Chapitre 44: Février (10)

Etan avait été plus que surpris de se retrouver convoqué par la reine Charlyne en personne, lui qui ne travaillait plus pour le gouvernement. C'était à peine s'il lui avait adressé la parole une fois dans sa vie, alors qu'elle connaisse son nom et demande à lui parler ? C'était surréaliste.

Plus surréaliste encore qu'elle ait tenu à maintenir la rencontre alors qu'une attaque du Futuro avait été déclarée quelques minutes seulement après qu'il soit arrivé au palais.

Puisqu'il n'avait maintenant plus le droit de se déplacer librement à l'intérieur, c'était Andromède qui se chargeait de l'escorter. Les couloirs étaient agités et les effectifs des gardes royaux avaient été quadruplés. Impossible pour eux de changer de couloir sans être inspectés, surtout à mesure qu'ils se rapprochaient du bureau de la reine.

Les rares figures politiques qu'ils croisèrent transpiraient la nervosité. Quant aux morceaux d'échanges qu'ils entendaient, tous s'accordaient pour dire que la Cité n'avait proféré aucune provocation envers le Futuro et que la situation actuelle était incompréhensible.

- Comment me parler peut-il être plus important que de gérer une attaque ? chuchota Etan alors qu'ils n'avaient plus qu'un couloir à traverser.

Andromède, confuse, haussa les épaules.

- Tu n'as jamais été à son service, la reine n'a aucune raison de connaître ton existence...

- Ça m'inquiète.

Andromède tenta, en vain, de le rassurer.

Après avoir été contrôlés une dernière fois par des gardes, ils parvinrent jusqu'au bureau de la dirigeante. Deux chasseurs de prime de la Cité, enveloppés dans leurs capes émeraude, surveillaient la porte.

Etan expliqua la raison de leur présence, leur montra le message signé par la reine qu'il avait reçu, et les magiciens se chargèrent de l'appeler pour lui. Quelques instants plus tard, les cheveux dorés de Charlyne apparurent dans l'entrebâillement de la porte.

Elle avait l'air à bout.

- Bonjour Etan, lui dit-elle d'une voix pourtant assurée. Tu peux entrer. Ta camarade aussi.

Andromède, surprise, emboîta le pas de son petit ami à l'intérieur du bureau. Charlyne ferma aussitôt la porte et lança un sortilège d'insonorisation sur les murs.

Ça ne sentait pas bon.

- Je ne vous propose pas de vous asseoir, j'espère que ce ne sera pas long. Vous deux et vos trois camarades, je sais que vous êtes des espions.

Toute couleur quitta le visage d'Andromède et Etan, bouche-bée, ne sut faire autre chose que de bafouiller une défense. La reine soupira.

- Ne le niez pas, je l'ai vite compris quand le premier ministre t'a évincé à ta majorité, Etan. C'est la raison qui me pousse à vous faire confiance pour ce qui va suivre. Allons à l'essentiel, j'ai besoin de votre aide.

- Vous... Comment ça ?

Etan tombait des nues. La reine, après un regard furtif en direction de la fenêtre, planta son regard dans le sien.

- Je ne sais pas qui vous a envoyé espionner Armändo et je ne veux pas le savoir. Je ne viens pas pour vous parler de lui.

- Mais comment avez-vous su qu'on était des espions ? s'inquiéta Etan.

- Tu es le premier secrétaire anciennement pupille du gouvernement à qui il n'a pas proposé de garder son emploi. De plus, toi et tes camarades avez fui le gouvernement pendant des mois avant de finalement vous y rendre de votre plein gré. Ce n'est pas commun, surtout que vous avez toutes les raisons de haïr Armändo pour son implication dans la guerre qui vous a rendu orphelins.

À l'époque où il était encore diplomate et non ministre. En revanche, personne ne pouvait prouver qu'il avait alimenté les conflits malgré les rumeurs qui le stipulaient.

- Vous pensez qu'il est courant pour moi et mes amis ? demanda Etan.

