Chapitre 54
PDV Lester
Dire que le trajet a été silencieux est un euphémisme. Ni elle ni moi n'avons pipé mot, et aucun regard n'a été échangé. Elle est en colère. Elle est triste, aussi. Et honnêtement, la voir dans cet état m'est insupportable, encore plus quand j'en suis responsable. J'aurai sûrement dû arrêter cette conversation bien avant. Mais ça a été plus fort que moi. Parce que je suis en colère aussi, même si je le suis sûrement moins qu'elle. Je suis en colère parce que j'ai l'impression qu'elle gâche sa vie. Non, j'en suis persuadé.
Lyra est faite pour la musique. Il ne m'a pas fallu longtemps pour le comprendre quand je l'ai rencontrée. Au delà du fait qu'elle est douée, elle a ça en elle. Et le mettre de côté la fait souffrir, sans forcément qu'elle ne s'en rendre compte. Parce qu'elle se persuade que reprendre sera douloureux. Elle n'a pas tort. Je suis conscient que ce sera sûrement loin d'une partie de plaisir. Mais à terme, je sais que c'est cela qui la rendra heureuse. Alors que continuer à se voiler la face en niant avoir besoin de la musique risque de la détruire à petit feu.
Je ne peux pas rester insensible en la voyant se faire du mal ainsi. Le regard qu'elle a porté sur cette violoniste parle pour elle. Le violon lui manque, l'univers musical tout entier en réalité. Et si je comprends ses raisons, si je peux admettre que faire du violon de nouveau est trop lui demander, je ne peux pas accepter qu'elle veuille se couper à tout prix de la musique.
Elle en a bien trop besoin. C'est presque vital, pour un musicien. Les notes sont notre drogue, et Lyra me le prouve chaque fois que la regarde les imaginer sans pouvoir les entendre. Elle a un don pour la musique. Et perdre l'ouïe ne lui a pas fait perdre ce don. Elle ne veux pas encore l'admettre. Je ne sais pas si elle voudra le faire un jour, mais moi, je ne peux pas fermer les yeux là-dessus.
Parce que je hais tout ce qui lui fait du mal. Et en ce moment, elle s'en fait à elle-même. Et si je dois me battre contre elle pour qu'elle aille mieux, je le ferais, peu importe combien cela m'en coûte.
J'arrête la voiture devant sa maison. Elle ne dit rien, ne me regarde pas, et se contente de sortir du véhicule sans un mot. Je voudrais la retenir, mais je ne sais même pas comment faire. J'ai l'impression qu'au moment où je vais ouvrir la bouche, je ne vais pas pouvoir m'empêcher de reprendre cette discussion. De lui prouver que j'ai raison. Ce n'est pas une question d'ego, ou de ne pas accepter d'avoir tort. C'est question de lui empêcher d'avoir mal. Le soucis c'est que pour l'instant, c'est d'en parler qui lui fait mal. Ce qui me met face à un sacré dilemme.
Alors pour cette fois, je ne dis rien. Je la laisse s'éloigner de moi sans un mot, même si je déteste avoir cette vision de son dos. Je rentre chez moi, en colère, dépassé, lessivé même. L'impression d'avoir fait bien tout en ayant fait mal.
Je passe la porte et me dirige directement vers ma chambre, ignorant mes amis qui cherchent à savoir comment la journée s'est passée. Elle a débuté de la meilleure façon qui soit. De la bonne humeur, des sourires, et bordel, son rire absolument incroyable. Chaque minute était mieux que la précédente, et pas instant, je n'ai regretté d'avoir écouté Carter sur ce coup là. Son regard était si joyeux et magnifique... une teinte que je voudrais qu'il ait tous les jours. Et puis tout a dégénéré, comme si l'on passait du rêve au cauchemar en l'espace de quelques minutes.
