Chapitre 78

 PDV Lester

« Il faut que je te parle. Tu peux venir ? »

- Qu'est-ce que tu as encore fait ?

Je me tourne vers Carter, penché par dessus mon épaule, et range mon téléphone dans ma poche. Il se relève et met ses mains sur ses hanches, dans une tentative de paraître intimidant. Sauf que c'est Carter, et que rien qu'à cause de son t-shirt bob l'éponge, il n'a plus aucune crédibilité.

- Premièrement, je n'ai rien à me reprocher, et ensuite, comment ça, « encore » ?

Il balaye d'une main mes dires, comme si ils n'avaient aucune importance.

- J'ai vu toutes les comédies romantiques d'accord ? « Il faut qu'on parle », ce n'est jamais bon signe.

- La vie n'est pas un film Carter.

Il ne fait pas mine de m'écouter et commence à faire les cents pas dans la pièce, une main sur le menton en signe de réflexion. J'ignorais qu'il en était capable.

- Tu as fais quelque chose dans son dos ? Oublié de répondre à ses textos ? Tu as mangé sa tablette de chocolat ? C'est très grave ça.

Il continue une liste longue comme le bras de méfaits qui selon lui seraient à l'origine du procès qui m'attend. Sauf que je n'ai rien fait de tout ça, et que si le message de Lyra me surprend, il ne m'inquiète pas. Cela m'étonnerait fort qu'elle ait envoyé ce message dans le but de me faire comprendre que j'avais fait quelque chose de grave. Ce n'est tout simplement pas ainsi qu'elle fonctionne.

Il est tellement impliqué dans ce qu'il est en train de raconter qu'il ne remarque pas que je quitte la pièce, et l'appartement. Je ne m'étonnerais même pas de le retrouver dans la même position d'ici quelques heures, quand je rentrerais. Je suppose qu'il s'ennuie, et que s'imaginer dans un de ces films romantiques qu'il affectionne tant lui occupe l'esprit. Ou bien tout simplement, il lui manque quelques neurones, ce qui ne m'étonnerait pas plus que cela. Carter n'a jamais été mon ami à cause d'une trop grande intelligence.

Lyra veut me parler. Ça s'arrête là. Il n'est pas nécessaire de chercher à tout prix une raison, une explication. Il ne me faudra pas longtemps pour arriver chez elle et comprendre ce qu'elle voulait.

Son message m'interroge, mais en même temps, il m'est utile. J'ai à lui parler, moi aussi. Je veux lui parler de la composition. De cette possibilité de reprendre la musique sans pour autant retoucher à un violon. Je n'ai pas eu le temps d'approfondir mes recherches, mais je sais que plusieurs écoles intéressantes proposent ce genre de cursus. J'aurai voulu arriver préparé avec un plan d'action, parce que ce genre de discussion tourne rarement bien. Mais tant pis. Je prends le risque, parce que je veux faire ce qui est bien pour elle.

Faire partie des quelques personnes importantes dans ma vie, c'est prendre le risque que je finisse par me mêler de la tienne. Dans ton propre intérêt.

Je voudrais dire que je sais exactement comment aborder la question avec elle, mais c'est faux. Une part de moi craint qu'elle ne se braque et ne veuille rien entendre. Qu'on se retrouve dans une situation bien connue qui ne sera agréable pour aucun de nous deux. J'essaie de ne pas y penser. Je me dis que je parviendrais à trouver les bons mots quand le moment sera venu.

Lorsque je sonne, personne ne me répond. La tête de Note m'apparaît derrière la fenêtre la plus proche, il semble sourire à sa façon et disparaît, visiblement parti prévenir sa maîtresse. Elle est donc seule. Tant mieux, puisque je ne sais pas comment va finir notre discussion, autant que ses parents ne soient pas à côté pour y assister.

Un sourire timide s'affiche sur son visage, quand elle m'ouvre la porte. Je dois bien avouer que cette moue inquiète pique ma curiosité un peu plus profondément, et je décide de la laisser parler avant de lui exposer ce que j'ai moi-même à lui transmettre.

A peine arrivés dans sa chambre, elle se met à jouer avec ses doigts et je comprends qu'elle se retient de faire les cents pas. Ce qu'elle veut me dire est si angoissant pour elle ? Je commence à me demander si Carter n'avait pas raison. J'essaie de balayer cette idée de ma tête. Je ne peux définitivement pas avoir fait une des nombreuses « erreurs » qu'il m'a listé. Elles sont trop stupides.

