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Norbert avait toujours détesté se sentir inutile.
Depuis tout petit déjà, mais, en dépit de sa maladive timidité, il avait aussi toujours détesté se sentir lâche. Certes, il n'était pas Gryffondor, il n'était pas ce que son père et son frère auraient voulu qu'il soit, mais ça ne l'avait jamais empêché d'avoir son propre caractère. Mais il y avait des situations qui parfois étaient à lui tordre le cerveau, et il était en plein dedans. Après tout, que pouvait-il faire ? Rester, abandonner Croyante avec lâcheté ? Et pourtant, il se serait senti si inutile à regarder ce pauvre garçon disparaître sans pouvoir rien y faire. Il voulait l'aider, sincèrement, alors il avait écouté son instinct et s'était lancé à sa poursuite. Il ne savait même pas comment il allait bien pouvoir s'y prendre, calmer un obscurus corrompu par la magie noire et destructrice, cela pouvait paraître impossible. Mais il devait essayer.

Confier sa valise et son bestiaire à Tina lui brisa le cœur, non pas parce qu'il était triste de se séparer de ses animaux, mais surtout parce que le regard empreint de désespoir qu'elle fixa sur lui le désola. En fin de compte quoi qu'il fasse, il se sentait lâche et inutile. Il se sentait étouffé dans un étau qu'il aurait lui même conçu, et il savait qu'il ne pouvait rien y faire. Il croisa une courte seconde les iris émeraudes de Ashley et il sut qu'elle ne lui en voulait pas. C'était peut être ce qui lui donna le courage de s'effacer dans la brume.
Mais une fois qu'il eut quitté ce semblant d'équilibre, il crut bien plonger au cœur d'un chaos sans aucun nom, que rien ne pouvait décrire en ce monde. Il avait déjà été frappé par l'horreur quelques mois auparavant, mais y sombrer une seconde fois... Il ne savait pas si c'était plus terrible que la première fois, mais tous ces corps au sol, ces routes éventrées, ces flammes...

Il en serait hanté jusqu'à la fin de sa vie.

Sentant le souffle brûlant d'une explosion bruler les cheveux sur sa nuque, il eut tout juste le temps de se jeter derrière un fiacre renversé sur le bord de la route qu'un éboulement de gravats vint recouvrir la route à l'endroit même où il se trouvait quelques secondes plus tôt. Pris d'une quinte de toux, les poumons remplis de poussières, il tenta d'essuyer ses yeux collants à cause de la transpiration et de la cendre de sa main, guettant les alentours. On ne voyait presque rien, c'était à peine s'il pouvait discerner le ciel.

Norbert !

Il se retourna vivement, son cœur faisant une embardée. Venait-Il de rêver cet appel ?
Il fallait croire que non, puisqu'il retentit à nouveau, fendant le vide. Et cette voix familière était tout ce qu'il craignait d'entendre ici, Tina qui arrivait en courant dans sa direction, baguette en main, le dos courbée alors que son regard affolé analysait son environnement. Il ne savait pas au fond s'il était content de la voir, chaque fois qu'elle entrait dans son champ de vision il se sentait comme un enfant le jour de noël, et en même temps, à la voir serpenter entre les flammes, il avait tellement peur qu'il puisse lui arriver quelque chose qu'il en était malade de terreur.

Il cria son nom, mais sa voix ne couvrit par le brouhaha causé par l'obscurus qui, déchaîné, prenait de la hauteur. Puis il leva les yeux, et avec l'horrible impression que tout son sang avait déserté son visage, ne put qu'observer de loin un nouvel éboulement s'écraser sur la jeune femme. Il hurla de toutes ses forces, s'étranglant d'une nouvelle quinte de toux, et s'élança dans la rue ravagée sans plus se soucier du chaos qui l'entourait. Une seule chose importait : Porpentina.

Se jetant à corps perdu dans le nuage de poussière de brique et de plâtre, il l'appela à nouveau, la cherchant du regard en dépit de sa cécité presque absolue dans ces conditions. Lorsque finalement ce fut elle qui l'agrippa par Le Bras, le faisant sursauter, il cria son nom et se laissa tomber devant elle, ses mains encadrant fermement son visage alors qu'il examinait tout son être avec attention.
Elle toussait fort, couverte de suie et de poussière, tremblante comme une feuille. Elle n'avait pas dû voir l'éboulement au dessus d'elle, et par chance il s'était écrasé juste devant. Un pas de plus et elle serait sûrement enfouie sous un tas de roches.

