Amy&me
- GABRIELLE ! Tu es encore en retard !
... L'agression auditive à sept heures du matin.
- Gabrielle !
Putain mais elle me saoule quand elle s'y met.
- Gabrielle Favre ! Si tu ne descends pas immédiatement...
- C'est bon, j'arrive ! Braillais-je.
- Tiens, me dit sèchement ma mère une fois que j'arrivai en bas, ton lunch pour ce midi. Et veille à ne pas l'oublier cette fois.
- Ouais.
Je fourrai cette chose que ma mère osait appeler "repas" dans mon sac de cours et filai en trombe pour ne pas rater mon bus.
- Tu pourrais au moins me dire au rev...
C'est ça oui, dans tes rêves, me dis-je en claquant la porte.
Je me dirigeai vers l'arrêt de bus en marchant à grandes enjambées, respirant profondément.
Marcher me faisait du bien. Me faisait oublier tout ce que mon quotidien avait d'insupportable. Comme le ton sec et désagréable de ma mère. Son regard froid permanent, comme si je n'étais qu'une gêne constante pour elle.
Inspire.
Expire.
Arrête d'y penser !
Je me concentrai sur mes pas, m'efforçant d'oublier ma mère et de me calmer.
J'arrivai, assez rapidement, à mon arrêt. Juste à temps, comme d'habitude.
Je me laissai tomber sur un des derniers sièges et laissai mes yeux vagabonder sur le paysage ensoleillé du matin.
Ça me faisait toujours un effet reposant, presque somnifère. Je respirai un grand coup, m'efforçant d'évacuer toute pensée négative.
Au bout d'un moment, il y eut un plus gros arrivage de passagers et une fille s'assit juste en face de moi. Les premières secondes, je n'y prêtai guère attention, mais lorsque je levai le regard vers elle... J'eus un choc.
Taille fine...
Cheveux blonds dorés...
Yeux bleus clair...
T-shirt blanc délavé avec le drapeau des USA dessus...
Jeans tout aussi délavé et troué par endroits...
Bottines cloutées...
Bref, cette fille avait de la classe.
Moi, j'étais rousse, enrobée, mes yeux étaient bruns et mon style vestimentaire était des plus banals.
Ce genre de nana vous file toujours plus de complexes que vous n'en avez déjà...
Et elle dut sentir que je la détaillai (ces filles-là le sentent toujours) car elle tourna d'un coup ses prunelles aussi délavées que ses vêtements pour me regarder.
Je m'attendai à trouver du mépris dans son regard. Ce fameux petit regard rabaissant qui veut dire "oh ! Tu peux me fixer autant que tu veux, tu n'en seras pas moins ordinaire par rapport à moi. Et ça tombe bien pour moi en plus, j'aime ça : être regardée."
Mais quelle surprise pour moi ! Elle se contenta de m'adresser un petit sourire timide. Le genre de sourire que j'aurais pu adresser moi-même à une personne qui m'aurait longuement fixée sans raison...
- Excuse-moi, je sais que c'est assez gênant comme je t'ai regardée, mais t'as vraiment du style en fait. On te remarque tout de suite, c'est pour ça.
Mais qu'est ce qui m'avait pris de dire ça ?? Elle allait sûrement me prendre pour une tarée maintenant.
- Oh, merci tu es gentille. Mais tu sais, ce ne sont que des vieilles fringues, rien d'extraordinaire...
Ouah ! Je m'y attendais pas du tout à celle-là.
Je baissai les yeux, embarrassée d'avoir parlé comme ça à une inconnue, et encore plus qu'elle m'ait répondu aussi gentiment.
Au bout d'un petit moment, j'osai à nouveau croiser son regard et je constatai, avec stupéfaction, qu'elle me souriait toujours. Ses traits naturellement avenants s'en trouvaient comme éclairés.
J'étais vraiment étonnée qu'une fille comme elle, sûrement la pom-pom girl ultra populaire de son bahut, se montre aussi sympa avec moi.
Je voulus lui parler à nouveau avant de descendre, mais je m'aperçus que j'étais déjà arrivée à destination. Je me levai donc précipitamment pour sortir quand, à ma plus grande joie, je vis qu'elle me suivait pour partir, elle aussi.
Je me retournai brièvement pour lui sourire en retour et croisai le regard de quelques passagers. Ceux-ci me fixaient étrangement. Mais pour une rare fois, je décidai de ne pas prêter attention aux regards des autres...
Une fois à l'air libre, je lui demandai précipitamment :
- Comment tu t'appelles ?
- Amy.
- C'est trop beau ! J'aurais bien voulu m'appeler comme ça. D'ailleurs, mon père avait aussi envisagé ce prénom. Mais finalement, ma chère mère a opté pour Gabrielle.
Je grimaçai.
- C'est joli Gabrielle. C'est le nom d'un ange.
- Ouais, bof, y a mieux disons.
