Chapitre 35
PDV Lester
- Alors, ça fait quoi de dormir avec Lyra ?
- Tu m'emmerdes, Sam.
Et je le dis sérieusement. Depuis que j'ai ramené la jeune fille chez elle, hier, mes colocataires se font un malin plaisir de me parler d'elle en toutes circonstances. Leurs questions me gonflent, leurs sous-entendus aussi, et je crois que je vais finir par en jeter un par dessus le balcon. En particulier Sam ou Carter, puisque comme à son habitude, Arthur est plutôt du genre silencieux. Et enfermé dans sa chambre, encore. Il semble chercher quelque chose, et vu que la dernière fois, il a également fait ça après le départ de Lyra, je commence à me dire que cela à un rapport avec elle. Et avec les regards qu'il lui lance.
- Elle est mignonne quand même, notre belle-sœur.
- Mais arrête avec ça !
Mon sang froid est mis à rude épreuve, encore plus qu'à l'accoutumée. J'aimerais comprendre pourquoi ils font une fixation sur elle, comme ça, mais c'est un peu malvenu de ma part, quand on sait que j'agis différemment en sa présence. Je laisse tomber ma tête en arrière dans le canapé, fatigué. Et cet état est très largement lié à ces idiots qui m'emmerdent. Il va falloir m'expliquer pourquoi ils considèrent cela comme un passe-temps. Ou une véritable passion, à ce compte là.
- La vérité fâche, mon petit Les'.
- Ma main dans ta gueule va te fâcher, aussi.
Je lui lance un regard noir mais il se contente de me répondre par un sourire. Évidemment, je ne le frapperais jamais. En revanche, il peut peut-être faire une chute inopinée dans les escaliers...
C'est le moment que choisit mon meilleur ami pour apparaître dans le salon.
- Dis, Lyra...
- Mais vous allez arrêter avec elle ! Ça devient grave votre obsession ! Vous me faites chier à la fin !
Il me regarde avec les yeux grands ouverts, visiblement pris au dépourvu. Il lève la main pour me montrer une petite boite, et je ne mets pas longtemps à comprendre de quoi il s'agit. Du coup, je me sens un peu con de la tirade que je viens de faire, quoi qu'avec le nombre de fois où ils m'ont parlé d'elle ces dernières heures, ils l'ont mérité.
- Je voulais juste dire qu'elle a oublié ses lentilles. Elles étaient tombées derrière l'évier de ta salle de bain.
- Et qu'est-ce que tu foutais dans ma salle de bain ?
- Je t'empruntais ton dentifrice, je n'ai plus. Bref, elle n'a pas du s'en rendre compte vu qu'on est dimanche, mais elle devrait en avoir besoin demain non ?
Je ne dis rien. Évidemment, qu'elle va en avoir besoin. Même si je persiste à penser qu'elle est bien mieux sans. Qui suis-je pour décider si elle doit se cacher ou non ? Carter est du même avis que moi, car il ajoute que c'est dommage qu'elle ne garde pas ses yeux vairons. Je me dis qu'il va falloir que je lui ramène, et je ne sais pas ce que l'idée de la revoir fait naître en moi. Je n'ai pas envie de chercher à comprendre.
Je lui fais signe de les poser, en indiquant que j'y passerais dans la journée. Mais je comprends que je vais peut-être y aller plus tôt que prévu quand Arthur sort de sa chambre, un air soucieux sur le visage. Il s'avance vers moi et me tend son ordinateur.
- J'ai toujours eu l'impression de l'avoir déjà vu, alors j'ai cherché. Voici un article sur un concours de musique classique auquel j'ai participé en section piano. Elle était en violon.
Je savais qu'Arthur avait joué du classique avant de passer au synthétiseur, mais j'ignorais qu'il avait fait des concours. Je ne comprends pas bien pourquoi cette information le met dans un tel état, alors je le questionne avant même d'avoir regardé la page qu'il affiche.
- Et donc ? Tu l'as déjà vu, ce n'est pas extraordinaire.
- Elle n'était pas n'importe qui, dans le domaine. Alors quand elle a dû arrêter, cela a fait du bruit. Je n'avais pas fait le rapprochement dès le début, entre ta Lyra, et cette histoire. Tu devrais lire les autres articles que j'ai trouvé... qui parlent de son arrêt dans la musique.
Je fronce les sourcils en le regardant, avant de reposer mes yeux sur l'ordinateur. Je ne fais même pas attention au pronom qu'il a utilisé pour la désigner. Devrais-je les lire ? D'un côté, je me dis que je n'ai pas à faire ça. Si elle ne m'en a pas parlé, c'est qu'elle ne le veut pas. Mais d'un autre, je sens qu'il faut que je sache. Autant pour elle que pour moi. Alors je me saisis de l'ordinateur et me dirige vers ma chambre, sous les regards interrogateurs des deux autres. Si Arthur n'en a pas directement parlé au lieu de m'enjoindre à les lire, c'est que nos amis n'ont pas besoin d'être au courant.