_ Tu es complètement folle ! Cria-t-il, la voix tremblante de soulagement, Tu aurais pu te tuer !

_ Je n'allais te laisser partir ! Pas encore une fois !

Tu ne m'avais pas laissé partir la dernière fois...
Mais il ne répliqua rien, la fixa droit dans les yeux une longue seconde et y lut cette lueur qu'il connaissait bien : cette détermination qu'il avait déjà vu avant et qu'il redoutait autant qu'il admirait. Elle ne lâcherait pas, il le savait. À quoi ça servirait de lutter contre ça ?

La ville fut secouée d'une autre explosion plus lointaine, suivit du crachat des flammes et d'une nouvelle retombée de cendres. Il fallait qu'ils bougent, en restant immobiles ils étaient en danger, tout pouvait arriver. Lui prenant la main, il la tira pour qu'elle se relève et ils se mirent à courir, le dos courbé et le regard alarmé.

_ Suis moi !

En quelques enjambées ils avaient franchi la chaussée et s'étaient jetés derrière le même fiacre renversé qui avait abrité Norbert quelques minutes auparavant. Tina semblait s'être remise du choc, et prête à en découdre avec la situation.

_ Il faut faire quelque chose, avant qu'il ne détruise tout !

_ Je sais...

Tina !

Cette fois, il ne douta pas d'avoir entendu, l'appel, et alors qu'ils se retournaient en même temps, son sang se glaça, pour la deuxième fois depuis trop peu de temps. Tous les Goldstein avaient-ils la même tendance rebelle ?

Queenie courrait dans leur direction, faisant tâche avec son petit manteau rose noirci, au milieu du chaos. Elle avait l'air terrifiée, et pourtant elle fonçait droit, elle voulait rattraper Tina et être avec elle, se montrer courageuse alors qu'elle mourrait de peur. Norbert, jetant un coup d'œil à la jeune Auror, la vit le teint si blême qu'il eut presque peur qu'elle s'évanouisse d'un coup.

_Queenie...

Elle leva sa baguette, lentement, très lentement, les lèvres pincées. Et le visage de Queenie de décomposa alors qu'elle comprenait ce qui allait suivre. Elle s'arrêta simplement au milieu de la rue, une larme roulant sur sa joue. Et le sort fusa.

_ Pardonne moi...

Aspirée dans un tourbillon blanc, Queenie disparut soudainement, ne laissant derrière elle qu'un vague coup de vent faisant voleter des cendres.

.

C'est ainsi que Queenie débarqua dans l'entrée du MACUSA, projetée en arrière avec brusquerie, crachée violemment par le sort que sa sœur venait de lui envoyer en pleine poitrine, consciencieusement.
Elle resta immobile, figée, les épaules voûtées et le visage ruisselant de larmes, au beau milieu de cet immense hall désert, où ses reniflements dépités résonnaient jusqu'au plafond.

Au dehors, on pouvait entendre le fracas du chaos, sourd, comme la pluie qui tombe sur un carreau, le fragile silence de l'endroit troublé par les larmes de la jeune femme. Elle essuya son visage avec la manche de son manteau, ignorant la trace noire de suie qu'elle laissa sur le tissus rose, et pinça les lèvres. Elle aurait voulu, au plus profond d'elle, être en colère contre Tina pour lui avoir fait ça. Elle l'avait renvoyée au point de départ sans même chercher à connaître son avis, sans même se soucier de savoir si cela pouvait la blesser. Queenie avait agit spontanément, mais elle avait voulu aider, sincèrement. Elle avait voulu se rendre utile, comme tous les autres, et ne pas devenir le maillon faible qu'il faut protéger. Et voilà ce qu'elle savait aussi : Tina avait toujours été là pour elle, pour l'aider et pour la protéger surtout, depuis leur plus petite enfance. Tina n'avait pas voulu qu'elle se mette en danger. Alors elle l'avait renvoyée. Saine et sauve, tant qu'elle le demeurait.

Et Queenie savait que même si ses intentions étaient aussi pures qu'honorables, elle n'aurait jamais pu tenir le coup. Tout simplement parce qu'elle n'était pas prête.

