Chapitre 10: Décembre (3)
Eloïse avançait sans savoir où elle se rendait.
L'environnement lui était très peu familier. Un sol gris, des murs blancs constellés de portes et des néons diffus accrochés au plafond : il s'agissait des couloirs du lycée qu'elle était supposée intégrer l'année suivante. Elle ne s'y était rendue qu'une seule fois, lors de portes ouvertes quelques mois auparavant.
Elle évita les élèves flous qui s'agitaient autour d'elle dans une marée humaine. Entre la douleur qui lui vrillait le crâne et ses pensées confuses, elle réussit à se poser une question cohérente. Pourquoi était-elle seule ? Ces derniers temps, elle ne sortait jamais sans Rory ou Miranda.
Et, bon sang, comment s'était-elle retrouvée ici ?
Eloïse sentit de la magie s'élever autour d'elle. Elle se tourna sur elle-même pour tenter d'en découvrir l'origine, mais ne vit que des élèves flous, encore et toujours. Elle accéléra son allure. La douleur dans son crâne s'accentua.
Elle gravit un escalier. Parvint à l'étage supérieur. Cette fois, le couloir était vide.
La magie y était plus forte, comme un cocon qui l'entourait, mais n'émanait pas d'elle.
Seul le bruit amplifié de sa respiration brisait le silence.
Eloïse était seule.
Alors elle continua d'avancer.
Qu'est-ce qui avait bien pu se passer pour qu'elle se retrouve ici ? Une mission du AMI ?
Non, ils l'avaient suspendue et elle n'avait toujours pas de magie.
Une visite avec son collège ?
Elle aurait séché pour ne pas perdre son temps.
Sa sœur avait oublié quelque chose et elle venait le lui apporter ?
Eloïse se figea.
Non. Sa famille ne se rappelait pas d'elle. Ça faisait des années.
Il y avait une silhouette au bout du couloir.
Il s'agissait d'un homme qui devait faire pratiquement deux mètres. Des cheveux si blonds qu'ils en paraissaient blanc, où se mêlaient de fines tresses, descendaient jusqu'en bas de son dos. Ses yeux, d'un bleu vif, étaient braqués dans ceux d'Eloïse.
Les inscriptions sur sa tunique claire ressemblaient à des caractères phébéiens. Des morceaux d'aigue-marine venaient la consteller comme une myriade d'étoiles.
C'était un magicien de courant alpha. L'énergie émanait de lui.
Eloïse ne parvint pas à déterminer si cela faisait des secondes ou des heures qu'ils se fixaient.
Le magicien s'approcha d'une démarche tranquille. Un fin sourire ornait son visage. Le temps d'un battement de cil, il se trouva à un mètre d'Eloïse.
- Bonjour, dit-il.
Sa voix douce résonna contre les murs. Eloïse la sentit vibrer dans son crâne.
- Bonjour, s'entendit-elle répondre. Qu'est-ce que je fais là ?
- Je n'en ai aucune idée, je ne suis jamais venu. C'est à toi que je devrais poser la question.
Eloïse ramena ses mains sur ses tempes, les yeux clos. Si seulement le bourdonnement pouvait disparaître...
Quand elle les rouvrit, ils se trouvaient dans les jardins qui entouraient le AMI.
- Ah, commenta le magicien. Là, je suis davantage familier.
- Je ne comprends pas.
Il fronça les sourcils.
- Quoi donc ?
- Qu'est-ce que je fais là ?
- Tu viens discuter avec moi.
Eloïse ne savait même pas de qui il s'agissait. Même si elle avait l'impression de l'avoir déjà croisé quelque part. Sans doute était-ce à cause de la confusion qui l'habitait.
- Où sont les autres ?
- Il n'y a que nous, fit-il remarquer. Concentre-toi, Eloïse.
Elle essayait. Elle essayait vraiment. Mais tout lui échappait.
Ils se retrouvèrent dans le sous-sol du Centre.
- Alors là... soupira-t-il. Essaye de ne pas trop nous déplacer, s'il te plaît.
- Je ne fais rien.
- Tu le fais sans t'en rendre compte.