On frappe à ma porte, mais je ne réponds pas. Je n'ai pas envie de leur parler. Je suis encore bien trop impacté par ce qu'il s'est passé. Les presque 3 heures de trajet n'ont pas été suffisantes pour me faire redescendre. Je ne peux m'empêcher de l'imaginer là maintenant. Est-elle en colère ? Triste ? Mon imagination la fait apparaître dans son lit, des larmes ruisselant sur son visage, alors que Note vient se coller contre elle. J'en ai mal au cœur, alors que je n'ai aucune idée de l'état dans lequel elle se trouve.
Mécaniquement, sans réfléchir, je me saisis de mon ordinateur qui traîne dans un coin et me retrouve à taper son nom dans le moteur de recherche. Je retombe sur les articles que j'ai déjà pu lire, et beaucoup d'autre, mais ce n'est pas ce qui m'intéresse.
Rapidement, je tombe sur ce que je cherche. Je lance la première vidéo, et rapidement, une jolie petite fille rousse m'apparaît. D'après la date de publication, elle devait avoir 8 ans. Le silence dure pendant quelques secondes, avant qu'elle approche son archer des cordes. Et elle joue.
Je reste subjugué devant ce que je vois. Ce que j'entends. C'est comme si je me retrouvais transporté dans cette salle, et que je pouvais entendre ce son en direct. Je me demande à quel point cela devait être incroyable de la voir jouer.
8 ans seulement, et je peux déjà assurer qu'elle était un génie de la musique. Elle peut bien se dévaloriser, mais je le clame, cette fille était un prodige, et ce titre, elle le méritait vraiment. Je ne dis pas ça parce que c'est elle. Mais en temps que musicien, je ne peux que reconnaître ce que j'ai devant les yeux, ce que j'entends. Ce genre de talent, il en existe peu.
Sans m'en rendre compte, j'enchaîne les vidéos, et les années. Jusqu'à cette performance. Sa dernière, celle où elle est devenue championne nationale. Je retiens mes larmes. Pas à cause du contexte, mais bien de son jeu.
Définitivement, elle ne peut pas arrêter la musique. Elle a un talent rare, celui de transmettre aux autres bien plus que des notes. Ce genre de don est si peu répandu, qu'elle ne peut pas se permettre d'en priver les autres. De s'en priver elle-même.
Il faut que je trouve un moyen de la réconcilier avec cette partie d'elle-même. De lui montrer qu'elle en a besoin. Et je crois bien que je vais avoir besoin d'aide.
- Venez là, au lieu de rester caché derrière la porte.
Elle s'ouvre timidement sur les trois idiots plantés derrière. Il était certain qu'ils étaient encore là à m'écouter. Sam avance en premier dans la pièce, et prend des pincettes pour me parler.
- Elle était incroyable.
Le mot est faible, mais il a raison, alors je me contente d'acquiescer. Ils s'assoient à côté de moi, et ils ne semblent ne pas savoir quoi dire. Il faut avouer que mon humeur doit les retenir de s'exprimer librement, alors je décide d'être honnête avec eux et de leur expliquer ce qui s'est produit.
- Tu es vraiment la délicatesse incarnée mon pote.
Je ne peux pas contredire Sam. Mais il me rassure en me disant que je n'avais pas tort. Et c'est Arthur, que nous avons pourtant peu l'occasion d'entendre, qui enchaîne.
- Tu sais, je l'ai déjà entendu jouer, pour de vrai. Ces vidéos ne sont rien à côté de ce qu'elle pouvait produire.
- Raison de plus pour la remettre à la musique. Le monde musical a besoin d'elle, et elle a besoin de lui.
- Tu veux la faire reprendre le violon ?
Je secoue la tête en direction de Carter et lui explique. Elle ne voudra plus jamais jouer. J'en suis absolument certain, et je peux le comprendre. Mais la musique ne se résume pas au violon, et je sais qu'elle trouvera sa place ailleurs. C'est ça que je veux. Lui faire trouver sa place. Celle qu'elle pense avoir perdue.
Il hoche la tête, et me donne son dernier conseil.
