Chapitre 38

~Yeonjun~

Yeonjun n'écoutait que d'une oreille la conversation qui s'établissait à leur table.
Comme d'habitude Chan et Yeri comblaient le vide qui pourrait accompagner leur repas. Le jeune couple racontait leur journée, se plaignait de leurs cours, plaisantait à propos de certains professeurs. En particulier des nouveaux, qui n'avaient aucune compétence pour l'enseignement. Chan soupirait en faisant part d'une nouvelle gaffe de Kim Mingyu durant le dernier cours de botanique.

Taehyun mangeait en souriant. Il participait rarement aux conversations, mais écoutait toujours très attentivement ce qui se disait.
De son côté Kai s'exprimait de plus en plus, à force de faire tournoyer sa baguette il oubliait parfois de manger.

Et Yeonjun restait silencieux, écoutait sans écouter. Comme il le faisait depuis le début de l'année en compagnie de ses deux amis.
Mais ces derniers temps il se perdait plus fréquemment dans ses pensées, au point d'oublier ce qui se trouvait autour de lui. Et en ce moment son esprit s'égarait pour trouver toujours le même sujet: Choi Soobin.

Les élèves quittaient peu à peu les bancs du réfectoire, de même que les professeurs en bout de salle. Les cours allaient bientôt reprendre.
Yeonjun cligna plusieurs fois des paupières afin de revenir à la réalité, il rangea rapidement ses couverts sur son plat à peine entamé et se redressa à la suite de ses camarades. Mais la main de Taehyun attrapa sa manche, l'incitant à rester assit.

Il questionna son petit-frère du regard, mais ce dernier resta obstinément silencieux. Il attendit que leurs amis aient quitté la table, que le réfectoire se vide, pour déclarer:

- Avec Beomgyu on a discuté, on pense qu'il faudrait que tu ailles lui parler.

Yeonjun sentit son estomac se retourner, heureusement qu'il n'avait pas beaucoup mangé, heureusement qu'il n'y avait plus personne autour, heureusement qu'il savait effacer les émotions sur son visage.

- Parler à qui ? Demanda-t-il, bien qu'ayant déjà la réponse.

Taehyun se tourna vers lui, l'air agacé.

- À Soobin voyons.

- Il ne veut parler à personne.

- Je ne dis pas qu'il faut le faire parler. Je dis que toi tu dois lui parler.

Il le devait, oui, ça faisait trois jours qu'il se le répétait. Depuis l'interrogatoire, depuis que Soobin s'était enfermé dans son mutisme, caché sous sa couette, il devait aller le voir. Réclamer des explications, lâcher tout ce qu'il avait sur le coeur, tout ce que les informations débité par Hwang Minhyun provoquaient en lui.
Yeonjun avait mal. Il souffrait plus encore que quand Soobin avait rompu avec lui. Avant il aurait pu seulement croire que le garçon ne l'aimait plus, qu'il ne pouvait rien y faire et qu'il suffisait de pleurer un bon coup. Mais désormais il savait la vrai raison derrière leur rupture, une malédiction avait causé sa souffrance, une simple marque maudite les avait séparé.

Soobin lui avait caché ça.

Cette simple idée rendait Yeonjun fou de rage.

- Je ne sais pas si ça arrangera quoi que ce soit. Il n'acceptera même pas de m'écouter, soupira-t-il.

Taehyun déposa sa main sur la sienne, son regard se fit plus doux, encourageant.

- Si t'essayes pas t'en saura jamais rien. T'as besoin de tout relâcher, n'attend pas plus longtemps ou tu vas finir par exploser. Et je suis sur que Soobin a aussi besoin de t'entendre. Tu sais beaucoup de problèmes peuvent être réglé rien qu'avec une conversation sincère. Ne gâche pas cette occasion, où tu pourrais le regretter plus tard.

Les paroles de son petit-frère étaient comme une gifle. Pas de celles qui faisaient mal, celles qui te remettaient les idées en place, qui te poussait à te lever et aller affronter tout les barrages sur ton chemin.
Il eut envie de rire de dépit. Ce n'était pas à Taehyun de lui parler comme un grand-frère, de l'encourager et de lui faire la morale. Yeonjun devrait être celui qui donnait des conseils au plus jeune, et non l'inverse.

