Chapitre 57

PDV Lyra

Je souffle ma frustration tandis que Note tire sur ma manche pour me signifier que ma mère vient probablement de m'appeler. Je n'ai pas envie de me lever et de les rejoindre, je préférerais largement rester sagement dans mon lit pour penser plus posément à toutes ces questions qui m'assaillent. Je n'arrive pas à les mettre de côté, et mon cœur fait des mouvements étranges quand j'en viens à la dernière de mes interrogations :

Est-ce que je l'aime ?

Je me retiens de râler quand le chien tire à nouveau sur le tissus de mon haut.

Je ne comprends pas bien pourquoi ils tiennent tant à ce que je sois présente, alors qu'ils ont invité un de leurs associés à la maison. J'ai bien saisi qu'il s'agit d'un homme puissant, probablement bien plus riche que nous ne le sommes déjà, et qu'il faut faire bonne impression. Cela explique sûrement l'accoutrement qu'ils m'ont fait revêtir. Je ne suis pas très à l'aise, habillée de cette façon. Pas à l'aise non plus de devoir jouer la jolie petite famille parfaite devant cet étranger. Surtout pas en ce moment.

Mais je suis bien consciente que je ne peux pas me terrer dans ma chambre indéfiniment. Ils m'ont demandée d'être là, et je ne suis pas du genre à mettre mes parents dans l'embarras. Volontairement, je veux dire.

Alors je me dirige vers l'étage inférieur, regardant ma mère se diriger vers moi avec un sourire éclatant.

- Te voilà, ma chérie !

Elle passe sa main sur mon bras, et m'emmène avec elle à la rencontre de notre invité, qu'elle me présente. Monsieur Andrews, l'homme aux cheveux grisonnants, dans un costume qui doit avoir plusieurs zéros à son étiquette, est plus impressionnant que ce que je pensais. Moi qui imaginais un vieil homme à la bedaine bien prononcée, comme la majorité des associés de mes parents, je me trouve devant un homme qui a une prestance plus que conséquente. Mais bizarrement, un visage qui dégage bien d'autres choses. Il est... chaleureux.

- Mademoiselle Lyra. Heureux de vous rencontrez. Vos parents m'ont si souvent parlé de vous que j'ai presque l'impression de vous connaître.

- Ils ont fait ça ?

- Ils sont extrêmement fiers de vous, en effet.

Je lance un regard à mes parents, qui se contentent de garder le sourire. Moi, je sens mon cœur battre un peu plus vite, et je me retiens de rougir. Au quotidien, mes parents ne me félicitent pas. C'est... étrange, mais heureux, de savoir qu'au fond ils me considèrent. Je n'en doutais pas, mais c'est satisfaisant, de l'entendre.

Mon père entraîne l'homme à sa suite pour lui montrer je ne sais quoi, tandis que ma mère m'enjoint de la suivre jusque dans la cuisine. Elle me tend plusieurs plats pour que je les emmène sur la table.

- Tu n'as pas l'impression d'avoir cuisinée pour 10 personnes ?

- Mieux vaut trop que pas assez ma chérie.

Je me retiens de lever les yeux au ciel et vais déposer les plats sur la table. Nous ne tardons pas à nous installer et j'ignore du mieux que je peux les discussions d'affaires. Ce n'est pas franchement difficile, il me suffit de détourner le regard, pour m'enfermer dans ma bulle. Je me concentre sur le contenu de mon assiette, faisant fis des banalités qui s'échangent et n'ont pas grand intérêt pour moi.

C'était sans compter sur Monsieur Andrews, qui semble décidé à m'intégrer à la conversation, sûrement par courtoisie. Devrais-je lui dire que je préfère éviter tout ça, ou bien ce serait impolie ? Je suppose que la deuxième option prévaut.

- Avez-vous une idée de ce que vous allez faire après le lycée Mademoiselle ?

Je hausse les épaules dans un geste désinvolte, et ne fait pas mine de réfléchir plus que cela à sa question. Je n'ai aucune idée de quoi faire d'ici quelques mois, et si cela devrait sûrement m'inquiéter, je n'en ai pas grand-chose à faire, en réalité.

