Chapitre 90
PDV Lester
Est-ce cela qu'entendait Carter ? Je pense que oui. Son teint est plus pâle. Son sourire moins présent. Ses yeux plus fuyants, et moins brillants. Quelqu'un qui ne la connaît pas se dirait sûrement qu'elle a attrapé un rhume, et que les premiers signes de la maladie apparaissent. Sauf que cette maladie, il semble que j'en sois la cause. Et je n'aime pas ça.
Son état se dégrade, je ne peux que m'en rendre compte. Je ne saisis pas forcément comment il a pu varier tant en si peu de temps. Mais je dois me rendre à l'évidence, cet idiot était loin d'avoir tort. Le fait de garder secrète notre relation semble commencer à lui peser plus que ce que je ne pouvais imaginer.
Il n'aura fallu que quelques jours, pour que la différence soit notable, dans sa façon d'être. Je ne suis pas suffisamment calé en psychologie pour expliquer cette chute aussi rapide de son moral, après tant de semaines sans voir le moindre soucis à notre situation.
Je n'ai pas forcément envie de comprendre le pourquoi, d'ailleurs. Je sais simplement que la voir dans cet état me serre le cœur.
Et la voir dans les bras d'un autre me vrille le cerveau. Il pose ses mains sur ses hanches, la tient contre lui. Je déteste cette vision, mais je ne peux pas dire grand-chose. C'est un cours de danse.
Et ce qui m'agace encore plus que cet homme qui la touche, c'est le fait qu'elle fuit mon regard. Que je sache pertinemment pourquoi, et le mériter.
Pourtant, malgré tout, je n'arrive pas à me dire qu'il y a une autre solution viable que celle-ci.
- On dirait un psychopathe qui observe sa proie.
Mon attention se détourne de l'Ovni pour se poser sur l'Arc-en-ciel, que je ne me rappelais même pas faire danser. Ça n'a rien de très naturel, de me retrouver à valser avec elle. Mais à choisir entre cette copie féminine de mon meilleur ami et les pimbêches qui composent le reste de la classe, la question ne se pose pas. Je suppose que je devrais profiter de l'avoir sous la main pour la questionner, mais au fond, je connais déjà les réponses. Alors je me contente de la laisser parler un moment.
- Si tu ne supportes pas de la voir danser avec lui, tu aurais peut-être dû faire équipe avec elle.
J'ai l'impression d'entendre Carter. Ils ont le même ton moralisateur, quand ils s'y mettent. Celui qui diffère tant de leur caractère naturel, qui n'a rien de sérieux.
- Tu sais que tu te comportes comme un idiot ?
C'est amusant -si on veut- de constater le nombre de fois où l'on m'a traité d'idiot ces derniers temps. Depuis que j'ai rencontré Lyra, en réalité. Je ne compte plus combien de fois Cart' est entré dans ma chambre en me posant cette question. Voilà que son alter-ego féminin s'y met. Mais puis-je les contredire ? Ils ont rarement des pensées éclairées, mais étrangement, elles paraissent toutes plus censées que les miennes quand il s'agit de ma petite amie.
- Tu as prévu de me répondre à un moment ?
Je me contente de grogner, pour lui laisser comprendre que je l'écoute. C'est déjà suffisant, et elle semble s'en contenter. De toute façon, Talia aime parler, et se passe généralement qu'on lui rende la pareille. Qu'elle me fasse la leçon, je l'écouterais d'une oreille en reportant mon attention sur l'Ovni.
- Tu aurais très bien pu te mettre avec elle, personne n'aurait rien dit. C'est même plus bizarre pour tous que tu sois avec moi. En fait, pour tout dire, tu ne veux pas qu'on devine ce qu'il y a entre vous, mais ton comportement actuel est bien plus intriguant.
Je fronce les sourcils, et elle semble comprendre que je veux plus d'explications sur ce dernier point.
