Chapitre 30

PDV Lyra

- Vendredi ?

Talia hoche la tête avec vigueur, me regardant de ses grands yeux colorés par des lentilles violettes. C'est presque comme si elle me suppliait des yeux de dire oui à sa requête, alors que je reste silencieuse à y réfléchir. Aller à un concert des Madness vendredi. Sortir, entre filles, voir Lester sur scène, et son groupe. Aller dans un bar à la tombée de la nuit. Elle a l'air d'avoir vraiment envie de s'y rendre. Et pour une raison que j'ignore, d'avoir réellement envie que je vienne également. Alors elle attend, avec des yeux de chiens battus, pour essayer de me convaincre. Est-ce que j'ai envie de m'y rendre ? Je ne sais pas.

Mais d'un autre côté, il y a cette partie de moi qui a envie de voir Lester, sa guitare dans les mains, et l'air qu'il a sur scène. J'ai vu des photos, mais j'aimerais l'avoir sous les yeux. Je voudrais voir comment réagit la foule face à leurs musiques, que je ne pourrais pas entendre moi-même.

Alors je cède. Qu'est-ce que je risque ? Au pire, je m'ennuie, au mieux, je m'amuse. Une sortie avec elle promet plus d'amusement que d'ennui, de toute façon.

- Bon, d'accord.

Elle saute de joie comme si je venais de lui annoncer la meilleure des nouvelles, et se met à déblatérer si vite que je ne comprends pas un mot de ce qu'elle dit. Note, sans franchement comprendre, se met à faire le fou avec elle, et je ne peux retenir un sourire. Cette fille est un rayon de soleil. Et je crois que j'avais besoin de cela dans ma vie.

Durant ces quelques semaines, j'ai appris à la connaître, je crois. Mais je suis au moins sûre d'une chose, je veux nouer plus de lien avec elle. C'est étrange, comme sensation. Je n'ai jamais ressenti cela. Mais c'est plus fort que moi. Je sens que je peux apprendre ce qu'est l'amitié avec cette fille pourtant si différente de moi. Et j'ai envie de le faire. Alors presque malgré moi, je lui propose de venir chez moi avant de se rendre à ce concert. Et de revenir y dormir ensuite.

L'expression de pur bonheur qu'elle affiche quand elle m'entend lui proposer cette espèce de soirée pyjama, me touche profondément. Comment peut-elle être si heureuse de juste passer une soirée avec moi ? J'ai du mal à concevoir qu'on puisse apprécier à ce point passer du temps avec d'autres. Mais je sais qu'elle ne joue pas, qu'elle est sincère. Et je commence à comprendre ce qu'elle ressent, à son contact. Je commence à le ressentir, aussi.


Le vendredi arrive bien plus vite que je ne l'aurais pensé, et malgré moi, j'ai le stress qui monte. Ce n'est pas une sensation dont j'ai l'habitude, et je n'arrive pas vraiment à savoir pourquoi je suis dans cet état. Parce que pour la première fois, je ramène une amie chez moi, ou parce que je m'apprête à assister à un concert des Madness ?

Je ne vous raconte pas la joie de ma mère, quand elle a appris que Talia allait venir dormir à la maison. Je crois n'avoir jamais vu cette expression béate sur son visage, quoi que, elle ressemble énormément à celle qu'elle a faite en rencontrant Lester.

Nous n'avons pas reparlé de ce que j'ai pu lui dire de méchant, après le restaurant. Je crois qu'elle comme moi préférons oublier, au moins pour le moment. C'est plus facile comme ça. Elle fait comme si de rien n'était -elle est très forte pour ça- et moi, j'ai bien d'autres choses sur lesquelles me concentrer en ce moment.

- Je n'ai jamais eu de chauffeur, c'est fou !

Je regarde ma seule amie qui admire l'intérieur de notre voiture. Martin sourit à travers le rétroviseur, amusé de sa réaction. Talia ne roule pas sur l'or, de ce que j'ai compris. Mais elle a suffisamment pour être heureuse, et c'est sûrement le plus important. Elle s'extasie devant tout ce qu'elle voit pendant la durée du trajet, me tirant successivement sourire et rire. Impossible de résister à cette fille, au final.