- Je comprends, il est souvent difficile de savoir à votre âge vers quelle voie nous voulons nous diriger. Il faut laisser le temps au temps. Avez-vous des passions ? Le sport, ou bien la musique, par exemple ?

Je tique sur sa dernière phrase, et me retiens d'afficher une grimace désabusée. Il n'a aucune idée de la machine qu'il vient de lancer, une machine qui s'apprête à piétiner mon cœur qui est déjà plus que fragile.

- C'est une formidable violoniste. A 13 ans, elle a été élue championne nationale.

Je voudrais pouvoir envoyer à mon père tout le fond de ma pensée, alors qu'il continue à se vanter de talents que je n'ai plus. L'homme en face de lui semble apprécier la conversation, et le relance alors que ma mère se met aussi à y participer, un grand sourire aux lèvres.

- Son jeu est incroyable. On l'appelait le petit prodige.

J'attends le moment tant redouté où il va demander pourquoi je ne joues plus. Ou si je peux jouer pour lui. Si je dois faire preuve de bienséance ce soir, je ne suis pas sûre de parvenir à me retenir à ce moment là. Je détourne le regard pour cesser de les voir parler de moi en des termes que je ne supporte pas. Pourquoi faut-il que tout mon entourage insiste sur mon passé ?

Il est à moi. Et je veux vivre dans le présent, alors j'aimerais qu'on cesse de me le rabâcher sans cesse. C'est fatiguant, et blessant, parce que ce n'est pas le genre d'évènement heureux dont on aime se souvenir. Parce que même les bons moments qui le composent me font souffrir.

Je finis par faire racler ma chaise au sol, ce qui les fait taire et se tourner vers moi. Dans un faux sourire, je m'excuse et leur annonce que j'ai besoin de m'absenter quelques instants. Ma mère me fait des gros yeux, mais ne dit rien alors que je m'éloigne vers la cuisine, et m'accoude contre le plan de travail.

Pourquoi faut-il qu'ils fassent toujours cela ? Me rappeler tout ce que je n'ai plus comme si rien ne pouvait me blesser dans leurs paroles. Ne comprennent-ils vraiment pas ce que je ressens ? Parfois, je me demande si ils sont idiots ou bien si ils le font exprès. Je ne sais pas laquelle de ces options est la pire.

Une silhouette qui entre dans la pièce me fait sursauter, et je tourne le visage vers celui qui vient d'arriver.

- Je m'excuse, je ne souhaitais pas vous effrayer.

- Ce n'est rien.

Il s'avance de quelques pas vers moi, et je ne peux m'empêcher de me demander ce qu'il me veut. Pour autant, j'ai un sentiment de confiance alors qu'il me regarde comme le ferai un membre de ma famille. Cet homme est bienveillant, et je pourrais en mettre ma main à couper. Alors je ne suis pas vraiment surprise de ce qu'il m'annonce lorsqu'il ouvre la bouche de nouveau.

- Je tenais à vous demander pardon pour ce qui vient de se produire. J'aurai dû remarquer que cette conversation vous mettait mal à l'aise.

- Excusez ma façon de parler, mais je crains que ce n'est pas vous qui auriez dû vous en rendre compte.

C'est presque amère que je lâche ces paroles, et cela doit s'entendre car il m'offre un sourire attristé.

- Vous savez, il est parfois plus difficile de comprendre ses propres enfants que ceux des autres. Ne leurs en voulez pas trop, ils n'avaient pas pour but de vous blesser.

Je ne dis rien pendant un moment, même si j'espère au fond de moi qu'il a raison.

- Puis-je vous poser une question ?

Je l'enjoins à le faire sans trop savoir pourquoi j'accepte de me confier à cet inconnu. Je suppose que l'aura qu'il dégage y est pour beaucoup.

- Comptez-vous véritablement arrêter la musique ?

- J'ai perdu ma place dans ce monde-ci.

Un petit sourire s'affiche sur son visage, à moitié défait, et à moitié optimiste.

- Vous savez, je crois que l'on ne cesse jamais vraiment d'être un musicien. La musique est en vous.