Encore tremblante, de froid, de peur aussi un peu, elle passait sa main dans ses cheveux et elle sentait la fragilité qui émanait de son corps comme une aura. Parce qu'en plus de son manque évident de pratique et d'entraînement, Queenie était vulnérable, son esprit était celui qu'il fallait préserver de la noirceur qui gangrenait le monde. Était-elle prête à affronter cela ? À être exposée à la souche de la corruption, de la haine et de la douleur, à entrer dans la tête et les pensées abyssales de ces gens qui détruisaient leur vie au dehors ?

Queenie n'était pas faible. Mais son esprit était une feuille morte sur le point de craquer.
HEt aujourd'hui, elle avait failli sauter dessus à pieds joints.

Jacob débarqua avec sa discrétion habituelle en haut du grand escalier, légèrement essoufflé, ses joues bouffies roses d'effort. Son cœur fut brisé de voir sa bien aimée l'air si dépitée, mais il ne sût contenir son sourire de soulagement en la voyant saine et sauve. Elle lui en rendit une pâle copie, les doigts crispés autour du manche de sa baguette.

Sans un mot, Jacob descendit l'escalier et s'approcha d'elle, l'entourant maladroitement de ses bras enrobés, baisant doucement sa nuque.

_ Tout va bien...

Mais tout était loin d'aller bien.

.

Coincés bien malgré eux entre une étroite ruelle et un désert de brume opaque, Norbert et Tina ne pouvaient qu'observer du coin de l'œil la terreur semée par l'obscurus quelques rues plus loin, les poumons emplis de fumée et les yeux de cendre qui brûlait la peau.
Alors qu'il prenait de plus en plus de hauteur, le nuage destructeur déviait de sa trajectoire, il transcendait les bâtiments en filant tout droit vers ce que Norbert supposait être le Sud, et rien ne semblait capable d'arrêter sa course. Il avait beau mal connaître New-York, il lui semblait qu'ils étaient en bordure d'une grande avenue qui traversait la ville et reliait la plupart des quartiers. À en croire les mouvements de Croyance, il s'y dirigeait tout droit, emportant tout autour de lui dans un gigantesque cyclone sombre et brûlant.

Lorsqu'il fut à peu près certain de pouvoir traverser la route sans mourir, et que le bâtiment au dessus de leur tête, qui semblait tanguer dangereusement, ne tarderait pas à s'écrouler, il serra très fort la main de Tina dans la sienne et inspira longuement, malgré la douleur. Ils échangèrent un regard bref, avant que le magizoologiste ne bondisse hors de sa cachette, entraînant la jeune Auror derrière lui qui courrait aussi vite qu'elle le pouvait, tout droit en direction de l'avenue qu'il supposait être à côté. Autour d'eux tout semblait véritablement mourir, s'écrouler, émietté dans le vide, et esquiver l'ensemble des obstacles fut réellement impossible.

Bien qu'il le cachait derrière sa mine sérieuse et concentrée, il avait peur de se tromper : car alors ils se retrouveraient piégés et mourraient sûrement seuls tous les deux au milieu des ruines, tout cela à cause d'une mauvaise connaissance du terrain et d'un sens douteux de l'orientation. Mais ils continuaient à courir, toujours tout droit, avant de bifurquer brusquement à gauche, puis à droite, fonçant, au risque de s'écraser droit dans un mur, au cœur de l'inconnu.

Norbert s'était préparé mentalement à entrer brusquement en collision avec quelque chose de dur et froid, de ressentir une affreuse douleur paralyser tout son corps, voire même de mourir écrasé avant d'atteindre le fond du cul de sac. Tina se laissait entraîner sans chercher à ralentir, elle courrait aussi vite qu'elle le pouvait, une confiance quasi aveugle la poussant à croire qu'il savait où ils allaient.

Peut être était-ce la chance, ou le destin, mais au lieu de s'écraser, Norbert et Tina déboulèrent à pleine vitesse au beau milieu d'une grande artère de la ville, qui bien qu'aux allures de champ de bataille, ne semblait pas encore assez détruite par l'Obscurus qui s'y acharnait. À dire vrai, alors qu'il l'observait avec une fine attention, Norbert se rendait compte que la créature ne s'acharnait pas contre la ville, mais comme elle même, à croire que le garçon qui sommeillait au fond de cet épais cyclone se battait corps et âme pour remonter à la surface.

