Chapitre 89

PDV Lester

Ils savent. Ils savent pertinemment que je ne veux pas m'afficher en public avec elle. Je l'ai déjà fait. Une fête foraine, une patinoire. Mais jamais si près de chez nous. Pas à un endroit où l'on pourrait nous reconnaître facilement. Et surtout, ils savent pourquoi. Ils ont vu le déchaînement de haine pour un simple t-shirt. L'état dans lequel cela peut la mettre.

Je ne souhaite pas garder notre relation secrète pour aucune raison. C'est pour la protéger. Les réseaux sociaux peuvent vite devenir un enfer. Je ne veux pas qu'elle le vive à cause de moi. Pas encore. Et surtout pas pour ça.

Je suis loin de m'y connaître en relation. En revanche, je suis à peu près persuadé que ce n'est pas censé se finir en harcèlement en ligne. Ce ne doit pas être la cause de souffrances. Une relation doit faire du bien, comme les moments que nous partageons ensemble. Je ne veux pas que cela change. Que ce que l'on partage devienne le point d'origine d'une douleur difficile à affronter.

J'ai vu comme elle a pu être impacté la dernière fois. Qu'est-ce que cela serait, si on apprenait qu'elle sortait avec moi ? Je ne veux pas le savoir. Je ne veux pas tenter le diable.

Alors je ne sais pas quoi répondre. Ils me regardent tous, les yeux rivés sur moi, attendant patiemment que je me décide à accepter ce gage. C'est dur. Parce que d'un côté, j'ai cette partie de moi raisonnable qui sait qu'elle devrait refuser, pour son propre bien. De l'autre, j'ai le regard de l'ovni qui perd de sa brillance chaque seconde durant laquelle j'hésite encore.

Elle sait, elle aussi. Et pourtant quand je la vois, je comprends qu'elle attend que je le fasse. Petit à petit, son regard devient plus terne. Ses lèvres s'affaissent, et ses yeux commencent à dévier, loin des miens.

Pense-t-elle que nous sommes suffisamment loin de chez nous pour que les risques soient nuls ? Moi je ne pense pas. Je suis peut-être le seul à penser différemment. Mais je suis peut-être le seul aussi qui se soucie à ce point de ce qui pourrait se produire. Pourtant, je sais l'attachement qu'ils ont tous pour elle. Alors je ne comprends pas d'être le seul à me dire que ce n'est pas sécuritaire.

Elle a toujours su, et j'ai toujours été sûr qu'elle comprenait mes raisons. Mais là, elle semble les oublier. Elle semble avoir mal.

Je refuse qu'elle souffre. C'est pour cela que je ne veux pas l'exposer. Cependant je me retrouve dans une situation où c'est ce choix, qui semble lui faire du mal.

La décision est difficile à prendre. Je jette un regard autour de nous, avant de me décider. Je finis par souffler, et j'avance de deux pas. J'attrape son visage que je relève, et plaque mes lèvres sur les siennes. Je ne fais pas durer le moment. Peu importe à quel point j'aime l'embrasser, je sépare nos visages bien vite. Je tente de capter son regard. Elle m'offre un petit sourire, qui se veut rassurant. Pourtant, je vois qu'elle hésite, elle aussi. Entre la joie que j'ai décidé de le faire, ou la déception que j'ai pris tant de temps à choisir. Je peux la comprendre, d'une certaine façon. Elle se détend quand Talia la tire par le bras et lui raconte quelque chose que je n'écoute pas.

Malgré tout, je reste tendu le reste de la journée. Je passe mon temps à observer autour de nous, pour vérifier que personne ne nous fixe. Les paris ont cessé, et la partie s'est juste terminée normalement. Ils ont continué à rire, sans que je n'y participe. Sans que je ne fasse plus attention à rien d'autre qu'à ceux qui nous entourent. Aux coupables potentiels. Pas de présomption d'innocence, mais présomption de culpabilité. Je ne fais pas attention aux regards que mes amis me lancent. Ce n'est pas le plus important, pour l'instant.

Je ne me détends pas quand nous rentrons. Je passe ma soirée sur internet, à traquer la moindre trace d'une photographie de nous. Je n'ai jamais autant été sur des pages de fans. J'en ai même découvert de nouvelles, dont j'aurai préféré taire l'existence. Il y a vraiment des gens qui écrivent des histoires d'amour entre Sam et Carter ? Ou moi et Carter ? Ou pire, Sam et Arthur ? J'en ai lu quelques lignes et bon sang, outre le caractère foutrement incestueux, c'est à s'en faire saigner les yeux, en s'imaginant ce qui peut être décrit. Quand je serais suffisamment calme, je leurs ferai lire. Quoi que, Carter passerait sûrement son temps à m'appeler « mon mari », comme dans cette dernière histoire sur laquelle je suis tombé.

