Chapitre 36

PDV Lyra

Mes larmes coulent, je laisse ma peine s'exprimer alors que j'ai cherché à la retenir pendant tant d'années. Je n'ai jamais réussi à pleurer réellement ma sœur. Pourtant, je suis sûrement celle dans cette famille qui s'est le plus fait à l'idée qu'elle n'est plus parmi nous. Mes parents se comportent encore comme si elle risquait de passer la porte à tout instant, preuve étant de la présence de cette pièce.

Peut-être parce qu'eux, ils ne l'ont pas vu partir. Moi, oui. J'ai vu son corps être emporté par les enceintes. Je l'ai vu tomber au milieu des débris. Avant que je ne tombe moi-même. Ils ne savent pas ce que j'ai pu ressentir, ou elle. La peur, la douleur, la sensation que la vie va s'arrêter. Le noir qui nous envahit sans certitude de revoir la lumière.

J'ai tout gardé pour moi pendant des années, parce qu'on ne m'a jamais demandé de m'exprimer. A mon réveil, j'ai juste dû encaisser. Et puis apprendre à gérer ma vie sans mon ouïe. On ne m'a pas vraiment laissé le temps de dire au revoir. A Aria, à la musique, à ma vie en général. Sauf qu'il y a forcément un moment où ça déborde. C'est le cas maintenant. Je crois que je n'en peux plus. Qu'au bout de toutes ces années, j'ai besoin de laisser partir toute cette douleur. Je sais qu'elle ne va pas disparaître. Mais bordel, comme ça fait du bien de la laisser s'écouler un peu.

Je n'ai pas de gêne, à être contre lui, parce que je ne suis pas vraiment capable de m'en soucier. La seule chose que je sais, c'est qu'être avec lui me fait du bien. Le fait qu'il sache sans que je n'ai besoin de lui dire me soulage. Je me laisse aller contre son corps et ses bras qui m'entourent me donne la sensation d'être protégée. J'ai l'impression de pouvoir être faible sans être jugée, en face de lui, et c'est agréable. Alors je laisse les larmes couler, la tête profondément enfouie dans son torse.

C'est dur à accepter, qu'elle ne soit plus là, quand bien même j'en suis consciente. Elle était jeune. Elle avait la vie devant elle. Elle, non, nous avions un avenir qui nous tendait les bras. Et puis tout s'est écroulé. Un mauvais jeu de mot.

J'aimerais pouvoir blâmer quelqu'un, mais la vérité est que personne n'est responsable. C'est encore plus dur. Parce que cela permet de se faire des millions d'autres possibilités : « et si je n'y étais pas allé, comme le voulait les parents ? », « et si elle n'avait pas choisi la guitare, si son groupe n'avait pas fonctionné, si... ». Je passe mon temps à me demander comment les choses auraient-elles pu finir différemment, mais tout me revient toujours en pleine face : les choses ne sont pas différentes. Elle est morte et je suis sourde.

Parfois, je me demande pourquoi nous. Qu'a fait notre famille pour vivre ça ? Qu'a fait Aria, et moi ? Y a-t-il une raison pour l'expliquer, pour le comprendre ? Je crois que je préfère qu'il n'y en ai pas.

La main de Lester caresse mon dos avec douceur, et au fil de mes larmes qui se taisent, elle devient de plus en plus présente dans mon esprit. Elle m'apaise. J'aime la chaleur qu'elle fait naître au creux de mon dos, et qui se répercute ensuite dans chaque partie de mon corps. Et dans mon cœur. Il parvient un peu à remplir le vide qui s'est étendu depuis que je suis entrée dans cette pièce.

Je finis par écarter ma tête, et plonge les yeux dans les siens. Il ne dit rien. Il ne me lâche pas non plus, tant que je ne me sors pas moi-même de ses bras. Je n'ai pas envie d'en sortir, mais je finis tout de même par faire un pas en arrière. Mon regard se dirige sur la photo, que je tiens encore.

