III

« L'idée du temps, à elle seule, est le commencement du regret. Le regret, le remords, c'est la solidarité du présent avec le passé : cette solidarité a toujours sa tristesse pour la pensée réfléchie, parce qu'elle est le sentiment de l'irréparable. »

On avait tous dans notre vie, dans notre histoire, eu des passages, subit des événements, adopté des comportements dont nous n'étions pas vraiment fiers.

Cela pouvait susciter chez la plupart d'entre nous regrets et remords. Pour lancer le débat, nous pouvions dire que regrets et remords ne servaient, objectivement, à rien, ce qui était fait était fait, ce qui était dit était dit, l'histoire était l'histoire et aucune attitude ne pouvait faire oublier cela. L'histoire ne se remontait pas et allait toujours de la cause vers l'effet et jamais à l'inverse.

Alors pourquoi cette propension aux attitudes punitives, aux culpabilisations, aux repentirs ?

« Le regret est une seconde erreur. »

On pouvait définir le regret comme l'analyse, a postériori d'un comportement qui nous avait nui ou lésé. Le jugement critique différé nous faisait comprendre, admettre que si un comportement dans le passé nous avait causé préjudice, un comportement mieux adapté, à l'époque, aurait pu nous permettre de mieux nous en sortir et d'éviter des conséquences qui s'étaient avérées fâcheuses.

Le regret était donc un certain mélange de désir et de tristesse. Avant tout c'était un désir; quand nous regrettions un « plaisir » passé, nous tendions vers ce plaisir, notre être faisant effort vers lui ; il y avait comme un moment d'illusion où nous croyions pouvoir l'atteindre encore. Mais aussitôt l'idée du passé se présentait, c'est-à-dire l'idée que ce plaisir était perdu pour nous, impossible à ressaisir. Par la suite, notre désir à peine naissant était refoulé, comprimé ; il était misérablement mort-né ; alors naissait la tristesse.

Le regret était donc le désir impuissant et triste d'une joie passée.

« Le regret est un amplificateur du désir. »

Ce qui faisait la coloration spéciale, la mélancolie presque douce parfois du regret, c'était précisément qu'il s'attachait au passé. Or le passé était un moyen terne entre l'imaginaire et le réel ; le passé avait été réel, mais il ne l'était plus ; de sorte qu'il était à la fois affirmé et nié et que le souvenir en était à la fois agréable encore, quoique douloureux. De là, l'espèce de volupté amère qui, dans le regret, se mêlait au désir et à la tristesse : car nous nous rappelions la joie passée ; nous la goûtions encore en quelque mesure par l'imagination.

Le regret prenait alors la forme d'une auto-absolution. Puisque on était capable, après coup, de juger négativement ses actes passés, c'était que l'on n'était pas aussi mauvais que cela. Nos manquements de jadis se ramenaient à une forme d'erreur aujourd'hui corrigée et donc en grande partie excusée (selon le grand principe de l'excuse : faute avouée est à moitié pardonnée).

C'était bien sûr un simple écran de fumée, nos erreurs du passée étaient nos erreurs de passé. Ce qu'on pouvait en penser maintenant, notre regard critique d'aujourd'hui n'effaçait en rien ce qui s'était passé jadis.

« Le remords, c'est l'horreur d'avoir douté. »

On peut définir le remords comme l'analyse a postériori d'un événement qui avait nui ou lésé une tierce personne. Le jugement critique différé nous faisait comprendre, admettre que si un comportement dans le passé avait porté préjudice à un tiers, un comportement mieux adapté, à l'époque, aurait pu nous permettre de mieux lui éviter des conséquences qui s'étaient avérées fâcheuses.

Le remords s'opposait au regret plus peut-être qu'il ne s'en rapprochait. Comme le regret, c'était un sentiment de tristesse; comme dans le regret, l'idée du passé y était essentielle.

Mais tandis que le regret était un effort pour faire renaître quelque chose, le remords était un effort pour effacer quelque chose ; regretter, c'était désirer que le passé soit encore ; avoir un remords, c'était désirer que le passé n'ait pas été. Le regret était la souffrance de ne pouvoir ressaisir ce qui avait été perdu, le remords était la douleur de ne pouvoir effacer l'ineffaçable.

Et de plus, il se mêlait au remords un élément nouveau qui lui donnait sa teinte spéciale, c'était l'idée de l'immoralité, l'idée de la déchéance, l'idée que l'on aurait pu et que l'on devait éviter la faute.

