Chapitre 3: Novembre (6)

Le parquet de la maison abandonnée grinça lorsque les magiciens s'assirent dessus.

Le Conseil des Cinq, Synabella et les Magiciens Seconds – exemptés de Rory – s'étaient retrouvés en ce jour pour discuter de leur plan pour récupérer les pierres Iota et Gamma, toutes deux entreposées dans les locaux des laboratoires du Phoenix.

Une première partie avait été au préalablement établie par Synabella – elle estimait que son idée était le point de départ nécessaire à la réalisation du plan –, qu'elle exposa brièvement aux autres.

- Nous avons pu comprendre par le passé que j'intéressais les laboratoires du Phoenix parce que je suis une élue, dit-elle. Jefferson également, mais en s'étant déjà entretenu avec Cassandre, il a grillé ses chances de marchander avec eux.

- Parce que toi tu penses encore en avoir ? demanda Evangeline, perplexe. Ils t'ont bien vue prendre la place d'Eloïse, durant l'incident de la forêt.

- Oui. D'ailleurs, s'ils avaient pu, ils ne m'auraient pas laissé m'échapper. Dommage pour eux, je suis trop futée.

- Evidemment, Madame est un génie.

- Tout à fait, Evangeline. Pour cette raison, je peux concevoir qu'ils cherchent à me kidnapper. Je connais tout les petits secrets de l'Ombre et bien plus encore...

- Attends, l'interrompit Tomas, ils avaient tenté de te kidnapper, ce jour-là ?

- Oui. J'ai omis de vous en parler car ça n'avait pas grand intérêt jusqu'à maintenant.

- Tu aurais dû. Synabella, ce n'est pas quelque chose qu'il faut prendre à la légère.

- En tant qu'informatrice de la Résistance, tu serais étonné de savoir combien de personnes veulent ma mort. Ça ne change pas grand chose à mon quotidien.

Synabella balaya l'air de sa main pour clore le sujet, même si ça ne plut pas à la plupart. Tomas avait un air renfrogné gravé sur ses traits qui n'était pas présent quelques instants plus tôt.

- Je disais donc, reprit Synabella, qu'ils me cherchent possiblement. Quelle chance, en sachant que nous avons besoin de s'introduire chez eux.

Un court silence suivit sa déclaration.

- Tu veux te laisser faire kidnapper, déclara Geoffrey d'un ton posé.

- Gagné.

- C'est une très mauvaise idée, l'avertit Jefferson. Je ne peux pas te laisser faire ça.

- Ah, tu préfères aller toquer à leur porte et leur demander gentiment de te donner les Pierres Élémentaires ? Je suis presque certaine que leur réponse sera non, accompagnée d'un coup de pied dans le fessier.

- C'est stupide mais ça peut marcher, approuva Evangeline.

Les magiciens la dévisagèrent, surpris quant à sa prise de position.

- Evangeline, lui dit Andromède, tu n'es tout de même pas sérieuse ?

- Quoi ? Synabella n'a pas tort. On ne peut pas toquer chez eux et il va falloir s'y introduire d'une façon ou d'une autre.

Etan et Tomas ajoutèrent à l'argumentation d'Andromède, mais eux-même se rendaient compte qu'Evangeline faisait sens. S'ils voulaient trouver ces pierres, il allait falloir prendre des risques. Les laboratoires du Phoenix n'allaient certainement pas les accueillir à bras ouverts.

Kathleen, Canelle et Evan, qui discutaient à voix basse de leur côté, se décidèrent à prendre la parole. Kathleen sortit son téléphone de sa poche et projeta une carte des laboratoires sur le sol afin que tout le monde puisse la voir.

- Evan, Canelle et moi avons fait des recherches sur les laboratoires. Nous avons pu établir un plan approximatif de leur structure en s'aidant de la base de données du AMI.

Synabella observa la carte, les yeux plissés.

- Intéressant. J'ai tenté d'en établir une similaire, mais le temps m'a manqué. Il vous manque néanmoins des informations cruciales.

Kathleen arqua un sourcil.

