Chapitre 77

PDV Lester

Ses mains glissent sur les cordes alors que son corps balance presque imperceptiblement au rythme de la musique. Ses yeux sont fermés, ne laissant pas voir au monde à quel point ils sont incroyables. Elle n'a pas besoin de les montrer à ce moment là pour paraître éblouissante. Il suffit de la regarder. Une longue robe bleu pâle, ses cheveux bien relevés dans un chignon serré, ses joues légèrement rosées... et le violon qu'elle tient, produisant un son unique et envoûtant.

Je ne sais plus vraiment depuis combien de temps je regarde ce genre de vidéos. Des jours, des semaines peut-être. Suffisamment pour anticiper chacun de ses mouvements. Des plus généraux aux plus imperceptibles, comme ce petit froncement de sourcils, lorsqu'elle commence une partie plus difficile. Et puis ce sourire presque invisible quand les notes accélèrent sans jamais qu'elle ne se perde.

Je pourrais fermer les yeux, que je serais capable de la voir jouer encore derrière mes paupières closes. Elle était incroyable. Et je sais qu'elle l'est encore. Peut-être pas en violon. Mais elle est faîte pour la musique. Je ne veux pas qu'elle passe à côté de ce bonheur-ci. Elle ne sera jamais complète tant qu'elle se tiendra loin des notes.

J'ai l'impression qu'elle a déjà fait un pas, avec moi. En venant à un concert, en écrivant cette partition avec moi. Mais je ne sais pas comment lui faire faire les autres. Et cette question revient sans cesse dans mon esprit depuis un bon moment. Déjà présente, elle ne fait que s'amplifier depuis son anniversaire.

Je voudrais que tout soit plus simple. Cependant je sais la réaction qu'elle va avoir, si je lui parle de reprendre la musique. Elle va se braquer, se refermer, et pour l'instant, je refuse d'envisager cette hypothèse. Nous avons mis suffisamment de temps à nous ouvrir l'un à l'autre pour recommencer ce jeu malsain.

Il faut que je réfléchisse avant à quoi lui dire. Que je trouve sa nouvelle voie dans cet univers qu'elle refuse de rejoindre pour l'instant, mais qui l'attend.

Elle ne voudra pas retoucher à un violon. C'est ma seule certitude. Je peux le comprendre. Je suis persuadé qu'elle est encore capable de jouer. Parce qu'elle entend les notes au fond d'elle, et pas grâce à ses oreilles. Mais quand cela concerne cet instrument, son handicap n'est plus physique, mais psychique. Ce n'est pas un blocage qui a vocation à disparaître. C'est bien plus profond.

Alors je peux jurer qu'elle n'y retouchera jamais. Même dans 20 ou 30 ans, elle refusera toujours. Je ne veux pas la forcer sur ce point.

Sur aucun point, d'ailleurs. Je souhaite seulement qu'elle se rende compte que la musique a besoin d'elle autant qu'elle a besoin de la musique. Je me doute que l'entreprise sera loin d'être aisée.

Qu'est-ce qui pourrait lui plaire, dans cet univers si vaste ? Qu'est-ce qui pourrait l'entraîner à nouveau là où est sa place ?

Je ne parviens pas à trouver la réponse, et cela m'agace. Chaque minute qui passe la conforte dans son idée de ne plus jamais toucher à la musique. Je refuse de l'envisager. Surtout quand je vois cette petite Lyra de 13 ans sur scène. La définition même du bonheur, c'est l'image qu'elle renvoie. Je veux qu'elle le connaisse à nouveau, avec la même puissance qu'autrefois. Je ne peux pas faire revenir sa sœur. Mais je peux lui offrir ce qu'elle se refuse pour l'instant à accepter.

J'en ai fait la promesse à son père. Je m'en suis fait la promesse à moi-même. Et à elle, même si elle ne le sait pas forcément.

La tête de Carter passe derrière ma porte et il me regarde un instant avant de se décider à faire entrer le reste de son corps. Son regard se porte sur l'écran de mon ordinateur où la jeune Lyra joue toujours.

- Elle était si douée.

Un prodige. C'est ainsi qu'elle était décrite. Je n'aime pas ce terme. Et pourtant, je suis obligé de le reconnaître. Le travail acharné ne suffit pas à être si époustouflante, quand il s'agit de musique. Elle avait un don. Un don qu'elle n'a pas perdu. Elle doit seulement apprendre à le reconnaître et à l'utiliser d'une autre façon. Comprendre que perdre sa sœur ne lui a pas fait perdre cette partie d'elle, contrairement à ce qu'elle pense.