Et cela était loin d'être naturel.

Brusquement, le visage tordu de douleur de Croyance, étiré d'une terreur sourde, émergea, pâle comme la mort, les yeux brillant d'un éclat vermeil effrayant, avant de disparaître, englouti par l'obscur. Tina déglutit fortement, serrant plus fort la main de Norbert, qui fixait toujours le ciel, ou du moins ce qu'il en distinguait.

_ Et dire que ce n'est qu'un enfant...

Elle tourna la tête, pour fuir cette vision terrible, cherchant le regard clair de Norbert qui tenait toujours étroitement sa main, dans l'espoir d'y déceler cette lueur réconfortante qui faisait décoller son cœur. Mais il gardait le regard rivé vers le nuage vengeur, sourcils froncés, cette colère destructrice dansant dans ses yeux verts si purs et si tourmentés. Son visage était sérieux, cette moue concentrée durcissait ses traits, il avait l'air de celui qui lutte contre un démon de son esprit.

_ Norbert ?

_ C'est un sortilège Tina.

Et cette fois il tourna la tête dans sa direction, et ce n'est pas la dureté qu'elle y vit, mais la douleur. Il souffrait à la place de tous les autres, et il cherchait comment lutter. Cet homme était un mystère insoluble.
De sa main libre, il pointa l'obscurus au loin, et se pencha vers elle pour bien distinguer son visage. Le bruit de chaos était tel qu'il était difficile de bien entendre l'autre si on ne s'approchait pas un minimum.

_ C'est un sortilège Tina !

_ Je ne comprends pas ...

_ Croyance est sous l'emprise d'un sortilège, c'est ce qui le rend si agressif...il ne se contrôle plus !

Quoi ? Pourtant Tina savait qu'elle avait bien entendu, son cerveau avait traité l'information aussitôt qu'elle était parvenue à ses oreilles, et une colère sourde gronda dans son abdomen. Utiliser ainsi un enfant à de si noir desseins lui donnait la nausée, rien que d'y penser elle en était malade. Qui Grindelwald croyait-il être pour corrompre ainsi l'âme d'un bambin avec sa magie destructrice ? Si elle en avait eu le pouvoir et la force, Tina aurait probablement tué cet homme de ses mains pour toutes les horreurs qu'il avait commises et pour le dégoût qu'il lui inspirait. Mais l'heure n'était pas aux rêves, ni à la haine d'ailleurs. Il fallait stopper la progression de Croyance, sa montée en puissance avant que tout n'implose.

_ Finit Incantatem ! Hurla Norbert, et un filet lumineux craché à tout vitesse de la pointe de sa baguette alla tout droit s'évaporer dans les volutes sombres tournoyantes autour de l'obscurus.

Bien que la réaction tarda de quelques longues secondes qui laissèrent planer un sérieux doute sur l'efficacité du sortilège, la colère animant Croyance contre son gré se dissipa presque aussi abruptement que la tornade qu'il produisait céda. Ainsi, d'en bas, Tina et Norbert purent le voir se débattre contre sa nature encore quelques instants, un cri de douleur déchirant leur vrillant les tympans, avant que le garçon ne chute et ne s'écrase au loin dans un tonnerre d'éboulement.

La façon dont le silence sembla s'imposer après cela fut assez spectaculaire, car c'était comme si tout à coup le temps s'était gelé. On n'entendait plus que les crépitements des flammes, et l'affreux bourdonnement qui faisait vibrer l'air quelques instants auparavant s'était évanoui. Mais silence ne signifiait pas paix, et Tina en était bien consciente. Croyance n'était que la diversion, mais il n'en restait pas moins une âme à sauver. Tirant sur le bras de Norbert pour le sortir de sa subite léthargie, ils se mirent à courir tout droit devant eux, traversant l'avenue méconnaissable aussi vite qu'il leur était permis d'aller, droit en direction du point de chute de l'obscurus. Comme un violent retour au passé, ils finirent par s'arrêter devant l'entrée d'une station de métro, dont un cratère colossal faisait office de porte, semblant plonger tout droit dans les tunnels souterrains de la ville. Ils échangèrent un très long regard, qui sembla connecter ensembles toutes leurs émotions et toutes leurs craintes. Un pas de plus dans le noir qu'ils s'apprêtaient à faire, mais hésiter ne leur était plus vraiment permis, il leur fallait juste plonger désormais, et croire que tout se passerait bien.