- Nous cherchons les pierres, expliqua Synabella, mais les laboratoires sont grands. C'est pour cela que j'ai hacké les dossiers de la Cité pour trouver une carte du continent sur la répartition des énergies.

- En quoi ça va nous aider ? demanda Geoffrey.

- Laboratoire veut dire expérimentation. Je doute qu'ils possèdent deux Pierres Élémentaires pour décorer leurs étagères. Autrement dit, ils doivent chercher à s'en servir, et si c'est le cas, elles doivent dégager de l'énergie.

Synabella demanda à Kathleen de laisser sa carte bien en vue. Elle sortit son propre téléphone, fouilla dans ses dossiers et projeta la carte des énergies qu'elle avait piraté. Elle fit un zoom là où se trouvaient les laboratoires. Un point large trouvait son épicentre dans une zone spécifique de la structure.

- J'estime que les pierres se trouvent ici.

- Ils auraient très bien pu les avoir déplacées depuis que les mesures ont été prises, fit remarquer Geoffrey.

- Et tu as une meilleure idée ?

- Absolument pas.

Synabella leva les yeux au ciel. Canelle se pencha en avant pour analyser les deux images superposées.

- La Cité ne trouve pas ces énergies suspectes ? s'étonna-t-elle.

- Suspect qu'il y ait de la magie dans un monde plein de magie ? Si on avait été sur Terre, je ne dis pas, mais là ça ne veut rien dire.

- C'est sur le terrain des laboratoires.

- Oui, mais comme je l'ai dit, les laboratoires ont pour but d'expérimenter, et théoriquement, les Pierres Élémentaires appartient à ceux qui les trouvent, même si elles ont le titre de reliques. Un gouvernement peut les réclamer sans pour autant obtenir gain de cause. Et expérimenter dessus est légal.

- C'est ridicule, répliqua Canelle. Je ne pense pas qu'ils trafiquent quoi que ce soit de positif avec.

- Tu crois que c'est le problème de la Cité ? Les laboratoires se trouvent pratiquement à l'autre bout du continent. C'est plus du ressort de Caméone ou Astras. Ou à la limite du Futuro.

Canelle garda ses yeux cuivrés rivés sur le plan, les lèvres pincées. Les gouvernements du continent devaient avoir mieux à faire que d'enquêter sur des fluctuations élevées d'énergies en dehors de leurs terres.

Kathleen et Synabella firent disparaître leurs projections – l'une ou l'autre s'occuperait de les combiner plus tard.

- Si je résume, reprit Evangeline, on a Synabella pour aller aux laboratoires et un lieu approximatif de l'endroit où se trouvent les pierres.

- Synabella ne peut pas y aller seule, objecta Etan. C'est trop dangereux.

- Comment tu veux qu'une autre personne se joigne à elle ? répondit Evan. Elle doit se faire kidnapper, on ne peut pas imposer quelqu'un d'autre.

Etan soupira de lassitude, conscient de cela mais malgré tout soucieux de voir Synabella s'engager seule dans cette entreprise. En soit, la jeune fille n'avait aucun sens du danger, ce qui faisait d'elle la candidate parfaite, mais la rendait aussi prône à baisser sa garde.

- Rory nous avait parlé à Kathleen et moi d'un sortilège Madrigan qu'il avait trouvé dans un vieux livre, dit Jefferson. Il serait capable d'enfermer quelqu'un dans un objet. Ça pourrait être notre solution.

- Idée intéressante, déclara Synabella. Un volontaire dans l'assemblée ?

Personne ne se proposa. Du moins jusqu'à ce que Geoffrey ne lève la main.

- Puisque personne ne se sacrifie, je vais y aller, proposa-t-il.

Synabella l'analysa de haut en bas, ce qui le fit hausser un sourcil. Elle n'avait pas l'air particulièrement enchantée – peut-être s'attendait-elle à ce que quelqu'un d'autre accepte de l'accompagner – mais n'émettait aucune objection pour autant.

- J'en parlerais à Rory dès que je le verrais, conclut Jefferson.