Voir que son cadet s'inquiètait pour lui lui réchauffait le coeur. Il fut incapable de le dire haut et fort, alors il se fit seulement la promesse de ne plus donner d'occasion à Taehyun de se faire du soucie pour lui. La prochaine fois, c'est lui qui assumera son rôle de grand-frère.

- Merci, répondit-il, en serrant doucement la main du plus jeune.

Puis il se leva, bien décidé à appliquer ses conseils. Il irait trouver Soobin, il deballerait son sac, il se déchargerait avant d'exploser. Tant pis si ça appuyait de vieilles blessures, tant pis si ça faisait mal, ils en avaient besoin tout les deux.

Yeonjun devrait se rendre en cours à cette heure-ci, mais il s'en fichait. À cet instant, rien ne lui semblait plus important que le garçon caché sous une couverture dans leur chambre commune.
Il se mit a courir en sens inverse des autres élèves, ignorant leurs regards de travers, ignorant ceux de sa classe qui ne comprenaient pas pourquoi il ne se dirigeait pas vers la salle de potion. Il atteignit l'aile réservé aux chambres des professeurs, y croisa le chemin de Jihoon, Soonyoung et Jeonghan mais décidé de les ignorer. Il aperçu les deux professeurs tenter de le suivre, mais le petit-ami de son frère les en dissuada. Jeonghan saisissait une situation en un regard, s'en était presque effrayant.

Yeonjun entra dans leur chambre et fit claquer la porte derrière lui, faisant sursauter Beomgyu qui se tenait assit tranquillement sur la table du centre. Le jeune Serpentard lisait un livre qu'il avait visiblement emprunté à Taehyun, avec ou sans l'approbation de celui-ci, et referma doucement l'ouvrage en voyant le septième année se diriger vers le seul lit occupé de la pièce.

- Je vais dans le couloir, murmura-t-il.

Une fois la porte refermé, Yeonjun inspira un bon coup.

- Soobin ?

La forme sous la couverture ne bougea pas, on pouvait juste distinguer le levé léger d'une respiration.
Dormait-il ? Yeonjun était certain que non.

- Soobin, lèves-toi. Il faut qu'on parle.

Toujours aucun mouvement, aucune réponse, on ne percevait presque plus la respiration.

- Très bien, alors moi je vais parler. Tu n'auras pas d'autres choix que d'écouter.

Sa poitrine se serrait, il devait se faire violence pour empêcher à sa gorge d'en faire de même. Ce n'était pas le moment de se décourager, il avait décidé de mettre les choses au clair, il avait terriblement besoin de déballer tout ce que son coeur fissuré renfermait.

- Pourquoi tu ne m'as rien dit pour cette malédiction entre toi et Beomgyu ? J'aurais pu comprendre, tu le sais bien, tu le sais mieux que personne. Tout les deux on se comprenait mieux que personne.

Sa voix flanchait, il ne pouvait rien y faire. Juste inspirer un bon coup, rassembler ses émotions, les laisser se déverser.
Tant pis si quelques larmes tombaient avec tout ça, il se devait bien ça. Depuis quand ne s'était-il plus permis de pleurer ?

- Je t'ai tout dit de moi, des problèmes avec ma famille, de mon sentiment de solitude, de mes pouvoirs réveillés trop tôt et de mon manque de contrôle qui avait failli coûté la vie à mon petit frère. Je t'ai dit que je me sentais comme un monstre. Encore aujourd'hui, je peux te le répéter sans crainte, sans gêne. Parce-qu'avec toi c'était facile de parler. Je peux tout te dire.

La forme remua légèrement sous la couette, Yeonjun cru qu'une réponse viendrait, mais rien. Soobin redevient immobile.
Une larme coula sur sa joue, il l'essuya avec rage.

- Et toi tu m'as dit pour ta famille stricte, pour toute les attentes qui pesaient sur tes épaules. Tu m'as dit que tes pouvoirs ne s'étaient pas développé à douze ans, que tes parents avaient usé de magie noire pour faire de toi un sorcier. Tu m'as révélé un secret qui aurait pu te coûter cher si je l'avais divulgué, alors... Pourquoi ?

