Chapitre 98
PDV Lester
Cette porte grande ouverte devant moi, je la regarde un moment sans être certain de vouloir la franchir. Je n'arrive pas à déterminer si j'en suis capable, ou si je suis trop lâche pour lui faire face. Je sais qu'elle est à l'intérieur. J'ai vu la voiture sur le parking, avec Martin au volant.
Les mots de mon père tournent en moi, se mélangent avec mes doutes et mes angoisses. Je ne parviens pas à démêler mes pensées, et je ne sais plus lesquelles écouter. Celles néfastes, qui viennent de la partie pessimiste de mon cœur, me hurlant qu'il est trop tard, et que rien entre nous ne peut être réparé ? Ou les autres, insufflées par mon géniteur qui me rappellent que je n'imagine pas un avenir sans elle ?
Quand l'un de ses penchants prend le dessus, l'autre revient à la charge pour le surpasser.
Et cela me laisse là, planté comme un con au milieu du couloir, sans savoir si je me sens capable de la voir.
Pourtant, je la distingue clairement, derrière mes paupières closes. Et même les yeux grands ouverts, son image s'insinue au quotidien dans mon esprit. J'ai été incapable de penser à autre chose qu'à elle. Sans trop savoir quoi faire de tout cela, sans comprendre comment faire face à ce que je pouvais ressentir.
Mais me retrouver en face d'elle, c'est autre chose. Croiser son regard, réussir à y face, l'empêcher de me troubler plus que je ne le suis déjà. Réussir à rester debout quand il me rappellera qu'il n'y a plus de nous. Et qu'il n'y en aura peut-être plus jamais, si nous ne trouvons pas d'alternative à cette voie sans issue qui s'étend devant nous.
J'ai envie de faire demi-tour, mais mon corps me guide jusque dans cette salle. Je détourne le regard vers une chaise vide, pour éviter de passer mes yeux sur elle. Je ne veux pas voir la tristesse qui l'habite. Je la ressens suffisamment dans l'air. Et elle me vrille le cœur, quand quelques minutes après, elle teinte sa voix.
Je ne me demande pas si l'homme de l'autre côté de la pièce l'entend. Je suppose qu'il faudrait être stupide et égocentré pour ne pas se rendre compte d'une douleur aussi abrupte chez une autre personne.
C'est un supplice de l'entendre et mon esprit lutte contre mon corps, qui ne souhaite que se lever pour l'entourer de ses bras. Mon cœur saigne, mais ma raison elle, veut entendre. Elle s'accroche à chacun des mots qu'elle prononce, comme si ils allaient définir le reste de notre avenir, si tant et qu'il existe encore.
Je garde le regard baissé, quand elle parle de sa mère, et de sa sœur. Mais je le relève malgré moi, quand elle prononce des mots qui résonnent étrangement au fond de mon être.
« Je ne saisissais pas ce qu'elle voulait dire. Maintenant, je crois que oui. Je suis sûre que oui. »
Je voudrais croiser son regard pour savoir si j'ai bien compris ce qu'elle voulait dire. Si ses paroles cachaient cette déclaration que j'ai cru entendre. Mais elle me refuse l'accès à ses iris, tout en m'accordant celui à son cœur, quand elle se met à énoncer sa propre définition de l'Amour.
Le mien de cœur, il se serre. Il me fait affreusement souffrir, comme il me donne envie de sourire, au fil de ses mots. La douleur et la joie se mélangent, sans que je ne parvienne à définir laquelle est la plus importante. Parce que malgré ses mots, il y a derrière la tristesse dont ils sont teintés. Ce douloureux rappel de la finalité de notre relation. A cause de bouts de papier, comme elle dit.
Je crois que le moment où j'ai le plus mal, c'est quand elle avoue les avoir lu. Quand elle avoue avoir compris, avoir fait une erreur. Je voudrais m'en réjouir, mais pour une raison qui me reste étrangère, je n'y parviens pas. J'aurais voulu qu'elle saisisse avant. J'aurais voulu être capable de lui faire comprendre les choses avant. Pour que jamais nous n'ayons à vivre ce moment. Pour que je ne sois pas si perdu devant cette déclaration, pour qu'elle ne soit pas au bord des larmes, en m'avouant ses sentiments.
Parce que c'est ce qu'elle fait. Pas un putain d'exposé. C'est comme si il n'y avait personne d'autre que nous, dans la pièce.
J'en ai gros sur le cœur. Je ne sais pas si j'ai envie de la serrer dans mes bras, de l'embrasser, de quitter cette salle pour chialer ou enfoncer mon poing dans un mur.
Elle a besoin de dire tout ça et j'ai besoin de l'entendre. Mais ça nous fait du mal à l'un comme à l'autre.