Toujours étant que ces heures de recherches mènent à la même conclusion : rien n'est sorti.

Il faudra deux ou trois sites supplémentaires pour que je me décide à l'admettre, et sois rassuré.

Je ferme à peine la dernière page quand mon meilleur ami entre dans la chambre, et se jette sur mon lit.

- Doucement, il est neuf.

- Tu n'as jamais jeté belle-sœur dessus ?

J'hésite entre le frapper ou lui répondre qu'elle est moins lourde que lui. Je me décide à le frapper, et il lâche un cri en ramenant sa jambe contre lui.

- Tu as fini d'éplucher internet ?

- Tu sais pourquoi je le fais.

Je n'aime pas le ton qu'il a pris. Comme si j'avais tort en vérifiant. Comme si j'allais trop loin. Mais ce n'est pas le cas. Et il le sait pertinemment.

- Cela ne m'empêche pas de trouver tout ça extrême.

- Vous n'auriez pas dû lancer ce gage. On était trop près de chez nous.

- Les risques, il y en a partout. On pourrait traverser la planète qu'on ne serait pas à l'abri que notre voisin parte en vacances au même endroit. Tu devrais arrêter de te prendre la tête.

Je lève les yeux au ciel. Il est fort pour comparer l'incomparable. Ou simplement stupide. Je n'hésite pas vraiment sur cette question, d'ailleurs.

- Tu n'as aucune notion de probabilités.

- Je n'ai pas vraiment compris ce chapitre du cours. Et je n'aime pas les maths.

Il laisse le silence tomber, avant de revenir à la charge. Moi qui espérait qu'il se taise, pour une fois.

- Peut-être que tu devrais assumer d'être avec elle.

- Je l'assume. Mais je refuse qu'une armée de groupies hystériques s'en prenne à elle. C'est difficile à comprendre ?

- Tu as bien vu la dernière fois : elle recevait aussi du soutien. Il s'agit simplement de faire les choses correctement. On a plus de fans avec un cerveau que l'inverse. Il faut juste leurs demander de faire plus de bruits que les extrémistes.

Il a l'air de penser cette histoire si facile. Pourtant, cela ne l'est pas. De tout temps, c'est les groupuscules qui ont toujours fait plus de bruit. Et cela ne s'applique pas uniquement à nous, bien au contraire. Oui, elle recevrait du soutien. Elle nous aurait nous, aussi. Mais rien ne dit qu'elle supporterait la haine qu'on ne pourra endiguer. Pour l'instant, je suis plutôt persuadé qu'elle ne saura pas y faire face.

Et j'ai du mal à comprendre pourquoi ce serait si important, de le dire aux autres ? Les personnes qui comptent pour nous le savent. Moi, ça me suffit. Est-ce différent pour elle ? Pourquoi ? Pour l'instant, je ne saisis pas.

- Écoute, fais comme tu veux, mais réfléchis bien. Elle comprend sûrement tes raisons, mais elle est humaine. Et peu importe pourquoi, on ne peut jamais supporter très longtemps, de rester simplement un secret.

Il me laisse là-dessus, et je suis bien obligé d'y réfléchir. Est-ce qu'un jour, j'arriverai à comprendre ?

PDV Lyra

- C'est plutôt normal de ressentir cela. Je doute que qui que ce soit apprécie de rester caché.

- Mais il a de bonnes raisons.

- Cela ne veut pas dire que ça en devient agréable pour autant.

J'entends ce que Talia me dit. Parce que je le ressens aussi. De plus en plus, pour tout dire. Et je savais qu'elle allait me conforter dans cette idée, en lançant cette conversation. Pourtant, je l'ai tout de même fait. Peut-être que cela me rassure, d'entendre d'autres personnes penser de la même façon.

Je m'en veux. Je m'en veux des pensées qui troublent mon esprit de plus en plus au fil des jours. J'ai toujours pensé être d'accord avec l'idée de garder notre relation secrète. J'en comprenais les raisons, et le fait que notre entourage soit au courant pour nous me suffisait largement. Alors je ne saisi pas pourquoi ce sentiment néfaste grandit en moi depuis cette sortie bowling.

J'aurai dû lui dire qu'il n'avait pas à faire ce gage. Et pourtant, j'avais envie de lui hurler de m'embrasser. De cesser de regarder autour de nous comme si un paparazzi attendait aux aguets le moindre de ses faux pas.

