Chapitre 93
PDV Lyra
Je ne réfléchis plus. J'oublie à quel point je voulais réparer les choses entre nous. J'explose, parce que c'est mon seul moyen de défense face à la douleur qu'ils m'imposent, encore. Mon père avait dit qu'il allait s'améliorer. Finalement, il avait raison sur un point : il m'a dit qu'il ferait peut-être encore des erreurs. Celle-ci est bien plus grosse que ce que j'aurai pu imaginer.
Je n'arrive pas à croire qu'ils aient pu imaginer une seconde que j'allais reprendre le violon. Ni qu'ils aient pu organiser tout cela sans chercher d'abord à m'en parler. Comme toujours, ils font les choses en fonction de ce qu'ils ressentent, sans penser à ce que je vais ressentir moi-même. Leurs sentiments avant les miens, toujours. Leurs erreurs, encore et encore. Je les ai longtemps, trop longtemps acceptées. Je n'ai ouvert mon cœur qu'une seule fois. Ce sera la deuxième. Et je voudrais qu'elle soit la dernière. C'est trop douloureux. J'en ai assez d'avoir mal, alors que pour une fois, tout semblait aller pour le mieux.
Pourquoi faut-il qu'ils gâchent tout alors qu'enfin je pensais découvrir, ou redécouvrir le bonheur ? Ils m'ont volé mon deuil d'Aria. Voilà qu'ils mettent à mal celui de ma musique. C'est trop, bien plus que ce que je ne suis capable de supporter.
De rage, les prospectus que je tiens contre moi volent dans l'air, sous leurs yeux médusés. Je crois que ma mère essaye de parler. Peut-être à propos de ce lancé, ou bien de mon comportement avec cet homme que j'aurai préféré ne jamais croiser. Mais je n'ai pas la force de lire ses lèvres. Pas l'envie, non plus. Non, la seule envie que j'ai, c'est de crier. De leurs crier cette vérité qu'ils n'ont pas l'air d'avoir intégrée. 5 ans. 5 années, et pourtant, ils osent encore se tenir là, devant moi, à croire que je vais sagement reprendre mon violon, remonter sur scène, comme avant. Ce ne sera plus jamais comme avant. Je pensais qu'ils l'avaient enfin compris. Il faut croire que non.
- Comment vous pouvez me faire ça ?!
Je ne sais pas à quoi ressemble ma voix. Tremblante, de colère, de tristesse, d'une certaine forme d'incrédulité. Je me demande même si les mots sont suffisamment clairs pour qu'ils puissent les comprendre. Cela ne m'empêche pas de continuer. Il faut que je leurs dise, il faut que cela sorte. J'ai gardé pour moi pendant 5 années la colère de leur comportement vis-à-vis de mon deuil. Je ne ferai pas la même erreur avec le violon. Je ne leurs accorderais pas 5 ans. Ni une minute de plus.
J'en ai assez de supporter. Assez de me taire. Je veux qu'ils comprennent à quel point ils me blessent, alors qu'ils m'avaient promis de ne plus le faire.
- C'est toujours ainsi, avec vous ! Tout ce qui compte, c'est ce que vous ressentez, ce que vous voulez, et peu importe ce que cela me fait, à moi !
- Lyra ne nous parle pas ainsi.
- Et comment je devrais vous parler ? Je devrais acquiescer bien gentiment, suivre des cours de violon, pour votre bon plaisir ? J'ai passé les cinq dernières années de ma vie à subir vos envies ! Je n'ai pu pleurer ma sœur qu'au bout de 5 ans ! J'ai dû supporter tout ce que vous m'imposiez pendant ce temps.
- Nous en avons déjà parlé.
- Oh, oui, on en a parlé. Tu t'es excusé, tu as dit que tu allais réparer tes erreurs ! Et pourtant, ça recommence. Un autre sujet, mais encore une fois, aucune considération pour ce que je peux ressentir ! Comme toujours, évidemment. J'ai été idiote d'y croire, de penser une seule seconde que ça allait changer.
