II

« La mort n'est rien pour nous. »

La mort était une privation des sensations dans ce sens. Ces dernières étaient ce qui fondait notre connaissance et nous guidaient dans la recherche des plaisirs du corps et de l'âme. Sans sensations, la mort ne pouvait nous affecter. Elle n'était donc ni à craindre, ni à souhaiter.

La mort ne pouvait exister sans nous. Elle était un événement nécessaire. Nécessaire : qui ne pouvait pas être autrement. C'était une loi du vivant/ de la nature. Nul ne vivait éternellement.

La vie et la mort s'excluaient réciproquement l'une l'autre.

« Quand nous existons, la mort n'est plus là, et lorsque la mort est là, nous n'existons pas. »

Qui disait alors événement nécessaire, ne disait pas non contingent : la contingence désignait ce qui pouvait arriver par hasard, ce qu'on ne saurait prévoir (ou bien, ici ce n'était pas en ce sens là : ce qui pouvait être autrement qu'il n'était). Ce que l'on n'aurait su déduire d'aucune loi.

Tout comme il était nécessaire que tout corps obéisse à la loi de la chute des corps, on ne pouvait déduire de cette loi le moment où la pierre allait quitter son lieu, allait être déplacée, ou bouger, et donc, obéir effectivement à la chute des corps. De même, on ne pouvait déduire de la nécessité de la mort le moment où X allait mourir. X allait mourir un jour ou l'autre, mais ce moment était indéterminé. C'était un événement.

La mort était donc quelque chose qui allait arriver certainement, mais on ne savait pas d'avance quand ce moment allait arriver.

Mais la mort n'était pas un fait ou une loi naturelle(s) comme les autres. Ma mort n'était pas le même « événement » que la mort de quelqu'un en général. La mort, si elle était fin de l'espèce, était aussi fin de l'individu. Or, l'individu était un être irremplaçable, à nul autre pareil. La mort d'un individu n'avait rien à voir avec la mort de l'espèce humaine, d'un « homme en tant qu'homme ».

On n'atteint ici que le « dehors » de la mort. On ne pouvait penser la mort en tant que telle, c'est-à-dire, le caractère tragique, irremplaçable, de « cette » mort pour les proches (car c'était toujours un individu qui meurt).

Mais plus encore, ne pouvions-nous pas dire que l'on ne pouvait par définition se représenter ce qu'était ou ce qu'avait été la mort pour telle et telle personne ? Cela, on ne le savait pas. Il aurait fallu pour cela que les morts reviennent et témoignent de ce qu'ils avaient vu et vécu. Ce qu'était la mort, nous ne le savions donc pas, nous l'imaginions.

Il s'agissait en effet d'expliquer non pas un être, mais un mouvement, ce qui aurait impliqué de prendre en compte un état initial A, un état final B et le passage de l'un à l'autre.

Mais le mouvement mourir à quelque chose qui le distinguait de la plupart des autres mouvements ou processus. D'ordinaire, pour un mouvement physique par exemple, on pouvait observer à la fois l'état initial et l'était final. La particularité de la mort en tant que mouvement était au contraire que les hommes connaissaient bien l'état d'où ils partaient, soit la vie, mais ignoraient tout de l'état auquel ils arrivaient.

« Personne n'en ai jamais revenu pour en témoigner. »

Pour certaines croyances, mourir aurait consisté en la séparation de l'âme et du corps. Cette explication de la mort supposait qu'on distinguait dans l'homme une entité matérielle, le corps, et une entité spirituelle, l'âme. La question de la mort était donc étroitement liée à la question de l'existence de l'âme, à celle de son éventuelle immortalité, et enfin à celle du rapport de l'âme et du corps.

Avec cette idée, la mort pouvait apparaître comme libératrice, dans la mesure où elle permettait à l'âme de rejoindre des réalités spirituelles plus conformes à sa nature que les réalités matérielles.

Or, on pouvait l'opposer à la pensée que si seuls existaient dans le monde la matière, c'est-à-dire les atomes, l'âme n'existait pas en tant que réalité spirituelle, c'est-à-dire immatérielle. L'âme était réductible elle aussi à la corporéité : elle était faite d'atomes, avec cette seule différence que ces atomes étaient plus fins que ceux qui constituaient notre corps. Les hommes n'étaient donc comme les animaux que des corps particulièrement bien organisés, certes, mais sans principe spirituel car l'âme elle-même était un corps.

