Chapitre 53

PDV Lyra

Des milliers de couleurs défilent sous mes yeux. Du rouge, du jaune, du vert, du bleu. Elles clignotent, lumineuses, attirantes, forment des cercles, des traits et des arc-en-ciel.

Je ne sais plus où regarder. La grande roue tourne doucement au fond de ce spectacle plein de nuances, qui m'inspire une réelle sensation de joie.

D'ici, je sens déjà les effluves les plus diverses. Huile chaude des frites, la douceur du chocolat fondu, mais surtout, le sucré de ce nuage de délice, la barbe-à-papa.

Les corps passent, sautent, courent dans les allées. Je vois des sourires, des gens qui rient aux éclats. Ils s'enlacent, ils se chamaillent, ils se regardent. Ils sont heureux, tout simplement. Je voudrais entendre tous les sons qui rythment cette joyeuse pagaille. La musique assourdissante de ce manège qui monte bien trop haut dans une position bien trop incompatible avec les lois de la physique. La voix de ce forain qui cri cette fameuse phrase qui donne tant envie d'essayer ce qu'il nous propose. Le bruit des autos-tamponneuses qui s'entrechoquent. Mais au fond, je n'ai pas besoin de cela pour les entendre. Parce qu'ils résonnent tous au fond de moi.

Mes yeux quittent cet océan de couleur dans lequel j'ai envie de plonger, et se posent sur l'homme à mes côtés. Je ne peux pas me voir, maintenant, mais je suis certaine qu'il lit tout ce que je ressens sur mon visage. Une immense joie, teintée d'impatience. Mon cœur se gonfle littéralement de bonheur. Pas seulement à cause du lieu, mais plutôt à cause de lui. Parce qu'il n'a rien besoin de dire pour que je comprenne. Il veut que je me sentes bien. Il veut m'offrir un moment où je ne suis plus un secret.

Je lui offre le sourire le plus grand que je peux. Il est vrai, et sincère, et je sais qu'il sait faire la différence entre mes rictus de façade et ceux-ci. Ceux qui sont de plus en plus nombreux depuis qu'il est entré dans ma vie.

Il rit, s'amusant de mon air enfantin, alors que je ne peux me retenir de sauter sur place, d'impatience. Au final, si l'attente de cette semaine a été une torture, je peux dire que cela en valait la peine. Je rougis alors qu'il glisse sa main dans la mienne, et me tire en avant vers la masse de gens. Il se retourne, plonge son regard dans le mien. Définitivement, c'est cette couleur que j'aime le plus.

Il me montre du doigt une première attraction, et je sens ma bouche s'ouvrir dans un énorme rond, parfait. Et mes yeux doivent ressembler à des billes, alors que j'observe le bras articulé effectuer un 360°, sans oublier de tourner en plus sur lui même. Est-ce humainement possible d'avoir envie de monter là-dedans ? Quelle personne censée peut aimer se retrouver la tête en bas, à je dirais approximativement 10 mètres de haut, et une vitesse qui d'après le panneau clignotant, est aussi élevée que celle d'une Nationale ?

Définitivement pas moi.

Alors en réponse, je lui pointe une pêche aux canards, un peu plus loin, avec un sourire enfantin. Sans danger, et on repart avec un cadeau.

- Quel âge tu as ?

Je lui tire la langue et prends les devants pour l'entraîner plus loin, loin de cette infâme machine. Jamais je ne monterais là-dedans, je me le promets. Croix de bois croix de fer, si je mens je vais en enfer.

- L'âge de préférer gagner un poisson que de régurgiter mon déjeuner.

Il lève les yeux au ciel, mais tout comme moi, semble bien incapable de retirer son sourire de ses lèvres.

Il cède bien rapidement -pas sur la pêche aux canards- et renonce à ce manège, ou plutôt à cet appareil de torture. Il m'entraîne à sa suite et je souris en apercevant le palais des glaces. Simple, mais efficace.

J'entre en première et avance rapidement, avant de me retourner pour le chercher. Je l'aperçois, quelques vitres nous séparant. Et je ris. Les mains bien tendues devant lui, il avance au ralenti, pestant toutes les 10 secondes.

Il paraît bien moins intimidant, perdu au milieu d'un labyrinthe de vitre. Je fais quelques pas, trouvant sans grand mal le chemin jusqu'à me trouver juste devant lui, un panneau de verre nous séparant encore.

- Perdu ?

- Pas du tout.

- Bien.

Je hausse les épaules en faisant mine de m'en aller, sans pour autant le quitter des yeux. Il ne met pas longtemps à me retenir, et cela m'amuse plus qu'autre chose.

- Stop. Viens me chercher.