Et ce qui termine de me faire exploser de rire, c'est sa bouche qui se décroche de sa mâchoire quand elle aperçoit la maison. Elle court vers le porche pour détailler un maximum tout ce qu'elle peut, lâchant ici et là des « Oh mon dieu » et « C'est trop beau ! ».

Martin s'approche de moi et me regarde sans rien dire pendant un moment. Je finis par lui demander la raison de ce sourire, qu'il affiche.

- Il y a longtemps que vous n'aviez pas ri de cette manière.

Je sens mes joues rougir un peu et je préfère m'éclipser vers l'intérieur, emmenant Talia avec moi. Elle s'extasie encore un peu sur la décoration, mais je la traîne jusque dans ma chambre. Heureusement que ma mère n'est pas ici, je n'imagine pas une conversation entre ces deux-là. J'ai la migraine rien que d'y penser. Elle ne fait pas de réflexion sur l'absence de décoration dans ma chambre, et s'assoit nonchalamment sur la lit.

- Tu as une maison magnifique.

Je ne sais pas quoi lui répondre. Je ne suis pour rien, et je n'y accorde pas vraiment grande importance. Ses yeux se posent partout, comme chaque fois que cette fille est curieuse de quelque chose. C'est-à-dire tout le temps, pour être honnête. Mais je me sens rougir avant même qu'elle ait parlé, en voyant le t-shirt de Lester, posé sur mon lit.

J'ai fini par le ressortir du placard. En fait, c'est carrément la première chose que j'ai faite, lundi soir, après avoir passé cette matinée particulière avec lui. Je retiens un rire en repensant à sa lettre, soigneusement pliée dans le tiroir de ma table de nuit. Si Talia n'était pas là, je ferais comme tous les soirs, et la sortirais soigneusement pour la relire encore. Quand bien même je la connais par cœur.

- Je n'arrive toujours pas à croire qu'il t'a donné ce t-shirt.

Moi aussi, j'ai du mal à croire qu'il ait fait ça. Pourtant, le bout de tissus me le rappelle chaque fois que je pose mon regard dessus. Il a été gentil, plus d'une fois. Il m'a aidé, plus d'une fois. Si cette semaine, nous n'avons pas franchement échangé, et qu'il n'est pas venu ici à cause de ses répétitions, le souvenir de ce lundi me reste en mémoire. C'était si naturel, cet échange avec lui...

- Tu ne veux pas le mettre ce soir ?

Elle fait danser ses sourcils et une nouvelle fois, je rougis violemment, en m'imaginant avec ce t-shirt à leur concert. Non, je ne peux pas faire ça.

- Je ne peux pas, enfin, non mais...

Je bégaie, ce qui la fait rire, avant qu'elle ne se calme et me regarde un peu plus sérieusement.

- Déstresses, je rigole. Mais dis-moi, il se passe quelque chose entre vous ? Enfin, je veux dire vous avez l'air plus... proche.

Qu'est-ce que je pourrais bien lui dire ? Je ne comprends pas moi-même ce qui se trame entre nous. Et je ne suis pas du genre à me confier. Mais pour une raison que j'ignore, j'ai envie de lui parler. Alors contre toutes attentes, même les miennes, je lui confie ce que j'ai sur le cœur.

- C'est... bizarre.

- Tu veux bien m'expliquer ?

Alors, sans que je ne le contrôle, je lui raconte tout. Nos disputes, notre pacte de non-ami, nos conversations qui commencent doucement, son aide, avec le t-shirt. Et puis cette fois, où il me ramène chez lui. Je ne lui dis pas pourquoi j'ai fini sous la pluie, mais je lui raconte que j'ai fini dans son lit, auprès des Madness dans leur appartement. Cette partie la fait tomber à la renverse, mais je continue, avec la dispute, et notre moment, le lundi matin. Je garde pour moi tout ce qu'il ma confié, en revanche, mais lui fait part de ce que j'ai ressenti, en discutant avec lui.

- Je ne sais pas trop... quoi penser.

- Si tu veux mon avis, vous vous kiffez.