Je sens qu'il entraîne doucement mon corps vers le lit, où il m'assoit, avant de se placer à côté de moi. Je me mets à parler, sans savoir pourquoi je lui donne toutes ces informations. Il n'en a sûrement rien à faire. Pourtant, il m'écoute, et prend ma main entre ses doigts, pour y déposer quelques douces caresses.

- Cette photo... C'était le jour où je suis devenue championne nationale. On m'a remis le trophée, et Aria... Aria a foncé sur la scène. Comme ça. Elle s'est juste levée, a traversé la foule, et est montée pour me prendre dans ses bras. La sécurité a vu flou, mais devant mon rire, ils l'ont laissé faire. Mes parents étaient morts de honte, et puis au final, ils ont pris cette photo d'elle, me serrant de toutes ses forces en faisant une grimace. Je crois qu'elle l'a défini bien.

Mon pouce passe doucement sur le verre qui retient l'image. Ma sœur n'était pas du genre à se soucier des convenances. Y penser me tire un sourire.

- Elle avait un caractère de feu. Le contraire de moi. Elle parlait tout le temps, avait toujours une foule de personne autour d'elle. Elle était captivante.

Mon visage est attiré par le sien quand je vois ses lèvres bouger.

- Tu l'es aussi.

Je sens un sourire se poser sur mes lèvres. Je ne vais pas le contredire, quand bien même j'en ai envie, parce que je sais qu'il ne me laissera pas le dernier mot. Alors j'accepte juste ses mots qui me font du bien.

- J'ai toujours cru... que ma sœur serait dans ma vie jusqu'à la fin. Comme j'ai pensé que je n'arrêterais jamais le violon. Et puis tout s'est effondré en même temps que ces enceintes. J'ai du apprendre à vivre une vie qui n'était pas la mienne. Ce n'est pas toujours facile. Mais je dirais que je m'en sors mieux, depuis quelques temps.

Je ne sais pas si il comprend le sous-entendu. Si je m'en sors mieux, c'est en partie grâce à lui. Et grâce à Talia. Depuis qu'ils sont entrés dans ma vie, j'ai un peu plus l'impression d'être moi-même. Une partie de moi que j'ai mis de côté pendant 5 ans.

- Mais depuis quelques jours... je fais des cauchemars. Enfin, pas vraiment ça... des souvenirs. Ça m'arrive parfois, mais ça devient récurrent. Je rêve de ce jour là, encore et encore... enfin je ne sais pas pourquoi je te dis tout ça mais voilà...

Il affiche un petit sourire en coin, et je sais qu'il cherche à me faire sourire moi aussi, et rougir surtout.

- Il t'arrive d'être une vraie pipelette.

Je pourrais le prendre mal, si son pouce ne caressait pas ma main et ses yeux ne me criaient pas qu'il veut me voir sourire. Alors plutôt que de prendre la mouche, je suis touchée qu'il cherche à me faire me sentir bien. Il y arrive, en quelques sortes.

Nous restons un moment là. Moi à parler, de tout et rien, et lui à écouter sans rien dire. Je finis par poser mes yeux sur le réveil, et me rends compte qu'il est presque 13 heures.

- Oh... tu devrais peut-être rentrer... les autres doivent t'attendre pour manger.

J'ai envie qu'il me dise qu'il reste, mais je ne vois pas trop pourquoi il le ferait. Surtout que nous aussi, nous allons finir par nous mettre à table. Je suis tout de même déçue quand il hoche la tête, et que nous descendons.

Avant que nous n'ayons pu atteindre la porte, une silhouette se dresse devant nous. Mon père nous regarde tour à tour, avant de poser les yeux sur le jeune homme qui m'accompagne. Ma mère arrive à ce moment là, et nous fait un grand sourire.

- Tu dois être Lester. Ma femme m'a parlé de toi.

