Chapitre 12: Avril (9)
Eloïse, sans trop qu'elle ne sache comment, réussit à mettre Maximilien au tapis. Elle en fut si surprise qu'elle ne remarqua même pas quand il saisit sa jambe et la fit tomber à son tour. Ils se retrouvèrent tous les deux allongés au sol, des morceaux d'herbe et de terre collés à leurs vêtements.
- Maintenant je sais ce que tu ressens constamment, plaisanta Maximilien en se redressant.
Eloïse, qui n'avait plus la volonté de se relever, poussa un soupir et roula sur le dos.
- J'ai presque l'impression que tu as fait exprès de me laisser une ouverture, marmonna-t-elle.
- Tu me faisais de la peine, se justifia-t-il.
- Attends, donc tu t'es vraiment laissé faire ?
- Si je te dis oui, tu m'en veux ?
Pour toute réponse, Eloïse lui étala une poignée d'herbe dans les cheveux. Maximilien bondit sur ses jambes pour s'éloigner et se frotter vigoureusement le crâne.
- Tu sais, c'est pas ça qui va te faire gagner un combat, se moqua-t-il.
- Et si je te la fais manger jusqu'à ce que tu t'étouffes avec ?
- Pour ça, il faudrait encore que tu puisses m'immobiliser. Tu as fait des progrès, mais pas à ce point là.
Eloïse se décida enfin à se relever. Il n'avait pas tort, elle n'y arriverait pas, même si elle y mettait toute sa volonté.
Au dessus de leurs têtes, les nuages gris qui emplissaient le ciel, accompagnés par la lourdeur de l'atmosphère, leur firent supposer qu'un orage, ou au moins la pluie, était en approche.
- Il va falloir penser à rentrer, dit Maximilien. Un dernier échange juste avant ?
- J'ai clairement pas l'énergie.
- Dommage, tu dois déjà manquer à l'herbe. Je suis sûre qu'elle aurait aimé te retrouver.
Eloïse secoua la tête, dépitée. Elle frotta son legging pour le nettoyer un peu puis s'étira les bras et le dos. Ces derniers jours, elle ne manquait pas de courbatures. Enfin, après des années au AMI, elle avait l'habitude.
Maintenant qu'elle ne s'entraînait plus avec eux, cela lui faisait presque bizarre de pouvoir gérer son emploi du temps comme elle voulait.
- Il va falloir que je pense à retourner en cours à un moment donné, laissa-t-elle échapper. J'ai un paquet de matières à rattraper. Enfin, il faudrait déjà qu'Astras rétablisse l'accès aux Porte des Mondes.
- Tu es sûre que c'est une bonne idée ? répondit Maximilien. Les laboratoires sont toujours après toi.
- Ils ont plus de mal à attaquer sur Terre et je suis généralement accompagnée par Rory, pour plus de sécurité. De toute manière, c'est pas comme si j'y allais tous les jours.
- Ah, c'est vrai que tu aimes sécher.
Maximilien retira le dernier brin d'herbe coincé dans ses cheveux bruns, puis se tourna vers sa camarade.
- D'ailleurs, toi et Rory... ?
- De quoi je me mêle ? répliqua Eloïse.
- J'ai cru comprendre que vous vous entendiez bien, se défendit Maximilien d'un air innocent.
- Oui, bon, je ne vais pas prétendre le contraire.
Maximilien n'insista pas. Ils entendirent un grondement retentir au loin, ce qui les encouragea à retourner rapidement chez Victorien.
- C'est ton premier orage ici, je crois, dit-il.
- Oui. Ils ont quelque chose de spécial ? s'étonna Eloïse.
- Comme on est relativement proches du Désert Blanc, ils sont plus violents que sur le reste du continent. Mieux vaut ne pas être dehors quand il y en a un.
Eh bien, voilà qui était rassurant.
Ils accélérèrent l'allure quand le vent, d'abord calme, devint plus puissant et manqua presque de les déstabiliser. Maximilien enfila sa veste de Madrigan qu'il avait retirée et Eloïse resserra l'élastique qui maintenait difficilement ses cheveux en place. Ils en avaient pour dix bonnes minutes de marche avant d'arriver à destination, raison pour laquelle ils décidèrent d'un commun accord de courir un peu.
Du moins, ils durent se stopper brusquement à mi-chemin quand ils aperçurent des silhouettes au loin sur les plaines. Maximilien, dans un réflexe, tira Eloïse pour la plaquer au sol.
Sept personnes. Quatre vêtues de capes en velours rouge sombre et les trois dernières parées d'un veston noir et le visage couvert par un masque.
Des chasseurs de prime de Pyros et du Futuro. Les mêmes qui avaient fait alliance pour attaquer Astras et Caméone quelques jours plus tôt.
