XXV - Amourir
⚠ TW : MORT
Oscar
Je tiens la main de Nathanaël dans la mienne, en tremblant et en ayant les larmes aux yeux. Sa main est complètement froide. Je fais glisser mes doigts jusqu'à son poignet, mais je ne sens pas son pouls. Je ne le sentirai plus.
Son cœur s'est arrêté de battre, en plein de milieu de l'opération. Les médecins ont essayé de le réanimer pendant un long moment, mais ça n'a rien fait. Son cœur a refuser de battre à nouveau.
C'est son père qui m'a envoyé un message. J'étais tellement heureux d'avoir un message de la part de Nathanaël jusqu'à que je le lise et que je me rende compte que ce n'est pas lui qui l'avait écrit, mais son père. J'ai demandé à notre professeur – c'était notre professeur de français alors il a tout de suite accepté – à sortir de la salle et j'étais à peine arrivé dans le couloir que je me suis effondré en larmes.
Je fixe son corps sans vie. Sa poitrine qui ne se soulèvera plus jamais, ses yeux qui ne s'ouvriront plus et ses lèvres qui n'embrasseront plus jamais les miennes. Nous ne nous dirons plus que nous nous aimons. Nous ne nous serrerons plus de toutes nos forces dans nos bras. Nous ne rirons plus tellement à s'en faire mal aux joues. Plus rien du tout. Plus rien.
Plus rien.
Plus rien.
Rien.
Rien alors qu'il nous restait tellement de choses à vivre, à voir, à découvrir. On avait encore d'autres journées à passer ensemble, d'autres nuits à passer sous les étoiles où il me montrait les constellations et où je lui répéterai que c'était lui l'étoile qui brille le plus, des moments où je lui répéterai inlassablement que je l'aime et qu'on se fera mille promesses. Des promesses comme celle que je lui ai demandé de rester avec moi et de ne pas rejoindre les autres anges. Ou comme celle où je lui ai dit que je resterai toujours auprès de lui quoiqu'il arrive.
Je laisse échapper une larme en le regardant. Puis une seconde. S'en suit ensuite une troisième. Puis un torrent de larmes accompagné de sanglots bruyants et de spasmes violents. Et je sens mon cœur qui finit par se briser encore plus qu'il ne l'était déjà. Qui se détruit en des milliers de morceaux et qui hurle parce qu'on lui a retiré sa raison de battre.
J'ai l'impression que ce n'est pas réel. Qu'il va finir par rouvrir les yeux, qu'il va me dire encore qu'il m'aime. Je ne peux pas croire qu'il est mort. Pas lui. Pas mon Nathanaël. Pas le garçon qui se battait depuis cinq ans avec ce foutu cancer. Pas ce garçon qui n'a cessé une seule fois de se battre contre sa maladie, et qui a toujours fait de son mieux pour rester fort, mais pour qu'au final la mort soit plus forte que lui et l'ai emmené dans son dernier combat.
Je relâche sa main et me rendant compte que de nombreuses larmes sont tombées dessus. Au même moment, j'entends la porte de la chambre s'ouvrir. Je lève la tête et j'aperçois le père de Nathanaël entrer. Je me lève du lit alors qu'il s'approche de moi et qu'il me prend dans ses bras. Il me serre contre lui alors que je laisse quelques larmes couler.
– Je l'aime, je lâche entre deux sanglots.
– Je sais, fiston... Mais on est là, tu sais, on va pas te laisser tout seul.
Je reste un long moment dans ses bras, jusqu'à ce que j'arrive à me calmer un peu.
– Je lui avais acheté un cadeau, je dis d'une voix tremblante.
Je m'éloigne de lui et m'approche de la chaise, où j'étais dessus il y a deux jours en faisant mes devoirs avec Nathanaël, sur laquelle est posée ma veste et j'en sors une petite boîte noire. Je reviens auprès du père de Nathanaël et ouvre la boîte, laissant apparaître une chaîne en argent ayant pour médailles un "O" ainsi qu'un cœur.