- Je pourrais faire une pêche aux canards après ?

- Gamine.

Je lui tire la langue et croise les bras, attendant patiemment, un sourire vainqueur déjà fièrement affiché sur mes lèvres.

- Pas de poisson alors.

Je me retiens de montrer ma joie face à cette victoire, et accepte le marché. Il m'attend tranquillement, dépité, et je finis par le rejoindre sans me tromper de chemin une seule fois.

- Comment tu fais pour te repérer si facilement ?

- J'ouvre les yeux ?

Il appose une pichenette sur mon front alors que je ris encore. Décidément, cette journée s'annonce formidable. Je ne me rappelle pas avoir tant rit en si peu de temps auparavant. Et c'est naturel. La joie pulse dans tout mon corps, et je suis incapable de la retenir. Je lui saisis la main et prends le chemin de la sortie, presque en sautillant de bonheur.

J'oublie tout ce qui me fait du mal, en réalité. Je ne pense qu'à ce moment magique qu'il m'offre, avec lui. Il n'y a plus question de se cacher. Pas de prise de tête sur ce que pense les gens de moi.

Et ça fait du bien.


Cette sensation de bonheur, je la garde toujours aussi vivace durant les heures qui suivent.

Quand il accepte enfin de pêcher des canards, et que je finis par le recouvrir de bulle que je viens de gagner.

Quand il me prend en photo, alors que je saute sur un trampoline, solidement accrochée à un élastique. Le forain a beau me crier d'essayer un salto, je me contente de rebondir, amusant mon compagnon qui m'observe.

Quand nous finissons dans le petit train hanté, qui ne fait pas monter une seule once de peur en nous, et que Lester râle parce que franchement « quelle utilité de perdre du temps là-dedans ? ».

Quand je lui fais des yeux doux pour obtenir une peluche dans ces infernales machine à pince. Je ne sais pas combien d'argent il a dépensé, mais suffisamment pour que je dise en revoir à ce magnifique petit hérisson tout rond et qui avait l'air si doux. Et même cette défaite ne fait pas faner mon sourire.

Un petit nuage. C'est là que je me trouve.

J'ai les yeux qui pétillent de magie, comme une enfant qu'on emmène pour la première fois à Disneyland, et qui rencontre sa princesse préférée.

Je ne retiens pas une exclamation de joie quand le sucre rose fond sous ma langue. Je regarde avec avidité la friandise, mais il n'en reste pas grand chose. Finalement, peut-être que XL n'était pas suffisant, comme taille. J'aurai dû en prendre deux. En plus, il y avait tellement de goûts différents !

- C'est si bon que ça ?

Je me tourne vers lui dépitée, comme si il venait de dire la pire des absurdités. Ce qu'il vient de faire, évidemment.

- Tu n'as jamais goûté ?

- Ça m'a toujours paru écœurant.

Je lui tends le bâton et lui propose d'essayer, mais il secoue la tête.

- Je ne voudrais pas t'en enlever une bouchée, tu as l'air d'y tenir.

- Idiot.

Je lui tire la langue d'une manière enfantine, et approche un nouveau morceau de barbe-à-papa de ma bouche.

Mais le sucre n'a pas le temps d'atteindre mes lèvres. Les siennes viennent se coller à leurs jumelles, coinçant le sucre entre nos deux bouches. Il fond, et je sens la langue de Lester venir récolter le liquide sur nos bouches. Mes joues se teintent automatiquement, et il s'écarte pour me regarder avec un sourire satisfait.

- Pas mal en effet.

Je tente de me cacher derrière la sucrerie, mais elle n'est plus assez grosse pour ça. Il rit, et je finis de manger en silence, quoi que j'hésite à lui en proposer de nouveau, pour voir si il recommencerait. Car peu importe à quel point je suis gênée... je dois admettre que j'ai aimé ça.

Parce qu'au delà du fait que j'aime quand il me touche, c'est qu'il le fasse en public qui me flatte tant. Et moi qui croyait que le bonheur de cette journée était à son maximum. Chaque minute que je passe avec lui me prouve qu'il peut être encore plus grand.

Nous nous asseyons sur un banc, un peu à l'écart de la foule, après que j'ai fini de manger. Mes yeux détaillent l'environ autour de nous, alors que je ne cesse de sourire.

Et puis mes yeux se posent sur un point bien précis, et petit à petit, mon sourire se fane. Je sais que Lester le remarque, et je sais qu'il comprend lorsqu'il aperçoit ce que je regarde.