- Pourquoi ils sont aussi près ? s'inquiéta Eloïse. Astras ne s'en est pas débarrassé ?
- Ce sont des combattants d'élite, c'est un peu difficile à éliminer, répondit Maximilien. Je suppose qu'ils cherchent à s'attaquer aux gens qui vivent en périphérie, puisqu'il n'y a aucune protection ici.
C'était bien leur veine. Il allait soit falloir les contourner, ce qui serait un peu compliqué au milieu d'une plaine, soit les affronter, mais ils n'auraient aucune chance.
- Préviens Victorien, lui conseilla Maximilien.
- Je lui envoie un message, attends.
Eloïse sortit son téléphone portable et tapa frénétiquement sur l'écran. Maximilien tira sur son bras alors qu'elle termina à peine d'écrire le message.
- Ils nous ont vu.
Eloïse releva la tête. Effectivement, les sept figures avançaient dangereusement dans leur direction. Il allait falloir qu'ils réagissent, et qu'ils le fassent vite.
- Impossible de fuir, ils vont nous rattraper, déclara Maximilien. On va devoir les combattre.
- On ne peut pas essayer de gagner du temps ?
- Comment tu veux faire ça ?
- Ils sont toujours plus réticents à s'attaquer à des personnes jeunes. On peut discuter.
Maximilien n'était pas convaincu du tout, mais n'avait pas de meilleure idée à soumettre. Utiliser ses capacités de Phoenix de Lumière reviendrait à signaler sa position aux laboratoires, donc ils ne pouvaient pas se reposer là-dessus. Quant aux pouvoirs d'Eloïse... Mieux valait éviter de s'en servir.
Ils se relevèrent et guettèrent les environs. Pas de trace de Victorien pour le moment.
- Si ça ne fonctionne pas et qu'ils veulent nous faire la peau quand même, je vais devoir me battre aussi, fit remarquer Eloïse.
- Ta magie...
- On fera avec. Hors de question que je te laisse te débrouiller seul.
Maximilien se mit en position défensive, imité par Eloïse. Les chasseurs de prime n'étaient pas tous les plus expérimentés en magie, puisqu'ils se reposaient davantage sur leurs capacités en combat au corps à corps, aussi il était temps de mettre leur entraînement en pratique.
Dès qu'ils furent à leur niveau, les ennemis les encerclèrent. Pour le moment, ils ne montraient pas de signes d'agressivité.
- Deux gamins, dit un magicien de Pyros. Qu'est-ce que vous fichez aussi loin d'Astras sans aucune protection ? Vous n'êtes pas au courant des attaques ?
- Celles auxquelles vous avez participé ? répliqua Eloïse. Si, on est au courant.
- Ah, je me disais bien. Vous n'avez pas peur pour vos vies.
- C'est à dire qu'on aimerait bien rentrer chez nous.
Le chasseur de prime de Pyros, le seul qui prenait la parole jusque là, rompit le cercle pour s'avancer jusqu'à eux. Aussitôt, les autres se resserrèrent pour combler le trou formé par son absence.
- Vous êtes frères et sœurs ?
- Oui, répondit Eloïse avant que Maximilien ne puisse en placer une.
Bon, ils ne se ressemblaient pas du tout, mais cela aurait aussi pu être une question de génétique.
- Donc vous êtes tous les deux des Madrigans ?
- Dans la logique des choses, oui.
- Hm. Pas étonnant que vous viviez en périphérie, donc.
Le chasseur de magicien porta une main à sa ceinture, où se trouvait un couteau. Bon, les choses se compliquaient.
- Autant je suis sûr pour le jeune garçon ici présent qu'il est un Madrigan, vu son accoutrement, autant pour toi, j'ai des doutes, les menaça-t-il. Le minimum est de ne pas mentir à tes interlocuteurs quand tu es en position de faiblesse.
- Je suis une Madrigane, se défendit Eloïse.
- Dans ce cas il va me falloir des preuves. Nous consentons à vous laisser repartir tranquillement chez vous si tu peux m'en apporter.
Eloïse n'allait pas se faire prier. Sous le regard inquiet de Maximilien, elle leva une main devant elle et fit apparaître une flamme bleue au creux de sa paume. Magie Madrigane.
Le chasseur de prime éloigna les mains de son couteau et s'approcha pour vérifier que tout était en règle.
- Il semblerait que j'ai été médisant, concéda-t-il. Tu es bien...
Il ne put terminer sa phrase. Derrière lui, son ombre se décolla du sol et leva un bras aussi fin qu'une feuille de papier pour lui transpercer le crâne. Eloïse reçut une projection de sang en plein visage. Elle l'essuya de sa manche et se recula, dégoutée.
L'ombre retourna sagement contre le sol et le magicien s'écroula dans l'herbe.