Alors ils sautèrent.

Un sortilège informulé amortit leur chute, et les coudes étroitement verrouillés, ils osèrent à peine se redresser, l'échine pliée et l'oreille aux aguets du moindre décibel. C'était un endroit sombre et humide, une eau croupie suintait des parois et du sol, agressant leurs narines avec une odeur de moisissure âcre qui piquait les yeux. Cela leur semblait presque être laissé à l'abandon, peut être que la voie n'avait jamais été terminée, ce qui expliquerait l'état de rouille des rames et l'insécurité que dégageait cet endroit. Il n'y avait même pas d'électricité.

Avec une prudence exceptionnellement exacerbée, ils suivirent dans le silence le plus absolu, si l'on faisait exception de leurs souffles éreintés, les filets opaques qui dansaient au dessus de leur tête, laissés choir ici comme des flèches indiquant le bon chemin à suivre, même s'ils semblaient mener vers un danger mortellement inquiétant. Leurs mains étaient toujours verrouillées ensembles, et chacun de leurs pas semblait résonner jusqu'à l'infini, faisant écho dans la lenteur.

Lorsque Norbert sentit la crispation dans les doigts de la jeune Auror, il répondit instinctivement à son appel de détresse en s'arrêtant, et par un réflexe protecteur, resserra sa poigne. Il était là, à quelques mètres seulement devant eux, recroquevillé à même le sol. C'était presque s'il se fondait parfaitement dans le décor, faible, blessé et sale, et une salive épaisse coulant de ses lèvres entrouvertes, il semblait lutter contre une chose invisible, contre lui même. Contre cette incontrôlable puissance capable de prendre possession de tout son corps en seulement quelques secondes. 

_ Croyance...

Le jeune homme sursauta, leva la tête, son cou tordu à en faire peur. Ses yeux étaient d'un noir opaque, tempétueux, d'épaisses larmes sombres comme du pétrole collaient sur ses joues creuses et pâles, et une veine palpitait dans sa nuque. Norbert se détesta de frémir face à lui, et il détesta cette stupeur qu'il savait peinte sur son visage. Et, paradoxalement, au milieu de cette crypte et face à ce débris humain, son cœur gonfla d'un amour presque orgueilleux lorsque Tina lâcha sa main et s'approcha. Elle ne voyait pas le monstre, elle ne voyait pas l'écorché, elle voyait ce garçonnet effrayé qu'elle avait consolé et défendu des mois auparavant, dans cette maison branlante. Elle était si douce, si calme, si tendre. Une mère. Et sur les lèvres gercées et tremblantes du jeune homme, Norbert y lu les deux syllabes du prénom de l'Auror, dans le silence le plus absolu.

_ C'est moi...je suis là...

Elle dégageait une force tranquille exceptionnellement apaisante, qui avait l'air capable de guérir tous les maux. Mais c'était vers le magizoologiste que le regard de Croyance était fixé, ces yeux complètement obscurcis par la douleur, qui lui sondaient l'âme. Il était transpercé. Et il compatissait.

_ Je...je suis Norbert Dragonneau...

Mais plus ils avançaient, plus la silhouette fragile du garçon s'effaçait dans l'ombre, plus son souffle était fort, erratique.

_ Il t'a piégé à nouveau...je suis si désolée...

Mais les vaisseaux sanguins à travers sa peau translucides se teintaient de noir, son teint pâlissait à la mort, et sa peau écaillée laissait échapper une noirâtre fumée, qui tournait, tournait, et plus Tina tentait de l'apaiser, plus le garçon s'agitait, plus sa mâchoire tressautait, plus il semblait aspirer l'oxygène tout autour de lui. Il était sur le point d'exploser, d'une seconde à l'autre il pouvait éclater, et les terrasser tous les trois.

_ Je t'en prie... laisse nous t'aider...

Mais tout commençait à aller trop vite, et la colère montait crescendo, envenimait chaque atome de son corps, et il gonflait, gonflait, gonflait, la noirceur se répandait sur ses traits, sur tout son corps, l'enveloppait comme une seconde peau, impossible à arracher, impossible à dissoudre. Norbert le sentit, et cette fois, sut que Tina n'aurait pas le pouvoir de le calmer.