- Avant que vous ne soyez en couple, on vous a déjà vu marcher ensemble dans les couloirs. Vous parler. Autrement qu'en cours de philosophie. Tout le monde sait qu'elle a ton t-shirt, et personne n'a oublié quand tu es intervenu pour faire cesser les rumeurs. Les gens se sont habitués à vous voir ensemble, et plus personne n'en a grand-chose à faire. Je ne dis pas que ça ne ferais pas du bruit si vous vous affichiez tous les deux. Mais actuellement, c'est bien plus intriguant pour les gens de te voir la fuir comme la peste.
- Je ne la fuis pas.
Je m'étonne presque de lui répondre, mais c'est plus fort que moi. Je serre les dents, pas franchement heureux de la tournure de la conversation. Peut-être parce qu'elle n'a pas tort ? Je n'ai pas envie de l'avouer, à elle ou à moi-même.
- A peine. Essaye d'être plus convaincant, peut-être. Les gens se sont habitués à ce que tu te laisses approcher uniquement par elle. Que tu changes de façon de faire maintenant, peu importe à quel point on te sait lunatique, ce n'est pas franchement discret, si tu veux mon avis.
- Il vaut mieux ça que les centaines de messages haineux qu'elle recevra.
- Tu es sûr ? Regarde-la, et redis-le moi.
Comme si j'avais cessé un instant de le faire. Je n'ai pas loupé une miette de son sourire qui se fane, son menton qui se baisse, et ses épaules qui s'affaissent. J'aimerais pouvoir dire ce qu'il y a dans son regard, mais elle me refuse son accès, et si j'étais près d'elle, je suis persuadé qu'elle s'éloignerait.
- Pour l'instant, tu la blesses plus que n'importe quelle groupie.
Une vérité qui me frappe, qui augmente cette colère que je sais dirigée vers ma propre personne.
Il faut que je sorte. Je vais exploser, si je reste là, à la regarder perdre cet éclat, elle qui est d'ordinaire si lumineuse.
Je lâche Talia et je me dirige vers la sortie du gymnase, le professeur ne faisant pas attention le moins du monde à moi. Le froid de la saison me fout comme une gifle au visage, et me réveille plus qu'elle ne l'aurait dû.
Est-ce que c'est vraiment la bonne solution ? Fuir pour ne pas la voir dépérir ?
Je suppose que n'importe qui me crierait que non.
Son visage déçu et touché s'infiltre sous mes paupières que je garde closes pour réfléchir. Je peux rester là, m'en griller une, et éventuellement foutre un poing dans un mur, pour évacuer ma colère et ma frustration. Ou je peux y retourner, dégager ce gars, et la prendre dans mes bras. Éventuellement l'embrasser, et montrer à tous que je suis le seul à pouvoir la faire valser.
L'une comme l'autre de ces solutions paraissent extrêmes. Pourtant, il va falloir que je me décide, et que je fasse un choix.
Je la laisse souffrir. Ou j'interviens dans le risque qu'elle souffre par la suite. Je déteste devoir me résoudre à l'idée que dans un cas ou dans l'autre, elle finira par avoir mal. Je voudrais faire disparaître tout ce qui peut la blesser. Mais il faudrait pour l'instant que je disparaisse moi-même, et je me refuse à sortir de sa vie.
Alors je prends ma décision, et je passe cette foutue porte dans l'autre sens. Je suppose qu'on doit m'observer, tant mon comportement est étrange, mais je ne fais pas attention, pour une fois.
Je me dirige vers elle. Je fonce vers elle serait peut-être plus adapté.
Ma main se pose sur l'épaule de son cavalier alors que m'ayant vu arriver à toute allure, elle se contente de me regarder étonnée. Elle pose enfin les yeux sur moi. Et je ne les quitte pas, même quand je m'adresse à celui qui la lâche pour se tourner vers moi.
- On échange de binôme.
Je ne sais pas si il est contre, ou simplement surpris d'une telle demande qu'il ne pouvait pas prévoir, mais il ne bouge pas pendant un moment. Pas plus que je ne cesse de la fixer elle, et uniquement elle.
C'est l'Arc-en-ciel qui fait bouger les choses en le tirant par le bras, le gratifiant d'un « on y va ! » assez autoritaire venant d'elle.
