pas hâte du tout. Eloïse était vraiment désolée pour elle.
À la fin des deux heures de cours, quand la sonnerie retentit, Eloïse rangea ses affaires en coup de vent et remarqua que Lysandre, à l'avant de la salle, avait fait la même chose. Leurs regards se croisèrent quand il se retourna.
Ils allaient enfin parler.
Eloïse se leva de sa chaise. À ses côtés, Mila fermait sa trousse.
- Je te laisse avec Mélanie ?
- Ça marche, acquiesça Mila. À plus tard.
Eloïse s'éclipsa de la salle, bientôt rejointe par Lysandre. Avant qu'il ne puisse placer un mot, elle l'entraîna au troisième étage et se dissimula dans le fond de la cage d'escaliers pour qu'ils ne soient pas dérangés. Ils n'avaient normalement pas le droit de rester dans le bâtiment pendant les pauses, mais Eloïse n'avait jamais suivi cette règle, alors passer outre une nouvelle fois n'allait pas changer sa vie.
Dès qu'ils furent tranquilles, le regard de Lysandre s'illumina.
- J'ai toujours du mal à me dire que tu es en vie.
- Moi j'ai surtout du mal à me dire que c'est seulement maintenant qu'on arrive à se parler, répondit Eloïse.
- Tu sèches, je sèche... Ça complique les choses, plaisanta-t-il.
Sa joie se ternit pour une raison qui échappa à Eloïse. Il avait l'air un peu sur la réserve.
- Tout va bien, Lysandre ? vérifia-t-elle.
- Désolé, c'est juste que j'ai passé un mois de mars compliqué et j'ai pas réussi à te voir en avril, quand j'ai su que tu étais vivante. Même si je sais par M. Zepleski que tu n'y étais pour rien, c'était pas très agréable pour autant.
Eloïse s'en excusa. Elle demanda le téléphone de Lysandre, et quand il le lui tendit, changea les informations du contact à son nom.
- C'est mon nouveau numéro de téléphone, dit-elle. Ça va faciliter les choses.
- Ah, oui. Merci. Tu n'as pas pu garder l'ancien ?
- Malheureusement non. Ce n'est pas moi qui ai refait mon abonnement et comme je n'ai plus de salaire, c'est Victorien qui le paye pour moi. J'aurais pu le faire avec mes économies, mais bon, il ne m'a pas demandé mon avis.
Lysandre fronça les sourcils.
- Victorien ?
- Ah, c'est vrai qu'il y a ça à expliquer. Je ne travaille plus pour le AMI, donc je ne loge plus au Centre, mais chez lui, sur Thélis. Le décalage horaire est assez agaçant, d'ailleurs.
Là encore, l'engouement de Lysandre baissa d'un cran.
- Victorien, c'est le mage noir que tu croisais régulièrement, non ?
- Comment tu sais ça ? s'étonna Eloïse.
- On me l'a dit, éluda-t-il.
- Michaël ?
- Non, mon prof de magie. Il m'a dit que tu avais des fréquentations de plus en plus douteuses et qu'il avait peur de me mettre en danger par association.
Un professeur de magie ? Qu'est-ce que c'était que cette histoire ? Et surtout, comment en avait-il déniché un, lui qui ne savait pas aller sur Thélis ?
- Il me connaît forcément, s'il sait tout ça, déclara Eloïse, même si je ne trouve pas que mes fréquentations soient douteuses. Qui est-ce ?
- Un expert en magie rouge, répondit Lysandre. Il m'a dit qu'il t'avais déjà croisé pour son travail.
Quelque chose ne collait définitivement pas.
- Aux dernières nouvelles, le AMI n'en embauche pas, et même si c'était le cas, au moins pour des prestations, je n'ai jamais été amenée à travailler avec ce genre de personne.
- Après, tu aurais pu oublier. Il a aussi parlé de ta réputation sur Thélis.
- Ma... Quoi ? Lysandre, bon sang, quel est le nom de ce type ?
- Phrixos Elyren, annonça-t-il d'un ton hésitant.
Ce fut comme si Eloïse avait été frappée en plein visage. Rien qu'à voir son expression, Lysandre comprit qu'il avait fait une gaffe.
- Tu le connais ?
- Lysandre, Phrixos Elyren travaille pour les laboratoires du Phoenix. C'est lui qui m'a tuée, en février.
Cela eut le mérite de le refroidir complètement. Toutes les couleurs encore présentes sur son visage disparurent en un clin d'œil.
- Quoi ? Lui, mais... Et... Tu es vraiment morte ?