- Et pire. Y a toujours pire tu sais, chuchota-t-elle d'un air un peu bizarre.
- C'est pas faux...
C'était la première fois de ma vie que je conversais aussi facilement avec une inconnue, alors je ne fis pas attention.
- Dans quelle école tu vas ? Lui demandai-je.
- British School. L'école bilingue de la région.
Sérieusement ? Elle avait trop de chance. J'avais voulu y aller aussi. Mais c'était une école privée, donc chère, et ma mère avait insisté pour que j'aie une scolarité normale.
La plaie.
Elle ne ratait jamais une occasion de me gâcher la vie, évidemment. "Tu n'as pas le niveau requis pour une telle école. Même si on réussit à t'y envoyer, tu ne feras que retarder ta classe." disait-elle...
Nous échangeâmes encore quelques mots. Je lui appris que mon plus grand rêve était de partir aux États-Unis. Elle me répondit qu'elle aussi était fan de culture américaine.
Je finis en lui demandant son horaire, pour pouvoir, peut-être, la recroiser un matin.
- Tu me verras dans le bus tous les mercredis.
- Mon jour préféré de la semaine, souris-je.
- Décidément, le destin met le paquet aujourd'hui, dit-elle en riant. Moi aussi j'aime beaucoup ce jour.
Cette rencontre avait illuminé une journée que je croyais déjà perdue d'avance. Ce fut donc de bonne humeur (pour une fois) que j'arrivai à mon bahut et que je m'installai à ma place habituelle. Seule. Tout devant.
Mais, pour la première fois, cette solitude ne me dérangeait pas.
*****
Quelques temps avaient passé depuis ma rencontre avec Amy. Je me sentais incroyablement bien en sa présence, plus forte, moins insipide qu'avec tous les autres. Et nos nombreux points communs avaient créés entre nous une complicité immédiate, ce qui était rare pour une fille asociale comme moi.
Bon de toute manière, ce n'est pas comme si j'avais un entourage très varié pour m'aider à m'ouvrir sur le monde. Avec des profs qui faisaient tout pour me descendre à chaque contrôle et ma mère qui me rabaissait à chaque réunion scolaire, c'était pas la joie.
Aujourd'hui, Amy venait chez moi. J'avais profité d'un énième rendez-vous extérieur de ma mère pour l'inviter. Tant qu'elle n'était pas là...
- C'est joli ici. Mais pas très décoré.
- Ouais je sais. Les goûts de ma mère hein...
- C'est un peu sinistre quand-même.
- Je te le fais pas dire.
- Ça te dit de refaire la déco ? Me demanda-t-elle soudain surexcitée.
- T'as des idées ?
- Ce mur, là. On pourrait le faire en rouge.
- C'est dingue.
- Quoi donc ?
J'éclatai de rire.
- On a pensé la même chose. En plus le rouge est ma couleur préférée !
Elle rit avec moi, tête penchée sur le côté, avec son regard en coin.
- Okay, repris-je. Il nous faut de la peinture. Le truc c'est que j'ai pas d'argent.
- T'en fais pas, Gab'. J'en ai, moi.
- Ça te dérange pas d'y aller seule ? Moi je suis crevée. Besoin de faire une sieste.
C'est vrai que je me sentais subitement endormie.
- Pas de souci ! Me dit-elle avec un grand sourire.
Une fois qu'elle fut partie, je me laissai choir sur le canapé et sombrai instantanément.
*****
- Gab' ! Réveille-toi.
Après quelques secondes de brouillard, je m'aperçus qu'elle était revenue... les bras vides.
Et ses habits tous tachés.
- Mais... Qu'est-ce qui t'est arrivée ? C'est quoi ça ?
- Oh, me dit-elle ingénument, eh bien j'avais acheté un gros pot de peinture écarlate mais, sans faire exprès, je l'ai renversé sur le chemin du retour. Alors j'ai préféré rentrer me laver... et tant pis pour le relooking de ton salon !
Nous rîmes de concert.
- Prends vite une douche avant que ma mère n'arrive. J'ai pas très envie qu'elle te chasse à coups de balai.
Et un peu plus tard, après lui avoir prêté des vêtements à moi, elle eut une nouvelle idée pour nous distraire.
- Et si on allait au bord du petit lac ?
- Maintenant ? Mais il va bientôt faire nuit...
- Justement, c'est le meilleur moment !
Son regard avide cherchait le mien. Et comme je ne pouvais rien lui refuser...
- Ok. Allons-y !
*****
- Amy... C'est quoi ça ?
Mon amie avait sorti d'un buisson... une hache.
- Ben, tu le vois bien, me dit-elle guillerette.
- Ouais mais... Qu'est-ce que tu veux qu'on en fasse ici et à une heure pareille ?