Je secoue la tête si cette possibilité était stupide et irréalisable.

Elle revient ensuite sur moi, dans l'appartement des Madness, n'en revenant pas. Pendant ce moment, alors qu'elle parle, et parle, et parle, je la regarde juste en souriant. Et je me dis que je découvre ce qu'est l'amitié. Que j'aime ça, et que j'aurai aimé le connaître avant.

Elle finit par voir l'heure et me propose de me coiffer et me maquiller. Rien de ce que je fais en temps normal. Mais pour une raison que j'ignore, j'ai envie d'être jolie. Et j'ai peur, parce que je pense que je veux que Lester me trouve mignonne, comme Sam et Carter. Je ne sais pas comment réagir. Quand elle me montre mon reflet, dans le miroir, je retiens mon souffle. Est-ce qu'on peut dire que je suis jolie ? Encore une fois, je me demande ce que Lester, en penserait, lui.

- Tu es juste magnifique Lyra !

Je lui souris et elle me fait un clin d'œil, avant que nous ne nous mettions en route. Avec elle, je découvre les joies des transports en commun, et je me dis qu'heureusement qu'elle m'accompagne, car j'aurai fini dans le mauvais bus, et descendu au mauvais arrêt.

Il nous faut une bonne demi-heure pour arriver devant le bar. Il a l'air grand, mais ce qui m'interpelle le plus, c'est la foule de personne qui fait la queue à l'extérieur. Certaines filles se prennent en photo avec les affiches du groupe. Talia me tire par la main vers l'entrée, m'assurant qu'en ayant réservé, pas besoin de faire la queue dehors. Et effectivement, nous rentrons sans attendre à l'intérieur, où je découvre une foule incroyable. Ils ont vraiment un public énorme.

Elle m'entraîne vers le bar en me demandant ce que je veux. Je secoue la tête, lui assurant que je n'ai besoin de rien, et je pose les yeux sur la scène. Sans même qu'il y soit, je l'imagine déjà. Comment va-t-il être habillé, sans son t-shirt ? Quelle musique vont-ils jouer ? Ça, je ne serais pas capable de le savoir, mais quelque chose me dit que j'arriverais à l'imaginer. Parce que les doigts de Lester sur sa guitare me permettent de voir à nouveau.

- J'ai tellement hâte !

Elle sautille partout, excitée et impatiente. Si je ne le montre pas, je dois dire que moi aussi, j'ai hâte de les voir monter sur scène. C'est en voyant les bouches autour de moi s'ouvrir dans ce que je suppose être des cris que je comprends qu'ils arrivent. Le premier à débouler est Arthur. J'essaye de ne pas repenser à sa question, et me concentre sur Sam et Carter qui arrivent à leur tour. Ils sont bras dessus bas dessous, en riant, et je me dis malgré moi que cela leur correspond bien. Ils sont excentriques, comme ce que j'ai déjà pu voir d'eux.

Et enfin, il arrive... je crois voir la foule crier encore plus fort. Si je pouvais les entendre, je ne donnerais pas cher de mes tympans. Il ne les regarde pas. Il a ce visage fermé et concentré qu'il aborde souvent. Celui qui le rend si attirant. Qu'est-ce que je pense, moi ? Mon dieu je deviens folle.

Carter dit quelques mots au micro. Je suis trop loin pour distinguer ses lèvres de façon à le comprendre, mais je sens l'euphorie générale autour de moi. Je passe mes yeux sur la foule. Ils sont impatients. Ils sont conquis avant même que les premières notes ne résonnent. Et quand je les vois commencer à bouger, je comprends que le concert a commencé. Je me retourne vers la scène pour les voir jouer. Carter chante avec un grand sourire, Sam et Arthur en affiche un aussi. Et Lester regarde ses doigts. Il est complètement dans la musique. Exactement comme j'imaginais qu'il serait. Un musicien. C'est un vrai musicien. Je n'arrive pas à détourner mon regard de lui. Je le fixe encore longtemps, alors que les chansons défilent. J'imagine les notes qu'il joue. Je me laisse transporter dans ses chansons, où seules ses parties m'apparaissent. Rien qu'avec ça, elles restent toutes magnifiques. Alors je n'arrête pas de le fixer.