J'arrête de crier, parce que ma colère se dirige plus vers moi que vers eux, maintenant. Je me rends compte à quel point mes mots trouvent un écho en moi. Je me sens si stupide, si bête d'y avoir crû. Comment pourraient-ils changer en si peu de temps ? Comment pourraient-ils d'un coup d'un seul se souvenir que moi aussi, je ressens, et qu'ils devraient y penser avant d'entreprendre quoi que ce soit pour leur bon plaisir.
- Tu avais ses brochures, on a juste pensé que...
- Oui, vous avez pensé. Vous auriez pu aussi simplement m'en parler, et vous auriez appris qu'elles n'étaient absolument pas en rapport avec ça. Mais non, vous n'avez pas réfléchi, pas un instant au fait que vous pourriez me blesser. Vous avez juste pensé à vous, à votre envie que la vie reprenne comme il y a 5 ans. Tu sais à quoi d'autre tu aurais pu penser, maman ? A ne pas fouiller dans mes affaires, pour commencer.
- Je n'aime pas le ton que tu prends.
Mais je vois bien qu'elle ne trouve rien à redire face à ce que je lui lance. Comme mon père. La honte, ils l'ont encore. Plus à propos de ce type, que je viens de mettre dehors. Mais à cause de leur comportement. Ils saisissent l'erreur qu'ils viennent de faire, encore. Je devrais m'arrêter là. Les laisser réfléchir à tout cela. J'en suis cependant incapable. J'ai besoin de vider mon sac, tout mon sac. Je retiens mes larmes, je garde la tête haute, mais j'ai mal. J'ai mal et j'ai besoin qu'ils le sachent, qu'ils le voient, qu'ils l'entendent.
- Vous avez perdu votre fille. Mais moi j'ai perdu ma sœur. Je l'ai vu mourir. J'ai perdu un sens. J'ai perdu plus qu'une partie de moi, ce jour là. Et au lieu de me permettre de me reconstruire, vous avez passé toutes ces années à tenter de vivre dans le passé. A me forcer à faire de même. Je n'en peux plus. Je n'en suis plus capable.
- Lyra...
- Non. Laisse-moi finir. Le violon, la musique, c'est mon passé. Pas le vôtre. Et me forcer à le vivre de nouveau, ce n'est pas ce dont j'ai besoin. Je commence à me forger un présent. Je refuse que vous me le preniez parce que vous n'êtes pas capable de faire la même chose.
Je dois leurs faire mal. Je sais mes mots tranchants, durs, blessants. Et pourtant, je n'ai pas envie de m'en excuser. Parce que j'ai mal, moi aussi. J'ai mal depuis trop longtemps. J'ai voulu l'oublier, le mettre de côté. J'ai pensé que les excuses de mon père suffisaient. Je me trompais. J'avais besoin de mettre des mots sur ma douleur. Besoin qu'ils m'écoutent, pour une fois.
Je vois les larmes de ma mère. L'affliction de mon père. Et je sais qu'ils ont compris.
- Il faut que vous arrêtiez de croire que faire comme si tout était pareil qu'avant l'accident vous fera aller mieux. Il faut que vous affrontiez la vérité et votre douleur en face. Et surtout, il faut que vous compreniez que mes sentiments ne peuvent pas passer après les vôtres.
- On ne voulait pas te blesser.
- Pourtant, vous l'avez fait. Pendant 5 ans, et encore maintenant.
Je fais un pas en arrière quand ma mère avance vers moi. Elle passe son regard entre moi, les brochures au sol, et le violon posé sur le canapé. Elle n'a pas besoin de parler pour que je comprenne à quel point elle a du mal. Dans son esprit s'affronte deux pensées opposées : d'un côté, elle entend toute ma peine. D'un autre, il y a la sienne, qui la pousse à vouloir me revoir jouer. Elle n'arrive pas à faire pencher la balance d'un seul côté. Juste pour cela, je sais que je ne suis pas capable de rester une minute de plus en face d'elle.
Elle m'appelle, sûrement. Mon père aussi je suppose.