- Oh, il le soupçonne sans doute, mais il sait très bien surveiller ses arrières, alors ça ne le dérange pas plus que ça. En revanche, à la première opportunité qu'il a eu, il t'a écarté. Il fera de même pour tes camarades.

Etan et Andromède, mal à l'aise, échangèrent un regard. À quoi jouait la reine ?

Charlyne croisa les bras, agitée.

- Comme je l'ai dit, Armändo n'est pas le sujet. Que vous soyez opposés à lui est la raison qui me pousse à vous accorder ma confiance, en espérant que vous accepterez la mienne.

- De quoi avez-vous besoin ? demanda Etan.

- Que tu prennes ceci pour moi.

Elle décrocha le pendentif en forme de clé argentée qui entourait son cou et le lui tendit. Etan, confus, referma ses doigts dessus. Andromède se pencha sur son épaule pour observer l'objet aux finitions parsemées de détails.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Je n'en ai pas la moindre idée, mais ma mère m'a demandé, avant de mourir, de la donner à un Gardien des Clés. Je n'en ai pas la possibilité, alors je compte sur Etan pour prendre le relais.

Le magicien n'en revenait pas que la reine lui demande une chose pareille.

- Pourquoi moi ? Enfin, en dehors du fait que je m'oppose au premier ministre.

- Je manque de temps et tu ne travailles plus ici. Ma mère était proche d'Armändo pour une raison qui m'échappe, et pourtant, elle ne lui a jamais parlé de cet objet. La situation actuelle est complexe et je veux absolument éviter qu'il mette la main dessus. Est-ce que tu saurais où trouver un Gardien des Clés ?

Etan acquiesça. Il faudrait qu'il consulte Synetelle lorsqu'il en aurait la possibilité.

- Bien, poursuivit la reine. Si c'est possible, j'aimerais savoir comment la situation évolue. Comprendre l'intérêt de cette clé.

- Vous ne savez vraiment rien dessus ? questionna Andromède.

- Absolument rien, confirma Charlyne.

- On fera de notre mieux, promit Etan.

Il rangea le pendentif dans sa poche. Au même moment, on toqua fermement à la porte. Les sourcils de la reine se froncèrent.

Visiblement, elle n'attendait personne.

- Je crois que notre entretien touche à sa fin, déclara-t-elle. Tant que l'attaque ne sera pas officiellement terminée, vous resterez au palais, Etan. Andromède, je vous prie de bien vouloir veiller sur lui.

La Lysirienne hocha la tête. Aussitôt, la reine les encouragea à quitter son bureau. Elle leur ouvrit la porte sans rien ajouter de plus.

Etan et Andromède s'éclipsèrent comme des voleurs, intimidés.

Ils ne manquèrent pas de remarquer que la personne ayant toqué à la porte n'était autre que le premier ministre. Il leur adressa un regard intrigué avant d'entrer dans le bureau de la reine, suivi par les deux chasseurs de prime qui surveillaient la porte.

Andromède et Etan ne purent s'empêcher de s'inquiéter. Il y avait beaucoup de choses entre la reine et le premier ministre, mais aucune n'était positive.

Charlyne était tout sauf sereine. D'abord l'attaque du Futuro, et maintenant l'arrivée impromptue du premier ministre alors qu'elle complotait contre lui.

S'il posait des questions sur Etan et Andromède, il faudrait qu'elle établisse vite un mensonge crédible.

- Votre majesté, la salua-t-il sans son habituel sourire moqueur. Je crois que nous devons parler de la situation actuelle.

Charlyne en fut presque soulagée.

- Effectivement. J'ai envoyé un message à mon confrère du Futuro, mais il ne daigne pas répondre.

- Je doute qu'il le fasse. Vous savez aussi bien que moi qu'il est têtu. Tout ce qu'on peut espérer, c'est qu'une fois ses chasseurs de prime éliminés, il accepte de dialoguer un peu.

- Il ne s'en tirera pas aussi facilement. C'est ma population qu'il met en danger pour des futilités.

- Si vous lui appliquez des sanctions, cela ne fera qu'empirer la situation.

- Alors vous préférez qu'on laisse couler ? s'indigna Charlyne.

