Chapitre 62
PDV Lyra
Tout ce qu'il m'a raconté me trotte dans la tête et me chamboule plus que de raisons. Sûrement parce que cela le touche lui. J'aurai ressenti bien moins de choses si une personne lambda m'avait raconté tout ça. Mais parce qu'il s'agit de lui, tout est décuplé. Comme toujours.
J'ai l'impression de soudainement comprendre tout le mystère qu'était Lester à mes yeux. Tout devient plus clair, notamment cette réticence et cette difficulté qu'il a à laisser les autres entrer dans sa vie, et à s'attacher à eux. Tout ça à cause de sa mère. J'avoue ne pas bien saisir comment l'on peut délaisser, et abandonner son enfant. La chair de sa chair. En particulier quand il s'agit d'un enfant né d'amour, voulu et désiré. Évidemment, il y a des situations où on peut parfaitement le comprendre. Mais pas celle-ci. Cette fois, je ne comprends pas.
Un mari aimant, une bonne situation, un fils désiré. Comment peut-on tout plaquer pour quelques paillettes et liasses de billets ? La famille ne se remplace pas par de l'argent. Et j'espère qu'un jour cette femme s'en rendra compte, même si je pense qu'elle ne devrait pas revenir dans sa vie. Elle lui ferai plus de mal que de bien.
Les paroles de la première chanson des Madness que j'ai lu me reviennent en mémoire. Et maintenant, je les comprends. Là où je voyais une mélodie empreinte de sentiments se révèle maintenant être une lettre ouverte à la femme qui l'a tant blessé.
« Partir n'est pas anodin,
Tu as voulu changer de destin.
Mais pourquoi m'avoir abandonné en chemin,
Ne pouvais-tu pas me prendre la main ?
N'oses même pas revenir,
Après m'avoir tant fait souffrir.
J'ai oublié ta présence,
Maintenant j'apprécie ton absence.
Je n'ai plus besoin de raison,
Pas plus que de belles paroles.
La solitude est devenu ma maison,
J'ai fais de ton dépars un symbole.
Ne pense pas que je mens,
Que je te haïs ou que je t'attends,
Tu n'es plus rien pour moi,
Et je vis très bien sans toi. »
C'est un adieu. Après des années à se faire du mal à lui et à son entourage, il coupe ce lien qui le rongeait de l'intérieur. Ce lien avec cette mère qui n'en était pas une. Parce que je sais qui il considère comme sa mère. Je l'ai vu dans ses yeux, quand il m'en parlait. Les années de douceur et de tranquillité qu'il a passé avec Hélène n'ont peut-être pas été nombreuses, mais elles ont été suffisantes pour qu'elle prenne cette place dans son cœur. Simplement parce qu'elle lui a donné ce que donne toutes les vraies mamans : de l'amour.
Et je crois qu'au fond, c'est ce qui le retient tant de retourner vers sa famille. Il a peur d'avoir brisé cette amour. Que son père et sa belle-mère ne l'aiment plus, simplement parce qu'il a été un adolescent difficile. J'aurai voulu lui dire que rien ne peut éteindre l'amour de parents. Lui affirmer qu'ils ont compris pourquoi il agissait ainsi. Mais après tout je ne les connais pas. Pourtant, j'ai la sensation d'avoir raison.
Qu'eux aussi ils souffrent de cette situation, et que c'est pour cela qu'ils s'entêtent à vouloir le voir. Ils ne l'ont pas laissé partir pour s'en débarrasser, comme il se le persuade. Mais pour lui prouver leur confiance. Parce qu'ils savaient que c'est ce dont Lester avait besoin, de partir, de vivre sa musique. Une autre preuve d'amour, qu'il n'arrive tout simplement pas à comprendre, parce qu'il s'en veut beaucoup trop.
Je ne voulais pas chercher à tout prix à le convaincre. Cela doit venir de lui. C'est à lui de le comprendre, mais je suppose qu'il ne parviendra pas à le faire si ils ne les voient pas. Il doit se rendre compte que sa famille sera toujours là, et qu'il ne doit pas les repousser toute sa vie. Parce que la vie est bien trop incertaine pour que l'on ait le loisir de le faire.