Synabella se frotta les mains, ravie. Cependant, il restait encore plusieurs détails à régler.

- Vous comptez entrer, s'immisça Jeremy, sortant de son mutisme, mais comment vous comptez sortir ?

- Par la porte ? répondit Geoffrey en haussant les épaules.

- Sérieusement, soupira Canelle, il va te falloir mieux que ça.

- Excuse-moi, tu as raison. Par la fenêtre.

- Ou par le toit, ajouta Tomas.

Synabella se passa une main sur les joues.

- Si on arrive à sortir par une fenêtre ou à aller sur le toit, on pourra se servir d'un téléporteur et décamper.

- Si tu as un téléporteur, ils vont te le prendre, fit remarquer Evan.

- Pas s'il est sur Geoffrey.

Evangeline se frotta les cheveux, ennuyée. Elle darda son regard émeraude sur Synabella.

- Ce ne serait pas mieux qu'on soit trois ?

- Tu veux venir ?

- Pas que ça m'enchante particulièrement. Mais ce sera plus sûr.

Les autres approuvèrent. Synabella haussa les épaules, indifférente.

- Soit, trancha-t-elle. On sera trois. Toi et Geoffrey serez enfermés dans deux objets différents, chacun avec un téléporteur, par précaution. On se débrouillera pour trouver les pierres sans se faire attraper.

- Ils ne risquent pas se sentir la magie dans les objets et de comprendre le piège ? s'enquit Andromède.

- Sortilège Madrigan. Uniquement traçable par des Madrigans. Il est peu probable que l'on tombe sur l'un d'eux.

Andromède acquiesça. Le plan n'était pas parfait, mais tenait la route. Et c'était ce qu'ils pouvaient faire de mieux compte tenu de leurs possibilités.

- Et si on se fait attraper ? questionna Evangeline.

Synabella esquissa un sourire en coin.

- Alors on est cuits. On prévoit quelle date ?

Evangeline secoua la tête, exaspérée.

- Dix-huit décembre ? proposa Geoffrey. J'ai un congé au AMI et ça nous laissera le temps d'améliorer le plan.

- J'ai un congé aussi ce jour-là, admit Evangeline.

- Et moi je ne travaille pas, termina Synabella. Je crois qu'on est fixés.

Quand Rory arriva au Centre pour conduire Eloïse à son collège, elle était toujours en pyjama et n'avait pas l'air déterminée à s'y rendre.

- Tu ne vas pas en cours ? demanda-t-il.

- Pas aujourd'hui.

- Tes professeurs te reprochaient d'être absente depuis deux semaines.

- Un jour de plus ne changera rien. Puis, honnêtement, j'ai mieux à faire et je pense que toi aussi.

Rory soupira.

- Tu es toujours comme ça ?

- C'est à dire ? s'impatienta Eloïse.

- À dénigrer l'éducation.

- Je ne la dénigre pas, je n'en ai simplement pas besoin. Je suis en avance sur la moitié de mes matières à cause du AMI. Le reste, je n'ai qu'à demander le cahier de quelqu'un pour le lire une fois et tout apprendre parce que j'ai une mémoire d'élue.

- Dans ce cas prévient ton établissement et dis leur les jours où tu comptes venir.

Eloïse croisa les bras. Les réflexions de Rory commençaient à l'agacer, sans doute parce que dans le fond, il n'avait pas tort.

- À quoi ça les avance que je leur raconte ma vie ?

- Que tu les préviennes, corrigea-t-il. Tu as bien vu le comportement de tes professeurs hier. S'ils te posaient des questions, c'est parce qu'ils espéraient des réponses précises de ta part et que tu refusais de les leur donner. Ce n'est peut-être que dans une certaine mesure, mais ils sont responsable de toi.

- Rory, pour la dernière fois, ma vie ne les regarde pas. Encore moins en ce moment.

Le Madrigan capitula. Si Eloïse ne voulait pas entendre ses arguments, c'était son problème. Il la connaissait suffisamment pour savoir qu'elle était têtue et qu'insister ne servait à rien.