Le premier ministre secoua la tête, ennuyé.

- Certainement pas, mais les choses doivent être bien faites. Ce n'est pas aussi futile que vous le croyez. Raison pour laquelle nous devons en discuter.

- Vous m'avez déjà tenu ce genre de discours. Je ne compte pas laisser le Futuro nous marcher dessus sans conséquence, un point c'est tout.

- Combien de temps allez-vous continuer à vivre dans le déni ? s'agaça le premier ministre. Vous foncez dans le mur. Je veux bien vous aider à changer de trajectoire, mais il va falloir y mettre du vôtre.

La tension monta. Charlyne, piquée au vif, le foudroya du regard.

- Commencez par me prendre au sérieux et je penserai à écouter vos conseils, Armändo.

- Je vous prend on ne peut plus au sérieux, votre majesté. C'est l'inverse qui n'est pas vraie.

Il émanait du premier ministre une aura dangereuse inhabituelle. Charlyne sentit sa nervosité s'accroître.

Il avait quelque chose derrière la tête.

- Vous vous êtes obstinée à ne pas comprendre ce qui allait nous tomber dessus, poursuivit le ministre. Vous vous êtes obstinée à ne pas m'écouter quand c'est tout ce que votre mère vous a demandé de faire.

- Ce sont mes choix, asséna Charlyne. Vous n'êtes personne pour me dicter ma conduite.

- Là n'est pas le problème. Le problème, c'est qu'à force d'ignorer les avertissements que vous donne depuis votre ascension au pouvoir, vous mettez en danger la Cité. Votre cité.

- Vos avertissements ne m'intéressent pas. Vous êtes en plein délire.

- Votre mère m'écoutait, elle.

- Elle a eu tort.

Charlyne ne comprendrait jamais comment la reine Anaïs avait pu boire ses paroles aussi aveuglément. Rien chez lui ne lui inspirait une once de confiance.

Le premier ministre fit un pas en sa direction, menaçant.

- Je ne peux pas vous laisser au pouvoir si vous comptez ignorer la présente situation, Charlyne. Je suis désolé, mais il y a des choix à faire, et ils ne sont pas en votre faveur.

- Je vous demande pardon ?

- Je vous ai donné de nombreuses chances. J'ai vraiment essayé de vous ouvrir les yeux, mais il faut croire que vous n'en avez pas envie. Soit. Mais il vous faudra en assumer les conséquences.

La reine, qui jusque là s'était retenue de le faire, recula contre son bureau. Les chasseurs de prime s'écartèrent du ministre pour se rapprocher d'elle.

- Vous n'oseriez pas, dit-elle d'une voix blanche.

- Vous savez bien que si, contra Armändo. Il y a des enjeux contre lesquels votre vie ne pèse rien.

Charlyne avait toujours été aussi mauvaise magicienne que combattante, ce qui ne l'empêcha pas d'essayer de fuir vers la porte. En quelques secondes, les chasseurs de prime l'immobilisèrent et la plaquèrent vivement contre son bureau, ce qui lui arracha un cri de douleur.

Quelqu'un l'avait-il entendue ?

Non, impossible. Elle avait oublié de retirer le sortilège d'insonorisation après le départ d'Etan et Andromède. Elle aurait beau hurler à s'en arracher les cordes vocales, personne n'en saurait rien.

Charlyne retint un rire nerveux. Le premier ministre avait soigneusement planifié de l'assassiner au même moment que le Futuro. De cette façon, il serait très facile pour lui de se dédouaner de son acte.

Elle n'avait aucune chance.

La chasseuse à sa droite, qui lui tordait les bras dans le dos, sortit une aiguille de sa poche. Charlyne sentit la pointe acérée lui rentrer dans le cou, aussi vite retirée.

Le premier ministre assista à la scène dans bouger.

- Ce que je fais, je le fais pour le bien de la Cité, conclut-il.

Il se détourna sans rien ajouter de plus. Les chasseurs de prime lâchèrent Charlyne, qui retomba lourdement au sol. Elle tenta de se relever sans y parvenir. Son corps, envahi par une chaleur désagréable, ne lui répondait plus.