Et ces propres mots que je lui ai soufflé se retournent contre moi. Ils me font me remettre en question, sur la relation que j'entretiens avec mes parents. Depuis des années, depuis qu'Aria est partie, c'est comme si nous vivions dans deux mondes différents. Ils ne me comprennent pas, et plutôt que de leur expliquer, je me contente de les repousser.
Mais qu'est-ce que je ferais, si un nouveau malheur arrivait ? Est-ce que je pourrais me pardonner d'avoir mis toutes ces barrières entre nous ? Non. Certainement pas.
Je devrais faire en sorte d'arrêter de les exclure de ma vie. Je ne sais pas comment m'y prendre. Je ne sais pas comment faire tomber petit à petit ce mur qui s'érige entre nous, plus épais chaque jour qui passe.
Cela semble si facile à faire, quand on le dit. Et pourtant j'ai l'impression que c'est l'un des plus gros obstacle de ma vie. Il s'est écoulé tant d'année, que le mur est devenu bien plus haut qu'on ne pourrait le penser. Bien plus épais. Le franchir, le détruire, c'est une épreuve qui va demander du temps et de la sueur. Le pire, mais pour arriver au meilleur.
Je me demande si j'aurai la détermination d'aller jusqu'au bout. Est-ce que je vais arrêter en chemin ? J'ai peur que mon effort s'amenuise si ils ne le remarquent pas. Si ils ne m'aident pas. Parce que j'ai peut-être repoussé mes parents... mais je ne suis pas la seule responsable de cet éloignement. C'est un travail qui doit s'engager des deux côtés, pour qu'il réussisse à aboutir.
Mais c'est à moi de faire le premier pas.
Je joue avec mes doigts, craignant presque d'aller voir ma mère. Pourtant je suis consciente que si je n'engage pas le changement maintenant, je ne trouverais jamais la force de le faire. Avec une certaine timidité, j'entre dans la cuisine. Elle est attablée à l'îlot central, feuilletant un magasine tout en buvant une tasse fumante de café.
A mon arrivée, elle relève la tête et m'adresse un sourire.
Ses yeux m'interrogent déjà, et je me contente de les fuir en me dirigeant rapidement vers le frigo. La tête cachée par la porte ouverte, je souffle un bon coup, avant de la refermer, tout en ayant une bouteille de jus entre les mains. Tandis que je tente d'attraper un verre dans le placard, mes mains tremblantes les font s'entrechoquer, et je manque de faire tomber tout une pile.
Je me fatigue moi-même. Agir de cette façon car je stresse d'engager une conversation avec ma mère... c'est assez pathétique.
Elle fronce les sourcils, laissant tomber sa lecture pour se tourner vers moi.
- Tout va bien ma puce ?
C'est sûrement le moment idéal. Pourtant, je me retrouve à hocher la tête, et prétexte d'avoir une grande soif pour éviter d'avoir à parler. Décidément, je semble bien mal partie. Elle hausse les épaules dans un geste désinvolte, sans faire plus que cela attention à mon attitude étrange. Tandis qu'elle se replonge dans les lignes d'un magazine étalant la vie de quelques stars, je décide qu'il est temps de me lancer.
- Dis maman...
J'attends qu'elle ait relevé le visage vers moi, et elle semble m'encourager d'un sourire à lui dire ce que je cache depuis que j'ai franchi le seuil de la pièce.
- Qu'est-ce que tu penses de l'amour, toi ?
Elle prend un air étonné, mais avant qu'elle n'ait pu répondre, je rajoute que c'est seulement pour l'exposé. Je n'ai pas l'air de la convaincre, mais elle ne dit rien là-dessus. Il faut dire que je ne me convainc pas moi-même. Je sais très bien pourquoi j'ai posé cette question en particulier, et cela n'a pas forcément de rapport avec ce devoir. Mais plutôt avec toutes les questions que je me pose ces derniers temps. Cependant, je ne me sens pas encore capable de le lui demander directement. Alors l'excuse est plutôt bien trouvée, elle m'évite d'avoir à le faire, et lui fait tout de même comprendre que je cherche à l'intégrer d'une certaine façon dans ce que je traverse en ce moment. Parce qu'elle a bien conscience qu'il s'agit de Lester, et pas d'autre chose.