– Je me suis dit que comme il m'avait offert sa chaîne avec l'initiale de son prénom, il aimerait bien que je lui en offre une avec l'initiale de mon prénom.Je voulais lui souffrir après son opération.
– Tu peux mettre les deux médailles sur ta chaîne, me propose-t-il.
Je défais rapidement la chaîne de Nathanaël, retire les deux médailles que j'avais achetés pour les mettre sur sa chaîne et la remettre.
– Il sera toujours avec toi, comme ça.
Je ne réponds rien alors qu'il attrape mes mains dans les siennes.
– Lui aussi avait un cadeau pour toi.
Il indique de la tête le carnet de Nathanaël, posé sur la table de chevet. Je le regarde en restant toujours silencieux parce que je suis assez surpris.
– Il t'aimait, Oscar. Vraiment. Il m'a demandé de te le dire avant son opération.
– Il était content qu'on soit ensemble ? Enfin je veux dire, il était heureux ?
– Évidemment, fiston. Il n'a jamais été autant heureux. Et même s'il était retombé en dépression, tu as quand même réussi à l'aider.
– J'aurais tellement voulu le connaitre avant... Pour le rendre heureux avant.
– Tu as fait de ton mieux depuis que tu le connais, c'est déjà bien.
Je hausse simplement les épaules. Parfois, j'ai l'impression que ce n'est pas suffisant ce que je faisais pour Nathanaël.
– Merci d'avoir été là pour lui, Oscar. Je t'en suis incroyablement reconnaissant.
– Je pouvais bien faire ça pour lui, je réponds d'une voix tremblante.
– Je tiens quand même à te remercier. Il n'a jamais été heureux comme ça depuis qu'on lui a annoncé sa tumeur.
Je laisse couler quelques larmes et souris. Je suis ravi de l'avoir rendu heureux. J'aurais au moins servi à quelque en rendant heureux quelqu'un. Au rendant mon petit Nathanaël heureux.
– On est toujours là pour toi, Oscar. Ce n'est pas parce qu'il est partie que l'on va te laisser seul.
– Merci.
Je lui souris tristement et il me prend dans ses bras une nouvelle fois. Je le laisse faire, appréciant même son étreinte.
– Je vais devoir te laisser. Mais si tu as besoin, on est là. On t'aime, fiston.
Une sensation étrange me traverse lorsqu'il dit ces trois derniers mots. Sans doute parce que mes parents ne me l'ont pas vraiment dit.
Comme s'il savait ce dont je viens de penser il ajoute :
– Et si c'est compliqué avec tes parents, on est là aussi. On les laissera pas te faire du mal, Oscar.
– Merci beaucoup.
– Je t'aime, tu sais. Je te considère comme mon fils.
Les larmes roulent toutes seules sur mes joues alors que je le remercie encore. Nathanaël avait raison finalement : son père me considère bien comme son fils. Je sais bien qu'il ne remplacera jamais mes parents, mais ça me fait du bien de le savoir. Ça me fait du bien d'avoir une figure paternelle qui m'aime parce que je n'en ai plus depuis quelques années.
Il finit par me relâcher. Il me sourit puis il essuie délicatement les larmes sur mes joues. Il dépose un léger baiser sur mon front et quitte la chambre de Nathanaël silencieusement.
Je me tourne vers le lit et regarde Nathanaël. N'ayant pas la force de traverser la chambre pour m'installer sur la chaise, je m'assois sur le bord de son lit, à ses côtés. Je pose doucement son carnet sur mes genoux et je l'ouvre avec douceur. Parce que cet objet est aussi fragile et précieux que l'était Nathanaël. Je tourne les pages avec délicatesse et je prends le temps de lire ce qu'il a écrit. Et j'adore absolument tout ce qu'il a écrit. C'est à la fois beau et douloureux. J'aurais aimé lire ce qu'il a écrit avant pour lui dire à quel point je trouve sa plume belle.