J'attends patiemment qu'elle se décide à parler, même si j'ai dû mal à résister à l'envie de la presser un peu. J'ai l'impression de ressentir du stress. Pourtant, ce sentiment est loin de m'être familier. Il ne me correspond tout simplement pas. Mais devant elle, qui semble chercher avec précision chacun de ses mots, encore plus timide qu'à son habitude, ma curiosité se mélange à ce sentiment si particulier.

- Alors voilà... hier j'ai été faire les boutiques avec Talia.

Jusque là, je ne vois pas vraiment le rapport avec moi. Je ne la coupe pas, tandis qu'elle se force à garder son regard loin du mien, comme si le fait de les croiser lui ferai perdre tout son courage.

- Il y a avait beaucoup de monde, c'était assez angoissant d'ailleurs. Je ne comprends pas cette façon qu'ont les gens de se coller aux autres comme si quelques centimètres allaient les faire passer plus vite...

Moi je comprends qu'elle cherche surtout à gagner du temps, parce qu'elle ne sait pas vraiment comment aborder ce pourquoi elle m'a fait venir. Et pourtant, je l'imagine bien avoir passé plusieurs heures devant son miroir à répéter son texte. Il faut croire que je suis plus intimidant que le miroir. J'en aurai sûrement joué dans une autre situation, cependant je sens mes sens qui se mettent en alerte. C'est comme si tout mon corps me criait qu'elle va me dire une chose que je ne vais pas apprécier entendre. Au moins, on est deux.

- Et j'ai fini par... croiser ton père.

Mes sourcils se froncent sans que je ne parvienne à les contrôler. Je ne sais pas trop ce que je ressens. Pas grand-chose, face à l'idée qu'elle ait seulement vu mon géniteur dans un centre commercial. Un peu plus, quand j'imagine que c'est surtout ce qu'il a dû lui dire qui la met dans cet état. Et cette fois-ci, je peux réellement affirmer que je ressens une boule de stress au creux de mon ventre. Comme si je redevenais un gamin qui craint le regard de son père. Moi, je crains qu'il n'y ait plus de regard. C'est dur à admettre, mais j'y arrive de mieux en mieux. J'ai peur d'avoir brisé irrémédiablement ma famille, que cet espoir de les retrouver né en moi sans que je ne le contrôle ne s'évanouisse.

- Il voudrait qu'on...

Le souffle qu'elle reprend au milieu de sa phrase me serre la gorge, et j'ai presque l'impression de deviner ce qu'elle va dire quand elle relève enfin le visage vers moi.

- Qu'on aille tous les deux chez lui pour les fêtes de Noël.

J'oublie instantanément ce que j'avais à lui dire. Le silence plane. Lourd, pesant. Je sais qu'elle voudrait que je parle. Pendant de longues minutes, j'en suis pourtant incapable. Tout se mélange en moi. D'un côté, je suis rassuré de voir cet espoir qui ne se fane pas. D'un autre, je bloque sur un mot. Noël.

Un tout petit mot. Synonyme de joie, de bonheur, de famille, pour la plupart des habitants de ce pays. Pas pour moi.

Je m'entends à peine répondre. Elle se mord la lèvre en me regardant faire. Mais je la vois à peine. Tout est un peu flou, autour de moi. Je ne me sens même pas m'asseoir sur son lit. Je la remarque à peine me rejoindre.

- Non.

C'est le seul mot que j'ai pu lui dire. Non, je ne peux pas aller dans cette maison pour Noël. Non, je ne veux pas fêter Noël, tout simplement.

Le son bourdonne dans mes oreilles. Comme si je me trouvais sous l'eau. En apnée.

J'ai l'impression d'être brusquement tiré à la surface quand sa main se pose sur la mienne. D'abord, je retrouve la vue. Je vois ses lèvres bouger, son regard doux et inquiet sur moi. Mais je ne comprends pas ce qu'elle me dit.

- Quoi ?

Elle est patiente, me laisse le temps de me réhabituer aux sons. Et puis je l'entends, enfin.

- C'est à cause de ta mère ?

- Il te l'a dit.

- Seulement ça.