Elle observa, impuissante, les trois paires de pieds disparaître du bureau et la porte se refermer derrière eux.

La reine, dans une tentative désespérée, chercha à défaire le sortilège d'insonorisation pour appeler à l'aide, mais elle ne parvenait ni à lever les bras, ni à parler. Elle avait du mal à respirer. Le monde autour d'elle tanguait. Le poison qui parcourait ses veines lui faisait peu à peu perdre pied avec la réalité.

Son agonie lui parut durer une éternité.

Charlyne, dont le corps tremblait de la tête aux pieds, eut l'impression de brûler de l'intérieur. De se liquéfier et de se transformer en poussière.

Puis plus rien.

Son souffle saccadé se transforma en toux. Son cœur, qui battait à tout rompre, lui fit oublier la sueur qui coulait de son front jusque dans ses yeux.

Une ombre sur le sol. Il y avait quelqu'un au dessus d'elle.

- On dirait que je suis arrivé à temps.

On la retourna sur le dos. Ses cheveux furent doucement ramenés en arrière et sa tête posée sur le coussin qui ornait normalement sa chaise de bureau.

Charlyne, qui sentait ses sensations revenir, leva les yeux vers celui qui lui avait visiblement injecté un anti-poison. Il s'agissait d'un homme aux iris rouge vif et au sourire rassurant sur les lèvres. Elle ignora le sentiment d'inconfort qu'il lui inspira, tant par la façon dont il la dévisageait que par l'aura qui émanait de lui.

- Ce n'est pas passé loin, poursuivit le magicien.

- Qui êtes-vous ?

- Je m'appelle Julien.

- Julien comment ?

- Keller. C'est vraiment important ? On ne s'est jamais vus.

Il lui épongea délicatement le front. Charlyne tenta de se redresser, mais ses muscles la firent souffrir dès qu'elle voulut les bouger. Julien la maintint allongée.

- Deux minutes. Ne vous en faites pas, il est hors de question que vous restiez au palais après ce qu'il vient de se passer.

- Qu'est-ce que vous voulez ?

- Pour le moment, vous garder en vie. Comme j'ai dit, ce n'est pas passé loin.

- Je dois dénoncer le premier ministre. Il a tenté de m'assassiner.

- Ah. Ça ne va pas être possible.

Cette fois, Charlyne en avait assez entendu. Elle ne comptait pas laisser Armändo s'en tirer aussi facilement. Il était fini. Ce n'était pas cet inconnu qui allait l'empêcher de faire quoi que ce soit.

Pourtant, avant qu'elle ne puisse bouger, Julien appuya sur ses épaules avec une force impressionnante. Forcément son essence magique, cela ne pouvait pas être naturel.

- Je crois que vous n'avez pas compris, votre majesté, dit-il. Le premier ministre ne compte pas vous laisser en vie et ne renoncera pas après cette première tentative, peu importe où vous vous trouvez. Actuellement, votre seule issue, c'est de me suivre. Or je ne vous laisse pas le choix.

- Vous suivre où ? l'interrogea Charlyne, inquiète.

Son sourire s'agrandit.

- Aux laboratoires du Phoenix.

Kaladria tirait Eloïse à travers les couloirs comme si elle ne pesait rien du tout. La magicienne, de nouveau équipée d'un bracelet coupe-magie, ne pouvait faire autre chose que d'avancer à sa suite. Une chose était certaine, vu la poigne avec laquelle Kaladria lui serrait les bras, elle aurait des bleus un peu partout.

- Pour la dernière fois, où est-ce qu'on va ? grommela-t-elle.

- Tu ne peux pas nous mettre des bâtons dans les roues et espérer qu'on coopère avec toi, répliqua Kaladria.

Les laboratoires le prenaient comme ça ? Très bien alors Eloïse continuerait de leur créer des problèmes. Elle se projeta d'un coup sur le côté pour échapper à la poigne de Kaladria. Seulement, la supérieure lui fit un croche-pied avant qu'elle ne puisse s'éloigner. Eloïse heurta lourdement le sol.