- C'est de vous dont vient la magie ?
Il fut à peine déstabilisé par le changement soudain de sujet.
- Effectivement. Tes sens ne sont pas totalement brouillés, je suis rassuré.
Eloïse fronça les sourcils et analysa l'énergie. Il était puissant. Il était extrêmement puissant.
Elle n'avait jamais vu autant de magie dans une seule personne.
- D'accord, Eloïse, reprit le magicien, on va parler un peu. Tu penses y arriver ?
Elle se frotta le crâne, mais acquiesça.
- Quel jour sommes nous ? demanda-t-il.
- Je ne sais pas.
- L'année ?
- Je ne sais pas non plus.
- Est-ce que tu te rappelles de moi ?
Eloïse plissa les yeux. Oui, il lui était familier. Ou alors... Non, il ne l'était pas.
- Concentre-toi, insista le magicien. S'il te plaît.
- Je ne vous reconnais pas.
- Bon... J'aurais dû m'y attendre. Tu es à peine plus lucide que la dernière fois. À ce rythme, on va y passer des années.
- Quoi ?
Le magicien soupira et lui adressa un regard désolé.
- Je n'ai pas de temps à perdre. Malheureusement, il va falloir faire autrement. Je m'excuse par avance de ce qui va suivre. Tu peux me donner ta main, s'il te plaît ?
Eloïse la lui tendit sans poser de question. Le magicien tourna sa paume vers le ciel et récita une formule à voix basse. Une langue qu'elle ne connaissait pas, mais dont l'harmonie et la douceur lui faisaient penser qu'il s'agissait de Phébéien.
La douleur traversa son bras comme si on venait de la poignarder avec des centaines d'aiguilles. Elle hurla.
Durant ces quelques secondes, il lui sembla que ses pensées étaient redevenues aussi claires que du cristal, si bien qu'elle perdit pied avec la réalité. Le temps que la douleur s'estompe et que le brouillard revienne autour d'elle, Eloïse se retrouva allongée dans l'herbe.
Elle était dans le parc où se trouvait la Porte des Mondes, à Lille.
- Je suis désolé, répéta le magicien. Mais ça devrait aller mieux, désormais.
De quoi il parlait ?
La réalisation emplit Eloïse. Elle l'avait laissé lui jeter un sortilège. Était-elle devenue stupide ?
- Qu'est-ce que vous avez fait ? demanda-t-elle.
Eloïse se redressa et regarda sa paume, là où le sortilège l'avait traversée. Une fine inscription en phébéien, d'un noir profond, était incrustée sur sa peau.
- Je vois que ça fait effet, se réjouit le magicien.
- Comment ça ? Qu'est-ce que c'est que ce truc ? Et vous êtes qui ?
Eloïse comprit. La douleur dans son crâne enfla, mais ses pensées avaient retrouvé leur cohérence.
Ce n'était pas la réalité. C'était un rêve.
Elle se recula pour échapper au magicien.
- C'est juste pour t'éclaircir les pensées, se justifia-t-il. Autrement, je t'avoue que c'est très dur d'échanger avec toi.
- Je suis en train de rêver.
- Oui, justement.
Eloïse enfonça ses ongles dans ses paumes. Il fallait qu'elle se réveille. Et il fallait qu'elle le fasse vite.
- Calme-toi, dit doucement le magicien. Soyons clairs : je ne te veux aucun mal.
- Qu'est-ce que j'en sais ?
- Pour le coup, il va falloir me faire confiance.
Est-ce qu'il était tombé sur la tête ? Et puis quoi, encore ? Eloïse serra les poings.
- Qui êtes-vous, et qu'est-ce que vous me voulez ?
- Je...
Le magicien se coupa dans son élan, surpris. Eloïse, raidie, manqua de s'étrangler.
- Eloïse ? Ça va ?
Une sensation étrange envahit la magicienne. Des picotements, de plus en plus fort, qui parcouraient ses veines. Jusqu'à ce qu'une véritable décharge de magie ne la traverse.
Elle ouvrit les yeux dans un sursaut.
- Eloïse !
La magicienne cligna furieusement des yeux. Elle sentait son cœur battre dans ses tempes et son souffle s'agiter furieusement.