_ Tina... tu devrais reculer...

Mais à l'appeler, en vain, il voyait qu'elle ne cédait pas.

_ Tu dois résister Croyance... nous te protégerons... tu seras en sécurité, tu...

_ Tina...

Et l'avertissement dans le ton magizoologiste, était, cette fois, sans appel. Sa main enserra l'avant bras de l'Auror, et il commença à reculer, tout doucement, la tirant en arrière avec lui, et elle, elle se laissait éloigner, affligée, vaincue. Et cette fois, Croyance explosa, un cri déchiré s'échappa d'entre ses lèvres, et les yeux exorbités et les oreilles fumantes, il se jeta en avant, comme un fauve prêt à sauter sur sa proie. Dans la panique, les deux adultes s'étaient mis à courir, et propulsés au dernier moment par Norbert dans la cage d'un escalier de secours condamné, ils ne purent qu'entendre et attendre que tout se termine. La tension fit voler en éclat les murs, et l'obscurus brisa en deux l'une des épaisses poutres soutenant la voûte du plafond. Le dôme de pierre, fendu, s'éboula dans la seconde suivante sur le corps de Croyance, avant même qu'il n'ait réussi à changer de forme, et entraînant une déchirure continue dans toutes les parois rocheuses du tunnel, ce fut comme si la ville s'écroulait sur eux.

Au bout d'une longue minute d'un vacarme assourdissant, le silence retomba, et Norbert, l'échine pliée au dessus du corps de Tina, qui l'avait agrippé aux épaules de toutes ses forces, se redressa, couvert de poussière, toussant, toussant, mais cherchant avant tout le regard de l'Auror en face de lui.

_ Tout va bien ?

Mais tout n'allait pas bien, parce que Tina comprenait ce qu'il s'était passé, et son désarroi transpirait par ses pupilles et tous les pores de sa peau. Elle déglutit, lourdement, ne trouvant pas d'autre force que celle de garder son regard rivé tout droit dans celui du sorcier, et son front chaud qu'il laissa tomber contre le sien l'aida à soulever le poids tombé sur son cœur.

_ Je suis désolé... tu n'aurais rien pu faire pour lui...

Tina hocha la tête. Elle savait. Faisant tout deux volte face, ils se dégagèrent une sortie en enfonçant la porte métallique pliée qui barrait le passage, et faisant quelques pas hasardeux sur les rails détruits, avisèrent de la scène se dévoilant à mesure que le rideau de poussière retombait sur le sol. Il n'y avait plus de tunnel, seulement une gigantesque faille qui leur laissait voir la ville et le ciel au dessus d'eux. L'orage s'était tu, il n'y avait plus ni pluie, ni vent, ni tempête, seulement un bourdonnement lointain et un ciel éclairci, où la lune s'était frayé un chemin. Mais Tina ne regardait que l'amas de débris devant elle, et cette mains blanche et vide qui s'échappait, seule tâche claire au milieu du gris et du noir, d'entre deux roches émaciées. Brûlée, elle détourna le regard, et dansant dans l'air juste sous ses yeux, des fragments de papiers tombèrent à ses pieds, pleuvant.

Norbert, qui les avait également vu, agita sa baguette en l'air, Les fragments de papiers se regroupèrent, et comme un retour arrière, une photo se reforma, froissée, tachée, brûlée par endroit, mais toujours reconnaissable. Lorsqu'elle retomba entre ses mains, Tina la lui prit, comme surprise, et tâta ses poches inconsciemment. C'était la photographie de Norbert qu'elle avait volé, non, emprunté dans les archives du MACUSA quelques heures auparavant, elle avait dû tomber lorsqu'ils s'étaient jetés à corps perdus dans le renfoncement de l'escaliers, pour échapper à l'éboulement du tunnel sur leurs pauvres têtes. Le magizoologiste, penché par dessus l'épaule de l'Auror, contempla la photo avec surprise.

_ Mais...c'est moi... comment as-tu trouvé ça ?