Elle pense que tout est de sa faute. Elle pense m'avoir perdu. Et je pense l'avoir perdue. Qui de nous a raison ? Ce n'est pas l'important. Je ne saurais pas dire ce qui est important, exactement.
Je sais simplement que je reste pantois comme un idiot sur ma chaise, alors qu'elle quitte la pièce en pleurant.
Je tente d'assimiler toutes ses déclarations. Tout ce qu'elles sous-entendent, pour n'en louper aucune dimension. J'essaie de saisir ce que je ressens, face à tout ça. Et je cherche encore à démêler mes pensées, qui semblent bien plus complexes maintenant qu'auparavant.
— Monsieur Lester ?
Je détourne le regard vers le professeur dont j'avais oublié la présence. Je n'ai pas envie d'entendre parler de cet exposé, maintenant. Je veux simplement m'enfermer dans mes pensées, tenter de calmer mon cœur qui hurle sans que je ne parvienne à définir quoi.
— Je sais, j'aurai 0. Mais au moins, épargnez-la. Elle a vraiment bossé.
Il y a tant de lassitude, dans ma voix. Peut-être une supplication, aussi. Elle a du avoir tant de mal, à lâcher tout ça. Je ne veux pas qu'elle paye le prix de mon inaction. Mais je ne pourrais que m'en vouloir, quand je savais la tournure que prendrait les évènements, en la laissant avancer seule sur ce projet. J'étais tout bonnement incapable de me retrouver en face d'elle, et de travailler comme si de rien n'était. Ma lâcheté ne doit pas l'impacter.
— Vous n'aurez pas 0.
Je fronce les sourcils, mais n'ai pas la force d'en demander plus. Mr Tanvoy me scrute un instant, et je ne m'en sens pas mal à l'aise, alors que pourtant, il semble voir bien au-delà que ce que je souhaiterais.
— Vous avez participé de bien des façons à cet exposé.
Le sous-entendu n'est même pas voilé. Elle m'aime. Elle l'a avoué de bien des façons, et il l'a saisi autant que moi. C'est ma participation, selon lui. Mais ce n'est pas moi, qui lui aie fait découvrir l'amour. C'est elle qui y est parvenue seule.
— Puis-je vous donner toutefois un conseil ?
Je me contente de hocher la tête, tandis que l'homme se lève, et s'apprête à sortir de la pièce.
— Vous devriez écrire votre propre conclusion. Je pense qu'elle pourrait modifier celle de Mademoiselle Lyra.
Il me laisse là-dessus, et pendant quelques secondes, c'est comme si je cessais de respirer. Je sens tout se démêler, devenir clair et limpide, et enfin, j'entends ce que tout mon être me hurle : Bordel, je l'aime.
Je l'aime, et soudainement, je comprends ce que cela veut dire. C'est ma définition. Elle, elle est ma définition, comme je suis la sienne. Elles se rejoignent, se complètent. Elles n'existent pas l'une sans l'autre.
Je vais écrire ma conclusion. Notre conclusion. Et elle ne se finira pas par la perte de l'être aimé.
Je ne mets pas longtemps à trouver celle que je cherche, son assemblage de couleurs vives visible de loin. Les couloirs sont vides, à l'exception des quelques binômes qui doivent passer leurs exposés, et arrivent au compte-goutte. Connaissant l'Arc-en-ciel, je me doutais bien qu'elle serait en avance, ce qui m'arrange.
Elle me regarde débouler devant elle à grande vitesse, surprise.
— J'ai un service à te demander.
— Bonjour ?
Je lui grogne un bonjour en retour, peu soucieux pour l'instant des bonnes manières. J'ai autre chose à penser que de passer pour un associable irrespectueux. Ce que je suis, la plupart du temps de toute façon. Associable, pas irrespectueux.
— Maintenant dis-moi pourquoi je voudrais te rendre un service au lieu de te passer un savon ?
— Parce que dans tous les cas, tu vas me faire la morale, alors autant me rendre un service en plus.
Elle paraît satisfaite de la réponse. Il n'est pas très difficile de saisir comment Talia fonctionne. C'est la même chose que Carter : ils engueulent leurs amis mais les aident toujours. Et l'un ne va jamais sans l'autre.
— Je commence par la morale. Non mais sérieusement, tu es complètement stupide, ou simplement con ?
Je lève les yeux au ciel. Même ses mimiques, ressemblent à celles de mon meilleur ami. Je sais de source sûre qu'il vaut mieux la laisser terminer sans chercher à répondre ou me défendre. Et je n'ai pas forcément envie d'expliquer les raisons de mon action à Talia, de toute façon. Je sais qu'elle est au courant de l'entièreté de la dispute, rapportée par un de mes colocataires. Je ne doute pas que la réalité ait été légèrement modifiée, d'ailleurs. Mais elle n'a pas besoin d'en savoir plus sur les sentiments qui m'ont poussés à réagir de cette façon.