« Comme le souvenir est voisin du remords ! »

De sorte que la douleur du remords venait d'un triple « sentiment » d'impuissance : d'abord on se sentait aujourd'hui impuissant à supprimer l'action passée; puis on souffrait à l'idée qu'on avait été impuissant en présence de la tentation, que la volonté avait été vaincue honteusement et par la suite on se voyait impuissant dans l'avenir, on doutait de soi, on se disait que toute la vie serait une suite de chutes et de rechutes.

Avec le temps, ce dernier élément disparaissait, la confiance renaissait ; et on appelait précisément « repentir », le remords adouci par le temps et par l'espoir du relèvement.

Le remord s'exprimait alors comme une demande d'absolution de la part des personnes lésées pour le préjudice subit. Avoir des remords c'était demander à être pardonné (toujours selon le grand principe : faute avouée est à moitié pardonnée).

« Lequel vaut mieux : d'avoir des remords ou des regrets ? »

Evidemment le pardon n'effaçait pas la faute. Il pouvait permettre d'améliorer l'image de soi, d'effacer en partie le souvenir de la faute, mais ne l'effaçait jamais

L'expression d'un regret ou d'un remords n'avait donc aucun sens, aucune valeur au niveau individuel. Cependant, au niveau de l'acceptabilité sociale elle jouait encore un rôle important. Bien que tout un chacun avait eu pleinement conscience de l'irréversibilité de l'histoire, ayant, plus ou moins, des choses à se faire pardonner, c'était un grand jeu de dupe que de reconnaître les regrets et remords des autres. Cela permettait de justifier les siens et de se donner la « bonne conscience » que l'on recherchait tous.

Murir, on l'avait souvent avancé, c'était se dégager de toute emprise fusionnelle des autres ou de son environnement pour aller vers un vécu libre et indépendant. C'était aussi se dégager de toute relation fusionnelle avec son passé pour vivre son présent en toute indépendance. Le passé devait être considéré comme lié au présent par une relation causale, mais il devait rester à sa place de passé et ne jamais s'immiscer dans le présent.

Alors, oublions les regrets et remords (ou du moins prenons les pour ce qu'ils étaient : un élément d'intégration sociale) et attachons nous à la critique objective de nos actes. Non pas en projetant notre vécu présent dans le passé pour juger nos actes anciens, mais en projetant ces actes passé dans notre présent pour définir la bonne attitude à adopter au cas où la situation devait se reproduire. Assumons nos erreurs, assumons d'être ce que nous étions et ce que nous avions été. Gardons à l'esprit que les erreurs des autres étaient de même nature que les nôtres, que leurs remords et regrets procédaient du même mécanisme que les nôtres. Ne nommons pas chez les autres méchanceté, barbarie, lâcheté, ce que nous appelions erreurs chez nous.

« On mènera une vie sans regrets ! »

- - -

- Bon. On va reprendre les bases tout doucement, Ace. D'accord ?

Dey munit d'un lourd dossier ainsi que d'un crayon qu'il tapotait sur ses feuilles regarda son patient par-dessus ses lunettes teintées. Il n'arrivait toujours pas à y croire. L'état comateux dans lequel était resté le jeune brun semblait être un lointain souvenir. L'amélioration de son état soudain les avait tous laissé coi et lui le premier. Bien que cela ne remontait qu'à deux semaines réellement...

Après la nuit où Ace avait prononcé ses premiers « véritables » mots depuis son sauvetage miraculeux à Shanks, cela signa la fin presque officielle de son long coma. Pendant près d'une semaine il continua par la suite à s'éveiller quelque peu à intervalle irrégulier, surprenant à chaque fois les pirates qui le surveillaient sur le moment. Il s'éveillait et il disait encore le même mot. Encore et encore. Le même prénom résonnait faiblement et inlassablement dans l'infirmerie. Et peu importait, qu'on lui répondait ou non. La même chose se répétait. Le même prénom s'élevait dans les airs.

« ... Luffy... »

Ce souffle affaibli. Ce souffle rauque. Ce souffle étranglé. Le souffle inquiet d'un grand frère qui malgré un état des plus critiques ne se préoccupait que de son cadet.

Puis, il y avait quelques jours, d'autres mots avaient quitté cette bouche fragile.

Il avait essayé de mener une conversation qui, malheureusement ou pas, avait concerné une certaine envie de viande. Tout l'équipage en avait ri sur le moment et s'était attendu à retrouver le Ace plein de gaieté qu'il avait rencontré il y a plus de deux ans, Or, ce ne fut pas le cas. Ace restait terriblement affaibli et ne parvenait à rester éveillé qu'une dizaine de minutes au début. Cette durée d'éveil s'accrut de jour en jour mais le brun demeura buté sur ses paroles. Il ne s'inquiétait que de Luffy. Rien d'autre ne semblait compter à ses yeux.

