Chapitre 7: Novembre (9)
Quelques jours s'étaient écoulés après les derniers incidents en date. Rory et Eloïse en avaient profité pour délibérer sur la suite des événements, notamment à propos du magicien qu'il pensait avoir repéré dans son cours d'anglais. Ils avaient décidé, non sans avoir passé une bonne demi-heure à ne pas être d'accord, de mener des investigations à ce propos.
Rory profita du temps de marche vers l'établissement pour apprendre de nouveaux mots madrigans à Eloïse. Il passa la moitié du trajet à la corriger sur la prononciation, ce qui manqua de résulter en un concours d'insultes.
- Sérieusement, range ton ego deux minutes, lui dit Eloïse. Ce n'est pas en me répétant cinquante fois que mon "ch" n'est pas correct que je vais apprendre quoi que ce soit.
- Je n'arrête pas de te dire que si tu le prononces mal, ça donne un mot complètement différent. Comment tu veux apprendre si ton interlocuteur ne comprend pas ce que tu racontes ?
- Tu me demandes de faire des sons que je ne connais-même pas !
- Je t'avais prévenue à ce sujet ! Le but c'est quand même que tu communiques et que tu te fasses comprendre.
Eloïse leva les yeux au ciel et resserra sa veste contre elle. Le temps commençait à se refroidir, et après avoir eu un premier hiver au moins de juillet, elle n'avait pas hâte d'arriver au second. Cette fois au moins, s'il neigeait, la ville ne risquerait pas de mourir.
- Admettons, soupira-t-elle. Et si on reprenait une prochaine fois ?
- Je crois que c'est une bonne idée.
- On est au moins d'accord là-dessus.
Le collège d'Eloïse se dressa à l'horizon. Aussitôt, elle ressentit de l'appréhension. Non à cause du potentiel magicien dans l'établissement, mais à cause de Lysandre.
La dernière fois qu'ils s'étaient adressé la parole, Eloïse lui avait expressément demandé de garder ses distances, et connaissant Lysandre, il allait réclamer davantage d'explications que "tu es potentiellement en danger". Après tout, elle l'avait habitué à tout lui raconter de sa vie de magicienne.
Eloïse avait donc établi un stratagème efficace pour l'éviter : rester collée à Rory, qui avait tendance à intimider Lysandre et à le dissuader de s'approcher. Ce qui fonctionna une nouvelle fois quand elle le vit au premier étage du bâtiment. Les deux magiciens s'installèrent à une distance respectable de lui en attendant l'arrivée de leur professeur d'anglais, qui ne tarda pas. Eloïse remarqua les regards insistants que Lysandre lui renvoya et fit mine de ne pas s'en rendre compte.
- Tu comptes passer ta vie à l'éviter ? lui demanda Rory.
- Potentiellement. Mêle toi de ce qui te regarde.
Le professeur ouvrit la salle de classe. Les élèves s'y engouffrèrent et Eloïse s'empressa de gagner sa place, au fond à côté de la fenêtre. Lysandre, au premier rang, ne cacha pas sa contrariété.
Pour se changer les idées, Eloïse décida de s'intéresser au cours. Elle répondit même à plusieurs questions, ce qui décontenança le professeur, mais, étonnamment, le mit de bonne humeur. Il fallait dire qu'elle participait de son plein gré pour la première fois de l'année.
À côté d'elle, Rory – qui ne comprenait strictement rien à l'anglais – fixait Lysandre avec insistance. Certes, Eloïse avait bien compris que le Madrigan ne l'aimait pas beaucoup, mais elle aurait aimé qu'il cesse de le regarder de cette façon. Cela risquait d'attirer l'attention sur lui.
Enfin, c'était du Rory tout craché.
Un soudain mal de crâne s'empara d'Eloïse et l'obligea à détourner son attention du cours. Elle se frotta les tempes en grimaçant. En ce moment, c'était de plus en plus récurrent. Elle espérait que ce ne soit pas lié à quelque chose de grave.
- Ça va ? chuchota Rory.
- Pas tellement, admit-elle.
- Encore un mal de crâne ?
Elle acquiesça.
- Donne ta main.
Eloïse ne se fit pas prier. Le Madrigan l'attrapa dans la sienne et récita un sortilège qui atténua la douleur.
- Et là ? demanda-t-il.
- C'est mieux, merci.
- Pas de quoi. Si tu as mal à l'avenir, n'hésite pas.
Un raclement de gorge manqua de les faire sursauter. Le professeur, maintenant agacé, désigna leurs mains accrochées.
- On ne vous dérange pas, j'espère ?
Eloïse s'empressa de lâcher Rory, ce qui raviva la douleur. L'inconfort dut se lire sur son visage, puisque le professeur s'adoucit.
- Un problème, Eloïse ?
- Rien de grave, petit mal de crâne.
- Si tu veux aller à l'infirmerie...
- Ça ira, merci.
