Chapitre 23

PDV Lester


Elle a été étrange toute la journée. Pas forcément qu'elle ne l'est pas le reste du temps. Mais aujourd'hui... Elle n'a pas sourit une seule fois. Pas même un faux. Elle marchait tête baissée, les yeux dans le vague, et je me suis demandé plusieurs fois si elle n'allait pas se prendre un mur. Ses yeux... ils m'ont semblé si ternes et vides. Comme si il n'y avait plus aucune vie en elle.

Je l'ai observé. Mais ses yeux ne sont pas venus se plonger dans les miens, comme le reste de la semaine. Elle avait l'air ailleurs.

Elle n'avait pas l'air heureuse. Je ne me rappelle pas l'avoir déjà vu avec une réelle expression de joie sur le visage. Ou peut-être que si, je me souviens bien d'une fois ou deux... Mais aujourd'hui, elle n'avait pas seulement l'air absente. Elle était éteinte. Triste.

Non. Plus que cela. Elle semblait complètement aspirée par des ténèbres, et incapable de relever la tête. Elle avait l'air si fragile...

Malgré moi, je suis obligé d'admettre que je n'ai pas apprécié de la voir ainsi. Je préfère grandement observer ses joues rouges, quand elle croise mes yeux. Son regard rieur, quand l'Arc-en-ciel déblatère je ne sais quoi. Son sourire, le vrai, quant Note se frotte contre ses jambes pour réclamer des caresses. Mais cette moue là... non, décidément, elle n'a rien à faire sur son visage.

J'ai eu envie de savoir ce qui lui arrivait toute la journée. Je n'aurai pas dû. Cette curiosité qui n'est normalement pas la mienne ne me plaît pas. Mais je commence à me faire à l'idée que mon esprit déraille depuis qu'elle est là. Et uniquement lorsqu'il s'agit d'elle. Tout de suite, je n'ai pas envie de comprendre le pourquoi du comment. Seulement de savoir ce qui la met dans cet état. Bien sûr, loin de moi l'idée d'aller lui demander. N'exagérons rien. Je me contente de l'observer de loin, et c'est déjà suffisant. Ou déjà trop, si vous voulez mon avis.

C'est dans une colère relative que je rejoins le groupe dans le bar où nous jouons. Carter m'accueille avec un grand sourire, mais se referme en voyant mon visage.

- Que se passe-t-il ?

Je ne réponds rien. Parce qu'il n'y a rien, ou plutôt, il ne devrait rien y avoir. Pourquoi je me sens comme ça ? Pourquoi je continue de penser à elle, et de me repasser son visage triste dans mon esprit ? Pourquoi j'ai eu cette envie d'aller la voir pour la faire sourire ? Ou rougir. Parce que franchement, je ne saurais pas dire laquelle de ces deux expressions je préfère sur elle.

J'ai envie de me taper la tête contre un mur, pour arrêter de penser à tout ça. Et pourtant j'y pense encore. Je me défoule sur les cordes de ma guitare pendant tout le concert. Mais je n'arrête pas de penser à elle. A son visage. A ses expressions, ou plutôt, à son manque d'expression. Et ça m'énerve. Je plonge mon regard dans la foule mais c'est encore elle que je vois. Je pose mes yeux sur mes amis, mais c'est son corps qui m'apparaît. J'écoute les notes que je produis mais c'est sa voix que j'entends.

Je déraille. Je déraille complètement, et si cela m'énerve, je ne parviens pas à le regretter. Je sais que les gars ont remarqué que j'étais ailleurs. Je sais qu'ils veulent me poser des questions. Ma performance n'a pas été mauvaise. Mais ils veulent savoir ce qui me passe par la tête. Ils n'ont pas besoin de le savoir. Qu'est-ce que je pourrais bien leur dire de toute façon ? Que je pense à une fille, sans cesse, parce qu'elle a l'air d'aller mal ? Tout ça pour qu'ils me harcèlent de questions, et qu'ils ne me foutent pas la paix ?