- Je cherche juste à t'aider, dit-il. Mais comme tu sais visiblement ce que tu fais, je te laisse gérer. Je vais voir ma copine. Bonne journée.

Rory tourna les talons sans attendre de réponse de sa part. Eloïse claqua la porte, vexée. La veille, elle avait cru qu'elle pourrait devenir amie avec lui, mais elle commençait déjà à en douter.

Elle espérait que ses pouvoirs reviendraient vite pour mettre fin à cette situation.

Étonnamment, Rory revint en fin de journée. Eloïse, surprise, l'invita à entrer au Centre : il avait l'air de quelqu'un qui venait de passer un mauvais moment.

- Qu'est-ce que tu fais ici ?

- J'ai besoin de te parler d'une chose. C'est important.

Eloïse l'entraîna dans sa chambre pour qu'ils soient tranquilles – les filles de l'équipe Alpha étaient présentes et adoraient écouter les conversations des autres. Elle ferma la porte et se tourna vers Rory.

- Tu n'as pas l'air d'aller bien, remarqua-t-elle.

- C'est rien, marmonna-t-il, ça va me passer.

- Tu es allé voir ta copine, c'est ça ? C'est lié ?

Rory se crispa et détourna le regard. Eloïse crut qu'il allait ignorer sa question, mais il finit par y répondre.

- Elle m'a quitté.

- Oh. Désolée.

Eloïse fronça les sourcils. Elle se rappelait des paroles de Rory les premiers jours de leur cohabitation. Le fait que sa copine n'appréciait pas de la voir dans les parages.

- Attends, c'est pas à cause de moi, j'espère ?

- Je suppose que ça a joué, mais ça fait un moment que c'est tendu. Dans tous les cas tu n'as rien à te reprocher.

- Tu es sûr ?

- Oui. On peut passer à autre chose ? Je ne suis pas là pour parler de moi et certainement pas de mon ex.

Il regretta aussitôt sa froideur.

- Désolé, souffla-t-il.

- C'est rien, lui assura Eloïse. De quoi tu voulais me parler ?

- Le type dans lequel je suis rentré hier, je suis persuadé que c'était un magicien.

- Et ?

Rory, surpris par sa réponse, se perdit dans le fil de ses pensées.

- Ça ne t'inquiète pas ?

- Il y a des magiciens qui se cachent sur Terre, c'est de notoriété publique.

- Attends, je suis sur Terre depuis hier et c'est le deuxième que je trouve.

Eloïse le fixa avec insistance, suspicieuse.

- Le deuxième ? De quoi tu parles ?

- Je ne suis pas certain, mais il me semble avoir repéré la trace d'un magicien dans ta classe.

- Tu es sûr de toi ? Je n'ai jamais rien senti de mon côté.

- La trace était très faible et je pense que tu n'as pas la même sensibilité aux énergies que les magiciens ordinaires.

Eloïse ne put le contredire sur ce point. Le AMI lui avait déjà dit que puisqu'elle était humaine, elle ne pouvait pas percevoir les choses exactement comme le faisaient les magiciens.

- Soit, imaginons que tu aies croisé deux magiciens, dont un dans ma classe, poursuivit-elle. Quel est le problème ?

- Tu plaisantes ? Ils pourraient être en train de t'espionner !

- Tu n'en sais rien.

- Après ce qui t'es tombé dessus récemment, je ne comprends pas pourquoi tu ne te méfies pas.

Eloïse soupira et partit s'asseoir sur son lit. Elle se frotta le front, en proie à un mal de tête désagréable. Rory, lui, resta sagement debout.

- Si tu as repéré un magicien dans ma classe, ça veut dire qu'il y est au moins depuis septembre et il ne m'est rien arrivé. Quant au type que tu as croisé, c'est peut-être une simple coïncidence.

- Je me suis renseigné auprès de mes camarades des Magiciens Seconds. Tu t'es récemment fait agresser par un magicien à un événement de ton école. Toi qui passes ton temps à sécher, qui était au courant que tu t'y rendais ?