Je leurs souffle seulement que j'ai besoin d'air. Et je quitte la maison, je me dirige vers le seul endroit où j'ai besoin d'être pour l'instant. J'ai à peine passé la porte que mes larmes cessent de se contenir au coin de mes yeux pour dévaler mes joues. Incapable de les retenir plus longtemps.
Je ressens un méli-mélo de sentiments que je n'arrive pas à contrôler. Autant de tristesse, de déception et de colère qu'il est possible d'en ressentir.
C'est Sam qui m'ouvre la porte. A travers ma vision encore floue de mes larmes, je parviens à percevoir les différentes émotions qui passent sur son visage. Étonnement, incrédulité, inquiétude. Il me fait entrer, et ses yeux passent à une vitesse folle entre moi et la pièce à vivre, interpellant ses camarades à la recherche d'une façon de m'aider.
- Lyra, qu'est-ce que... ?
Mon prénom, entre ses lèvres. Le signe d'une inquiétude si grande qu'il ne parvient pas à garder cette légèreté dans sa façon de s'exprimer avec moi. C'est sûrement la première fois qu'il utilise ce dernier et pas le surnom dont il m'a attitré.
Je ne veux pas lui répondre. Ni à lui, ni à Carter, qui s'approche affolé. Ils sont tous deux perdus, devant moi, sans savoir quoi faire, ni quoi dire. Je n'attends rien d'eux. Je ne veux qu'une personne, et je ne l'aperçois pas dans la pièce.
Arthur disparaît vers la chambre de Lester, et je suppose sans mal qu'il est parti le chercher. Si je n'avais pas été dans un tel état, voir les trois hommes, en particulier le pianiste, si décontenancés, m'aurait probablement amusée. Je n'ai jamais eu l'occasion de les voir dépassés par une situation, encore moins Arthur.
Je préférerais ne jamais l'avoir vu, si cela avait pu m'éviter une telle altercation avec mes géniteurs.
Il revient quelques secondes plus tard, et quand il pose ses yeux sur moi, il en devient presque livide. Malgré tout, plus calme que les deux autres, c'est lui qui me tire doucement jusqu'au canapé, pour m'asseoir.
Je ne parviens pas à faire taire mes larmes. Elles coulent en continue, alors que je pensais avoir évacué toute ma peine, dans la chambre d'Aria, ce jour là. Il faut croire que j'ai pleuré pour ma sœur. Et qu'aujourd'hui je pleure pour moi.
Pas seulement de tristesse, mais de colère, aussi. Il y a encore ce désordre de sentiments en moi, que je ne parviens pas à démêler.
La tête de Carter se plante devant moi, affolé. Il est à genou par terre, devant mes jambes, et si je pouvais entendre sa voix, je capterais sûrement les trémolos d'inquiétude qu'elle contient. Je suis certaine qu'il est au bord des larmes, frustré de se sentir impuissant.
Mais il ne peut rien faire pour moi, pas plus que je ne suis en mesure de le faire moi-même. Je n'ai tout simplement pas fini d'exploser.
- Tu veux de l'eau ? Des mouchoirs ? Du chocolat ? Un câlin ?
Je secoue la tête du mieux que je peux. Je n'ai besoin de rien. De rien sauf de lui. A ce moment, il me paraît essentiel, et c'est une nouvelle preuve de la place inégalable qu'il a pris dans ma vie. Ma bouée, quand je me sens en train de sombrer. Il a été le premier à m'empêcher de couler, alors qu'à peine on se connaissait. Maintenant je ne saurai plus m'en passer.
Carter tourne vivement la tête et mon regard suit le sien, pour tomber sur celui que j'attendais désespérément. Il m'observe une seconde, juste une, qui me paraît pourtant durer bien trop longtemps.
Dans d'autres circonstances, je me serais arrêtée sur son pantalon tombant en bas de ses hanches, son torse découvert, encore trempé de cette douche qu'il a dû écourter.
Là, je n'en suis pourtant pas capable.
J'attends qu'il mette un terme à la distance qui nous sépare. Et passé cette seconde, c'est ce qu'il fait. Il fonce vers moi, et me prend dans ses bras.
Enfin, il est là.
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