Elle reconnut la voix de Rory. Et son visage aux yeux dorés penché sur elle.
- Euh... Hein ? articula-t-elle.
- Tu vas bien ? lui demanda-t-il, sérieusement inquiet.
Eloïse se redressa prestement et chassa la main de Rory restée sur son épaule. Elle détailla les environs. Elle était dans son lit, dans sa chambre, sa couverture tirée sur ses jambes. Et elle était en pyjama.
- Je suis bien réveillée, n'est-ce pas ? s'assura-t-elle.
Rory la dévisagea avec désarroi. Il posa une main sur son front.
- C'est bien ce que je pensais, tu as de la fièvre, commenta-t-il. Et, oui, après la décharge que je t'ai envoyé, j'espère bien que tu es réveillée.
- Qu'est-ce que tu...
- Tu as cours dans une heure, lui rappela-t-il. J'étais venu te chercher, mais tu ne répondais pas à ton téléphone, alors j'ai demandé à une fille de m'ouvrir. Et quand j'ai toqué à ta porte, tu ne répondais pas non plus. Je me suis permis d'entrer pour voir si quelque chose n'allait pas.
Eloïse rejeta ses cheveux en arrière. D'accord, elle comprenait son raisonnement, mais trouvait ça néanmoins très gênant.
- Tu dormais, mais impossible de te réveiller, poursuivit Rory. Pourtant je t'ai secouée.
- Donc tu m'as électrocutée, conclut Eloïse.
- Eh bien... Oui.
Eloïse soupira.
- Merci.
- D'accord, tu ne vas vraiment pas bien.
- Quoi ? Pourquoi ?
- Tu viens de me remercier de t'avoir électrocutée.
- Je te remercie pour m'avoir réveillée, crétin.
Eloïse repoussa ses couvertures et s'assit sur le bord de son lit, imitée par Rory. Elle soupira, les mains posées sur les genoux. Elle avait des vertiges et le mal de crâne de son rêve s'était poursuivi dans la réalité. Sans compter la fièvre dont Rory avait parlé.
- Tiens, qu'est-ce que c'est ? demanda ce dernier.
Eloïse releva la tête vers lui.
- De quoi tu parles ?
- Le motif sur ta paume.
Elle se figea. Rory, qui comprit bien vite que quelque chose n'allait pas, lui saisit délicatement la main pour la retourner et analyser l'écriture inscrite à l'encre noire sur sa peau.
Eloïse, après une inspiration, eut le courage de baisser les yeux.
C'était le sortilège que le magicien de son rêve lui avait lancé.
- D'où il vient ? l'interrogea Rory.
Comment une telle chose avait pu se produire ? Eloïse ne savait même pas que marquer quelqu'un pendant son sommeil était possible.
- ... Ça va ? insista Rory.
- Je ne comprends rien, déplora Eloïse. Cette marque est apparue pendant que je dormais. Le magicien qui se trouvait avec moi m'a jeté un sort.
- Excuse-moi ?
Eloïse lui relata ce qui s'était produit. Rory garda le silence le temps qu'elle finisse, mais son pied tapait frénétiquement le sol.
- Je crois que ce n'est pas la première fois que ça se produit, avoua-t-elle. Il y avait comme une familiarité chez lui.
- Je ne comprends pas, déplora Rory. Tu n'as aucune idée des intentions de ce magicien ?
- Aucune.
Au moins avaient-ils l'air aussi déstabilisés l'un que l'autre.
- Très bien. Je vais essayer de faire des recherches sur le sortilège qu'il t'a lancé, mais je ne garantis rien. En attendant, essaies de te reposer.
Eloïse acquiesça. Pour aujourd'hui, elle pouvait oublier les cours. Ce qui lui donnerait du temps pour tirer cette histoire au clair.
Elle fixa la marque laissée sur sa paume.
Qu'est-ce qui était encore en train de lui tomber dessus ?
◊
Miranda était arrivée au quartier général du AMI dès huit heures du matin.