- Ace. Si tu réponds à mes quelques questions, nous essayerons de te parler de Luffy.

Si le brun voulait faire son gamin, Dey n'allait pas se gêner, surtout qu'il avait déjà l'habitude avec le grand enfant qu'était son capitaine. Et son chantage sembla fonctionner puisqu'un grognement s'éleva.

- Évite de faire cela ou tu risques de t'abîmer les cordes vocales.

L'ancien commandant de la Seconde Division de Barbe Blanche roula des yeux avec lassitude et le blond s'éclaircit la gorge, comprenant qu'il allait avoir enfin l'attention qu'il demandait depuis plusieurs minutes.

- Je vais te poser des questions simples. Réponds-y calmement et pas besoin de me faire de longues tirades.

- Et après,... tu me dis comment va Luffy... ?

- Shanks viendra t'expliquer tout ça si tu es encore suffisamment en forme après mes questions.

- Je... le serai...

L'expiration fut sifflante mais une détermination sans limite brûlait dans les yeux sombres d'Ace qui s'étaient posés sur le médecin. Le besoin de savoir comment allait son frère prenait presque instinctivement le pas sur son état fiévreux. Un fin sourire de satisfaction étira les lèvres de Dey devant cette volonté. Cette volonté était le signe incontestable que le brun était tiré du coma. D'affaire ça se discutait largement puisque son état demeurait instable mais si mentalement ça tenait le coup, ça ne pouvait annoncer que du mieux pour la suite.

- Ton nom ?

Les sourcils bruns se froncèrent sur le coup, non pas sous une éventuelle amnésie mais plutôt sous la simplicité de la question.

- Portgas D. Ace...

- Ton âge ?

- Vingt ans...

- Ta date de naissance ?

Sa respiration se coupa sur le moment. Il avait toujours eu du mal avec cette date. Cette date à laquelle sa mère l'abandonna dans ce monde. Néanmoins, la réponse, bien que difficile, fut soufflée.

- Premier janvier...

Le stylo marquait des croix au fur et à mesure que les réponses s'enchaînaient toutes aussi banales les unes que les autres. Elles allèrent d'éléments physiques le caractérisant comme ses tâches de rousseur à ce qu'il aimait faire. Ce fut long, très long. La fatigue le força à plusieurs reprises à fermer les paupières durant quelques secondes. Le peu d'énergie qu'il avait fondait comme neige au soleil et il n'avait aucun moyen d'accélérer cet interrogatoire des plus inutiles, son corps ne lui répondant toujours pas. Étrangement.

- Le nom de ta mère ? demanda Dey, le nez baissé sur sa feuille.

- Portgas D. Rouge..., soupira le brun avec une certaine lassitude.

- Et celui de ton père ? Biologique.

La question s'éleva doucement dans la pièce, mais pourtant assourdissant le jeune brun dont les traits se crispèrent. Même si désormais le monde était au courant de ses origines, Dey se devait sérieusement de lui poser la question ? Jamais il n'aurait cru qu'un jour ce nom qu'il maudissait de tout son être sortirait à nouveau de sa bouche. Mais il devait répondre à cette question. Pour Luffy. Et pour lui.

- Gol D. Roger...

Une croix vint à nouveau marquer le dossier et ce fut avec un sourire satisfait que le médecin reprit :

- C'est parfait. Aucune trace d'une possible amnésie partielle.

- Abrège..., grogna le brun.

- Ça ne sert à rien de râler, Ace. Je vais aller te le chercher. Toutefois, sous aucun prétexte, je ne veux savoir que tu t'es énervé à un moment donné. Compris ?

- Oui,... oui...

Dey soupira légèrement et quitta son tabouret, l'épais dossier en main, pour ouvrir la porte et sortir de la pièce. La porte refermée, à nouveau un silence pesant rythmé aux "bip... bip..." lents et réguliers des machines vint envahir les lieux, abandonnant le blessé à ses pensées. Un souffle ennuyé passa ses lèvres et il ferma les yeux sur ce plafond dont il commençait à en avoir marre de fixer les planches. Il les avait même comptées pour tout dire.