Le caractère désespérant de la matérialité de l'âme, et donc de la possibilité de sa mort par dissolution, pouvait apparaître comme une mauvaise nouvelle sur le plan existentiel. Mais la mortalité de l'âme apportait son lot de consolation : l'âme était le principe du sentiment, c'est-à-dire de la possibilité de recevoir du plaisir et de la souffrance ; or la mort dissolvait les atomes qui constituaient l'âme, et donc avec elle disparaissait la sensibilité ; la mort était donc pour nous insensible. Elle était une fin définitive, mais ce n'était ni un bien ni un mal.

« Carpe Diem ! »

- - -

Bip... bip... bip...

Ce bruit mécanique et régulier était comme une berceuse, une berceuse presque naturelle que l'on pourrait assimiler au "plic... ploc..." de la pluie tant ce rythme était reposant. Et pourtant, cette berceuse fut ce qui le tira doucement du long sommeil dans lequel il était plongé. Ses paupières frémirent de façon presque imperceptible et il essaya de bouger une de ses mains mais il ne put, son corps lui donnant l'impression d'être paralysé. Non pas comme s'il se sentait attaché au lit sur lequel il était allongé, mais plutôt dans le sens où son corps ne réagissait pas. Il ne lui répondait pas. La seule chose qui semblait encore fonctionner chez lui était son cerveau et accessoirement sa tête.

Avec lenteur et une certaine appréhension, ses yeux s'ouvrirent. Son regard aux couleurs des fonds marins ténébreux resta rivé sur ce plafond en planches qui lui apparut flou dans un premier temps. Il n'était pas dans une chambre d'hôpital ou autre et il avait l'étrange sensation que l'endroit où il se trouvait tanguait avec langueur comme s'il était en mer. Sa vision se précisa peu à peu et il papillonna des paupières tout en essayant de remettre ses idées en place. Sa tête lui faisait mal, une vilaine migraine l'assaillait, son sang battant douloureusement à ses tempes. Et cette douleur était totalement paradoxale avec ce qu'il ressentait dans le reste de son corps. Tout simplement parce qu'il ne ressentait rien. Rien du tout.

Son esprit encore embrumé, ses souvenirs ne tardèrent à refaire surface et sa bouche s'entrouvrit lentement. Ses yeux fatigués et vides s'écarquillèrent de surprise et le "bip... bip..." régulier d'une machine commença à s'affoler, agressant ses oreilles encore sensibles de son récent réveil. Alors que la berceuse au tempo lent et délicat s'accéléra furieusement, une porte s'ouvrit en grinçant, faisant pénétrer une lumière aveuglante à l'intérieur de la pièce.

- Calme-toi un peu s'il te plaît, recommanda soudainement une voix familière.

La personne qui venait de parler posa sa lampe sur un bureau couvert de documents divers en rentrant calmement. Il passa aux côtés du blessé, qui s'était retrouvé aveuglé par la luminosité soudaine, et appuya sur quelques boutons d'une des machines l'entourant. Le calme revient presque aussitôt dans la salle, le silence rythmé par la respiration irrégulière et sifflante du jeune homme couché. Le regard écarlate du nouvel arrivant dériva alors sur celui-ci dont les pupilles s'agitaient prestement, ne semblant pouvoir rester fixes plus d'une seconde. Un air peiné prit place sur son visage aux traits durcis par l'âge et l'expérience et il alla s'asseoir sur un tabouret, juste à côté du lit. Jamais il n'aurait pensé voir un jour ce garçon si souriant, qui avait fait tout un chemin des plus périlleux juste pour le voir et le remercier, dans cet état un jour.

- Calme-toi, répéta-t-il. Ou je vais devoir aller chercher Dey pour qu'il te pique. Tu ne crains rien ici. Tu es en sécurité.

C'était des phrases simples, courtes et rassurantes qu'il essayait de lui dire. Toutefois, il ne savait même pas s'il l'écoutait. Nerveusement il vint passer une main dans ses cheveux écarlates et soupira alors qu'il écouta les expirations sifflantes ralentirent, s'espaçant peu à peu. Il avait eu de la chance que ce soit le bruit de l'électrocardiogramme qui l'eut tiré de son sommeil et non un cri étranglé comme les autres fois. Jamais il n'aurait été capable de le gérer autrement et il ne pouvait se permettre de réveiller Dey Bodey. Celui-ci était éreinté à force de s'occuper des soins intensifs que demandaient le corps inanimé de ce jeune homme.