D'un accord commun, elle et les autres magiciens de l'Ombre employés là-bas s'étaient organisé une rencontre en petit comité pour discuter. Si elle s'en tenait aux brèves paroles que Geoffrey et Canelle lui avaient tenus la veille, ils avaient à échanger sérieusement, même si les informations n'étaient visiblement pas assez importantes pour convoquer l'entièreté de l'Ombre. Ou alors ils étaient pressés par le temps et concilier les emploi du temps de chacun dans les jours à venir était impossible.
Miranda savait comment s'était passée l'échange entre Mackenlie et la pierre Alpha puisqu'Eloïse le lui avait relaté, aussi supposait-elle que cela n'avait pas rapport à ça. Autrement, cela devait s'être produit lors du retour de Mackenlie au AMI.
La mage noire entra dans la salle des Bétas sans toquer, comme le lui avait recommandé Geoffrey. À cette heure-ci, elle aurait dû être vide. Les agents d'équipes, pour la plupart, ne commençaient pas avant neuf heures. Pourtant, elle y trouva Geoffrey, Evan, Canelle, Synetelle et Philéas, installés sur les canapés et fauteuils qui se trouvaient en centre de la pièce. Ils lui avaient gardé une chaise pour qu'elle puisse s'installer.
Miranda avait toujours du mal à se dire que l'équipe Béta était désormais la sienne. La perspective d'avoir Geoffrey comme capitaine était à peine plus réjouissante que celle de garder Synetelle. D'ailleurs, ils avaient l'air aussi moroses l'un que l'autre.
Elle salua les magiciens et s'assit promptement.
- Alors, Synetelle, je t'ai pas vue rentrer au Centre hier. On a dormi dehors ? se moqua-t-elle.
La magicienne lui lança un regard noir.
- J'ai dormi ici. Figure-toi que Framboise et Alicia ont joué les fouineuses et découvert l'échange entre Mackenlie et la pierre Alpha. Elles savent que toi, Eloïse et moi sommes impliquées dans une histoire, et sans doute bien d'autres choses.
Toute plaisanterie quitta Miranda.
- Depuis quand ?
- Je ne sais pas. Elle m'en ont parlé hier. Raison pour laquelle je ne suis pas rentrée.
- Et elles n'ont pas cherché à obtenir de tes nouvelles ? À savoir où tu étais ?
- Bien sûr que si ! J'ai répondu que je devais rester au AMI pour respecter les contraintes de l'équipe Tétra.
- Elles t'ont crues ?
- J'ai de gros doutes. Ce n'est pas aujourd'hui que je vais cesser de contester mon changement d'équipe. Mais il était hors de question que je subisse un interrogatoire supplémentaire.
Miranda secoua la tête. Il ne manquait plus que ça. Comme s'ils n'avaient que ça à faire de gérer ce problème en plus du reste.
- On doit les intégrer à l'Ombre, déclara Synetelle.
Geoffrey manqua de bondir.
- Non mais tu plaisantes ? Alicia, encore, je n'y vois pas d'inconvénient, mais Framboise ? Tu la vois garder le secret plus de cinq minutes ?
- Ne fais pas comme si tu la connaissais mieux que moi. Je suis sa capitaine d'équipe.
- Tu n'es capitaine de rien du tout. Je te rappelle que tu es supposée être en Tétra, comme tu l'as si bien dit il y a deux minutes.
- Elle la connaît quand même bien mieux que nous, voulut tempérer Evan. Ça fait des années qu'elles combattent ensemble.
- Et on peut lui faire confiance, argua Synetelle. Aussi difficile que cela puisse te paraître, Geoffrey.
Miranda n'était elle-même pas convaincue. Néanmoins, il était vrai qu'elle lui parlait peu, même si elle vivait sous le même toit.
- Et si jamais tu te trompes ? insista Geoffrey. Qu'est-ce qu'on fait ?
- À qui tu voudrais qu'elle aille raconter tout ça ? s'agaça Synetelle.
- Elle ne sait pas tenir sa langue. Peu importe à qui elle le raconte, si ça remonte aux oreilles du traître, on est mal.
Synetelle se renfrogna.