- Je dirais que l'amour, c'est laisser à l'autre la possibilité de te faire toucher les étoiles. Mais aussi celle de te faire lourdement chuter après la montée.
- C'est assez pessimiste.
Et dit comme cela, ça ne donne pas envie d'aimer. Qui aurait envie de tomber d'aussi haut, quand on sait que la chute en serait mortelle ?
- Non. Car aimer c'est aussi avoir suffisamment confiance en l'autre pour être certain qu'il ne le fera pas.
- Comment sait-on si on peut avoir confiance ?
Elle m'offre un sourire chaleureux, celui qu'on offre à une personne moins expérimentée que soi. J'ai l'impression de redevenir une enfant, et ce n'est pas si désagréable, finalement.
- On ne le sait pas. On le sent. Le cœur décide de lui-même.
- Et il ne se trompe jamais ?
- Si. Parce qu'il sait passer au dessus de la peur d'avoir mal pour vivre un nombre incalculable de belles choses.
Une vraie poète, ma mère. Mais ce qu'elle dit a du sens.
- Vous vous êtes déjà fait du mal, avec papa ?
- Oui, nous nous sommes blessés. Mais lorsqu'on lui en laisse la possibilité, l'amour répare. Tout n'est pas tout rose ou tout noir. Il y a des hauts et des bas, dans une relation. Il faut simplement trouver le courage d'avancer.
Je ne dis rien pendant un moment. Ce que je ressens pour Lester... je pense pouvoir dire que c'est de l'amour. Comme Aria me l'avait décrit. Comme Maman m'en parle. Nous nous sommes déjà blessés, comme cette fois là, à la fête foraine. Mais il y a tellement de moments que je voudrais revivre encore et encore.
Et lorsque mon esprit admet ce que mon cœur semble avoir saisi depuis un moment déjà, je ne peux empêcher mes joues de rougir. Je tente de les cacher à ma mère, mais cela n'a pour effet que de lui tirer un rire. Je ne sais pas si elle a comprit à quoi je pense. Mais je suppose que malgré l'éloignement, elle me connaît encore assez pour savoir ce que je ressens. Elle l'avait probablement compris avant moi, d'ailleurs.
- Comment... comment on sait si c'est réciproque ?
Son sourire protecteur me met un peu mal à l'aise. Cette conservation, je l'apprécie. Parce que je sens comme elle est heureuse que je me confie à elle, peu importe si je le fais de manière détournée. Je sais que c'est le premier pas vers l'amélioration de notre relation. Mais en même temps, elle me gêne. Parler de ce que je peux ressentir n'a jamais été chose aisée pour moi. En particulier alors que c'est quelque chose que j'ai encore du mal à comprendre.
- Par les actes. Ce ne sont pas les mots qui le disent, parce qu'il est facile de mentir. Mais il y a des choses qui ne trompent pas.
Je me remémore tout ce que Lester a fait pour moi. Je pense pouvoir affirmer que les actes ne manquent pas... mais je ne suis pas dans sa tête. Je suis incapable de savoir ce qu'il peut bien penser de tout ça. Tout ce que je sais... c'est que je compte assez pour lui pour qu'il bafoue pas mal des règles qu'il s'impose à lui-même. C'est déjà beaucoup.
Je préfère ne pas essayer de comprendre ce qu'il ressent. C'est déjà suffisamment compliqué d'apprivoiser mes propres sentiments.
Je dois lire les notes au fur et à mesure que la partition se dévoile à mes yeux. Et ne pas chercher à voir plus loin, au risque de mal jouer la mélodie.
Mon téléphone vibre et me sort de mes pensées. Ma mère me laisse le saisir et reporte son attention sur son magazine, comprenant que je n'ai plus de questions à lui poser. Pour l'instant. Je dois faire le tri dans ma tête et y mettre de l'ordre, avant ça.
Quand on parle du loup... j'ouvre son message, et mon cœur se met soudainement à battre. Je crois que j'ai un nouvel acte à rajouter à ma liste.
« Tu viendrais avec moi à l'anniversaire de mon père ? »
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Lyra revient progressivement vers sa mère, un premier pas difficile mais tout mignon. Que va-t-il se passer à cet anniversaire ? Du bon, du mauvais ? Allez savoir ^^
A mardi,
Kiss :*
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