J'aimerais réussir à lui sourire pour de vrai, mais je n'affiche qu'une pâle copie, le mieux que je peux. Je ne veux pas réfléchir à ses paroles maintenant. Elles me rappellent bien trop celles de Lester, et tout ce qui a pu s'en suivre. Alors je préfère faire comme si de rien n'était et nous retournons dans la pièce principale pour finir ce repas comme il avait commencé : eux parlant d'affaires, et moi m'intéressant à mon assiette.

Je capte quelques regards de l'homme, mais je ne parviens pas bien à les interpréter. Et malgré mon envie de penser à autre chose, ses paroles tournent en boucle dans ma tête et me chamboulent bien plus que je ne le voudrais.

Elles ne me quittent pas même quand Monsieur Andrews s'en va, et je me retrouve à tourner en rond sans parvenir à penser à autre chose. A-t-il raison, a-t-il tort ? Je ne peux pas nier que je suis toujours attirée par l'univers de la musique. Mais je reste persuadée que de m'y accrocher ne peut que me blesser.

Alors je cherche à tout faire pour me changer les idées, et sans y réfléchir, c'est en demandant à Lester de me rejoindre que je le fais. C'est un peu présomptueux de ma part, de penser qu'il va faire le chemin sans raison juste parce que je lui demande.

Je m'apprête à recevoir un refus, mais à la place, c'est un simple « J'arrive » qui me parvient. Rien que cela, et mon cœur bat la chamade comme si il venait de me faire la plus belle des déclarations. Sans trop savoir pourquoi, je me mets frénétiquement à ranger tout ce qui me passe sous la main, comme si il allait en avoir quelque chose à faire que mon crayon ne soit pas bien mis parallèlement à ma règle, et que l'ordinateur soit bien au centre du bureau. Je pousse le vice jusqu'à refaire le lit de façon quasi militaire, tandis que Note me regarde faire avec une frimousse qui me souffle que lui aussi me trouve un poil trop extrême.

Je me retourne pour replacer correctement mon miroir sur pied quand je sursaute en le voyant. Accoudé contre la porte ouverte, il me regarde avec un sourire moqueur sur les lèvres, les bras croisés. Je rougis violemment et me mets à jouer avec mes doigts.

- Tu es là depuis combien de temps ?

- Je suis arrivé quand tu plaçais le tapis perpendiculairement par rapport à la table de nuit.

Je détourne le regard et le traite d'idiot, l'imaginant très bien en train de rire sans que je ne le vois.

Il s'avance dans la pièce, ferme la porte derrière lui et ne me demande rien sur la raison de sa présence ici. Non, il se contente de me regarder, et je crois que c'est encore plus gênant.

- Pourquoi tu me fixes ?

- Je n'ai pas le droit de regarder ma copine ?

Je ne trouve rien à lui répondre et cela fait monter un sourire satisfait sur ses lèvres. Mes yeux se détournent alors sur le sac qu'il tient à la main, et qui m'intrigue. Il n'a jamais de sac, d'habitude, à part en cours. Je n'ose pas lui demander ce qu'il contient, mais déjà, il me le tend. Je le regarde sans comprendre et sans oser m'en saisir.

- Ouvre le.

Je m'exécute presque maladroitement et reste figée devant ce que j'y découvre, avant fortement rougir.

Une peluche. 

Un petit hérisson, tout doux et tout rond. Celle que je voulais à la fête foraine, et que nous n'avions pas réussi à attraper.

Mon cœur se met à battre bien plus que de raison, alors que je relève des yeux que je sais pétillants de bonheur sur lui. Il évite mon regard, presque gêné, et je prends conscience de ce que ce simple cadeau signifie.

Il a refait toute la route pour cela. Juste pour aller me chercher cette peluche.

Et je crois que jamais, je n'ai autant aimé un présent que l'on m'a fait.  

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Monsieur Andrews a-t-il raison ? Lyra a-t-elle toujours une place dans la musique ? 

Vous allez aimer le prochain chapitre, je crois... rendez-vous mardi prochain !

Kiss :*

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