Soobin était son premier amour, son premier et son dernier. Mais il était plus encore que celà, il était la première personne avec qui il avait pu se confier. Avant lui Yeonjun n'avait jamais eu personne, il s'était toujours senti seul, à part, incapable d'être aimé.
Ils étaient pareil tout les deux, ils soulageaient ensemble cette peur d'être différent, de ne pas être à la hauteur, de ne pas être méritant. Ils s'aimaient comme ils auraient voulu qu'on les aime.

- Tu avais peur que je ne veuille plus de toi parce-que ta malédiction nous condamnait à ne plus nous toucher ? Tu avais peur que je te rejete alors tu m'as rejeté en premier ? Tu voulais m'éloigner avant d'avoir mal, avant que...

- Avant de te faire mal.

La voix de Soobin s'était élevé dans un murmure, mais Yeonjun la reçu comme un coup. Une deuxième larme tomba, alors qu'un sanglots explosait avec un éclat de rire dans sa gorge.

- Mais ça m'a fait mal... Ça m'a fait mal putain ! S'exclama-t-il.

Plus mal que cette impression d'être un monstre, plus mal que la peur qu'il lisait dans les yeux de sa mère, plus mal que de comprendre qu'il était entouré d'inconnus, plus mal que son enfance dans la solitude glaciale.
Soobin lui avait fait goûter à la chaleur de l'amour, puis l'avait détruit d'un geste vague de la main.

- Mais ça aurait fait encore plus mal, de savoir qu'on se serait aimé sans pouvoir s'aimer.

La couette tomba, Soobin se redressa en tailleur sur son lit. Son visage était trempé de larme, ils pleuraient ensemble comme des idiots.

- Mes parents voulaient me marier à une fille qu'ils avaient choisi, ceux de Beom pareil. Au départ, on leur a fait croire qu'on sortait ensemble pour qu'ils arrêtent de parler de ces histoires de mariage mais... Ils n'ont rien voulu entendre. Nous relier c'était une punition
... Une menace. Ils disaient que si on arrêtait nos conneries, si on acceptait de leur obéir, alors ils lèveraient cette fichu malédiction.

Yeonjun accusa le coup de cette révélation.

Autrement dit, eux deux ça n'aurait jamais été possible, avec ou sans malédiction.
Yeonjun essuya les larmes sur son visage et renifla. Il tentait de garder la tête autre, de paraître un minimum digne, alors qu'il avait envie de s'effondrer.

Qu'est-ce qu'il croyait, que ce serait aussi facile de sortir avec un gars comme Choi Soobin ? Qu'ils leur suffisaient de s'aimer et que toute les portes s'ouvriraient pour les laisser s'embrasser ?
Il repensait à ce que Seungcheol avait dit à Taehyun, comme quoi des gars comme Beomgyu et Soobin ne fréquentaient pas n'importe qui, qu'ils ne vivaient pas dans le même monde. Ces deux garçons ne pouvaient pas se permettre de faire ce que bon leur semblait, ils avaient des responsabilités autres que le commun des mortel.

S'ils voulaient être maître de leur vie, on les punissait en les maudissant, leur rappelant ainsi qu'ils n'avaient pas le choix sur leur propre destin.

- Mes parents n'auraient jamais voulu que je sois avec quelqu'un comme toi... quelqu'un qu'ils n'auraient pas choisi pour moi. Et le seul moyen de mettre fin à la malédiction c'était d'accepter d'épouser une fille de bonne famille. Maintenant qu'il n'y a plus de magie, nos parents à Beom et moi sont de toute façon incapable de lever la malédiction. On est bloqué comme ça.

C'était Soobin cette fois qui donnait l'impression d'exploser. Lui aussi il avait milles et un maux sur le coeur, lui aussi il avait besoin de parler, de tout relâcher.
De crier au visage de Yeonjun à quel point il avait mal lui aussi.