- Tu préfères lui effacer la mémoire à coup de magie rouge, peut-être ? Personne ici ne la maîtrise. On va lui exploser la cervelle.
- Alors on n'a qu'à faire des pactes, proposa Canelle pour couper court à leur échange. Ce serait un moyen de nous assurer que personne ne nous trahis.
L'idée se fraya un chemin dans leurs esprits.
- ... Pourquoi pas, après tout, considéra Philéas.
En tout cas, cela plaisait à Miranda, qui n'aurait pas à s'inquiéter de Framboise et sa langue un peu trop pendue. À en croire les réactions des autres – même Synetelle, qui tentait de le masquer –, ils rejoignaient son avis.
- Il faudra transmettre la proposition aux autres, mais ça semble raisonnable, dit-elle.
Elle se chargerait d'en parler au Conseil des Cinq et à Eloïse. Pour les Magiciens Seconds, ils avaient suffisamment d'émissaire ici, et si jamais elle croisait Rory avant, alors elle servirait de relais.
- D'autres nouvelles, en dehors des deux fouineuses ? s'enquit-elle.
- Sakura veut parler à Eloïse concernant sa suspension, dit Evan. Tu étais au courant, Miranda ?
- Elle a dû recevoir deux ou trois courriers, oui. Ils gisent au fond d'un poubelle.
- Eh bien Sakura commence à vraiment s'impatienter, fit remarquer Geoffrey. Et j'ai l'impression que ça devient obsessionnel.
Evan s'affaira à expliquer comment, alors même qu'ils venaient de ramener Mackenlie saine et sauve, Eloïse était la seule chose qui avait intéressé Sakura. Et qu'elle avait l'air d'en savoir un peu trop sur ses amitiés avec les autres agents.
En temps normal, Miranda aurait affirmé que ça ne rimait à rien. Là où Eloïse passait, les supérieurs s'arrachaient les cheveux, alors ce n'était pas étonnant qu'ils aient des comptes à rendre avec. Mais concernant Sakura, elle avait déjà ses propres doutes.
- D'accord, dit-elle posément. C'est quelque chose qui arrive souvent, chez les agents techniques, de fouiller dans la vie des agents de terrain ?
- Non, objecta Philéas. Ce n'est pas notre travail. Pour ceux comme moi qui ont un rang plus bas, on communique régulièrement avec les agents de terrain, donc on en apprend davantage sur eux, mais ce n'est pas le cas des supérieurs comme Sakura. Ils connaissaient les noms de la majorité des agents d'équipes parce qu'il s'agit d'une unité à part du AMI, mais ça va difficilement au delà de ça.
Synetelle leva les yeux au ciel.
- Tu parles. L'ancien supérieur général affilié aux équipes a mis trois mois avant d'arrêter de me confondre avec Canelle.
Cette dernière esquissa une grimace. Visiblement, elles ne tenaient pas le supérieur en question en haute estime.
- C'était différent, se justifia Philéas. Lui, il n'en avait rien à faire, c'est pour ça qu'il a été déplacé dans un autre service. Mais ça ne change pas le fait qu'hormis certains cas particuliers comme Eloïse ou encore Miranda, les supérieurs qui ne sont pas directement affiliés aux équipes auraient du mal à vous reconnaître dans un couloir. Vous n'êtes que quelques agents de terrain parmi des centaines.
Et encore, ils connaissaient davantage Eloïse et Miranda uniquement parce qu'elles étaient une humaine et une mage noire et que cela attisait grandement la curiosité.
- Valenski est une bizarrerie, d'accord, concéda Geoffrey, mais ça fait des années qu'elle travaille ici. Il y a eu du foin à son arrivée qui s'est tassé au bout de quelques semaines. Je ne vois pas pourquoi ça reprendrait maintenant.
- Je m'étais aussi posé la question, et je pense que c'est en lien avec les laboratoires du Phoenix, affirma Miranda.
Il était de temps pour elle de révéler sa théorie.
- Je pense que Sakura est la traître qu'on cherche et qu'elle travaille également pour les laboratoires.
Evan fronça les sourcils.
- Ça ne fait pas sens. On a appris qu'il y avait un traître au AMI parce que Sakura a reçu un message qui le lui en informait.