C'était justement pour permettre à son médecin de bord de se reposer que des tours de garde avaient été instaurés. Chaque jour et nuit, hors des opérations et des périodes de soins, les membres de l'équipage se relayaient pour monter la garde devant la porte de l'infirmerie au cas où le miraculé serait sujet à une crise qu'il fallait vite calmé. Rien de penser à cela épuisait encore plus l'homme qui passa une main fatiguée sur son visage dont les traits étaient tirés par le manque de sommeil.

- ... Luffy...

- Hein ?

C'était un souffle, un souffle difficile qui avait réussi à franchir les lèvres entrouvertes craquelées. Un souffle qui avait surpris l'homme roux.

- Luffy...

Un sourire soulagé vint étirer les lèvres du pirate.

- Ne t'en fais pas, Ace, dit-il avec une joie non-dissimulée dans le ton de sa voix. Luffy a également été sauvé. Ne t'en fais pas.

Un souffle apaisé échappa au prénommé Ace et ses paupières, lourdes comme des chapes de plomb, se refermèrent lentement. Sa respiration reprit peu à peu un rythme lent et plus ou moins régulier et son veilleur du soir demanda alors calmement :

- Comment te sens-tu ? As-tu mal quelque part ?

Il y eut quelques longues secondes de silence avant qu'un souffle pénible ne s'élève.

- Rien... je ne... sens rien...

- C'est normal. Tu es sous de puissants calmants. La douleur ne reviendra que dans quelques heures mais on t'en réinjectera aussitôt.

- ... Pour... pourquoi... ?

- Si tu refais une crise, tu risques de mourir pour de bon et nous ne pourrons plus rien faire pour toi. Il faut que tu restes calme pour le moment.

- ... Non..., le coupa faiblement une voix enrouée. Pourquoi.... pourquoi suis-je... suis-je encore... en vie... ? Pourquoi... ? ... Dis-le-moi... Shanks...

Le coin des lèvres du dénommé Shanks tombèrent légèrement vers le bas et il vint poser avec bienveillance son unique main droite dans le chevelure d'ébène du blessé.

- Repose-toi encore. Nous reparlerons de ça lorsque tu seras en meilleur état. Tu es pour le moment encore bien trop faible. Concentre-toi sur ta guérison.

Pour seule réponse les paupières tressaillirent faiblement et une expiration difficile échappa à Ace qui semblait déjà être reparti dans les bras de Morphée qui ne paraissait pas vouloir lui laissait trop d'indépendance. Le roux soupira doucement et son regard dériva presque instinctivement sur le torse lourdement bandé. Au centre, le pansement plutôt épais avait encore une fois de plus pris une légère teinte ocre et allait demander à être changé comme tous les jours depuis près de quatre mois maintenant. Et une fois encore, en tant que capitaine mais aussi ami, il allait assister Dey à cette tâche presque ragoutante compte tenu de la gravité de la plaie se trouvant en-dessous.

C'était une routine difficile, mais une routine à laquelle il devait se plier, une routine qu'il devait assumer depuis qu'il avait choisi de lui sauver la vie.

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Hey j'ai donc pris l'initiative de vous sortir certes le chapitre le plus court mais avec la fin la plus propre selon moi (notamment pour l'agencement du prochain chapitre). Sinon, oui, j'ai encore fait une petite introduction philosophique et on en retrouvera encore une autre dans les prochains chapitres après ce sera fini, promis. Bien évidemment, la philosophie exprimée n'est pas à prendre au pied de la lettre, c'est pour moi une introduction me permettant d'expliciter certains termes d'une meilleure façon en puisant chez des philosophes et recueils.

Autrement, petit rappel pour ceux qui s'attendent à une romance rapide et tout : c'est mort. Je vais prendre un temps monstre à construire mon histoire et mettre en place la relation donc il va falloir attendre plusieurs chapitres avant d'avoir un soupçon de romance véritable. Je suis le genre de personne qui aime la construction de la romance et donc je vais prendre le temps d'y développer, notamment avec le contexte particulier de cette histoire. Merci de votre compréhension.

La suite arrivera soit en fin de semaine ou la semaine prochaine.

Des bisous.


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