Je continue de lire ses écrits pendant un long moment. Il y a beaucoup de textes sur la vie ou la mort, mais aussi sur moi. Et je trouve ça dommage qu'il ne me les ait pas montrés avant. Et il y a un texte parmi ceux que j'ai déjà lu qui retient particulièrement mon attention. Comparer à certains, il n'a pas de titre. Mais il est beau. Alors je le relis, encore une fois. Juste pour le plaisir de mes yeux à lire ses mots. Même si mon cœur s'en tord de douleur –– et d'amour.
« J'ai toujours pensé que l'amour n'était pas fait pour moi. Je voyais tous les autres adolescents de mon âge être amoureux, mais moi non. Ils enchaînaient les rencards et moi les séjours à l'hôpital. C'est sûr que personne n'avait envie de tenter une histoire d'amour avec quelqu'un qui passe plus de temps à l'hôpital qu'au lycée.
Et puis, Oscar est entré dans ma vie et j'ai arrêté de penser ça. Parce que pour la première fois, j'étais important aux yeux de quelqu'un qui n'était ni mes parents ni ma sœur. Et ça m'a fait du bien. Ça me fait du bien, mais ça me fait surtout peur. Je n'avais jamais été amoureux, c'était un sentiment que je ne connaissais qu'au travers des lignes des romans que j'avais pu lire auparavant. Mais les romans et la vraie vie ne sont pas identiques. Ce n'est pas aussi simple, malheureusement. J'avais donc peur de ce qu'était l'amour, mais aussi de sortir avec lui. Parce que je ne voulais pas qu'il ait tous mes problèmes à supporter. Mon état de santé qui pouvait se dégrader, mes poumons qui pouvaient arrêter de respirer n'importe quand, mes séjours à l'hôpital qui pouvaient arriver d'un moment à l'autre... Je suis un véritable problème ambulant. Pour les autres comme pour moi.
Alors je n'osais pas sortir avec lui. Parce qu'il y avait - il y a - cette petite voix qui hurle à l'intérieur de moi que je peux mourir en un claquement de doigt. Et à ce moment-là, qu'est-ce qu'il fera Oscar ? Ça fait des nuits que je me pose cette question. Si je meurs, il deviendra quoi ? Je ne veux pas qu'il gâche sa vie à cause de moi, à cause d'un amour de jeunesse. J'ai envie qu'il soit heureux. Même si je venais à mourir, je ne veux pas qu'il reste bloqué à cause de moi. Il faut qu'il continue à vivre. Qu'il vive pour moi s'il veut, mais qu'il vive. Il mérite d'être heureux et j'espère qu'il pourra l'être même si un jour je ne suis plus là.
Mais en attendant que la mort vienne m'arracher des mains de la vie, je veux profiter de lui. Je veux admirer ses magnifiques yeux bleus, je veux toucher du bout de mes doigts sa peau, sentir ses cheveux, embrasser ses lèvres. L'aimer comme on n'a jamais pu aimer quelqu'un. Parce que lorsqu'il me prend dans ses bras je m'y sens bien, je suis en sécurité. Et je déteste le moment où il est obligé de me lâcher. Si ça ne tenait qu'à moi, je resterais tout le temps blotti contre ses bras, la tête posée sur son torse, à écouter les battements de son cœur, à frissonner en sentant ses lèvres sur ma tête et à rougir à chacun de ses compliments.
Je l'aime. J'aime Oscar de tout mon cœur. Et j'ai envie de lui hurler avec toute la force de mes faibles poumons à quel point je suis amoureux de lui. Et si je pouvais choisir la façon dont je mourais, je choisirais celle où je me noierai dans ses beaux yeux d'un bleu océan. Je mourais en fixant l'une - si ce n'est la - plus belle personne que je n'ai jamais vue.
À mon beau Oscar,
Nathanaël
♡ »
Je fais glisser le bout de mes doigts sur le petit cœur qu'il a dessiné à la fin de cette page. Et je me dis que parfois je ne le méritais pas. Personne ne le méritait.
Je continue de lire ce qu'il a écrit, en regrettant vraiment qu'il ne me les ai pas montré plus tôt. Je finis par tomber sur un court message mais qui me brise violemment le cœur.