Parlé ? Ma mère a littéralement dû le bassiner avec lui dès le premier jour où il a mis les pieds dans notre maison. Je ne vois pas les lèvres de Lester mais je me doute qu'il se présente, puisqu'ils finissent par se serrer la main.

- Tu manges avec nous, Lester ?

Je ne sais pas si j'ai envie de frapper ma mère ou de l'embrasser chaleureusement suite à cette proposition. Et pareil pour mon père, quand il insiste, en lui faisant remarquer qu'il voudrait le remercier pour m'avoir accueilli « la dernière fois ». Sous-entendu la fois où je leur ai balancé leurs quatre vérités au visage en plein milieu d'un restaurant bondé. Je préfère ne pas y penser.

Mais j'ai peur que la proposition le dérange. Timidement, je tourne mon visage vers lui, et je suis presque étonnée de le voir avec un sourire.

- Avec plaisir.

Dit-il cela pour paraître poli ? Je ne sais pas. Toujours étant que trente minutes plus tard, on se retrouve à table, devant des lasagnes, mon père en grande conversation musicale avec Lester. Il faut dire que la musique dans notre famille...

Ma mère quand à elle, nous regarde avec des yeux brillants. Je n'arrive pas bien à comprendre pourquoi me voir assisse à côté de lui semble la satisfaire autant. Mais j'ai compris il y a longtemps qu'il ne faut pas chercher à comprendre tout ce que fait ma génitrice. C'est souvent loufoque et insensé. Étrange, pour une femme cadre réputée inflexible dans son travail.

Quand mon père et Lester cesse quelques instants de parler, mes parents se jettent un regard qui me fait froncer les sourcils, avant de poser leurs yeux sur moi.

- Ma puce, nous devons te dire quelque chose.

Je me dandine sur ma chaise, légèrement mal à l'aise. Pourquoi prennent-ils cet air si sérieux maintenant ? Cela ne pouvait pas attendre qu'on ne soit que tous les trois ?

Je me risque tout de même à leur demander de quoi il s'agit.

- Et bien... ton père et moi devons partir jusqu'à vendredi. Il s'agit d'une rencontre très importante pour l'entreprise mais... ça nous embête de te laisser seule. Tu t'en sens capable ?

Alors là j'avoue ne pas saisir. Vraiment, pourquoi se sentent-ils obligés d'évoquer cela devant Lester ? Je suppose que ça pouvait attendre une heure de plus.

Si je m'en sens capable ? C'est difficile à dire. Être seule n'est pas quelque chose qui me dérange en soi. Mais j'avoue qu'en ce moment, j'ai peur de passer mon temps à penser à Aria et l'accident. De jour comme de nuit. Si leur présence ne change rien pour mes rêves, elle m'empêche tout de même de ne pas y songer une partie de la soirée. C'est déjà ça de pris. Alors effectivement, je n'ai pas forcément envie qu'ils partent pendant une semaine. J'angoisse de ce à quoi vont ressembler mes soirées, seule dans une si grande maison.

Et si j'invitais Talia ? Elle m'aiderait à passer de bons moments. Mais ses parents ne voudront sûrement pas qu'elle reste ici 5 jours durant...

Une baby-sitter ? Je suis bien trop grande pour ça. Martin ? Il a une famille, et cela serait vraiment étrange, de vivre avec lui.

Je vois de côté Lester tourner la tête vers moi, alors je fais de même. Nos regards s'accrochent, et nous restons ainsi à nous fixer pendant un bon moment. Et je me demande qui est le plus pris de court quand sa voix s'élève, et que je lis ses paroles sur ses lèvres.

- Elle peut rester chez moi.  

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Avouez que vous adorez la proposition de Lester x) Mais va-t-elle dire oui ? Et ses parents ? En tout cas, est-ce qu'on aimerait pas les voir ensemble non stop pendant 5 jours ? Et nuits... x) 

J'espère que vous avez aimé ce chapitre, et tous les précédents d'ailleurs ! Le prochain arrive comme prévu vendredi. 

Kiss :* !

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