— Bon, à ta décharge, tu n'es pas le seul qui mérite de se faire engueuler. Et crois-moi, dès que Lyra cessera de s'enfermer dans sa chambre en refusant toute visite, je lui ferai subir le même sort.
Cela me fait mal de l'imaginer se terrer dans le noir, tel que j'ai pu le faire ces derniers temps. Mais au fond, cela ne me surprend pas. J'ai vu son état. Je suis dans le même qu'elle.
— Mais franchement, quelle idée tu as eu d'insister à ce point ? Je veux dire, je comprends que c'est difficile de la voir se braquer chaque fois qu'on parle de musique, mais ce n'est pas comme si tu le découvrais.
— C'est plus compliqué que ça.
J'avais dit que je ne m'expliquerais pas, mais la défense m'échappe. Je détourne le regard et croise les bras, légèrement agacé. Comme chaque fois que Carter me passe un savon, et que je sais qu'au fond il a raison.
— Non, c'est plutôt simple. Vous êtes deux imbéciles campés sur vos positions, qui ne parviennent pas à faire des compromis.
C'est plus facile à dire qu'à faire. Faire un compromis sur son bonheur, je n'y suis pas prêt. Mais la question ne se pose plus, après ce qu'elle vient d'avouer. Elle a enfin compris, et maintenant, il n'est plus question de compromis, ni d'être campés sur nos positions. Simplement de réparer ce qui attend de l'être.
— Elle a compris qu'elle devait aller en section composition.
Elle se tait un instant, et je vois qu'elle hésite sur l'attitude à adopter. Je suis certain qu'elle a envie de sauter de joie, mais qu'elle se retient pour tenter de garder cette attitude sérieuse.
— C'est une bonne nouvelle. Mais si tu avais eu un peu de patience, elle aurait saisi sans que vous n'en passiez par là.
Oui, certainement. C'est un regret que j'ai. Mais aurais-je ouvert les yeux sur ce que je ressens ? Aurait-elle osé me dire tout ce qu'elle vient de m'avouer ? Ce sont des questions qui resteront à jamais sans réponses.
On ne peut pas réécrire le passé. En revanche, on peut s'assurer d'avoir un avenir. C'est bien ce que je compte faire.
— Écoute Talia, je suis conscient de mes erreurs. Là n'est pas la question. Et crois-moi, je connais ton sermon sur le bout des doigts, Carter a tenu le même 20 fois déjà. Là, j'ai besoin de ton aide. Pour moi, et pour elle.
— Qu'est-ce que je dois faire ?
— La ramener à notre concert, demain.
Elle paraît sceptique sur sa capacité de réussite.
— Je n'ai même pas encore réussi à franchir le seuil de sa porte depuis tout ça, ça risque de ne pas être une mince affaire.
— J'ai confiance en tes capacités de persuasion.
En sa capacité à être suffisamment chiante pour parvenir à la faire céder, surtout. Ne pas oublier qu'elle est une version féminine de Carter. Ils ont des ressources, ces deux-là.
Elle hoche la tête, investie d'une nouvelle mission. La détermination sur ses traits suffit à me persuader qu'elle va réussir. On finit toujours par céder à Carter et Talia, rien que pour qu'ils se taisent.
Son regard s'illumine après une courte réflexion.
— Attends, demain, c'est la Saint-Valentin. Tu vas lui faire ta déclaration ?
Elle paraît tellement excitée par cette idée que je ne suis pas pressé de parler de mon plan à Carter. Et Sam. Je sens que ça va être fatiguant de réussir à en placer une, ce soir.
Mais étrangement, c'est avec un petit sourire, dans l'expectative du moment que j'imagine demain, que je lui réponds.
— Non. Mieux que ça.
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Le prochain chapitre sortira le dimanche 2 janvier. J'espère que ces vacances, bien que chargées avec les fêtes, vont me permettre d'avancer sur l'écriture du tome 2, mais aussi sur celui de Contre le Destin. Sans compter l'édition de JS...
Pour ceux qui suivent mes anciennes histoires, vous le savez, il se trouve que JS, son tome 2 et Lumen devaient être édités. Finalement, Royal éditions ferme ses portes à peine un mois après la signature du contrat... Jigoku School a cependant su rebondir très vite, et je vous en dirai plus bientôt sur l'histoire en question. J'attends encore de bonnes nouvelles pour Lumen. Cette mésaventure me prend également du temps, ce qui ne me permet pas d'avancer autant que prévu. Je ne sais pas encore si je remettrais en ligne les chapitres de Lumen. Je vais voir.
Je vous souhaite de bonnes vacances, et de bonnes fêtes !
Kiss :*
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