- C'est insupportable, de t'aimer sans même pouvoir te prendre dans mes bras. Te tenir éloigné c'était la seule solution. Pour mes parents Beomgyu et moi c'est une vaste blague irréaliste, alors toi ? Putain... comment j'aurais pu les convaincre d'accepter ma relation avec toi ?

- Et toi tu as besoin qu'ils t'acceptent, murmura Yeonjun.

Sur ce point là il comprenait mieux que personne. Lui aussi il aurait été prêt à tout, juste pour que ses parents s'intéressent un peu à lui, soient fière de lui, et lui glissent un "je t'aime" parfois.

- J'avais beaucoup trop à perdre.

Un triste sourire se greffait sur le visage de Soobin. Le sourire d'un homme brisé.

- Et là j'ai tout perdu.

- Soobin...

Yeonjun voulu avancer, il voulait lui prendre la main, ou le serrer dans ses bras. Mais il se rappela la malédiction et se figea.
L'autre garçon perçu ce qu'il avait essayé de faire, ses larmes redoublèrent d'intensité.

- Mes parents vont aller en prison. Ils vont perdre leur fortune, leur pouvoir, avec mes frères et soeur nous serons rejeté de la société sorcière, moqué et blâmé pour le restant de nos vies. Et tout ça juste à cause de moi.

- Ne dis pas ça.

- Si la magie revient le Ministère fera en sorte d'annuler l'enchantement qui pèse sur moi, je vais redevenir un moldu. Je vais devoir vivre loin des sorciers, dans un monde que je ne connais pas. Et si la magie ne revient pas, alors Beomgyu et moi sommes maudit ensemble pour l'éternité, personne ne pourra détruire ce fichu lien. Et en plus de ça on risque de tous finir en prison, parce-que des types du ministère pense que c'est nous les responsables de la disparition de la magie.

C'était une boucle infini, un cercle vicieux dont personne ne voyait la sortie. Yeonjun avait beau réfléchir, il avait beau chercher les bons mots, il ne trouvait rien de suffisant.
Rien n'était assez puissant pour réconforter le désespoir qui coulait sur le visage de Soobin, rien de ce qu'il pourrait dire ne changeait quoi que ce soit.

Il posa une main sur sa tête, serra une touffe de cheveux entre ses doigts et effleura l'étrange petite bosse qui ne quittait pas son crâne depuis le début de la crise.
Il lui semblait même qu'elle avait légèrement grossi.

- Ah, et j'oubliais presque que quelque-chose essaye de nous buter tout les cinq, continua Soobin. Peut-être que j'aurais ni le temps d'allez en prison ou de redevenir moldu, je vais crever avant de...

S'en était trop, Yeonjun ne pouvait plus supporter de voir ce sourire brisé. Alors il attrapa la couverture, enferma la corps de l'autre garçon en-dessous et le prit dans ses bras.

- On va surmonter ça ensemble, murmura-t-il.

C'était pas l'étreinte qu'il aurait voulu, mais c'était mieux que rien. Il pouvait poser son visage contre l'épaule de Soobin, sentir les tremblements de son corps contre le sien, entendre les pulsations de son souffle et les battements de son cœur. Et sentir son odeur, celle du même shampooing à la lavande qu'il utilisait déjà lorsqu'ils sortaient ensemble et qui le poussait souvent à enfoncer son visage dans les cheveux de Soobin pour mieux s'en enivrer.

- On trouvera les responsables de la disparition de la magie, ils ne pourront plus nous faire du mal et on ne sera plus accusé à tord. Tout rentrera bientôt dans l'ordre. Le ministère ordonnera la fin de votre malédiction à toi et à Beomgyu. Et si ils ordonnent aussi qu'on fasse de toi un moldu, alors ce sera l'occasion d'un nouveau départ.

Il avait conscience de prononcer des promesses trop incertaine, mais qu'importe.
Tout ce qui comptait, à cet instant, c'était de tenir le garçon qu'il aimait contre lui.

- On a pas besoin d'être des sorciers pour être heureux. Je serais avec toi Soobin, je ne te laisserais jamais tomber.

Cette promesse là, en l'occurrence, il savait qu'il la tiendrait.

Après tout, son coeur, aussi cassé soit-il, appartenait et appartiendrait toujours à Choi Soobin

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