L'enseignant insista, mais la magicienne resta campée sur ses positions. Elle et Rory étaient ici pour chercher un magicien, s'ils partaient en avance, c'était une occasion de perdue. Alors tant pis, elle ferait avec la douleur.
L'attention de la classe retourna sur le cours. Si l'on omettait Lysandre, tourné vers eux. Lui et Rory se dévisageaient en silence.
Est-ce qu'ils allaient cesser leur cirque ?
Eloïse donna un discret coup de coude à Rory.
- Qu'est-ce que tu fiches ?
- Rien, se défendit-il.
Il adressa cependant un dernier regard à Lysandre avant que tous les deux ne s'ignorent de nouveau.
- C'est ridicule, murmura Eloïse.
Rory leva les yeux au ciel. Ils n'échangèrent plus un mot jusqu'à la fin de l'heure.
Quand la sonnerie retentit, Eloïse crut que sa tête allait exploser. Tandis que les élèves sortaient un à un, elle n'avait même pas fini de ranger ses affaires. Rory finit par s'en charger pour elle.
- Tu as toujours mal ?
- Plutôt, oui, répliqua Eloïse. Je vais faire avec, ne t'embête pas.
- Bon, comme tu veux.
Eloïse porta son sac à son épaule et ils sortirent de la salle. Dans son état actuel, elle se sentait incapable de suivre le cours d'après. Quand bien même, elle n'était à l'origine venue que pour l'anglais.
Ils joignirent la cage d'escalier. Alors qu'Eloïse s'apprêtait à descendre, Rory gravit les marches vers l'étage supérieur.
- Qu'est-ce que tu fais ?
- J'avais oublié que je devais parler à ton professeur d'histoire, admit le Madrigan.
- Comment ça ? Il t'as convoqué ?
- C'est un peu compliqué, mais on va dire que oui.
- Pourquoi ?
Rory soupira.
- Laisse tomber. Je t'expliquerai un jour.
Malgré les tentatives d'Eloïse pour en apprendre plus, il resta muet. La magicienne fut réduite à l'attendre devant une salle du deuxième étage le temps qu'il s'entretienne avec le professeur.
Dix longues minutes, où enfin son mal de crâne reflua, s'écoulèrent avant que Rory ne sorte de la salle en fermant soigneusement la porte. Rien dans son attitude n'avait changé, aussi Eloïse supposa que cet entretien était en rapport avec sa présence nouvelle en sa compagnie.
Il finirait bien par cracher le morceau.
- On peut y aller, déclara Rory. Je suppose que tu veux rentrer.
- J'aimerais bien, mais avec le temps que tu as pris, les grilles vont être fermées.
- Tu n'auras qu'à demander à quelqu'un de les ouvrir.
Comme si c'était aussi simple. Eloïse pouvait essayer, mais avec sa réputation, il était rare que l'on accède à ses demandes.
Elle fut contrainte de prétexter une mission importante pour qu'on daigne les laisser sortir.
Ils s'éloignèrent de l'établissement pour rejoindre le Centre.
- Au fait, dit Eloïse, tu as trouvé le fameux magicien du cours d'anglais ?
Rory laissa couler un silence.
- Non. J'ai dû me tromper, il n'y avait rien.
- Tu en es sûr ?
- Certain.
Eloïse fronça les sourcils. Elle voyait bien qu'il ne disait pas toute la vérité.
◊
- Miranda !
La mage noire venait à peine de rentrer au Centre et déjà Eloïse lui tombait dessus. Elle remonta les escaliers, où son amie l'attendait en agitant un morceau de papier dans sa main.
- Quoi ?
- J'ai reçu ceci pour toi, l'informa Eloïse.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Un mot doux de ton ex.
Miranda la foudroya du regard et saisit le papier. Dessus, le Seigneur des Ombres l'invitait à le rejoindre dans le quartier Sombre pour discuter. Elle regarda la date : c'était pour le lendemain.
- Tu l'as trouvé où ? s'enquit Miranda.
- Dans la poche de ma veste. Je ne sais pas depuis combien de temps il y est. D'ailleurs, je ne préfère pas savoir comment il est arrivé là.
- Ses ombres, répliqua Miranda. Je l'ai déjà vu faire.
Elle replia le papier et le rangea dans sa poche de pantalon. Ses plans pour le lendemain seraient à revoir.
- Comment tu l'as rencontré ? demanda Eloïse.
- Victorien ?
- Le Seigneur des Ombres, oui. De qui tu voudrais que je parle ?
- Je ne vois pas en quoi ça t'intéresse.
- C'est un parent éloigné.
Miranda esquissa un sourire moqueur et traîna Eloïse dans le couloir. Si c'était pour discuter de ça, elle préférait s'éloigner des oreilles indiscrètes qui traînaient au Centre.
- Parce que tu le considères vraiment comme tel, maintenant ? Je croyais que cette perspective te déplaisait.
- Puisqu'il a l'air déterminé à s'incruster dans mon existence, il va bien falloir que je m'y fasse.