Depuis son "réveil", s'il pouvait considérer cela ainsi, Ace avait compris trois choses. Il n'était pas mort, du moins, il n'était plus mort. Le fait qu'il soit toujours vivant n'était pas normal, il s'était senti et vu mourir à Marineford. Que s'était-il donc passé pour que son cœur batte une fois encore ? Pourquoi était-il sur le navire du Roux et non dans sa tombe bien-aimée ? Il était également paralysé. Son corps ne lui répondait plus même avec toute la volonté du monde. Il ne ressentait plus rien du côté de la partie inférieure de son corps et c'était à peine s'il arrivait maintenant à plier ses phalanges ou tourner la tête. On lui avait dit à plusieurs reprises qu'il était sous de fortes doses de calmants pour qu'il ne ressente pas la douleur, mais même s'il n'était pas médecin, il se doutait qu'il avait quelque chose de plus grave. Outre les douleurs fantômes passagères, la morphine ou quelque tranquillisant que ce soit, cela n'était pas magique et ne pouvait effacer sa capacité à se mouvoir et toute sa douleur suite aux importantes blessures subites dernièrement. Enfin, autre fait intriguant qu'il liait pour le moment à sa « mort » et à son étrange paralysie, il ne pouvait s'enflammer. Il ne ressentait plus la chaleur insolite du Mera Mera no Mi à laquelle son corps était habitué depuis désormais trois ans. Il n'arrivait à produire la moindre petite flammèche. Que lui était-il donc arrivé ?

Un grincement le tira soudainement de ses pensées et du triste sommeil qui lui tendait les bras, menaçant dangereusement de l'emporter. Avec difficulté il rouvrit lentement les yeux, sa vision prenant quelques secondes avant de se préciser, et un rire familier s'éleva dans l'infirmerie.

- C'est comme ça que l'on m'accueille, Ace ? Je te croyais en forme ! Si tu veux je peux très bien repasser à un autre moment.

Un soupir échappa au brun à la remarque du capitaine et il répondit faiblement :

- Non... idiot. Dis-moi plutôt, comment va... Luffy... s'il te plait.

Un sourire étira les lèvres du roux qui derrière cette aimable réflexion, si on pouvait dire ça ainsi, reconnaissait l'impatience et l'inquiétude du grand frère. Il ferma la porte derrière lui et poser une partie du dossier que lui avait donné Dey au passage sur le bord du lit du miraculé avant de s'asseoir sur le tabouret à proximité.

- Ne t'en fais pas. Je vais te dire le peu que je sais sur lui mais avant, je vais répondre à une des questions que tu m'avais posée il y a quelques jours.

- Shanks..., siffla le brun, les dents serrées, avec impatience.

- Ace. Tu veux savoir ce qui se passe, non ? Sache alors que tu es mort.

Les paroles résonnèrent vaguement dans la pièce et le souffle d'Ace se coupa alors que ces mots faisaient leur chemin dans sa tête. Il le savait. Il le savait, mais qu'on le lui dise clairement en face ne faisait pas le même effet. Il était donc mort à Marineford. Vraiment mort. Son cœur avait réellement cessé de battre dans les bras de son jeune frère.

- Ne t'en fais pas, le rassura aussitôt le Yonkou qui avait surpris l'impact de ses paroles. Tu es mort, oui, mais actuellement vivant sinon je ne serais pas en train de te parler.

- Pourquoi... ?

C'était le seul mot qui hantait son esprit. Un mot qui n'était que le point de départ d'un nombre incalculable d'autres questions qu'il se posait.

- Je vais tout t'expliquer...

Shanks prit une profonde inspiration avant d'entamer son récit sous l'oreille attentive d'Ace.

- Tu es mort officiellement. Mort et enterré... 

-----------------------------------------

Hey, je m'excuse pour ce petit retard (pour moi) puisque je voulais initialement le publier samedi mais bon Euripide ne voulait pas me laisser tranquille. Sinon, c'était la dernière fois que vous avez une introduction philosophique, n'hésitez à me dire ce dont vous en avez pensé puisque même si ce n'est pas la chose la plus intéressante du chapitre, c'est un travail pour l'auteure. 

Autrement, pour le chapitre en lui-même, j'espère qu'il vous aura plu même si c'est encore que le début et ça doit se voir que je tâtonne un peu. Je dois adapter les caractères des personnages à la situation et notamment développer celui de certains comme Dey (dont le nom n'est pas le nom officiel du personnage puisqu'il n'est pas donné et on le connait que d'apparence) ou encore Shanks (qui reste un personnage avec des zones d'ombres dans sa personnalité). Pour Ace, je souhaite que vous comprenez qu'il est un peu dans les vapes encore (son état demeure critique) et j'espère que ce n'est pas trop dérangeant et reste potable.

Par ailleurs, je précise que le prochain chapitre sera un test, il est en lien avec l'histoire mais vous verrez sa particularité à sa sortie. Il faudra me dire ce que vous en pensez à ce moment-là pour voir si je devrais en prévoir d'autres.

P.S : Quelle est votre mer préférée dans One Piece ? (or Calm Belt)

Des bisous~

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top