« Je te remercierai jamais assez d'avoir toujours été là quand je m'écroulais. Merci de m'avoir aider à me relever, de n'avoir jamais baisser les bras. Mais je voulais surtout te remercier pour tout l'amour que tu me portes. Je ne pensais pas que c'était possible qu'on m'aime autant.
Merci pour ton amour, Oscar.
Ton petit Nathanaël qui t'aime tout autant
♡ »
Je laisse les larmes rouler sur les joues et les inonder. Je referme le carnet pour éviter que mes larmes ne viennent l'abîmer. Je repose son carnet sur la table de chevet, mais au même moment je vois qu'il y a une feuille déjà posée dessus. Un dessin.
Je l'attrape doucement et le regarde en souriant. Le dessin que je lui avais demandé de faire. Il l'a fait. Il nous a fait. Il nous a dessiné, nous tenant la main. Lui avec son bonnet sur sa tête et moi avec mes cheveux bouclés. Mon regard glisse sur le coin en haut à droite de la feuille.
« Pour mon beau Oscar,
Je t'aime,
Ton petit Nathanaël
♡ »
Je sens les larmes qui redoublent le long de mes joues et pourtant mon sourire reste collé à mes lèvres. Il refuse de partir. Nathanaël a trouvé le temps de faire mon dessin. Je ne sais pas du tout quand, mais il l'a fait. Ça me fait du bien.
Je remarque aussi qu'il y a un livre posé sur la table de chevet. Le livre que je lui ai offert le jour même où nous nous sommes mis ensemble. Je l'attrape et l'ouvre où son marque-page est glissé entre plusieurs pages. Il en était presque à la fin. Et il ne connaîtra jamais la fin de cette histoire.
Mon regard continue de scruter la table de chevet et tombe sur la bague que je lui avais prêtée et qu'il avait enlevée hier est posée juste devant son livre. Je la récupère et l'enfile à mon doigt, en essayant de ne pas trop penser au fait que ça ne sera pas avec lui que je serais marié et avec qui j'aurais pleins d'enfants.
Je tourne la tête une nouvelle fois vers Nathanaël et le regarde, en me retenant pour ne pas me remettre à pleurer, ce qui est peine perdue lorsque je remarque le petit panda en peluche - que je lui avais offert - juste à côté de lui.
La porte de la chambre s'ouvre brusquement et je vois la mère de Nathanaël entrer, accompagnée de Mahé. J'essuie rapidement mes larmes et m'approche de ce dernier et le porte dans mes bras. Je me place de sorte à ce qu'il ne voit pas Nathanaël et qu'il voit la porte.
– Il est où Nathanaël ? me demande Mahé. Je peux le voir ?
Je sens les larmes qui me montent aux yeux mais je tente de les retenir. Je caresse ses cheveux comme pour essayer de me calmer un peu.
– Non, tu peux pas...
– Pourquoi ? Il va bien ?
Je reste silencieux et les larmes coulent toutes seules sans que je puisse les maintenir.
– Oscar, il va bien ? répète mon petit frère. Bah, pourquoi tu pleures ?
– On va rentrer, je dis à la fois pour Mahé et pour la mère de Nathanaël.
Je m'apprête à partir, mais la mère de Nathanaël pose son bras sur le mien pour m'arrêter.
– On est là, si tu as besoin de quoi que ce soit, me dit-elle doucement.
– Je sais.
– Vendredi prochain, dix-sept heures trente.
– Je serais là.
Elle relâche mon bras et je quitte la chambre de Nathanaël.
– Y'a quoi vendredi prochain ? m'interroge Mahé.
Je ne lui réponds rien et nous rentrons chez nous, Mahé me posant des questions auxquelles je ne réponds pas et mon âme qui hurle de douleur intérieurement.
◇◇◇
C'est le jour de l'enterrement de Nathanaël. Je tiens la petite main de Mahé dans la mienne parce que mes parents sont partis je ne sais vraiment où et que Mahé ne pouvait soi-disant pas venir avec eux. Et comme je ne veux pas le laisser tout seul, j'ai été obligé de l'emmener avec moi, sans qu'il sache vraiment pourquoi il est là.