Les autres chasseurs de prime eurent à peine le temps de réagir. Deux autres moururent de façon similaire et les quatre restants, qui avaient anticipé la chose, évitèrent les ombres qui se dressèrent dans leur sillage.
Maximilien entraîna Eloïse à l'écart avant qu'ils ne se retrouvent mêlés aux combats.
Enfin, alors que l'attention des chasseurs de prime se tourna vers eux, Victorien fit son apparition. D'abord une ombre, il reprit sa forme magicienne derrière une jeune femme de Pyros et, capuche remontée sur son visage, lui trancha la gorge avant de la jeter sur le côté.
Les chasseurs de prime restants firent de lui leur cible principale.
Victorien laissa glisser des filets de magie noire sur le sol, qui vinrent s'enrouler autour des pieds des ennemis pour les immobiliser. Tandis qu'ils se dégagèrent de gestes habiles, il se coupa le bout du doigt et récita une formule en lysirien. La lourdeur de la magie rouge s'éleva dans l'air.
Le sang qui s'écoula de son doigt, plutôt que de tomber, poussé par la gravité, la défia totalement pour s'enrouler en un ruban autour de son bras.
Victorien n'eut qu'à lui commander d'un geste de s'élancer vers les chasseurs de prime pour que son sang se transforme en projectiles aussi aiguisés que des lames de rasoir. Une pluie se déversa sur eux et en transperça deux de part en part. Le dernier, qui réussit Eloïse ne sut trop comment à tout éviter, se jeta sur Victorien, un couteau dans chaque main, dans l'espoir de lui en planter un quelque part dans le corps.
Ses souhaits ne furent pas exaucés.
Victorien évita toutes ses attaques avec fluidité. Dès qu'il eut l'occasion, il immobilisa un de ses bras, lui donna un coup de coude dans la mâchoire, et récupéra son propre couteau pour le lui planter dans la poitrine. Le chasseur de prime recula par réflexe. La lame fut arrachée de son corps et le sang s'échappa de la plaie en un flot si abondant qu'il ne put l'endiguer.
Il s'écroula au sol pour rejoindre ses six camarades morts.
Eloïse était sidérée. Elle n'avait jamais réellement vu Victorien se battre jusque là, ou tout du moins pas aussi sérieusement. Il était presque terrifiant, quand il s'y mettait.
Des magiciens capables d'éliminer sept chasseurs de prime en moins de deux minutes, à part lui, elle n'en connaissait aucun.
- Ah oui, quand même, laissa-t-elle échapper.
- Tu te doutes bien qu'il ne sort pas sa réputation de nulle part, lui répondit Maximilien.
Victorien retira sa capuche d'un geste sec. Des mèches de cheveux bruns furent projetées devant son visage, bien vite chassées par le vent qui balayait les plaines. Eloïse et Maximilien le rejoignirent au pas de course.
- Merci d'avoir été aussi rapide, lui dit le Madrigan. Je ne pensais pas qu'il y aurait des chasseurs de prime aussi loin de l'enceinte de la cité.
- Moi non plus, admit Victorien. Je crois que je vais devoir instaurer un peu plus de restrictions.
- Génial, marmonna Eloïse.
- C'est indépendant de ma volonté et dans l'unique but d'assurer ta sécurité. Tu t'y feras.
Ah, de toute manière, elle savait qu'elle n'avait pas son mot à dire. Eloïse se retourna pour observer les corps allongés sur la plaine.
- Un problème ? demanda Victorien.
- C'était...
Il haussa les sourcils. Eloïse cherche le mot juste.
- Expéditif, termina-t-elle.
- Je n'ai pas de temps à perdre avec des indésirables de ce genre, surtout quand il s'aventurent aussi près de chez moi.
Victorien se tourna pour regagner sa maison. Il ne demanda pas à Eloïse et Maximilien de le suivre, mais l'ordre fut implicite.
Au moins maintenant, Eloïse avait la confirmation que quand Victorien était dans les parages, elle ne risquait pas grand chose.
C'étaient plutôt les ennemis qui feraient mieux de s'inquiéter.
◊
Célèste avait toujours du mal à réaliser à quel point la secte de mages rouges débusquée par Lanehaërt avait été efficace. En un peu plus d'une journée, elle avait mis la main sur une vingtaine de chasseurs de prime ennemis dissimulés dans la population. Tout cela sur la base d'un travail d'investigation là où les attaques s'étaient produite, pour enchaîner par une chasse à l'homme.
Les habitants d'Astras, plus particulièrement les autorités, n'aimaient pas beaucoup voir les sectes remonter à la surface pour des raisons de sécurité. Il était arrivé plusieurs fois dans l'histoire qu'elles s'en prennent à la population, aussi des lois avaient été passées pour limiter un maximum leur présence en dehors des souterrains. Pour cette situation particulière, en revanche, une exception avait été faite.