Elle veut savoir. Mais elle ne demande pas. Je ne sais pas si je suis soulagé qu'il ne lui ait pas dit, ou si j'aurai préféré qu'il le fasse. Je n'ai pas envie d'en parler. Pas envie de me replonger là-dedans. Parce que ce moment là de ma vie, il éclipse la colère que je ressens pour elle au profit d'une certaine tristesse. Celle que j'ai ressenti, enfant.

Je n'ai pas envie, et pourtant, les mots sortent de ma bouche naturellement. Presque trop.

- Ma mère est parti le jour de Noël. Comme tout enfant, j'ai descendu les escaliers en courant, le matin du 25, pour rejoindre au plus vite le sapin et la pile de cadeau. Mon père m'attendait déjà, appareil photo en main, grand sourire aux lèvres. Elle n'était pas là. Il faut dire qu'elle se levait rarement tôt. J'étais impatient, alors j'ai décidé de commencer à déchirer les paquets portant mon prénom. Et puis elle est arrivée. Elle était habillée, une valise à côté d'elle. Elle m'a jeté un coup d'œil, aucun sourire. Et elle est parti. Pas un regard pour mon père, pas un mot.

Lyra se mord la lèvre et je ne sais pas bien si elle retient sa colère ou sa tristesse. Peut-être les deux, comme moi.

- Sur le moment, j'étais déçu. Et en même temps, j'avais l'habitude. Je pensais qu'elle rentrerait d'ici quelques jours. Alors nous avons laissé son cadeau au pied du sapin, avec un de mes dessins. Sauf qu'elle n'est jamais rentrée. J'ai pensé pendant longtemps que c'était de ma faute. Qu'elle était en colère que je ne l'ai pas attendue pour déballer mes présents.

Les mains de Lyra se posent sur mes joues et me forcent à relever le regard vers le sien.

- Tu n'es responsable de rien.

Malgré la douleur qui perce en moi, je parviens à lui sourire.

- Je sais. J'ai compris plus tard que cette femme n'accordait aucune importance à mes actions. Il n'y a qu'une chose qui comptait pour elle, l'argent. Elle avait dû trouver un poisson plus gros, tout simplement. Mais dans ma tête d'enfant, c'était de ma faute. Et malgré toutes ces années, malgré que je sache pertinemment que je n'y suis pour rien, Noël a toujours été une fête qui me rebute. Peut-être que mon père et Hélène aurait pu inverser la tendance, mais j'ai toujours refusé de participer à ce jour là. Je restais dans ma chambre, ne voulant rien voir qui puisse ressembler à des guirlandes, un sapin, ou des cadeaux. Je suis plutôt têtu, quand je le souhaite. J'ai tenu toutes ces années.

- Plutôt ?

Je ne réagis pas autrement que par un sourire à sa pique et son regard rieur, que je sais là pour me détendre.

- Je ne sais pas si c'est par rancœur ou tristesse, mais cette journée... je ne veux pas la fêter.

C'est dur, de confier ce que je peux ressentir. En particulier quand cela touche cette femme. J'ai beau dire que je suis guéri, au fond, certaines cicatrices sont encore là. Parce qu'enfant, je n'ai pas su comment les refermer. Alors elles ne pouvaient pas disparaître d'elles-mêmes. Hélène... a été un pansement qui les a empêché de s'infecter. Mais malgré tout, il y a des jours où elles restaient douloureuses.

On finit par s'habituer à la douleur. On ne la sent même plus, au final. Et puis parfois elle rend fou. 

C'est à cause d'elle que j'ai fini par briser ma famille.

C'est à cause de cette femme, que j'ai fini par briser ma famille.

Et encore maintenant, son souvenir m'empêche de passer un moment avec eux. D'essayer de réparer ce que je pensais encore brisé à jamais il y a quelques semaines.

Sauf que quand je croise une nouvelle fois le regard de Lyra, je sens une chose. Elle ne compte pas laisser tomber cette idée aussi facilement.

Et une part de moi a envie de voir, si elle va réussir à faire changer d'avis mon cœur.  

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Dis donc la mère de Lester, on ne l'a jamais vu mais qu'est-ce qu'on ne l'aime pas, non ? x)

Alors Lyra va-t-elle parvenir à le faire changer d'avis et aller chez son père ? Si une personne peut réussir, c'est bien elle...

La suite dimanche prochain, 

Kiss :*

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