Chapitre 82
PDV Lester
C'est trop calme, trop silencieux. L'appartement me paraît affreusement vide, et pour la première fois de ma vie, je comprends ce que cela fait, de se sentir seul. Pourtant, j'aime la solitude, le silence, et ce genre d'ambiance. Mais pas aujourd'hui.
J'ai encore en tête chaque instant de cette soirée. Son rire, son sourire, sa présence. Sa façon d'être et tout ce qui la caractérise. J'aime l'avoir près de moi. Et si d'habitude, je parviens à mettre de côté ce constat de part la place que prennent mes amis, cette fois ils ne sont pas là pour m'empêcher d'y penser.
Chaque recoin de cet appartement me fait penser à elle. Le sapin, qu'elle a fini de décorer le matin du 25, avant de rentrer chez elle. Heureusement, il lui a fallu moins de temps que la veille. La cuisine, dans laquelle elle a tenté de faire des crêpes, avant que je ne lui retire la farine des mains, en trouvant plus sur le sol que dans le bol. La chambre, et je n'ai pas besoin de citer ce qui me reste particulièrement en tête dans cette pièce.
L'ennui. Je le ressens rarement, quand j'ai l'occasion de pouvoir être seul. Et pourtant, je crois l'avoir découvert sous toutes ses formes. J'ai bien tenté de jouer. Mais mon esprit revenait sans cesse sur elle, ne me laissant pas le loisir de me concentrer sur mes notes. J'ai essayé toutes sortes d'activités que je me plais à exercer, mais aucune n'avait la saveur d'antan. Tout paraissait fade, et je ne sais combien de fois j'ai pu me dire « si elle était là... ». Sauf qu'elle ne l'était pas.
J'ai bien réfléchi plusieurs fois à me rendre chez elle. Sa mère n'a eu de cesse de me proposer d'y passer après tout. Je crois même que j'ai dû une ou deux fois jouer avec les clés de ma moto devant la porte d'entrée. Au final, je n'ai pas pu faire ce pas. Je crains déjà assez le repas d'aujourd'hui, je ne me sentais pas capable d'enchaîner deux fêtes de Noël à la suite. Un jour peut-être, mais certainement pas cette année.
Je voudrais nier craindre de me rendre chez mon père. Continuer à afficher ce visage détaché, mais pour une fois, je n'arrive pas à me mentir. Je m'étonne d'être aussi honnête avec moi-même sur ce point. Ça ne me ressemble pas, de comprendre ce que je peux ressentir. Et d'accepter de le ressentir sans chercher à le mettre de côté pour ne pas m'en souvenir.
Je voudrais dire que je ne comprends pas pourquoi je change petit à petit sur certains points. Mais je le sais. J'évolue, depuis que j'ai rencontré ce petit ovni. Je n'en ai pas forcément envie, cependant je ne le regrette pas pour autant. C'est le lot de tout être humain. On finit forcément par changer, évoluer. Sauf Carter. Carter régresse, la plupart du temps.
Elle a une influence sur ma vie, et je pense pouvoir dire sans douter que j'en ai une sur la sienne. Plus ouverte, plus joyeuse que lorsque je l'ai rencontré. Je sais que je ne suis pas le seul a avoir cet effet sur elle. L'Arc-en-ciel n'y est pas étrangère non plus. Je veux seulement dire que si j'accepte d'avoir de l'effet sur Lyra, je dois accepter qu'elle en ait sur moi.
Aller chez mon père aujourd'hui, c'est l'accepter.
Le tic tac de l'horloge me tape sur les nerfs. Jamais les secondes ne m'ont paru si longues, que depuis qu'elles servent à délimiter le temps avant de la retrouver. Je me retiens depuis presque une heure d'aller chez elle, alors qu'il aurait été totalement inutile d'être autant en avance. Encore une dizaine de minutes. Je m'agace, quand je me rends compte que je tape frénétiquement du pied au rythme de la trotteuse. Je grogne, lorsque c'est l'index qui prend le relais. Je ne me suis jamais vu autant appréhender un évènement, tout en ayant hâte qu'il se produise ! Un paradoxe qui me déstabilise, et dont je ne sais pas quoi faire. Je m'énerve autant que peut le faire Carter, dans ses meilleurs jours. Et j'hésite presque à m'en foutre une derrière le crâne, comme je peux lui en envoyer lorsqu'il est trop emmerdant. C'est-à-dire la majorité du temps.