Je referme la porte derrière moi et hésite un moment, avant de me mettre à lire le premier que j'ai sous les yeux. Une photo d'elle, enfant, apparaît. Difficile de ne pas la reconnaître, malgré ses cheveux tressés de façon très chic. Ses yeux vairons parlent pour elle. Elle ne les cachait pas, alors... Elle tient un violon d'une main et un trophée de l'autre. En dessous, une autre photo, avec plusieurs enfants. Je reconnais Arthur, dans un coin. Le titre est aguicheur : « Une autre victoire pour le prodige ». L'article raconte comment, en deux années seulement, elle a maîtrisé les plus grandes et difficiles compositions. Les éloges n'arrêtent pas, vantant son talent, et l'incroyable performance du jour, qui l'a conduite à gagner un nouveau prix. Il est dit que l'année suivante, elle concourra aux championnats nationaux, une véritable prouesse alors qu'elle n'aura que 13 ans. Je ne peux retenir un sourire, à la fois fier et nostalgique. Elle devait être incroyable. J'aurai voulu le voir. L'entendre.
Je passe à la seconde page, article d'un journal local, et cette fois-ci, je la vois, accompagnée d'une autre jeune fille, plus âgée.
« L'atout de chez nous : Deux sœurs incroyables »
Connaissez-vous l'histoire des sœurs musiciennes ayant conquis toutes les scènes ? Leurs noms ne doivent pas vous être inconnus. Aria et Lyra s'illustrent depuis leur plus jeune âge dans toute la région, si ce n'est plus. Si le classique est votre genre de prédilection, vous n'êtes pas sans savoir l'exploit de la plus jeune, sacrée le week-end dernier championne nationale sur un sonate incroyable de Bach. Mais son aînée n'est pas reste : alors que Lyra ravit nos oreilles avec son violon, Aria et son groupe nous font vibrer au son de sa guitare. La jeune fille vient d'annoncer leur participation au plus gros festival de la région, le RED Night, où pas moins de 10.000 personnes sont attendues !
Et autant vous dire que le nom en tête d'affiche, c'est le sien.
Quelle fierté que des filles de notre ville est cet énorme talent !
Elle me l'avait dit, à quel point sa sœur était incroyable, mais elle ne m'avait pas parlé d'elle-même. Un titre national, à seulement 13 ans, c'est tout aussi impressionnant. Des prodiges. Oui, c'est le mot. Les articles suivant que je lis me prouvent que ce n'est pas un mot utilisé à tort. Leur palmarès est impressionnant. Et je me demande comment je n'ai pas pu en entendre parler avant. Mais en même temps, elles ne sont pas d'ici. Je suppose que leur influence, à part pour les connaisseurs du classique concernant Lyra, n'avait pas encore traversé le pays. Nul doute que cela aurait été le cas, si elles avaient continué.
Mais c'est maintenant ce que je veux savoir. Pourquoi elles, elle, ont arrêtés. Je sais que Lyra a perdu l'ouïe, et sa sœur. Je me doute que tout est lié. Et j'en ai confirmation quand j'ouvre le dernier lien qu'Arthur m'a donné.
« Le terrible accident de RED Night, la fin de deux étoiles »
C'est une horrible et bien douloureuse nouvelle pour tous les fans de musique, peu importe le genre qu'ils affectionnent. Aujourd'hui, les deux étoiles montantes de notre belle région, Aria et Lyra, se sont éteintes chacune à leur façon.
Samedi dernier se produisait le festival RED Night, rendez-vous incontournable de l'année, qui voyait s'épanouir sur la scène le groupe phare du moment, ECLIPSE, avec en son sein la guitariste de génie Aria. Venue encourager sa sœur, la jeune Lyra, 13 ans, récemment sacrée championne de sa discipline, se trouvait dans les coulisses, sur le côté de la scène, au moment du drame.
Alors que le groupe entamait l'une de ses chansons titre, un grave accident technique a causé la panique et la désolation. Le mur d'enceinte géant, faisant se répercuter la musique dans les énormes champs accueillant le festival a surchauffé, et a créé une énorme détonation, avant de s'effondrer. La scène n'a pas supporté le poids et est partie en morceaux, emmenant avec elle les musiciens et les techniciens. On dénombre quelques blessés légers dans le public et les employés.
Trois des membres de ECLIPSE sont admis à l'hôpital dans un état grave. Après ces quelques jours, nous pouvons vous assurer que leurs jours ne sont plus en danger. Une chance que n'a pas eu la guitariste. Plus près que ses partenaires des enceintes, elle n'a pas pu les éviter et s'est retrouvée écrasée par leur poids. Elle est décédée quelques heures après malgré l'intervention des secours, qui ont tout essayé.
Mais le drame ne s'arrête pas là, puisque sa jeune sœur, Lyra, a encaissé la détonation de plein fouet. Après plusieurs jours de coma, la jeune fille a ouvert les yeux, mais elle gardera les séquelles de cet incident toute sa vie : en plus de son aînée, l'incident la prive d'autre chose : son ouïe. La détonation si forte et proche de ses tympans a causé des dommages irrémédiables. Les médecins sont formels, elle ne pourra plus entendre de son oreille droite. La gauche est également très touchée. Nous pouvons espérer qu'un appareil auditif l'aidera, mais le corps médical n'y compte pas.