- Déjà, réconcilies-toi avec elle. Et ne fais pas le bourrin pour lui parler. Il va falloir prendre ton temps, si tu veux réussir à ne serait-ce que la faire écouter.
Je ne peux qu'être d'accord avec lui.
Mais je me le jure : je la remettrais à la musique.
PDV Lyra
Je n'arrive pas à savoir si je suis plus triste, ou en colère. Je crois que le mélange des deux est ce qu'il y a de pire. Et le soucis, c'est que je ne suis pas seulement remontée contre lui, mais aussi contre moi-même. Parce qu'au fond, mais vraiment tout au fond de moi, je sais qu'il a raison. Mais penser à reprendre une quelconque activité musicale me fait plus de mal que de bien.
J'aurai voulu qu'il me retienne. Qu'il m'empêche de rentrer dans cette maison alors qu'il y a clairement un froid entre nous. Parce que je ne veux pas être en froid avec lui, mais à cet instant là, et encore maintenant, je suis bien incapable de faire le premier pas pour le briser.
J'ai la tête embrouillée, par tout ce qu'il a pu me dire.
Beethoven était sourd. Mais il est bien fou de me comparer à un virtuose comme lui. Il est vrai qu'il existe sûrement beaucoup d'exemple à travers le monde de personne qui joue sans entendre. Mais je ne veux pas en être. Parce que je ne m'en sens pas capable. Je ne veux pas redevenir la fille que j'étais, parce qu'il manque trop de chose dans la vie de cette fille pour qu'elle soit à nouveau heureuse. Je veux être une nouvelle Lyra, même si je n'ai pas encore toutes les clés pour y parvenir. En revanche, je sais que le violon n'en ai pas une.
Mais c'est plus fort que moi, quand j'entre, je me dirige à l'étage. Au grenier. J'allume la faible lumière et me faufile au milieu des nombreux cartons. Je sais exactement où trouver ce que je cherche. C'est moi qui l'ai mis ici, il y a un paquet d'année.
Je tombe bien vite sur l'écrin noir, posé négligemment dans un coin. Il est recouvert d'une fine couche de poussière, que je balaye d'un revers de main. Et sans y penser plus que cela, je défais les attaches, et je l'ouvre.
Mon souffle se coupe pendant quelques instants. Mes yeux s'embuent. Devant moi, mon violon, mais plus que cela, le symbole même de tout ce que j'ai perdu.
Les sensations me reviennent une à une. Le coup de cœur au premier regard pour cet instrument. La joie de le tenir entre mes mains. La sensation grisante de faire vibrer ses cordes. Le son qui s'infiltrent dans mes tympans, jusqu'à résonner au plus profond de moi.
Toutes ces choses que je ne pourrais plus jamais ressentir. Oui, je peux jouer. Je suis persuadée que je connais encore les gestes, les partitions par cœur. Mais il est faux de dire que cela me ferai du bien. Faux de penser que je pourrais ressentir les mêmes choses. Lester a peut-être raison en disant que je ne dois pas abandonner la musique, même si je ne suis pas prête à l'admettre. Mais j'ai raison en affirmant que je dois abandonner le violon. Parce que c'est ce qui me raccroche à mon passé. Je ne veux pas l'oublier. Je veux seulement arrêter de vivre pour lui. Et vivre un peu pour moi.
Les mains tremblantes, je referme l'écrin. Je le regarde encore pendant un moment. Je m'imagine dans les loges, ou dans les coulisses, l'ouvrir pour monter sur scène. Dans ma chambre, l'instrument en main, souriant seule au fil des notes que je fais moi-même défiler.
En symbiose parfaite avec mon instrument, avec la musique. C'est tout ce que je ne suis plus.
Le violon. La musique. C'est fini.
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Alors, qui de Lyra ou de Lester aura le dernier mot là-dessus ? La musique, est-ce vraiment fini pour elle ?
La suite vendredi,
Kiss :*
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