Ne tenant plus, je me décide à y aller. Dix minutes, ce n'est pas non plus une grande avance. De toute façon, je suis incapable de rester une seconde de plus dans cet appartement. Je suis entrain de devenir fou. J'attrape le bouquet de fleurs et la bouteille de vin posé sur la table. Rien de bien personnel, mais d'après Lyra, il ne faut pas arriver les mains vides. Je crois qu'elle a glissé en plus que j'aurai dû m'en rendre compte à l'anniversaire de mon père, mais j'ai préféré ne pas trop écouter cette partie.
Si quelques minutes auparavant, le temps me paraissait long, celui jusqu'à chez elle, puis jusqu'à la maison de mon enfance, me paraissent bien plus court. Peut-être un peu trop, ne puis-je m'empêcher de penser, en voyant la grande porte devant nous. Je sens les yeux de Lyra qui me scrutent, sans qu'elle ne dise rien pour autant.
- Vous voilà ! Entrez donc.
Je sursaute presque. Il est arrivé à la porte bien plus vite que ce que je ne pensais. Un sourire illumine son visage. Je crois que je ne l'ai pas vu sourire autant depuis des années. Et je comprends pourquoi, même si j'ai du mal à l'admettre. Il est simplement heureux que je sois venu. Je ne peux m'empêcher de déglutir, en me rendant compte du bonheur que ma simple présence peut lui procurer. Et je me sens stupide, de l'en avoir privé toutes ces années. Ou peut-être est-ce moi que je privais.
- Vous êtes magnifique Lyra.
Elle rougit et balbutie quelques remerciements, qui me font cacher un sourire.
Je pense qu'elle ne sera jamais capable de se rendre compte de sa beauté. Moi, elle me coupe parfois le souffle. Comme lorsque j'ai été la chercher, tout à l'heure. Ce n'est pas la première fois que je la vois apprêtée, mais chaque fois, j'ai l'impression de la redécouvrir. Et chaque fois, je dois me faire violence pour virer cette pensée absurde de mon esprit, qui voudrait la cacher pour que personne ne remarque comme elle est belle.
Ses petits yeux marrons se posent sur moi, quand elle finit par sentir mon regard. J'aurai aimé qu'elle laisse apparaître ses yeux vairons, mais je peux comprendre qu'elle ne soit pas suffisamment à l'aise aujourd'hui pour le faire. Je ressens tout de même une petite pointe de déception, en pensant quel point elle aurait été encore plus incroyable, avec son regard si particulier.
Je tends la bouteille que je tiens entre mes mains à mon père, qui la saisit en me remerciant. Je ne dis rien de plus. Je passe simplement les yeux autour de moi, comme si je redécouvrais cette maison. C'est un peu vrai. J'ai beau y être venu il y a peu de temps, le monde présent ne me laissait pas le loisir d'observer vraiment les lieux.
Je ne sais pas bien ce que je ressens, en remarquant à quel point tout est finalement similaire à mon souvenir. Il y a bien quelques éléments de décorations en plus. Mais les photos sont toujours là. Les cadres, les vases, et tout le reste.
J'avance sans cesser d'observer ce qui m'entoure quand il nous invite à aller au salon. Là, nous n'y étions pas allé, la dernière fois, les invités prenant place dans la salle de réception. Je crois que c'est dans cette pièce que je me prends la plus grosse claque. Les dessins, sur le mur de droite. Les photos de mon premier cours de musique, sur la cheminée. Et ce cadre, ce pèle-mêle de nous 3, mettant en avant tous les moments que nous avons pu vivre avant que je ne les gâche.
Tout est encore là. Exactement comme avant.
Je m'attendais à ce qu'ils aient disparus. Je le craignais, à vrai dire, même si je l'aurais compris. J'ai beau avoir entendu mon père me dire qu'il ne m'en voulait pas, que je n'avais rien détruit, l'assimiler, c'est autre chose. C'est comme si je le comprenais vraiment maintenant. On dit qu'un acte vaut mille mots. Je saisis à quel point l'expression est vraie, en ce moment. Devant tous ces souvenirs, je vois ce qu'il a tenté de me dire. J'ai encore ma place ici. Je ne l'ai jamais perdue.