Je ne suis pas un faux pas.

Et je commence à me dire qu'être un secret, ce n'est pas moi non plus.

Je ne saisis pas comment je peux ressentir une telle chose. C'est monté dans mon cœur en le voyant tant hésiter à poser ses lèvres sur les miennes. Et cela n'a fait que s'amplifier au fil des jours.

La pression que je ressentais s'est alourdie lorsqu'il a choisi la table la plus éloignée de la mienne, à la cafétéria.

Lorsqu'il a pris le livre que lui tendais un camarade de classe, plutôt que le mien.

Quand il m'envoie un message pour me dire de le rejoindre dans un coin discret. A ces moments là, j'ai envie de lui répondre de venir me chercher lui-même. Mais il ne le fera pas.

Pas plus qu'il ne me salue, le matin, ou le soir.

Il n'a aucun contact avec moi en dehors des cours de philosophie. Encore moins de contact que lorsque nous n'étions pas ensemble, en vérité.

Les filles superficielles qu'il déteste tant s'approchent plus souvent de lui que moi.

Et c'est douloureux de faire tous ces constats. C'est comme si j'avais été aveugle tout ce temps, et que ces détails s'exposaient petit à petit à moi.

Je voudrais les nier de nouveau. Me concentrer uniquement sur nous. Mais je n'y parviens plus, quand la seule chose que je remarque, c'est que le nous n'existe plus au milieu des autres.

- C'est pour me protéger.

Cette phrase, je me la répète des dizaines de fois par jour. Tout cela, c'est pour moi. Pour que je ne revive plus une situation où de folles quantités de haine se déversent sur moi. Mais j'en viens sérieusement à me demander ce qui est le mieux. Vivre caché et en avoir mal, ou l'exposer et avoir mal également. Ne dit-on pas qu'il vaut mieux souffrir à deux que seul ?

- Sa volonté est la bonne. La façon de la mettre à exécution n'est en revanche peut-être pas la plus adaptée. Il y a sûrement d'autres solutions, auxquelles il faut réfléchir.

Je n'ai fait que cela, pour tout dire. Pour autant, rien ne paraît être la bonne chose à faire. Et ça me blesse, au fond de moi. Mon moral prend de sacrés coups, depuis quelques jours, et malgré les mots que Talia essaye de rendre rassurant les minutes suivantes, je ne parviens pas à mettre tout cela de côté.

Encore moins quand nous nous présentons en cours de sport. Premier cours de danse de l'année. Le professeur nous demande rapidement de faire des duos mixtes, pour commencer par les danses de salon.

Je ne sais pas ce que j'attendais. Je ne comprends pas comment je pouvais espérer qu'il me choisisse. Pourtant, je me sens profondément touchée et déçue, quand il s'écarte de moi, et laisse un autre homme être mon cavalier. Lui-même s'avance vers Talia, seul choix qu'il doit estimer potable. Cette dernière me lance un regard désolé, avant de tenter de le faire changer d'avis, aussi discrètement qu'elle en est capable. Mais il ne reviens pas sur sa décision. Il laisse ce garçon s'approcher de moi, poser ses mains sur mes hanches, et me faire valser.

Je sens son regard sur moi, mais je ne parviens pas à le soutenir. Je ne le veux pas. J'évite sciemment ses yeux, pour me concentrer sur mes pas. Malgré tout, mon esprit ne pense qu'à la douleur qu'il fait naître en moi.

Personne n'aurait suspecté quoi que ce soit, si il avait dansé avec moi. Il fallait qu'il choisisse une partenaire, et cela aurait pu être n'importe qui.

Il ne fait pas que garder le secret. Il m'évite dès lors que nous sommes entourés. C'est trop extrême, et inutile. J'aurai sûrement moins de mal à accepter la situation, si il se comportait comme un camarade de classe, et non un étranger. Nous étions plus proche aux yeux de tous avant que nous ne soyons ensemble. Je ne sais pas si il se rend compte de ce fait.

Mon cœur se serre et je ne peux qu'espérer, qu'il se rendra vite compte de la bêtise qu'il fait.  

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Je viens de me rendre compte que j'ai oublié le chapitre la semaine dernière, désolé !

Bon, Lester... On l'aime hein... mais est-ce que là, on a pas envie de lui mettre un coup de pied au cul ? x)

A trop vouloir la protéger, il risque de la blesser, si ce n'est pas déjà fait...

A la semaine prochaine, 

Kiss :*

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