Ces terribles nouvelles nous affectent tous particulièrement, et nous adressons notre sincère soutient à la famille.
Bon sang. Je relis encore une fois l'article dans l'espoir qu'il ne soit que le fruit de mon imagination. Mais non. C'est bien ce qui est écrit. Et savoir qu'elle a vécu tout ça me vrille de l'intérieur. Quel genre de douleur a-t-elle dû éprouver, quand à son réveil, elle a découvert qu'elle n'entendait plus, et que par la suite, on lui a annoncé le décès de sa sœur ? J'ai du mal à l'imaginer, parce que le fait qu'elle ait souffert, et souffre encore autant me met en colère. Je comprends mieux maintenant, pourquoi toutes les questions que je lui posais lui faisait du mal. As-tu des frères et sœurs ? Quelle est ta passion ? Pourquoi vivez-vous ici ?
J'ai vraiment eu le chic pour demander tout ce qui avait un rapport avec son malheur. Et si d'habitude, je me fous de blesser les gens, cette fois, c'est différent.
Quelque chose au fond de moi me souffle qu'il faut que j'y aille maintenant. Qu'à ce moment précis, elle ne doit pas être seule, qu'elle ne va pas bien. Alors je sors de la chambre en trombe et j'attrape le récipient à lentille.
- Les' ça va ?
Je ne réponds pas à mon meilleur ami et sort. Je veux juste aller voir si elle va bien. Parce qu'au fond, je sais que ce n'est pas le cas. Je ne veux pas perdre de temps, alors je suis en quelques minutes seulement sur ma moto, en direction de sa maison. Je roule vite, trop vite. J'aime la vitesse, oui. Mais cette fois ce n'est pas pour me sentir bien que je le fais.
J'arrive rapidement, et je ne réfléchis pas que je suis déjà entrain de frapper. La porte s'ouvre vite sur la mère de la jeune femme, qui paraît un peu intriguée, mais plutôt réjouie.
Je lui montre les lentilles de Lyra en lui expliquant qu'elle les a oublié. Elle ne cherche pas à savoir pourquoi je les ai, alors qu'elle était censée être chez Talia. Elle ne me les prend pas non plus. Elle s'écarte et m'indique juste avec un grand sourire que je peux monter pour la voir.
Est-ce qu'elle sait, qu'au final elle était chez moi ? Comprend t-elle que je ne suis pas juste là pour ramener ces lentilles ? Je ne pourrais pas le dire, mais tant pis. J'entre et monte à l'étage rapidement, comme si elle allait changer d'avis et me demander de partir.
Je n'ai pas besoin de frapper à sa porte, elle est ouverte, et la chambre est vide. Note me regarde, assis tout seul, avant de sortir de la pièce et de traverser le couloir pour s'arrêter devant une porte close. Je ne mets pas longtemps à comprendre en voyant la petite guitare peinte sur la porte. « Aria ». Et à travers le bois de celle-ci, ils me parviennent, et me déchirent de l'intérieur. Ses sanglots.
J'ouvre la porte sans hésiter un instant, et m'avance à l'intérieur. Elle est assise au sol, serrant un cadre contre elle. Quand elle me voit, elle se relève, et essuie comme elle peut ses larmes. Je pousse la porte derrière moi, sans chercher à la fermer, et avance un peu plus vers elle.
- Lester... je... ma sœur... elle est...
Elle tente de m'expliquer, mais la peine fait vriller sa voix, et je ne parviens pas à le supporter. C'est trop dur pour elle, et je me refuse à lui imposer ça alors que je connais déjà la situation.
- Je sais tout.
Ses yeux s'écarquillent un instant, avant de se remplir à nouveau de larmes.
- Tout ?
- Tout.
Je ne me rappelle pas avoir déjà utiliser une voix aussi douce avec quelqu'un. Quoi que, peut-être que vendredi soir, avec elle...
Quand elle saisit ce simple mot, elle semble l'accepter et craque. Ses sanglots reprennent de plus belle, et son petit corps se jette de lui-même contre le mien. Elle entoure ses bras autour de ma taille, et je n'hésite pas avant de glisser les miens autour d'elle. Une main dans son dos, l'autre dans sa nuque, je la caresse doucement, en la soutenant. Je déteste la savoir dans cet état, mais j'apprécie être celui qui est là.
Je lève les yeux quelques secondes pour tomber sur le miroir en face de nous. Et j'aperçois sa mère, derrière l'espace encore ouvert de la porte, qui nous regarde. Elle laisse échapper une larme avant de disparaître.
Moi je reste là à la serrer dans mes bras. Et tant qu'elle aura besoin de moi, je ne la lâcherais pas.
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C'est triste ? Oui. C'est mignon ? OUIII.
Vous voulez la suite ? Je sais que oui. On va bientôt, très bientôt entrer dans une nouvelle phase de leur relation.
On se retrouve mardi pour le prochain chapitre,
Kiss :*
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