Kaladria l'attrapa par le col de son pull et la releva sans ménagement. Elle n'était pas amusée du tout.

- Ce n'est certainement pas comme ça que tu vas obtenir les réponses que tu veux, Eloïse.

- Vous me traitez comme une serpillère et vous pensez que je vais vous suivre bien gentiment ?

- Je ne sais pas. Tu penses avoir une autre option ?

Non. Eloïse, résignée, la suivit sans faire plus de vagues.

Le Seigneur des Ombres avait plutôt intérêt à se dépêcher.

Kaladria ouvrit la porte qui se trouvait au bout du long couloir et entraîna Eloïse de l'autre côté : un escalier. Elles descendirent les marches une à une dans le silence.

Un étage. Deux étages. Eloïse regarda les numéros affichés sur mur décroître peu à peu. Est-ce qu'on l'emmenait à l'extérieur ?

Elle n'eut pas l'occasion d'obtenir une réponse à sa question.

Maximilien et un autre magicien se trouvaient au palier inférieur à discuter. Quand elle et Kaladria les croisèrent, la supérieure leur accorda à peine un regard, contrairement à Eloïse, qui perçut leur tension. Le deuxième magicien retira discrètement l'un des gants qui couvraient ses mains.

Tout se passa très rapidement.

Maximilien saisit le bras libre d'Eloïse et la tira vers lui pendant que son camarade posait sa main découverte sur la joue de Kaladria. La seconde suivante, la femme s'écroulait dans un cri, les veines de son visages noircies.

- On fonce, trancha Maximilien.

Eloïse n'eut même pas le temps d'ouvrir la bouche pour poser ses questions. Le Madrigan la fit dévaler les marches en quatrième vitesse sans un seul regard en arrière. Ils étaient au deuxième étage quand une voix retentit au rez-de-chaussée et que la porte des escaliers s'y ouvrit.

- ... t'assure que j'ai entendu Kaladria crier. Il doit y avoir un problème.

Ni une ni deux, Maximilien et son camarade regagnèrent le couloir le plus proche, Eloïse sur les talons. Ils s'enfermèrent dans la première salle qu'ils trouvèrent avant que quiconque ne puisse les voir. Il s'agissait d'un local sanitaire, où s'étalaient différents balais et autres produits d'entretien.

Le silence retomba. Pour autant, la tension qui animait les deux magiciens ne se dissipa pas.

- C'est le plan pour me faire sortir d'ici ? demanda Eloïse.

- Oui, confirma Maximilien. Comme tu peux le voir, c'est un peu le fouillis, mais on est dans la précipitation.

- Qu'est-ce que vous avez fait à Kaladria ?

- Poison, enchaîna son camarade. C'est mon essence magique. Je m'appelle Théodore. Tu veux bien me donner ton bras, que je te retire ton bracelet ?

Eloïse s'exécuta, ravie de pouvoir s'en débarrasser. Théodore, les deux mains de nouveau gantées, sortit une pince coupante de sa poche et le sectionna non sans difficultés – ils étaient faits pour résister.

La chaîne de métal tomba au sol et Eloïse se frotta le poignet. D'ici cinq minutes, ses pouvoirs seraient revenus.

- Et maintenant ? les interrogea-t-elle. Qu'est-ce qu'on fait ?

- On prend l'escalier de secours, il mène directement dehors, expliqua Maximilien. À partir de là, Victorien devrait nous rejoindre.

- Ça m'a l'air risqué. Et si on casse une vitre et qu'on saute ?

- Depuis que tes trois amis se sont infiltrés ici, il y a des sortilèges dessus pour que ça ne se reproduise pas. Crois-moi, c'est la meilleure option.

Ah, la fois où Geoffrey, Synabella et Evangeline avaient tenté de récupérer les Pierres Élémentaires qui se trouvaient ici. Une mission qui s'était mal terminée.

Très bien, ce serait l'escalier de secours.