C'étaient Célèste et Lanehaërt qui servaient d'intermédiaire avec les autorités, en particulier parce que la Madrigane, qui avait passé un pacte avec le magicien le plus influent de la secte, était le seul élément qui leur garantissait que la situation n'allait pas se retourner contre eux.
Oh, la secte était parfaitement capable de passer outre le sortilège, mais Lanehaërt les connaissait avant tout pour leur droiture et leur sens du devoir.
Ils respectaient tout accord passé. Astras n'avait pas à s'inquiéter.
- Le compte est pour l'instant de vingt-deux, mais j'ai cru comprendre que vos camarades avaient encore plusieurs pistes pour en débusquer, dit la chasseuse de prime à la tête de l'unité d'Astras.
Cette dernière, Lanehaërt et Célèste se trouvaient dans une salle de réunion du palais d'Astras, privatisée pour leur permettre d'opérer plus tranquillement. Les dirigeants leurs en avaient donné l'accès après que la méthode des sectes se soit révélée plus efficaces que toutes les autres employées jusque là.
Rory, Geoffrey et Canelle se trouvaient plus loin, à échanger avec deux autres chasseurs de prime de la cité et plusieurs membre de la secte. Ils se chargeaient essentiellement des problèmes de communication.
La secte était, comme Lanehaërt aimait la qualifier, très vieux jeu dans ses pratiques et dans sa manière de transmettre le savoir. Elle n'avait pratiquement aucun contact avec le monde extérieur et ne se pliait que très peu aux évolutions qu'il subissait. Autrement dit, les membres ne parlaient pas un mot de français, baragouinaient dans un lysirien à moitié incompréhensible, et ne pouvaient échanger correctement qu'en Madrigan. Rory était contraint d'assurer une grande partie de la traduction.
Tous n'étaient pas Madrigans, mais cette langue était considérée comme plus noble que le lysirien et donc choisie comme leur officielle, ce qui était un problème puisque les locuteurs ne courraient pas les rues. Présentement, ils n'étaient que deux.
- C'est ça, confirma Lanehaërt. Ils m'ont parlé de cinq ou six autres qui pourraient se dissimuler en dehors des murs.
- Si c'est en dehors, on s'en chargera, affirma la chasseuse de prime. Les dirigeants ne veulent pas que les sectes s'aventurent trop loin. Il nous faudra juste l'emplacement approximatif.
- Très bien, approuva Lanehaërt. Je pense qu'ils n'y verront pas d'objection.
La chasseuse de prime les remercia pour leur aide et quitta la pièce pour faire un compte rendu détaillé de la situation aux dirigeants. Célèste profita que personne n'ait présentement besoin d'elle ou de sa camarade pour échanger plus posément. Jusque là, elles en avaient difficilement eu l'occasion, surtout que Célèste avait eu besoin d'un peu de temps pour encaisser le décès brutal de ses camarades.
- Tu sais ce que tu comptes faire, après ça ?
- Pas exactement, non, avoua Lanehaërt. Je n'avais jusque là jamais envisagé que les Magiciens Seconds d'Astras puissent se dissoudre d'une telle façon, alors tu te doutes que je n'y ai jamais réfléchi.
- Tu devrais revenir à la Cité avec nous.
Lanehaërt acquiesça avec un temps de retard.
- C'est sans doute la meilleure chose à faire, oui, mais pas avant d'avoir retrouvé Lanehäden.
- Tu as la moindre idée d'où il peut être ?
- Encore dans la cité, j'espère.
Le frère jumeau de Lanehaërt avait tendance à se volatiliser sans donner de nouvelles. Puisqu'il était parti quelques jours plus tôt en découdre avec Pyros et le Futuro, Lanehaërt supposait qu'il était encore quelque part à Astras, mais c'était difficile à dire. Il était borné, quand il s'y mettait, surtout que l'idée de venger le sort de ses camarades des Magiciens Seconds occupait toutes ses pensées.
- Je viendrai avec lui dès que je l'aurais retrouvé, promit Lanehaërt. J'ai cru comprendre que tu avais beaucoup de choses à nous raconter au sujet du fameux groupe que tu as intégré.
- L'Ombre, oui. Pour être honnête, avec les choses que j'ai apprises en l'intégrant, je pense qu'ils ne refuseront pas la présence de deux Chevaliers pour renforcer leurs effectifs.
Un magicien avec une bonne maîtrise de sa magie rouge en valait facilement cinq qui usaient de magie blanche et trois de magie noire. Pour affronter les laboratoires du Phoenix, ce ne serait pas un luxe.
Surtout que Célèste n'avait aucune idée de ce qu'ils leurs réservaient pour la suite.
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