Je souffle un coup et mets la vidéo en pause, me laissant aller à la discussion. En temps normal, je n'aurais pas demandé son avis à Carter. Ou à personne d'autre, d'ailleurs. Mais je dois bien avouer que je ne sais plus ce qui est normal ou non. Ma façon d'être est sans cesse remise en question depuis que ce petit ovni a débarqué dans ma vie. J'ai du mal à comprendre comment elle peut avoir tant d'effet sur moi, même lorsqu'elle n'est pas là. Je suppose que je ne risque pas de le saisir maintenant.

- Elle ne doit pas arrêter la musique.

- Que penses-tu faire alors ?

- C'est bien le problème. J'en ai aucune idée. Elle ne voudra plus jouer du violon. Alors quoi ?

Mon meilleur ami hausse les épaules, et le mince espoir qu'il puisse pour une fois avoir une idée utile s'évanouit.

- Je ne la connais pas assez pour le savoir. En revanche, si il y a bien une personne capable de l'aider à trouver sa voie, c'est toi.

Ça à l'air si facile, quand il le dit. Et pourtant c'est loin de l'être. C'est même bien plus difficile que la plupart des choses que j'ai eu à faire dans ma vie.

- Comment ?

- En l'aimant.

Je ne dis rien. Je ne sais pas quoi répondre. L'aimer. C'est un grand mot, l'amour. D'ailleurs, je crois qu'elle comme moi sommes bien incapables de le définir. Il suffit de voir à quoi ressemble notre exposé.

Est-ce que je l'aime ? Je n'en sais rien.

Je ne peux pas l'affirmer. Mais je ne peux pas le nier non plus. Je ne saisis pas forcément tout ce qui peut se passer en moi quand elle entre dans l'équation. Je sais seulement que c'est différent quand il s'agit d'autre personne. Parce que ça compte, quand il s'agit de l'ovni.

- Pourquoi tu es persuadé qu'elle doit reprendre la musique ?

- C'est une évidence. Quand on travaille sur...

Je m'arrête de parler un moment alors que mes pensées dérivent. Son visage s'affiche devant mes yeux, penché sur cette feuille de note. Elle bat des doigts, chantonne quelques airs, puis gribouille un ensemble d'accords. Elle relève la tête vers moi, rougit en remarquant que je la regarde, et attend que je joue ce qu'elle vient de noter. Et comme à chaque fois, ça colle parfaitement. 

Là, devant le souvenir de ces nombreux moments avec elle, à travailler sur cette chanson, tout s'éclaire. Je sais ce qu'il lui faut, ce dont elle a besoin. Il n'y a plus de doute là-dessus.

Sa voie, c'est la composition.


PDV Lyra

- Et ça ?

Je lève les yeux au ciel et ris devant le pull bariolé que Talia me présente. Je me demande si elle imagine sérieusement Lester porter un tricot vert avec des sapins ornés de boules lumineuses. Elle fait une petite moue et réplique qu'elle, elle aimerait ce genre de cadeau. Ce dont je ne doute pas une seconde. J'hésite presque à revenir ici un peu plus tard pour lui acheter.

Elle finit par reposer l'objet et nous nous dirigeons vers la sortie. Il faut croire que ce n'est pas ici que je trouverais mon bonheur. Ce n'est que le dixième magasin de la journée, et sûrement le cinquantième de ces dernières semaines. Noël approche, et je crois que jamais je n'ai eu autant de difficultés à trouver un cadeau. Il faut dire que Lester a mis la barre haute à ce niveau là, à mon anniversaire. Je passe distraitement la main sur mon cou, où traîne le collier qu'il m'a offert. Je ne l'ai pas retiré une seule fois ces 2 dernières semaines. Et chaque fois que je passe mes doigts sur le métal frais, je me souviens de ce moment, celui où l'écrin s'est ouvert devant mes yeux, et où nous avons échangé un baiser au milieu des personnes qui nous sont chères. Cela me fait du bien, dans les moments où je ne peux pas exposer devant tous ce qui nous unit, lui et moi.

J'essaie de cesser de penser à ce point, et me concentre de nouveau sur mon objectif, trouver le cadeau parfait pour Lester.

Talia avance dans les allées bondées sans aucune difficulté, contrairement à moi. Je manque de me prendre une personne toutes les 10 secondes, même si j'ai au moins l'avantage de ne pas les entendre râler quand je leurs marche sur les pieds. Quelle idée de s'agglutiner de cette façon aussi.

Je commence à en avoir assez, mal à l'aise au milieu de cette foule si dense. Je me sens compressée, et je me doute que si je ne trouve pas rapidement ce que je cherche, je vais devoir me retrouver dans cette masse de personne encore longtemps.