- Elle a sans doute reçu ce message parce qu'elle est haut-placée, argua Philéas. Ça ne veut pas dire que ce n'est pas elle pour autant.
- Les coïncidences sont trop grosses pour êtres ignorées, confirma Miranda. C'est Sakura dont la vie est fragmentée et remplie de trous de plusieurs années. C'est Sakura qui passe son temps à courir après Eloïse. Et surtout, c'est Sakura qui lui a transmis le message du directeur pour que les laboratoires la piègent en pleine forêt. Evan, quand toi et Eloïse êtes allés chercher son dossier dans la salle des archives, tu as entendu Valentiana et Anastasia Katalina discuter, n'est-ce pas ? Du peu que tu as vu, à quoi ressemblait Valentiana ?
- Grande, élancée, avec de longs cheveux noirs. Elle était de dos et j'étais caché derrière une étagère, je n'ai pas vu grand chose, se justifia Evan.
- Et tu ne trouve pas que cette description correspond à Sakura ?
- Là, tu cherches des raccourcis. Il y a beaucoup d'agent qui ressemblent à ça.
- Sauf que Valentiana Katalina est une polymorphe.
Cette fois, les magiciens se turent, effarés.
- Comment tu as appris ça ? demanda Canelle.
- J'en parlerai après, ce n'est pas le sujet.
Geoffrey laissa échapper un sifflement admiratif.
- Le pire, c'est que ta théorie colle. Je dirais même que ça expliquerait tout.
- Je vois régulièrement Sakura traîner avec Anastasia Katalina, admit Philéas. Et elle a une carte d'accès à la salle des archives.
Evan ne trouva plus rien à redire. Mais la perspective qu'une si haut-placée de l'organisation soit une traître était inquiétante. Elle avait bien trop de pouvoirs entre ses mains.
- Maintenant, c'est la partie qui ne va pas vous plaire, déclara Miranda.
Avant que quiconque ne puisse poser de questions, elle sortit la pierre Delta, soigneusement enfoncée au fond de sa poche de pantalon, et la brandit devant les magiciens. Leur mâchoire manqua de se décrocher.
- Attends, quoi ? s'exclama Synetelle. Mais comment tu as pu la récupérer ?
- Disons que le Seigneur des Ombres s'en est chargé et me l'a donnée comme preuve de sa bonne volonté. C'est également lui qui m'a prévenue, pour Valentiana.
Cela fit tomber un froid. Evan la dévisagea avec amertume et Philéas avec malaise.
- Alors là... souffla Canelle. Il veut nous aider ?
- Oui confirma Miranda. Enfin, à sa façon.
- Et tu veux qu'on lui fasse confiance ? s'offusqua Evan.
- Il va bien falloir. Je sais très bien ce qui te passe par la tête en ce moment, mais sache que ce n'est pas lui qui a tué ton frère. C'est Valentiana Katalina.
Les joues d'Evan virèrent au rouge.
- C'est lui qui t'a dit ça ? Et tu le crois sur parole ? C'est un mage noir, son boulot est de servir ses intérêts, pas de dire la vérité.
Miranda laissa échapper un rire amer.
- Je suis une mage noire aussi, Evan, pourtant tu ne questionnes jamais la véracité de mes propos. Et sache que je connais très, très bien le Seigneur des Ombres.
- Il m'a presque tué pour récupérer la pierre Béta, fit remarquer Philéas. Désolé, Miranda, mais je vais avoir du mal à te suivre sur ce coup.
La magicienne soupira, irritée.
- Écoutez, dit-elle sèchement. Victorien est un sérieux atout stratégique. S'il a réussi à reprendre la pierre Delta au AMI, vous vous doutez bien que son champ de possibilités est énorme. On s'en fiche de ceux qu'il veut accomplir tant que ça coïncide avec nos besoins. On appelle ça une alliance de circonstance, et croyez-en mon passif, ça peut nous mener loin.
Elle dévisagea les magiciens de son regard acéré.
- Vous n'avez pas confiance en lui ? Aucun problème. Si vous voulez faire des pactes, alors on va faire des pactes.
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