Lyra reste plantée devant moi, et voyant qu'elle est trop éberluée pour bouger, je me contente de m'approcher d'elle, de poser mes mains sur ses hanches, et de l'entraîner dans la danse.
Il se passe bien une bonne dizaine de minutes avant qu'elle ne cesse de me regarder comme si je venais moi-même d'une planète étrangère, et qu'elle laisse un petit sourire monter sur ses lèvres. Le premier qu'elle affiche depuis un bon moment. Je la préfère largement comme ça.
- On va nous voir.
Une petite pique, que je sais mûrement réfléchie. Elle a raison. Comme Talia avait raison. Et cela me fait mal de le penser, d'ailleurs.
Je n'ai pas l'intention d'annoncer à tout l'établissement qu'elle est à moi, bien que j'en ai fichtrement envie, afin que plus personne ne la prenne dans ses bras, cours ou pas. Mais je ne peux pas la fuir comme si elle avait la peste. Ce n'est agréable pour aucun d'entre nous, et c'est complètement stupide.
Me rapprocher d'elle, faire le premier pas. C'est tout ce que je peux faire pour l'instant.
- Qu'on nous voit.
Son sourire s'agrandit, et je dois me faire violence pour ne pas plaquer mes lèvres aux siennes. Ses yeux recommencent à briller, un peu. J'aurai dû le faire avant. Bien avant qu'elle finisse dans cet état.
- Tu sais valser ?
- Ça t'étonne ?
Elle hausse les épaules, et ne se départit pas de son sourire. Bon dieu, comme j'aime quand elle sourit.
- Je t'imaginais plus rock que classique. Votre prochaine musique sera une reprise de Mozart ?
Et j'aime d'autant plus quand elle me pique. Quand elle révèle cette partie de sa personnalité que je ne sais réservée qu'à moi.
- Je n'ai pas dis que j'aimais ça. Quoi que, si c'est pour t'avoir entre mes bras...
Elle rougit un peu, et baisse les yeux vers le sol, mais je lâche une de ses hanches pour lui relever le visage vers moi.
- Ne détourne pas les yeux. Je n'ai pas pu les voir pendant suffisamment longtemps.
Un nouveau sourire, des joues toujours plus rouges, et des yeux qui brillent enfin, autant qu'ils le devraient au quotidien.
Alors je ne regrette pas d'être revenu dans ce gymnase, d'avoir écouté l'Arc-en-ciel, et compris qu'il allait falloir changer ma façon de faire les choses, même si cela prendra un certain temps.
Je suppose qu'il faudra que je fasse d'autre pas. Pour l'instant commençons par celui là.
Le second pas, je le fais le midi même, en m'asseyant à sa table au repas. Je crois que pendant un instant, les conversations se taisent, le silence règne dans l'énorme espace de restauration. Il faut dire qu'on ne me voit jamais ne pas filer tout droit, m'attabler au fond, seul, défiant n'importe qui s'approchant de trop près. Je suis presque étonné de les entendre reprendre aussi vite qu'elles avaient cessées.
Peut-être qu'au final les gens ne s'y intéresseraient pas tant que cela.
Et quand je vois le bien fou que ce deuxième petit geste semble faire à Lyra, la question s'insuffle véritablement au fond de mon être : au final, ne devrais-je pas révéler au grand jour, à quel point elle compte pour moi ?
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Heureusement que Talia est là x) Malheureusement il va encore falloir un peu de temps à Lester pour dire haut et fort ce qu'il ressent (encore faudrait-il qu'il le comprenne d'ailleurs).
Il reste environ entre 10 et 15 chapitres avant la fin de cette histoire. Et oui on touche à la fin ! Dire que je pensais qu'elle serait terminée en novembre l'année dernière et que le tome 2 commencerait dès décembre... finalement 1 an de retard x)
J'espère que le dénouement vous plaira. Et que les personnages du tome 2 sauront vous séduire tout autant !
A dimanche pour la suite,
Kiss :*
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