Eloïse l'invita à entrer dans sa chambre et referma la porte.
- Rory n'est pas là ? demanda Miranda.
- J'ose supposer qu'il a une vie, en dehors de ma protection.
- Bien vu.
- Du coup ?
Bien, elle ne comptait pas lâcher le morceau. Miranda lui donnerait deux ou trois informations, afin qu'elle la laisse tranquille.
- On s'est rencontrés il y a environ soixante-dix ans. Une personne nous avait engagés pour abattre la même cible, mais sans nous mettre au courant.
- Comme c'est romantique, ironisa Eloïse. Laisse-moi deviner, ça a été le coup de foudre ?
- J'ai tenté trois fois de le tuer.
- Ah.
Eloïse n'était pas étonnée. Il fallait dire qu'il lui était arrivé la même chose lorsqu'elles s'étaient rencontrées. Alors entre deux mages noirs en concurrence, elle n'imaginait pas.
- On a fini par trouver une terrain d'entente, et ensuite les choses se sont faites progressivement. D'autres questions ? voulut savoir Miranda.
- Pourquoi vous vous êtes séparés ?
- J'aime quand tu n'es pas intrusive, Eloïse, ça fait toujours plaisir.
S'il y avait bien une chose que Miranda ne faisait jamais, c'était parler de son passé.
- Je veux juste mieux le cerner, se justifia Eloïse.
- Il y a des questions moins personnelles pour faire ça. Tout ce que j'accepte de te dire, c'est que je suis celle qui a mit fin à la relation. Une question de plus à ce sujet et je m'en vais.
L'adolescente leva les mains en signe de paix.
- Promis, j'arrête. C'est juste que...
Miranda arqua un sourcil.
- Oui ?
- Je suis sincère quand je dis que j'aimerais mieux le cerner. Il risque de s'imposer un bon moment encore et tu es la seule personne qui le connait bien.
- Puisque tu y tiens vraiment... Ce n'est pas un mauvaise personne, contrairement à ce que dit sa réputation. Même si je ne suis pas la mieux placée pour affirmer ce genre de choses, puisque j'ai le même problème.
- Certes, mais je fie à ton jugement.
- Laisse-moi en douter. Est-ce que je t'ai fait changer d'avis ?
Eloïse ne répondit pas assez vite pour que cela paraisse sincère. Miranda secoua la tête.
- Je sais que tu n'aimes pas le savoir ton parent éloigné, mais jusqu'ici, il s'est toujours comporté à peu près correctement avec toi.
- Oui, à peu près, grinça Eloïse.
- Crois-moi, il fait difficilement mieux que ça.
Miranda lui tapota l'épaule.
- Je te raconterai notre entrevue de demain. Mais, s'il te plaît, essaies de le détester un peu moins. S'il se décide à nous aider, c'est un allié de choix.
◊
Evangeline avait fini par trouver le courage de parler de la lettre d'Ilyann à ses camarades. Eux aussi connaissaient le Madrigan, et elle aurait dû les tenir au courant de son projet dès le début.
Adossée contre le mur du salon où elle habitait avec le Conseil des Cinq, elle observait ses camarades avec appréhension. Andromède, Jeremy et Etan étaient tous les trois assis sur le canapé. Tomas, lui, avait déplacé une chaise pour se rapprocher.
- J'ai envoyé un message à Ilyann, admit-elle de but en blanc.
- Attends, quoi ? s'offusqua Tomas. Eva !
- Tu aurais dû nous en parler, reconnut Etan. On lui a promis de ne le contacter qu'en cas d'urgence.
- Je sais, s'excusa Evangeline, mais j'avais vraiment besoin d'un réponse de sa part. Même si je n'ai pas obtenu ce que j'avais espéré.
- Qu'est-ce que tu lui as demandé ?
Evangeline tenta de se rappeler les mots précis qu'elle avait rédigé.
- Si Salem était toujours vivant, si on pouvait rencontrer Maximilien pour lui poser des questions concernant le projet Alpha, et pourquoi les laboratoires du Phoenix s'intéressaient autant à Eloïse.
- Tu as eu une réponse ? vérifia Andromède.
Evangeline leva le papier, où s'étalait l'écriture fine et difficilement lisible d'Ilyann.
- Mais... poursuivit la magicienne aux cheveux bleus. Il n'y a qu'une seule phrase.
- Un rencontre ? s'enquit Etan.
- Non, déplora Evangeline. Il n'a rien répondu concernant Salem ou Maximilien. Eloïse est le seul sujet qui l'a fait réagir.
Elle les laissa lire la réponse d'Ilyann pour qu'ils se fassent un avis par eux-même.
Ne les laissez surtout pas approcher Eloïse.
- C'est... commença Tomas.
- Rassurant, ironisa Jeremy.
Evangeline aurait plutôt dit de mauvaise augure. Mais, ils l'avaient tous bien compris, les laboratoires avaient encore beaucoup de secrets à leur livrer.
Actuellement, ils devenaient leur ennemi numéro un.
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