Avisant de la date inscrite au bas du cliché, il fronça les sourcils. Cette photo ne lui disait rien du tout, et pourtant c'était bien lui qui était imprimé sur le papier, jeune, étrangement vêtu de sombres vêtements, regardant hagard autour de lui comme s'il cherchait quelque chose ou cherchait au contraire à s'en cacher. Tina se mordit la lèvre, parce que soudainement elle comprenait qu'elle allait devoir lui révéler sa petite escapade dans les archives, raison pour laquelle elle était entrée en possession de cette photographie et qu'elle était introuvable dans le MACUSA lorsque l'alarme s'était déclenchée.

_ Dans les archives du MACUSA...tu as un dossier d'enquête là bas...

Un trouble nouveau revêtit ses traits, et Norbert l'invita à lui parler librement en posant une main rassurante contre son épaule. Et Tina craqua.

_ Ashley sait tout, sur Aria, sur Leta... elle sait tout...et je...

_ Quoi ?

_ As-tu abandonné Leta Lestrange mourante et enceinte après lui avoir rendu visite, exactement neuf mois avant la naissance de Ashley ?

La brutalité de la question fit presque tomber Norbert par terre, et son visage devint si blême que l'Auror craignit, pendant une seconde, qu'il ne perde véritablement connaissance. Et cela répondit à sa question, parce que bien sûr, évidemment, Norbert ignorait tout, il n'avait rien fait, et elle le savait. Elle n'en avait jamais douté.

_ je n'ai plus revu Leta depuis des années...nous avons perdu définitivement contact à la sortie de Poudlard...

Il baissa la tête.

_ Je ne sais même pas à quoi elle ressemble aujourd'hui...

Et Tina crut se prendre une claque, et pour une fois ce n'était pas un monstre de jalousie qui rugissait dans son ventre. C'était une étrange forme de culpabilité, paralysante, terriblement acide. Elle baissa la tête.

_ Elle est morte il y a plusieurs années...

Elle est morte.... morte... morte. Morte.
C'était comme si cette simple phrase se répétait à l'infini dans sa tête, il n'y avait que ça, et des flashs de souvenirs, de vives réminiscences qu'il osait à peine croire. Une partie de lui venait de se briser, et il s'en voulait de ne pas l'avoir su, lui qui l'avait pourtant aimé avec tant de violence. Leta est morte. Elle est morte. Norbert passa une main lasse sur son visage, Tenta de chasser la douleur qui grandissait au fond de lui et de se concentrer. Le regard tendre et coupable que lui offrit Tina aida, et il se sentit chanceux d'au moins l'avoir elle près de lui pour l'épauler et éponger ses douleurs. Il lui en serait toujours reconnaissant.

Le silence s'allégea finalement, après une longue seconde de flottement, et l'Auror inspecta l'image à nouveau, plissa les yeux pour trouver les petits détails cachés entre les ombres et les plis. Il y avait aussi ce petit scintillement, à peine discernable, sous le manteau noir que portait le jeune magizoologiste sur cette photo, ce petit point blanc qui n'arrêtait pas de titiller ses pupilles. Et bien sûr, Tina se flagella mentalement d'être parfois si longue à la détente, elle finit par comprendre la clé que représentait cette innocente photo, qui soudain lui semblait peser une tonne. Elle ferma douloureusement les yeux.

_ Je sais qui est sur cette photo.

Norbert lui offrit un regard interrogateur.

_ C'est...

Mais elle fut interrompue dans sa phrase par le retentissement d'un éclair électrique lumineux qui déchira sur ciel avant de disparaître, bientôt suivit d'un autre, et d'un autre encore, les éclats se succédant dans un vacarme de crépitements et d'étincelles. Les deux jeunes gens levèrent la tête en cœur, le regard braqué sur le toit d'un immeuble au loin, à travers l'immense faille au dessus de leur tête, et observèrent un instant ce qui paraissait être des sortilèges fuser au loin avant de s'évanouir dans l'air.

_ C'est un duel ?

Tina tourna la tête vers Norbert, et la panique dans son regard la dissuada de poser la moindre autre question.

_ On y va. Suis moi.

Et leurs mains jointes à nouveau, ils partirent en courant s'enfoncer dans les méandres labyrinthiques des souterrains, Tina guidant la course avec une précision frénétique. Elle savait exactement ce qu'il se passait désormais, et chaque respiration apportait son lot de question et de réponses. Et elle avait peur tout à coup. S'ils arrivaient trop tard, tout serait terminé. Pour le plus grand bien.

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