– Oscar, il est où Nathanaël ? me demande doucement mon petit frère. Ça fait une semaine que tu parles plus de lui et qu'on le voit plus.
Je sens les larmes qui me montent aux yeux, mais je les retiens. Je ne veux pas pleurer devant lui.
– Tu pleures ? s'étonne Mahé. C'est parce que Nathanaël est pas là ? On peut l'attendre, si tu veux. Moi ça me dérange pas. Si ça peut te rendre tout content de le voir après, je veux bien l'attendre.
Je viens m'agenouiller à la hauteur de Mahé et le prends dans mes bras.
– Il reviendra pas, Mahé, je dis d'une voix tremblante.
– Il est parti où ?
Je laisse échapper quelques larmes et n'arrive pas à lui répondre.
– Je peux le retrouver ? demande Mahé. Je suis sûr qu'on va le retrouver.
– Tu peux pas, Mahé. Personne peut le retrouver. Il est parti.
– Pourquoi ? Je croyais que tu l'aimais ? C'est lui qui te rends heureux, il a pas le droit de partir !
– Je sais...
– Moi je resterai toujours avec toi, pour te rendre heureux.
Il dépose un petit baiser sur ma joue, puis grimace sans que je ne sache pourquoi.
– Tu piques avec ta barbe.
Une larme glisse le long de ma joue, mais je souris quand même.
Je m'arrête à quelques mètres du parvis de l'église et m'accroupis auprès de Mahé. Il me regarde avec un air interrogateur tandis que je sors quelque chose de ma poche.
– C'est quoi ? me demande-t-il.
– Un ruban gris, je lui réponds simplement.
Je l'accroche sur sa chemise et m'en accroche également un sur ma poitrine, au niveau de me cœur. J'attrape à nouveau sa main et brise les derniers mètres qui nous séparent du parvis.
En arrivant à l'église je remarque qu'il y a une grande majorité de nos camarades et même certains de nos professeurs. Je trouve enfin les parents et la sœur de Nathanaël et je vais les rejoindre. Elisa me serre dans ses bras et ne dit rien.
Je la relâche et lui adresse un sourire triste. J'aperçois Aeryn au loin. Je bredouille une excuse à Elisa avant de me diriger vers Aeryn, en faisant attention à ce que Mahé me suive bien. Elle a mis un ruban gris, elle aussi. Elle me prend dans ses bras et me serre fort dans ses bras. Je l'entends renifler plusieurs fois. Je lui caresse doucement le dos alors qu'elle me serre plus fort.
– Merci d'être venue, je lui dis d'une voix à peine audible.
Elle me relâche doucement et me regarde à travers ses yeux remplis de larmes.
– Je lui dois bien ça.
Je regarde en face de nous tous ceux qui sont venus. Il n'y a pas tant de monde que ça. J'aperçois une silhouette qui m'est familière au loin. La silhouette se rapproche de moi et je reconnais notre professeur de français. Il porte un ruban gris, lui aussi.
– Bonjour monsieur, nous lui lançons Aeryn et moi.
– Vous êtes venu ? je m'étonne.
– Je ne vois pas pourquoi je ne serais pas venu. J'étais son professeur. Je peux bien faire ça pour lui.
Je baisse la tête vers le sol et fixe mes pieds, sans ne vraiment savoir pourquoi.
– Tu pourrais nous laisser seuls, s'il te plaît ? demande notre professeur et je me doute bien qu'il s'adresse à Aeryn puisqu'elle s'éloigne de nous.
Je relève la tête et croise le regard de mon professeur.
– Comment tu te sens ? me demande-t-il.
– Vide. J'ai l'impression qu'on a arraché une partie de moi.
Ma voix se brise avant même que je n'ai terminé ma phrase.
– Je veux qu'il revienne.
Ma vue devient complètement trouble à cause de larmes. Mon professeur s'approche de moi et me serre contre lui. Je le laisse faire. De toute façon, je n'ai pas la force de le repousser.
– Faut que tu gardes la tête hors de l'eau, Oscar.
– J'y arrive pas. Je me noie.