Maximilien colla son oreille contre la porte. Quand il fut certain qu'il n'y avait personne dans le couloir, il fit signe à Eloïse et Théodore de se préparer. Il ouvrit la porte et les trois magiciens piquèrent un sprint à travers le couloir.

Il fallut moins de trois secondes pour qu'ils se fassent courser. Des sphères jaunes éclatèrent à quelques centimètres de leurs pieds. Pendant que Maximilien s'affairait à les défendre comme il pouvait, Eloïse jeta un regard derrière elle. Son sang se figea.

Longs cheveux noirs, masque qui lui couvrait le visage et magie anormalement puissante. C'était la Madrigane que les laboratoires avaient envoyé lors de leur attaque sur la maison abandonnée.

- Oh non, pas elle, pesta Théodore.

- C'est qui ? lui demanda Eloïse.

- Le projet Iota et le Phoenix d'Ombre.

Projet Iota ? Cela devait ressembler au projet Alpha, quoi qu'il puisse être. Eloïse n'en fut que plus inquiète.

Heureusement, c'était plus difficile pour la Madrigane de les viser sur un couloir étroit alors qu'ils étaient en mouvement. Grâce à la défense de Maximilien, ils parvinrent jusqu'au fameux escalier de secours. Théodore fonça dans la porte pour l'enfoncer, mais elle resta parfaitement en place. Il manqua de chuter sous la force de l'impact et Eloïse l'attrapa par les épaules pour qu'il garde son équilibre.

- Quoi ? s'horrifia-t-il.

- C'est pas normal ?

- Elle devrait être ouverte...

Les laboratoires avaient dû anticiper les potentiels moyens d'Eloïse de fuir. Mais ils n'avaient pas pensé à tout.

Elle décrocha la Clé de l'Esprit toujours autour de son cou et l'enfonça dans la serrure. La porte s'ouvrit sans effort sous le regard soulagé de Théodore.

Derrière eux, Maximilien était en difficultés face à la Madrigane. Différentes voix se rapprochèrent de leur position et bientôt, le couloir fut envahi par six employés des laboratoires, dont Kaladria – de nouveau sur pied –, Anthéon et Phrixos.

C'était mauvais.

Théodore poussa pratiquement Eloïse dans l'escalier et saisit Maximilien par le col de sa veste pour le propulser avec elle. Avant qu'il ne puisse sortir à son tour, il reçut une sphère de magie en plein torse et chuta violemment contre le carrelage. Son pied eut le temps de claquer la porte derrière ses camarades.

- Théod... commença Eloïse.

- Trop tard, la pressa Maximilien. Vite !

Eloïse verrouilla la serrure de la Clé de l'Esprit en emboîta le pas à Maximilien. Cela allait retarder les laboratoires, mais pas indéfiniment.

Le vent fouetta ses cheveux alors qu'elle dévalait les marches. Quand ses pieds gagnèrent la terre ferme, Eloïse analysa leur possibilités.

Une clôture entourait les laboratoires et ils n'auraient ni le temps de l'ouvrir, ni de l'escalader. Seulement, les Madrigans ne volaient pas et Eloïse sentait ses pouvoirs encore distants.

Cela n'empêcha pas Maximilien de s'élancer dessus.

- Accroche-toi à moi, lui conseilla-t-il.

Eloïse fronça les sourcils et enroula ses bras autour de son cou. Il comptait bondir au dessus de la clôture ?

Le corps du Madrigan se couvrit de lumière, si bien que la magicienne dut plisser les yeux pour ne pas être aveuglée. Il passa les mains dans son dos, prit une impulsion, puis s'élança dans les airs.

Il volait ? Mais comment...

La réponse s'imposa aussitôt à Eloïse. Il était un Phoenix. Le Phoenix de Lumière.

Maximilien vola à toute allure jusqu'à la forêt qui bordait l'enceinte des laboratoires, puis ralentit et regagna le sol. La lumière qui émanait de lui s'estompa et Eloïse retrouva une vision normale. Ils s'engouffrèrent entre les arbres.

- Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ? demanda-t-elle.

- Victorien doit nous retrouver pas loin d'ici.

- Il a intérêt à se dépêcher.