Jusqu'à ce que la main de Talia sur mon épaule me fasse réagir. Je tourne la tête vers elle, qui me sourit à grandes dents.

- C'est trop bien !

Je lui souris en retour. Je suis contente qu'elle s'amuse. Elle monte sur le tabouret derrière nous et se met à crier en bougeant les bras. Je vois Carter poser ses yeux sur elle, amusé. Puis il les déplace un peu. Et il me voit. Il semble surpris, un instant, avant de sourire. Il se tourne un peu vers Lester et lui fait un signe de la main dans ma direction. Je sens mes joues rougir, mais ce n'est rien comparé au moment où le guitariste plonge son regard dans le mien. Directement, sans avoir eu besoin de me chercher. Comme des aimants qui s'attirent. Ils restent connectés ensemble pendant un bon moment, jusqu'à ce que la musique s'arrête. Il tourne la tête pour changer de guitare, en prenant une pour un rythme plus rock, qu'il branche à une ampli. Pendant qu'ils se préparent, Talia attire de nouveau mon regard et me fait comprendre qu'elle va aux toilettes. Je lève les pouces pour acquiescer et me retourne vers la scène.

Je passe d'abord mon regard sur la foule. En délire. Euphorique. Comme le public de ma sœur. Elle aussi, avec son groupe, elle mettait les gens dans cet état. Je me rappelle de sa prestance, sur scène. Des cris du publics. De leurs voix qui reprennent en chœur ses paroles. Je me rappelle de son visage, quand elle les entendait se mettre à chanter. Mon cœur commence à se serrer et l'atmosphère devient pesante. Pour elle aussi, les gens cherchaient à être au plus près de la scène. Pour elle aussi, ils levaient leurs téléphones dans l'espoir de garder quelques secondes de sa prestation. Elle aussi, elle avait tout ça... mais elle n'a plus rien.

J'ai besoin de prendre l'air. Besoin de sortir le plus vite possible d'ici. Talia m'a bien expliqué que le tampon sur mon bras me permet de rentrer et sortir à ma guise. Je reviendrais vite. Mais il faut que je sorte un peu. Je me fraye un chemin parmi la foule et sors en furie sous les yeux du videur. Je crois qu'il me demande si tout va bien, mais je ne lui réponds pas et avance dans le noir. La nuit est tombée, l'air est frais, mais il me fait du bien. J'avance comme un robot pour m'éloigner de la salle. Il n'y a plus grand monde devant, à part quelques fumeurs, mais je veux être seule.

Je m'éloigne un peu et tente de reprendre ma respiration. Il me faut de longues minutes pour y parvenir. Mais l'angoisse remonte quand un groupe s'approche de moi.

Je discerne leurs visages grâce aux quelques lumières dans la rue vide. Je ne les connais pas. Et quelque chose me souffle que je n'ai pas envie de les connaître.

- Salut jolie fille.

Je ne réponds pas. J'essaye de faire demi-tour pour retourner dans la salle. Ils ne m'ont rien fait. Mais je sens que je dois partir. Un bras me retiens et me retourne vers le type qui m'a parlé.

- Pourquoi tu pars ? On peut discuter.

Discuter. Non. Son visage me souffle qu'il ne veut pas discuter.

- Lâche-moi.

Ma voix est faible, mais je sais qu'il l'entend. Mais il ne me lâche pas.

- Tu viens du concert ? Viens avec nous, tu t'amuseras plus que là-bas.

- Lâche-moi s'il-te-plaît.

Mais encore une fois, il ne me lâche pas. Et ses amis s'approchent de moi, m'entourant avec leurs visages qui ne m'inspirent aucune confiance.

- Non, je ne veux pas. J'ai -on- a plutôt envie de s'amuser avec toi. Et je suis sûr que toi aussi.

Je n'entends pas le timbre de sa voix mais malgré tout, je frissonne.

Je frissonne, et j'ai peur.  

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Alors, Lester a-t-il trouvé Lyra jolie ?

La situation ne semble pas être bonne... que va-t-il se passer ?

La suite vendredi, 

Kiss :*

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