– Mais tu n'es pas tout seul, il y a du monde pour t'aider à ne pas te noyer.
– Je veux me noyer, je veux pas qu'on m'aide.
– Oscar, sois raisonnable. Tu crois vraiment que Nathanaël voudrait que tu te noies ?
– C'est lui qui m'aidait à garder la tête hors de l'eau.
– Mais maintenant qu'il n'est plus là, tu as bien besoin que quelqu'un d'autre t'aide à garder la tête hors de l'eau.
– J'ai juste besoin de Nathanaël, je dis d'une voix déchirante.
Ma gorge se noue totalement et j'éclate à nouveau en sanglots.
– Je sais à quel point ça fait mal de voir quelqu'un qu'on aime partir. Mais c'est justement parce que tu l'aimes que tu dois le laisser partir.
Les mots restent toujours coincés dans ma gorge.
– Je sais que c'est dur, Oscar. Mais tu dois le laisser partir, répète-t-il doucement.
J'essuie doucement les larmes au coin de mes yeux alors que mon professeur me lâche doucement.
– Monsieur, vous savez où il est parti, Nathanaël ? intervient Mahé. C'est le copain d'Oscar et il est parti, mais je sais pas où il est. Et Oscar il est triste que Nathanaël soit plus là, mais moi je veux pas qu'il soit triste. Je veux qu'il redevienne heureux comme il l'était avant que Nathanaël disparaisse.
Mon professeur regarde tristement mon petit frère, mais ne lui répond pas.
– Il ne peut pas revenir, mon grand, lui dit mon professeur.
– Comment je fais pour que mon grand frère soit pas triste, alors ? demande Mahé.
– Rien, Mahé, je lui réponds. On peut rien faire. Mais t'en fais pas.
Je prends sa petite ma main et la serre contre la mienne en tentant de lui offrir un sourire rassurant.
– C'est ton petit frère ? m'interroge mon professeur.
– Oui. Je voulais pas spécialement qu'il vienne, mais j'ai pas eu le choix.
– Il aime pas quand il est triste et que je le vois, précise Mahé.
Je souris et passe une main dans les cheveux de Mahé en les ébouriffant.
– Je crois que ça commence, m'annonce mon professeur.
Je tourne la tête et vois que le parvis de l'église commence à se vider. Nous entrons à l'intérieur, mon professeur part s'asseoir avec d'autres personnes que je ne connais pas tandis que je l'approche du premier rang pour être aux côtés d'Elisa et des parents de Nathanaël. Mahé vient s'asseoir sur mes genoux et la cérémonie commence.
Vient le moment de faire un discours. Elisa m'encourage à y aller en premier. Je demande à Mahé de s'asseoir à ma place et prends mon courage pour aller jusqu'au pupitre et faire face à tous les invités.
– Est-ce que vous avez déjà ressenti ce manque, à l'intérieur de vous ? Comme si l'on vous avez arraché quelque chose à l'intérieur de vous, une partie de vous-même ?
Je marque un temps de pause et respire difficilement.
– C'est ce que je ressens depuis que Nathanaël est parti, un vide. Un vide immense. Comme si l'on avait arraché un bout de mon âme. Mais ce que l'on m'a arraché, c'est la raison qui faisait battre mon cœur, qui lui donnait envie de battre. Et il aurait été capable de se battre contre n'importe quoi, parce qu'on est prêts à tout faire lorsque l'on a trouvé le véritable amour.
Mes yeux sont complètement remplis de larmes et mon texte devant moi devient flou. Ma gorge commence à se nouer. Je n'arriverai pas à tout dire sans craquer.
– J'avais trouvé le véritable amour. Alors oui, peut-être qu'on était juste deux ados, qu'on ne connaissait rien en l'amour au-delà de nos seize petites années d'existence, mais je crois vraiment que Nathanaël était mon véritable amour. Parce que le véritable amour vous fait faire n'importe quoi et à vous battre pour cette personne et c'est ce que j'ai fait. J'ai fait de mon mieux pour me battre avec Nathanaël contre sa maladie et pour le garder aussi longtemps que possible près de moi.