La main de Talia me tire vers le côté et je manque de trébucher, mais j'arrive sur mes deux pieds dans une boutique un peu moins remplie que celle d'où nous venons. Je prends un instant pour respirer, ravie d'avoir un peu d'espace.

Quand je relève les yeux, je comprends où nous nous trouvons et souris.

- Bien vu Tal'.

Des dizaines d'instruments et d'accessoires s'étalent devant nos yeux. Il y a pas mal de monde, mais bien moins qu'aux abords des boutiques de vêtement. Il faut croire que les jeans ont plus de succès que les guitares. Ou que les gens ne s'embêtent pas et offrent des cartes cadeaux. Plus rapide et moins prise de tête.

Moi, je veux un cadeau qui ait du sens. Et je crois qu'ici, c'est exactement le bon endroit.

J'avance dans les allées en faisant fis des regards qui se posent sur nous chaque fois que Talia déclenche un instrument à force de toucher à tout. Je lève les yeux au ciel et retiens un rire quand elle fait tomber les cymbales d'une batterie d'exposition. Elle lève les mains en l'air, ouvrant grand les yeux, et je ne peux qu'imaginer le boucan qu'elle vient de faire. Un vendeur, le même que les dernière fois où elle a cassé la corde d'une guitare, soufflé dans une flûte, ou déclenché un rythme enregistré d'un synthétiseur, s'approche de nous. Il attrape les cymbales, supplie mon amie de ne plus toucher à rien, et je dois me cacher la bouche derrière la main pour qu'il ne saisisse pas mon hilarité. Mon dieu cette fille est irrécupérable.

Une main se pose sur mon épaule et me fait sursauter, tandis que je me retourne vers le corps qui y est rattaché. L'homme m'offre un sourire.

- Mademoiselle Lyra.

- Oh, Monsieur Andrews.

- Je ne pensais pas vous croiser ici.

- Moi non plus. Mais il est difficile de ne pas vous apercevoir.

Je jette un œil vers Talia qu'il me désigne d'un signe de tête. Cette dernière essaie tant bien que mal d'aider le vendeur à remettre en place la batterie, mais elle fait plus de dégâts qu'autre chose. Je ris un peu, tandis qu'il continue de sourire.

- Je suppose que nous sommes là pour la même personne.

Je hoche la tête, et lui avoue ne pas encore être très éclairée sur une idée de cadeau.

- J'ai l'avantage d'avoir Hélène pour m'aider, elle est en train de choisir. Elle a toujours eu un don pour trouver les présents parfaits. Ce n'est pas toujours équitable d'ailleurs, quand on compare les miens et les siens.

- C'est l'intention qui compte.

Et l'intention, il l'a. Il suffit de voir la façon dont ses yeux brillent quand il parle de sa femme. Je les envie. Un amour si puissant après tant d'années, je ne peux qu'en rêver. Même si mes parents sont aussi un bel exemple de longévité.

- Je suis content de vous voir. J'aurais une requête pour vous, si vous me le permettez.

Il n'a encore rien dit que je sens que cela concerne Lester.

- Nous aimerions... que vous veniez tous les deux fêter Noël avec nous. Bien sûr je me doute que vous voulez voir votre famille en ce jour particulier, donc nous avons pensé que vous pourriez venir le 26.

La requête n'est pas l'invitation en elle-même. Mais le fait de faire venir Lester. Ce qui risque de s'avérer un peu plus compliqué. Même si le dernier échange qu'il a eu avec son père simplifie la tâche par rapport à avant.

- Cela fait des années qu'il ne passe plus les fêtes avec nous, en famille. Je crois que vous êtes la seule à avoir une chance de le convaincre.

Je n'ai pas besoin de l'entendre pour savoir que sa voix est teintée de chagrin. Il veut renouer avec son fils. Il a pu entre-apercevoir cette possibilité à son anniversaire, et il s'y accroche. Je trouve ça touchant, et je ne peux lui refuser de tout faire pour essayer de le convaincre.

Un sourire s'affiche sur ses lèvres, mais s'efface peu après. Il n'a pas encore ouvert la bouche que je sens déjà les conséquences de ce qu'il va m'apprendre : convaincre Lester risque d'être encore plus difficile que ce que j'imaginais.

- Je dois vous prévenir... Lester a beaucoup de mal avec les fêtes de fin d'année. A cause de sa mère.

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Entre Lester qui veut la remettre à la musique et Lyra qui veut le faire fêter Noël en famille... Les prochaines discussions risquent de ne pas être de tout repos x)

A dimanche prochain pour la suite, 

Kiss :*

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