- Ne t'inquiète pas, il...

Un impact de magie projeta Maximilien dans l'herbe. Eloïse s'empressa de lui venir en aide.

La Madrigane, entourée d'un halo sombre d'où perçaient des ailes de fumée noire et dense, avança d'un pas vif en leur direction. Pour le moment, elle était seule, mais ça risquait de ne pas durer. Ils étaient encore trop près des laboratoires.

- Ça va aller, lui assura Maximilien en se relevant. On doit juste la retenir le temps que Victorien arrive.

- D'autres magiciens risquent de débarquer, fit remarquer Eloïse. Puis c'est pas la magicienne la plus simple à arrêter.

- On va s'en sortir.

Le ton qu'il employa ne rassura pas Eloïse, puisque lui-même n'avait pas l'air convaincu. Heureusement qu'elle sentait ses pouvoirs opérationnels, parce qu'il aurait été difficile de s'en passer.

Le halo sombre s'estompa autour de la Madrigane. À la place, ses poings se couvrirent de magie. Eloïse et Maximilien l'imitèrent.

Ils n'eurent pas l'occasion de réfléchir à la moindre stratégie. La Madrigane fondit sur eux et fit pleuvoir des pics de magie au dessus de leurs têtes. Maximilien leva un champ de force et Eloïse se dissimula derrière un tronc d'arbre.

Elle l'avait déjà vaincue une fois, mais uniquement parce que ses pouvoirs avaient augmenté sans qu'elle ne comprenne comment. Il suffisait qu'elle parvienne à le refaire pour prendre l'avantage.

La Madrigane la força à quitter sa cachette. Eloïse se baissa pour éviter son attaque et répliqua d'un éclair qui fit crépiter l'air. Pas suffisamment puissant. Comme s'y était-elle pris la dernière fois ?

Maximilien débarqua derrière leur ennemie, une lance de magie entre les mains. Il l'abattit sur elle, mais la Madrigane l'attrapa à pleine mains et la lance explosa dans une gerbe d'étincelles vertes. L'instant suivant, Maximilien heurtait un tronc, touché en plein ventre.

Bon, plus le temps de réfléchir. Eloïse puisa dans ses pouvoirs jusqu'à atteindre son maximum et tenta de frapper la Madrigane au visage. Tant pis si elle ne réussissait pas, ce n'était pas le but premier. Elle chercha tant bien que mal à repousser sa limite, mais contrairement à la fois précédente, impossible d'y parvenir.

Il ne manquait plus que ça.

Maximilien, le souffle court, revint à la charge. Contre deux adversaires, la Madrigane eut plus de mal, mais ne se laissa pas faire pour autant. Une onde de magie s'échappa de son corps et envoya les deux magiciens embrasser l'herbe. Eloïse se releva d'un bond, nerveuse.

S'ils perdaient plus de temps, le reste des laboratoires allaient les rattraper.

Elle s'obligea à rester calme. Sa magie faisait de la résistance ? C'était ce qu'elle allait voir. La magicienne prit une grande inspiration, enfonça ses ongles dans ses paumes de main et se concentra sur les pouvoirs qui la parcouraient de part en part.

À partir de là, Eloïse puisa, encore et encore et encore.

Il y eut un déclic. Le barrage qui retenait ses pouvoirs céda totalement et ses paumes s'embrasèrent.

Son attaque suivante envoya la Madrigane rouler à terre.

- Eloïse ? s'étonna Maximilien.

- Maintient la au sol !

Le magicien, d'abord sidéré, s'exécuta. Un sortilège madrigan passa la barrière de ses lèvres et des fils de magie vinrent s'enrouler autour de leur adversaire pour l'immobiliser.

Eloïse forma un cercle de concentration sous ses pieds. Sa magie s'échappa de son corps dans trois filets denses qui se figèrent au dessus de la Madrigane.

Le sortilège de Maximilien céda. L'ennemie se releva. Eloïse fit feu.

Les filets de magie se transformèrent en torrent qui se déversèrent sur la Madrigane. Elle lâcha un cri rauque, plaquée au sol par la force de l'impact, et tenta de repousser le sortilège d'Eloïse sans y parvenir.