Mes larmes roulent toutes seules sur mes joues et ma gorge se noue de plus en plus.
– Mais on peut pas se battre contre une maladie. Elle est toujours plus forte que nous, même si on donne tout. Même le véritable amour ne peut pas lutter contre une maladie. Et je crois que le pire lorsque l'on a un véritable amour, c'est qu'une vie sans lui n'a plus le moindre sens.
Je renifle doucement et marque un long temps de pause pour laisser passer l'émotion et pouvoir continuer à parler.
– Ça fait une semaine que je me réveille en me demandant ce que je fais encore ici alors que j'ai perdu la personne que j'aimais le plus. Et je crois que j'ai finalement trouvé ce que je vais faire. Je vais continuer à vivre pour lui et faire toutes les choses qu'il ne pourra jamais.
Je laisse échapper un faible sourire, malgré mes larmes et mon cœur serré.
– Je t'aimerai toujours mon ange, même si tu es parti retourné à la maison avec les autres anges.
Je récupère mon texte et retourne m'asseoir à côté d'Elisa, en pleurant toujours. Mahé revient s'asseoir sur mes genoux. Je passe mes bras autour de lui tandis qu'Elisa passe un bras autour de mes épaules et me serre contre elle.
– Il serait fier de toi, me chuchote-t-elle doucement.
J'essuie rapidement mes larmes et relève la tête pour voir le père de Nathanaël se lever et venir où j'étais il y a un instant.
– Nathanaël sait très bien combien je ne suis pas doué quand il s'agit de parler devant plein de monde, mais je vais faire de mon mieux en espérant que ça lui fasse plaisir, de là où il est.
Il prend une profonde inspiration et continue :
– Je culpabilise depuis le jour où je lui ai annoncé qu'il avait un cancer. Il avait douze ans, c'était encore un gamin. Je lui ai foutu sa vie en l'air en lui annonçant ça et je ne me le pardonnerai jamais. Je m'en voudrais toujours d'avoir gâché la vie de mon enfant et d'avoir été impuissant face à sa maladie.
Sa voix commence à trembler et je me doute bien de l'effort qu'il fait pour ne pas s'effondrer.
– Mais il n'a jamais arrêté de se battre. On a eu énormément de haut et de bas, surtout de bas pour être honnête, parce que vivre au quotidien avec un enfant malade c'est compliqué. Mais il n'a jamais rien lâché, et juste pour ça, je suis fier de lui. Je me déteste de ne pas lui avoir dit souvent que j'étais fier de lui ou tout simplement d'avoir été là pour lui.
Ses yeux se remplissent de larmes et je sens mon cœur se serrer. Je ne préfère même pas imaginer à quel point ça doit faire mal d'avoir perdu son enfant.
– On était censés reprendre des rendez-vous pour faire de nouveaux examens, pour surveiller que tout allait bien et qu'il n'y avait pas de problèmes avec son cancer. Mais on ne l'a pas fait. Je ne l'ai pas fait. Et je m'en veux tellement parce que je me dis que si je l'avais fait, on aurait peut-être pu empêcher son cancer de se propager autant. Il aurait encore pu être en vie.
Il laisse échapper un sanglot, me déchirant le cœur, puis se calme doucement.
– Je suis vraiment désolé d'avoir foutu ta vie en l'air, Nathanaël.
Ses mains se mettent à trembler violemment alors que sa voix se brise.
– J'espère que de là où tu es, il n'y a personne qui viendra te foutre en l'air ta vie.
Il retourne s'asseoir auprès de la mère de Nathanaël et la cérémonie reprend. Je la suis à travers mes yeux brouillés de larmes. Lorsqu'elle se termine, nous sortons de l'église et je reste auprès des parents de Nathanaël et de sa sœur. Son père finit par s'approcher de moi et à me serrer contre lui.
– Comment tu te sens, fiston ? s'inquiète-t-il.
Je ne sais même pas comment il arrive à s'inquiéter pour moi, au vu de l'état dans lequel il était pas longtemps avant. Je ne pense pas que j'en aurais eu le courage, à sa place.