Eloïse comprit où il voulait en venir.

- Uniquement les gens de ma classe. Tu penses que l'attaque est liée au magicien que tu as senti ?

- Je n'en sais rien, admit Rory, mais je suis naturellement méfiant.

- Oh, je m'en suis rendue compte.

Si Eloïse ne s'était pas rappelé de son nom, le jour où elle s'était fait poursuivre dans la forêt autour de la Cité, elle se demandait s'il l'aurait assommée et abandonnée à son sort.

- Le Seigneur des Ombres était présent aussi lors de l'attaque, lui rappela-t-elle.

- Il t'as ouvertement annoncé qu'il te surveillait, non ?

- Oui.

- C'est un mage noir. Il doit avoir ses méthodes pour découvrir ce que tu fais.

- Rassurant. Et pour le magicien qui t'es rentré dedans, quelle est ta théorie ? demanda-t-elle.

- Je n'en ai pas, concéda-t-il. Je l'ai juste trouvé étrange.

Eloïse prit un instant de réflexion. Pour le possible magicien de sa classe, elle voulait bien enquêter. L'inconnu dans la rue, en revanche, n'était pour elle qu'une coïncidence.

- Si tu veux, j'irai en cours demain, comme ça tu pourras faire des recherches, dit-elle.

- Ça me va.

Rory s'avança vers la fenêtre pour observer la rue, comme pour vérifier qu'il n'y avait pas de magiciens qui campaient devant le Centre. Il se retourna vers Eloïse.

- Tu n'as jamais eu l'impression d'être suivie ?

Eloïse s'apprêta à répondre que non, mais se retint de justesse. Elle s'était quelques fois posé la question, sans pour autant que ses impressions soient confirmées. Et si les intuitions de Rory étaient justes ?

Il comprit immédiatement ses pensées.

- On va découvrir ce qu'il se passe, affirma-t-il.

Andromède, Evangeline et Kathleen se coulèrent à l'angle d'une rue, leur attention concentrée sur Vénérios.

Depuis qu'elles avaient suivi Cassandre il y a quelques semaine de cela, les magiciennes avaient souhaité enquêter sur Vénérios. Non seulement pour tenter d'en apprendre plus sur les laboratoires du Phoenix, mais aussi sur le magicien qui effaçait la mémoire d'un simple regard. Dès que Kathleen l'avait aperçu par hasard au détour d'une rue de la Cité, elle avait aussitôt appelé Andromède et Evangeline, qui l'avaient rejointe en cours de route.

Présentement, elles étaient dans les rues marchandes du quartier Argenté de la Cité. Vénérios venait juste d'entrer dans un magasin de sorcellerie et d'alchimie et discutait avec l'un des vendeurs. Kathleen, malgré son essence magique de l'ouïe, ne parvint pas à entendre ce qu'ils disaient à cause du mur qui les séparait. Les filles se rapprochèrent le plus possible sans se faire voir et l'observèrent à travers la vitrine.

Le vendeur acquiesça, s'éloigna dans l'arrière boutique deux petites minutes, puis revint et donna à quelque chose à Vénérios, qui le remercia, paya, puis regagna la rue.

Il fourra une fiole à la couleur indéterminée dans la poche de son pantalon.

- Jusque là c'est pas passionnant, fit remarquer Evangeline.

- Tu ne sais pas à quoi sert la fiole, répliqua Andromède.

- Vu l'endroit duquel elle provient, ce n'est sûrement pas quelque chose de mortel.

- Il s'éloigne, les rappela Kathleen à l'ordre.

Les filles quittèrent leur angle de mur pour le suivre à distance respectable. Elles prirent bien garde à ne pas le perdre de vue, en particulier lorsqu'il s'engouffrait dans de plus petites intersections ou traversait des zones où les magiciens étaient moins épars.

Il se dirigeait vers le quartier Ivoire. Autrement dit vers une Porte des Mondes. Du moins c'était ce que les magiciennes estimaient – elles avaient du mal à imaginer ce qu'il pourrait faire d'autre dans le quartier Ivoire, peu intéressant en terme de contenu.