A une dizaine de mètre, une jeune femme se tient là, au milieu de la foule. Plusieurs personnes s'arrêtent pour l'admirer. L'admirer... tandis qu'elle joue du violon. Je suis loin d'elle. Pourtant, je sais quelle musique elle est entrain d'exécuter. Les notes s'infiltrent en moi. Je parviens à saisir les irrégularité dans son interprétation. Elle ne tient pas assez fort ses cordes. Elle fait durer trop longtemps son FA. Son SOL n'est pas assez prononcé.

Mais malgré tout, je peux saisir dans sa gestuelle à quel point elle est transportée par ce qu'elle fait. Elle vit dans sa musique, et peu importe ses défauts, elle aime jouer. Comme je l'aimais moi aussi, avant.

Cette époque me paraît si loin. 5 ans. 5 années durant lesquelles je n'ai plus jamais touché un violon. Je n'en ai jamais été capable. Je n'en serais jamais capable. Je me rappelle avec exactitude de la sensation qui m'envahissait pendant que je jouais. Je voudrais le ressentir encore. Je voudrais n'avoir jamais cessé de le ressentir. Mais ma vie n'est plus ce qu'elle était. Je ne suis plus ce que j'étais.

Le bien-être que je ressentais s'évapore, pour laisser place à une sorte de déprime. Même dans un jour comme celui-ci, la vie parvient à me rappeler qu'elle m'a tout pris. Comme si je n'avais pas le droit d'être heureuse pendant trop longtemps.

La main de Lester qui se pose sur la mienne me fait sursauter, et je me retourne vers lui.

- Tu pourrais reprendre, toi aussi. Jouer comme elle.

Une pointe perce dans mon cœur et je retire ma main de la sienne. Il semble désapprouver ce geste, et il me fait mal de le réaliser, mais c'est plus fort que moi. Si je pouvais contrôler le son de ma voix, je crois qu'elle serait bien acerbe, quand je lui réponds.

- Je suis sourde, Lester.

- Beethoven était sourd.

J'ai l'impression que c'est surréaliste, comme discussion. Quoi que je n'ai pas vraiment l'impression qu'il s'agit d'un banal échange. La colère monte en moi, l'agacement, la tristesse légèrement aussi. Je ne veux pas qu'il me parle de ça. Qu'il essaye de me convaincre que je peux encore le faire. Parce qu'il n'est pas moi, et qu'il ne sait pas ce que cela fait. Il ne peut pas comprendre ce que je ressens.

- C'était un génie.

- Tu es décrite comme un prodige par des milliers d'articles !

Je vois que lui aussi, prend la mouche. Je ne sais pas pourquoi. Il n'a pas à s'énerver, dans cette situation. C'est à moi de le faire.

Il a raison, mais se trompe sur un point. « J'étais » décrite ainsi. C'est du passé. Et sans s'en rendre forcément compte, il me fout un coup en pleine poitrine. Parce qu'il n'a pas besoin de me le rappeler. Je suis parfaitement conscience de ce que je ne suis plus.

- Je ne suis plus la fille qui est présentée dans ces articles. J'ai perdu l'ouïe. J'ai failli perdre la vie. J'ai perdu ma sœur. Alors comment tu peux penser que je suis encore capable de reprendre le violon ? Oui, oui, peut-être que physiquement, c'est possible. Mais pour le reste, non.

Je ne peux pas reprendre. Je ne VEUX pas reprendre. Parce que la seule chose qui en ressortirait, c'est que je ne suis pas la même. Que je ne pourrais plus jamais me murer dans les notes de mon violon pour oublier tout le reste. Et je ne suis pas prête à encaisser cette nouvelle désillusion. Alors non, je ne veux pas qu'il essaye de me faire croire que je pourrais de nouveau être cette Lyra qui joue de la musique. Cette Lyra, elle est morte en même temps que sa sœur. Elle est morte sur cette scène de concert, il y a 5 ans.

Il semble le comprendre. Mais il n'en reste pas là. Et je n'ai même plus la force de lui répondre.

- Tu peux abandonner le violon, si tu es persuadée que tu ne peux plus en faire. Mais tu ne peux pas abandonner la musique. Parce que c'est encré en toi.

J'ai envie de lui demander ce qu'il en sait. Mais j'ai l'impression de ne plus avoir d'énergie pour lui répondre. Quand bien même nous n'en avons parlé que quelques minutes, cela a été assez éprouvant pour que je n'en puisse plus.

Je détourne le visage de lui, lui signifiant que je n'ai plus l'intention de continuer tout ça.

- Il est temps de rentrer.

Et je finis de briser ce moment de bonheur déjà bien fissuré.  

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La journée se passait si bien... Mais Lester a touché la corde sensible, sans mauvais jeu de mots... 

Voilà le premier "bas". On espère qu'ils vont s'en sortir rapidement...

A mardi, 

Kiss :*

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