Cela ne dura qu'une poignée de secondes. La magie se dissipa et Eloïse se recula pour reprendre son souffle, les mains sur la poitrine. À terre, la Madrigane ne bougeait plus.

Du moins au début. Son bras remua, puis ce fut tout son corps qui s'arqua pour se redresser sur ses jambes dans des gestes saccadés. En dessous du masque, Eloïse la supposait furieuse.

Il y eut une explosion de fumée grise derrière elle. Miranda, une barre de fer entre les mains, lui abattit sur le crâne.

Eloïse, incrédule, regarda le corps de son ennemie s'écrouler dans un bruit sec.

- Salut Eloïse, lui dit Miranda. Désolée du retard.

À côté d'elle, l'ombre du Seigneur des Ombres se décolla du sol pour qu'il puisse reprendre son apparence de magicien.

Une vague de soulagement envahit Eloïse.

- J'ai jamais été aussi contente de vous voir, avoua-t-elle.

Elle s'essuya le nez sur la manche. Comme la dernière fois qu'elle avait usé d'autant de magie, il saignait. Le Seigneur des Ombres se rapprocha d'elle.

- Tout va bien ?

- À merveille. Je propose qu'on parte d'ici dans les plus brefs délais.

- C'est prévu.

- Victorien, quelle surprise ! s'exclama une voix lointaine.

Eloïse grimaça. Kaladria, accompagnée par Cassandre et Vénérios, s'approchait dangereusement d'eux.

- Kaladria, répondit le Seigneur des Ombres. Ça n'a rien d'une surprise.

- Non, c'est vrai, tu es toujours là pour nous déranger.

Le Seigneur des Ombres saisit le bras d'Eloïse. Miranda et Maximilien se rapprochèrent d'eux de façon à l'encadrer, par précaution.

- Je suppose que tu comptes poursuivre sur ta lancée, reprit Kaladria.

- Je ne vois pas pourquoi tu perds ton temps à poser les questions quand tu as déjà la réponse, répliqua le Seigneur des Ombres.

- Non, tu as raison. Vénérios, Cassandre, c'est votre tour.

Les deux magiciens se transformèrent en Phoenix, l'un dans des trombes d'eau, l'autre dans une nuée de flammes.

Maximilien et Miranda saisirent le bras libre d'Eloïse. Quant au Seigneur des Ombres, il activa le téléporteur accroché à sa cheville avant qu'une once de magie ne puisse les atteindre.

La seconde suivante, le forêt qui bordait les laboratoires avait disparue, remplacée par l'appartement lumineux de Jefferson et Kathleen.

- Oh.

Dix-neuf paires d'yeux étaient braquées sur eux. Eloïse s'en sentit presque gênée.

Elle observa les visages qui l'entouraient. Les Magiciens Seconds, le Conseil des Cinq, ses amies de l'académie Adénora Calléor, ainsi que Synetelle, Framboise, Alicia, Philéas et Synabella. L'Ombre au complet, à l'exception de Cara.

- Vous avez cinq minutes pour vous préparer, annonça sobrement le Seigneur des Ombres.

Personne ne posa de question, aussi Eloïse supposa qu'ils avaient été briefés auparavant. Ce qui la laissait seule à ne pas comprendre ce qui se passait.

- Se préparer pour quoi ? demanda-t-elle.

- On te ramène sur Terre, l'informa Miranda.

- Attendez, vous êtes sûrs que c'est une bonne idée ?

- Les laboratoires ne comptent pas te laisser filer en si bon chemin, expliqua le Seigneur des Ombres. Au moins sur Terre, ils auront plus de mal à attaquer.

- Et ça ne risque pas de poser problème ?

- Ça posera problème partout. C'est la meilleure option, sachant qu'aucune n'est bonne.

- C'est rassurant.

Le Seigneur des Ombres lui renvoya un regard qui paraissait presque désolé.

- Je te conseille fortement de t'y habituer, Eloïse, parce que c'est loin d'être terminé.

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