Elles passèrent la limite entre les deux quartiers et leurs doutes se confirmèrent : c'était bien la Porte des Mondes qu'il visait.

- Il rentre chez lui ? avança Andromède.

- Il me semble qu'il habite aux laboratoires du Phoenix, répondit Kathleen. Synabella ne lui a pas trouvé d'adresse ailleurs, et pourtant elle a cherché.

- Donc il change de cité.

Ce n'était certainement pas pour faire une course supplémentaire. Ce qu'il y avait ailleurs était également présent à la Cité.

- Peut-être qu'il doit retrouver quelqu'un ailleurs, dit Evangeline.

Kathleen haussa les épaules, incapable de lui répondre. Elles reprirent leur route en silence.

Vénérios atteignit enfin la Porte des Mondes. Il posa sa main sur la poignée, récita une formule que Kathleen entendit avec clarté, puis s'engouffra de l'autre côté. Il disparut de leur champ de vision.

- Je ne reconnais pas la formule, avoua Kathleen.

Evangeline fronça les sourcils.

- Tu peux nous montrer de laquelle il s'agit ?

Kathleen acquiesça. Dès qu'elles furent devant la Porte des Mondes, la magicienne parcourut la liste des formules gravées dans le bois sombre et pointa du doigt celle que Vénérios avait prononcé. Evangeline et Andromède échangèrent un regard, inquiètes.

- Vénérios est sur Terre, expliqua Evangeline. Mais ce n'est pas la formule pour aller dans le parc près de chez Eloïse. Je ne la connais pas.

- On va voir où ça mène ? proposa Andromède.

- Allez.

Evangeline récita la formule et les trois filles traversèrent la porte. Cela pour tomber sur une étendue d'herbe à l'intérieur d'un terrain de course fait de cailloux noirs. Des humains, en train de courir quelques mètres plus loin, ralentirent pour les observer avec curiosité. Certains partirent tels des ouragans dès qu'ils virent la magie à l'oeuvre.

- D'accord, souffla Evangeline, c'est définitivement pas la porte habituelle. Où est-ce qu'on est ?

Andromède pointa du doigt les gens qui quittaient les lieux.

- Je suppose que la sortie est par là. Allons explorer.

De toute manière, Vénérios n'était plus en vue et le retrouver était désormais peine perdue.

Les magiciennes esquivèrent les humains trop curieux qui tentèrent de leur poser des questions – non sans qu'Evangeline leur fasse des réflexions où transpirait un grand manque de politesse – et parvinrent à une grande grille verte. Celle-ci menait sur une large rue où les voitures circulaient en nombre conséquent.

- Ce que ça pue ces trucs, maugréa Evangeline.

Sûrement à cause de leurs accoutrements qui criaient "magiciennes", les passant s'écartèrent d'elles et une voiture alla même jusqu'à les klaxonner. Kathleen, encore jamais venue sur Terre auparavant, contint son malaise.

Andromède désigna un panneau planté dans le trottoir, où quelques informations sur le lieu étaient inscrites.

- "Hippodrome de Marcq-en-Baroeul", lut-elle.

- C'est pas la ville juste à côté de Lille ? s'enquit Evangeline.

- Si, confirma Andromède, on y était passés quand il y avait encore la neige.

- Donc on est pas si loin de l'autre porte que ça.

- Sans doute...

Andromède observa les alentours dans l'espoir d'obtenir quelconque information supplémentaire, ce qui se révéla infructueux. Evangeline, elle, arrêta une femme en train de promener son chien pour lui demander des indications. Elle se tourna vers ses deux amies quand elle eut l'information désirée.

- Je sais que l'autre Porte des Mondes est assez proche du centre de Lille, dit-elle. Apparemment on est à environ une heure de marche.

- Qu'est-ce qu'on fait ? demanda Andromède.

Après une brève concertation, elles décidèrent de retourner à la Cité prévenir le reste de l'Ombre.

Si Vénérios venait sur Terre, il devait avoir une bonne raison.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top