Je n'arrive pas à détacher mon regard d'une image en particulier. Là, tout au centre de ces centaines de photographies, l'une d'elle ressort. Il y a moi, une guitare sur les genoux, et juste à côté, Hélène. Elle tient le manche de l'instrument, les doigts bizarrement posés sur les cordes.
Nos visages sont tournés vers l'appareil, que je sais tenu par mon père. Je ne souris pas forcément, mais on distingue ce rictus, que j'affiche régulièrement. Je n'ai jamais été très démonstratif, même enfant. En revanche, celui d'Hélène est éclatant, comme à chaque fois. Ma joie à moi, je la vois dans mes yeux. Ils brillent, avec toute l'innocence que j'avais encore, à cette époque là. Cet instant, je m'en souviens parfaitement. J'étais en train de m'entraîner dans le salon, quand elle s'est assise à côté de moi. Elle m'a demandé si je pouvais lui apprendre quelques notes. Alors j'ai décalé la guitare pour qu'elle soit sur nous deux, et je lui ai montré comment pincer les cordes, pendant que je jouais. J'entends encore le son de son rire, quand la note n'était pas bonne, parce qu'elle plaçait mal ses doigts. Je me rappelle comme j'avais aimé ce moment. Elle partageait avec moi ma passion, elle s'intéressait à moi, tout simplement. Je l'aimais déjà beaucoup. Mais je crois que c'est là, où j'ai décidé qu'elle serait ma mère. Où j'ai compris qu'elle l'était déjà, en réalité.
Le sang n'avait plus aucune importance. Les années passées sans elle non plus. En quelques mois, elle avait pris une place que jamais personne d'autre n'avait su occuper, celle de la première femme de ma vie. Elle m'a fait comprendre comment était cessé être une maman. Et je crois que c'est elle, qui m'a empêché de me fermer totalement au monde extérieur. Je n'aurais sûrement pas approché Carter. Ni Sam et Arthur. Je serais resté seul. Je me demande où j'en serais, aujourd'hui, si elle n'était pas entrée dans ma vie. Je n'ai pas forcément envie d'y penser, d'ailleurs.
La main se Lyra se glisse dans la mienne, et c'est ce qui me fait détourner les yeux pour la première depuis que ce que j'imagine être de longues minutes. Elle me sourit, tendrement, et je suppose qu'elle a dû suivre mon regard à un moment où un autre. Étonnement, j'ai presque envie de lui pointer chaque photographie, pour lui expliquer chaque moment capturé par l'objectif. C'est encore un effet qu'elle a sur moi. Cette envie qu'elle connaisse tout de moi. Une preuve supplémentaire qu'elle a su briser tous les principes que je pensais être les miens pendant des années. Elle me montre qu'au final, il s'applique peut-être au reste du monde, mais sûrement pas à elle. Parce qu'elle différente. Et c'est loin d'être un défaut, comme elle pouvait le penser, et comme elle le pense encore sûrement malgré elle.
C'est le bruit des talons qui s'approchent, qui brise cette bulle se formant irrémédiablement autour de nous. Je sens mon cœur qui se met à battre au rythme des pas. Je voudrais rester insensible, comme je le suis toujours. Mais je sais qui approche. L'une des seules personnes de ma vie devant laquelle je ne peux pas rester de marbre. Quand elle apparaît par la porte, ses yeux se fixent dans les miens instantanément. Un sourire timide monte sur ses lèvres, et je ne parviens pas à lui rendre. J'ai l'impression de me liquéfier, de redevenir un enfant face à la plus grande de ses peurs. Ce n'est pas elle, qui m'effraie. C'est la vérité qui s'impose à moi en la voyant : mon père ne m'en veut pas. Mais elle ?
Qui peut m'affirmer à cet instant précis que je n'ai pas perdu définitivement Hélène ?
Personne.
Et toutes les craintes que j'avais avant d'arriver ici refont surface.
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Un Lester vulnérable que l'on a pas l'habitude de voir... alors, Hélène lui en veut-elle ?
La suite dimanche prochain,
Kiss :*
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