– J'en sais rien...
– Tu sais, ce n'est pas parce qu'il n'est plus là qu'on ne sera plus là pour toi.
– Merci beaucoup, je lui réponds sincèrement.
– On est là pour Mahé aussi, ajoute-t-il en voyant mon petit frère.
– Merci beaucoup, je répète simplement.
– Je t'aime Oscar, tu sais.
Je sens les larmes qui me montent aux yeux, mais je les retiens. Ça me fait bizarre d'entendre quelqu'un me dire ça, surtout que ce n'est pas vraiment mes parents qui me le disent.
– Nathanaël t'aimait aussi. Il tenait beaucoup à toi. Il a tenu à me le dire juste avant que je le laisse.
– C'est vrai ? je m'étonne.
– Évidemment.
Je reste serré dans ses bras un long moment parce que ça me fait du bien et que je n'ai ni de raison et ni le courage de le repousser.
– Je suis sûr que vous avez été un excellent père, je finis par lui dire. Moi je trouve que vous êtes génial, en tout cas.
Il ne répond rien et se contente de m'embrasser sur le crâne, me faisant lâcher un petit sourire.
– Je t'aime, fiston.
Je finis par le relâcher, un peu à contrecœur, mais je continue de lui sourire pendant un moment.
Je sens finalement Mahé qui tire sur ma main. Je m'agenouille devant lui et attends qu'il dise quelque chose.
– J'ai pas compris où il était parti Nathanaël, mais moi je suis là.
– Je te l'expliquerai plus tard, je lui promets.
– Je t'aime, Oscar, dit-il en venant me faire en câlin.
– Je t'aime aussi, Mahé. Je t'aimerai toujours.
Je passe mes bras autour de lui et le porte dans mes bras. Il pose sa tête sur mon épaule alors que ma main caresse ses cheveux.
– Nathanaël aussi tu l'aimeras toujours ? me demande-t-il.
– Oui... Je crois que je l'aimerai toujours.
Je sens les larmes qui me viennent une nouvelle fois. Je n'arrive pas à les retenir et les laisse couler. Mahé lève la tête vers moi et me regarde tristement. Il en essuie quelques-unes vainement.
– Tu veux pas m'expliquer ? J'aime pas que tu pleures sans savoir pourquoi.
– Il est mort, je lâche de but en blanc.
Je vois son visage paniqué et je m'insulte de tous les noms intérieurement. J'ai dit ça de façon tellement brusque alors qu'il n'est encore qu'un enfant...
– Mais pourquoi il est mort ? s'inquiète-t-il.
– Il était malade, tu t'en souviens ?
– Je croyais qu'il allait guérir.
– C'est ce qu'on croyait aussi...
– Qui est-ce qui va te rendre heureux, maintenant ?
Les larmes ruissellent une nouvelle fois le long de mes joues, rendant le visage de mon petit frère complètement triste.
– Tu me rends heureux, Mahé. T'en fais pas pour ça.
– Vraiment ?
– Évidemment.
Il dépose un petit baiser sur ma joue puis pose sa tête sur mon épaule.
– Je te promets que je ferais de mon mieux pour toujours te rendre heureux, maintenant.
J'embrasse ses cheveux en souriant et en le remerciant. Il reste silencieux et semble regarder quelque chose au loin.
– Oh regarde, dit-il. Y'a une étoile dans le ciel. Ça doit être Nathanaël qui veille sur nous de là-haut.
F I N
◇◇◇
„ ... AND TELL ME SOME THINGS LAST "
◇◇◇
hello, j'espère que vous allez bien ? :)
j'avoue que je sais plus vraiment trop quoi penser de cette histoire. au début je l'aimais bien mais au fur et à mesurer que je publiais, j'avais l'impression que c'était de plus en plus nul donc bon...
ça me fait super bizarre de laisser Nathanaël et Oscar alors que ça fait depuis janvier 2021 que j'écris tous les jours leur histoire :')
j'espère quand même que ça vous aura plu :)
merci à celleux qui ont lu cette histoire <3
prenez soins de vous ♡
– eliott
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