Elle avait les yeux hagards, comme fous. Elle s'approcha de moi avec son petit sourire en coin, lentement. Elle souleva une mèche de mes cheveux filasses et me murmura à l'oreille :
- T'as pas une petite idée ?
Je n'arrivai pas à formuler de réponse, je pouvais juste sentir son parfum et ça me perturbait.
Puis, d'un coup, je sentis une vive douleur à mon avant-bras.
Elle m'avait mordue.
Elle releva la tête et me sourit encore, totalement démente. Du sang perlait de sa bouche et maculait son t-shirt.
- Du sang, dit-elle. Il nous faut du sang. Plus de sang.
Et quelque-chose explosa en moi. C'était comme si d'un coup je savais ce que je devais faire. Comme si j'avais trouvé ma voie. Ma raison d'être. Ma mission sur cette terre.
Je levai ma main droite pour caresser son visage, fascinée par la splendeur macabre de ses traits.
- Oui... Il nous faut du sang.
Un craquement nous firent sursauter.
Devant nous, un jeune homme qui se promenait là avec son chien.
Comment osaient-ils nous interrompre dans notre transe sanguinolente ?
Ils allaient devoir payer.
Et il nous fallait du sang.
Alors, poussant un grand cri, je pris la hache des mains d'Amy et me jetai sur lui.
Les premiers coups furent ceux qui firent le plus de bruit. Chair, sang et os volaient dans tous les sens.
Les suivants furent plus silencieux.
Mon massacre terminé, j'admirai mon œuvre d'art, hébétée. Amy s'approcha silencieusement de moi. Je tournai rapidement la tête de son côté et vit qu'elle était aussi maculée de rouge que moi.
Elle, s'était occupée du chien.
Son sourire était doux et emprunt de fierté.
Mais soudain, la peur envahit son visage.
- Attention !!
Trop tard, je sentis un choc électrique violent dans mon dos.
Et je perdis connaissance.
*****
J'étais dans du coton.
Du moins c'est la sensation que j'avais.
Des sons lointains me parvenaient mais c'est comme si j'étais trop loin pour les saisir. Puis, progressivement, ils se firent plus proche. J'essayai de bouger mais en vain.
Après un temps indéfini, je réussis enfin à soulever mes paupières.
J'étais à l'hôpital.
Les néons blancs aveuglants et toutes les machines au biiip agaçant autour de moi me le confirmèrent.
Ce que je ne comprenais pas, par contre, c'est POURQUOI j'étais sanglée à mon lit...
J'étais attachée comme un animal.
Comme une folle.
Mais pourquoi ?
Je n'eus pas le temps de m'attarder dans mes réflexions, je devais retrouver Amy mon amie, mon double. La seule personne qui me comprenait.
Elle était peut-être dans la même horrible situation que moi. Je devais l'aider. Après tout, nous n'avions rien fait de mal, n'est-ce pas ? Nous avions juste fait couler un peu de sang. Du sang...
- Madame Favre. Reprenez-vous s'il vous plaît !
Je sursautai. La porte de ma chambre était entrouverte et je pus voir un policier en train de parler à ma mère, qui était étrangement pâle et sanglotante.
- Mais... Comment... Pourquoi ? J...Je n'ai r..rien vu venir, rien...
- N'étiez-vous pas au courant que votre fille avait arrêté de prendre ses médicaments ?
- Non ! Je v..viens à p..peine de le découvrir. Je ne comprends pas... Son père et m..moi faisions très attention.
Et elle éclata en sanglots.
- Madame Favre. Le diagnostic des médecins est sans appel. Votre fille devra être enfermée à vie ! Il y aura un procès bien sûr, mais le verdict est d'ores et déjà assuré : Deux meurtres en une journée, sans compter le chien qui accompagnait une des victimes...
Sans parler de tous les témoignages de ses camarades d'école et de toutes les personnes qui prenaient régulièrement le bus en même temps qu'elle et qui ont tous affirmé qu'elle se parlait à elle-même !
Non, non, ne pleurez pas, Madame. Vous avez fait tout ce qui était en votre pouvoir pour lui offrir une vie normale et plus douce malgré sa maladie, mais ça ne peut pas fonctionner.
Comportement psychotique, hallucinations, distorsion de la réalité, paranoïa extrême et agressivité dès que l'on ne va pas dans son sens...
Vous ne pouvez plus rien faire pour votre fille. Elle ne se rend absolument pas compte de ce qu'elle a fait. A ses yeux, vous et votre mari vous seriez ligués contre elle. C'est un danger envers elle et envers les autres ! Il faut la placer dans un endroit isolé et sécurisé !
- C'est de ma faute ! MA FAUTE !
-Non Madame, je vous assure que non. Calmez-vous...
-Si j'avais p..pu... Faire plus... J... J'aurais dû... J'aurais d..dû...
- Non, madame, vous n'y pouvez rien. Rien du tout.
Personne ne peut deviner ce qui se passe dans la tête d'une adolescente...
Fin
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