- On parlera de ça après. Pour le moment, Phrixos est le sujet principal. Qu'est-ce qu'il te veut ?
- Rien ! se défendit Lysandre. Il me donne des cours pour maîtriser ma magie rouge, c'est tout. J'ai l'impression de faire beaucoup de progrès.
- Je ne dis pas qu'il fait mal son travail, mais il doit bien avoir une arrière pensée. Comment il t'a approché ?
- Il est venu me parler dans la rue un soir...
- Et tu ne t'es pas demandé comment il avait trouvé ta trace ?
- Si, bien sûr, contesta Lysandre, c'est parce que je produisais de la magie rouge et qu'il l'a senti.
Eloïse trouvait ça un peu gros pour qu'il n'y ait pas autre chose derrière. Certes, une trace de la magie rouge était facile à remonter, mais ça n'expliquait pas ce que Phrixos faisait sur Terre en premier lieu. Il avait forcément planifié son coup.
- S'il te plaît, arrête de le voir, reprit-elle. On trouvera une solution pour tes pouvoirs. D'accord ?
- D'accord, acquiesça Lysandre. Je suis désolé, je ne pensais pas que ce serait un de tes ennemis.
- C'est pas grave, soupira Eloïse. Ce qui m'inquiète davantage, c'est pourquoi il a voulu entrer en contact avec toi. À moins que les laboratoires aient voulu te recruter parce que tu es un mage rouge.
- Tu penses que...
- Ah, vous êtes là tous les deux. Coucou.
Leur conversation tourna court. Quinn venait de gravir les marches du troisième étage et s'enfonçait dans la cage d'escaliers pour les rejoindre.
Eloïse espérait qu'elle n'avait pas entendu ce qu'elle venait de dire. Personne dans l'établissement ne savait que Lysandre était un magicien et mieux valait que cela reste ainsi.
- Tu nous cherchais ? l'interrogea Eloïse.
- Oui, confirma Quinn. Ça fait un moment qu'on n'a pas discuté.
- Je suis un peu occupée, là. Si tu veux, on mange ensemble ce midi.
- Ce sera pas long, t'inquiète.
Eloïse vit la main de Quinn discrètement attraper quelque chose dissimulé derrière sa veste. Le temps qu'elle comprenne ce qui se passait, un couteau fut projeté en direction de Lysandre. Eloïse le poussa au sol dans un réflexe qui lui sauva la vie.
Son ami eu à peine le temps de comprendre ce qui se passait. Quinn se jeta sur Eloïse, un second couteau en main, et tenta de la planter. La magicienne, qui n'osait pas se servir de ses pouvoirs complètement instables, invoqua tous les conseils de Maximilien en matière de corps à corps pour la repousser. Contre un humain normal, elle aurait très facilement eu le dessus, mais elle comprit rapidement que Quinn savait se battre.
Le couteau l'effleura au niveau de l'épaule quand Eloïse n'esquiva pas assez rapidement. La plaie, même peu profonde, laissa le sang imbiber son pull. Elle grimaça et ignora le picotement désagréable qui remonta le long de ses nerfs.
Quinn profita qu'elle fasse un pas en arrière pour lancer une seconde fois son arme vers Lysandre. L'adolescent, qui eut à peine l'occasion d'écarquiller les yeux, put cette fois remercier ses réflexes de survie. Le couteau termina sa course dans un champ de force levé à la hâte devant lui.
Magie rouge. Il paniquait.
Cette fois, c'était trop. Eloïse laissa sa magie s'écouler de son corps et la projeta sur Quinn. Tant pis si elle s'y prenait comme un manche et la blessait sérieusement. Elle avait tenté de tuer Lysandre deux fois en moins de trois minutes, alors c'était de la légitime défense.
Quinn évita le premier impact, mais pas le second. Elle fut violemment projetée contre le mur à sa droite et retint à grand peine un cri de douleur. Elle retomba au sol, à moitié inconsciente.
Quinn avait voulu être discrète, mais là, le bruit allait rameuter tout l'établissement.
Eloïse se précipita vers elle et la redressa par le col de son t-shirt. Elle avait du sang sur les lèvres.
Bon, elle avait définitivement fait n'importe quoi avec sa force et devait lui avoir cassé des os. Tant pis.
- Chasseuse de magiciens, n'est-ce pas ? demanda Eloïse.
- Devine ? répliqua Quinn entre deux respirations sifflantes.
- Pourquoi tenter de tuer Lysandre et pas moi ?
- Parce que c'est un mage rouge. Je vous ai entendu en parler juste avant. C'était plus urgent de se débarrasser de lui, mais t'inquiète, tu étais la suivante.
Sans doute parce qu'elle se savait cuite, Quinn vidait son sac. Ou alors c'était la douleur qui lui faisait perdre sa cohérence.
- Ça fait des semaines que je planifie ton meurtre, mais entre toutes tes absences, ta prétendue mort, ton retour et le fait que tu sois constamment entourée de gens, j'ai pas eu l'occasion.
Lysandre, sonné, se releva et se rapprocha d'Eloïse, tout en restant suffisamment éloigné de Quinn. Il avait gardé le contrôle sur ses pouvoirs, c'était déjà ça.
- Tu vas bien ? s'assura-t-il en voyant le sang sur son épaule.
- Oui, juste une éraflure. Et toi ?
- Ça va...
Quinn manqua de s'évanouir. Eloïse la secoua pour qu'elle reste consciente.
- Tu croyais vraiment qu'une tentative de meurtre dans un établissement scolaire était une idée formidable ? s'agaça-t-elle. Tu détestes tellement les magiciens que tu es prête à passer ta vie en prison pour en éliminer deux ? Il va falloir revoir tes priorités.
Des bruits de pas précipités envahirent la cage d'escalier. Michaël, suivi par un surveillant, déboula dans le couloir. Ils se figèrent et observèrent la scène qui se dessina sous leurs yeux.
Lysandre, positionné derrière Eloïse, qui retenait une Quinn blessée par le col. Un couteau dans le mur, un second sur le sol.
- Qu'est-ce qui se passe ? demanda le surveillant.
- J'ai senti de la magie rouge, ajouta Michaël, mais bon sang...
- C'est une chasseuse de magiciens, expliqua Eloïse en la laissant retomber. Elle a tenté de nous tuer.
Quinn heurta le sol dans un gémissement et n'eut pas la force de se relever. Eloïse, elle, porta une main à sa plaie. Le sang avait cessé de couler.
Michaël fut devant Quinn en trois pas. Il n'eut pas besoin de la toucher pour sentir que sa blessure était sérieuse.
- J'appelle une ambulance, annonça le surveillant en sortant son téléphone. Et la police.
- Pas la police, contesta Michaël. On parle d'affaires de magiciens, mieux vaut qu'ils n'y soient pas mêlés. Dites qu'elle est tombée en descendant du toit.
- Attendez, on parle quand même de...
Michaël ne le laissa pas terminer. Il posa une main sur son front, récita un sortilège, puis tira Lysandre et Eloïse dans les escaliers. Arrivé au deuxième étage, il traversa le couloir, ouvrit sa salle de cours habituelle, puis les poussa à l'intérieur.
Heureusement que pendant la pause, les élèves n'étaient pas supposés être dans le bâtiment.
- Qu'est-ce que tu viens de faire ? l'interrogea Eloïse.
- J'ai altéré la mémoire du surveillant pour qu'il pense que Quinn soit tombée en descendant du toit, expliqua Michaël. C'est le plus simple si on veut éviter les problèmes
- La trappe du plafond est fermée.
- Et il y a deux couteaux encore là-bas, ajouta Lysandre.
- Je vais m'en occuper juste après, promit Michaël. Je veux juste m'assurer que vous allez bien avant.
Lysandre hocha la tête, imité par Eloïse. Michaël insista néanmoins pour jeter un œil à sa plaie.
- Ça va, ce n'est pas profond. Je règle cette histoire, j'appelle Victorien et je m'occupe de te soigner. Vous allez être en retard à votre prochain cours, alors préparez une excuse.
Il s'éclipsa en vitesse sans leur laisser le temps de répondre. Eloïse et Lysandre se retrouvèrent seuls dans la salle de classe.
Leurs retrouvailles étaient bien plus chaotiques que prévues. Entre ça et Phrixos, Eloïse se demandait ce qui était le pire. Sans doute la tentative de meurtre, puisque Phrixos, au moins, n'avait pas tenté de s'en prendre à Lysandre.
- Tu es sûr que ça va ? insista-t-elle.
- Oui, affirma Lysandre. Ça va passer.
Il se passa les mains dans les cheveux, presque incrédule.
- C'est ma première tentative de meurtre, souffla-t-il dans une tentative d'humour.
- J'espère surtout que ce sera la dernière, répondit Eloïse.
Les chasseurs de magiciens avaient intérêt à se tenir à l'écart, à l'avenir.
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