Je n'ai pas d'explications à leur donner, parce que je ne comprends pas moi-même. La seule chose que je sais, c'est que j'ai besoin d'air, besoin de me changer les idées.

Je leur laisse ma guitare et me dirige vers l'extérieur alors qu'ils finissent de ranger. J'attrape les clés de ma moto en passant, et j'entends Sam me hurler qu'il pleut, que je devrais rentrer avec eux.

Mais je m'en fous. En quelques secondes, je suis dehors, sous l'eau froide. Je sens mes cheveux s'aplatir sur ma tête mais l'eau ne franchit pas le cuir de mon moto. J'enfile mon casque et enfourche l'engin, avant de partir à toute vitesse.

Ce n'est peut-être pas prudent, mais de toute façon, il ne pleut pas suffisamment pour qu'il soit réellement difficile de conduire.

Je roule, vite, très vite, comme j'aime le faire pour tout oublier. Sauf que je n'oublie rien. Rien de rien. Je vois encore ses petits yeux marrons se pencher vers le sol, je vois encore son regard se perdre dans le vide, et ses doigts jouer entre eux sur le bas de son t-shirt.

J'ai envie de hurler. Comme si cela allait résoudre le problème.

J'arrive au feu de la grande allée principale. En attendant qu'il passe au vert, je tourne la tête vers le côté. Je cligne des yeux un moment pour être sûr de bien voir. Cette silhouette...

Qu'est-ce qu'elle fout toute seule sous la pluie, bordel ? Elle a prévu d'attraper la crève ou quoi ? Quelle idiote.

Ce n'est pas mon problème, après tout. Elle fait bien ce qu'elle veut.

Je sers les dents en tournant le guidon. C'est plus fort que moi, je me rapproche et arrête la moto sur le parking, pour m'avancer vers elle.

Ses cheveux d'habitude si indisciplinés sont raides et trempés. Tout comme ses vêtements. Elle va être malade, si elle reste là. Quelle idée... Je m'avance encore et je vois ses épaules tressauter. Pas besoin d'être devin pour savoir qu'elle a choisi la pluie afin de cacher ses larmes.

Je râle en silence, avant de retirer mon manteau. Aussitôt, l'eau vient imprégner mon t-shirt et je retiens un frisson. Il fait froid putain !

Je m'engueule moi-même d'avoir ce genre de geste pour elle, pourtant, je pose mon blouson sur ses épaules trempées. Elle sursaute, mais elle met tout de même un moment avant de se retourner vers moi. Et quand elle le fait, je ne vois aucune surprise sur son visage. Avait-elle sentit que c'était moi ? Je préfère ne pas penser à la réponse, ou plutôt à ce que je penserais de la réponse.

Je plonge mes yeux dans les siens. Cela en devient presque une habitude. Nous nous observons un instant, avant que je ne comprenne une chose. Elle ne peut pas rentrer chez elle maintenant. La chose que je ne comprends pas, en revanche, c'est pourquoi je lui attrape le poignet pour la tirer derrière moi, jusqu'à mon véhicule. Pourquoi je lui fais signe de remonter la fermeture du manteau. Et pourquoi je lui enfonce mon casque sur la tête.

Elle se laisse faire. Elle ne dit rien et me regarde seulement lui apposer la protection et la verrouiller sous son menton. Je lui prends la main pour l'aider à s'installer, tandis que la seconde se pose sur sa hanche, avant de monter devant elle. Je sens son petit corps dans mon dos. Mes mains passent derrière moi pour attraper ses bras et les entourer autour de ma taille. Autant éviter qu'elle tombe. Je ne peux m'empêcher d'imaginer ses joues rougir après ce geste. Malgré moi, cela me tire un sourire en coin.

Je démarre vite sans y penser plus. Pourtant, je devrais.

On arrive vite. Je la fais descendre et la tire encore une fois à ma suite. Je suis persuadé qu'elle resterait plantée sur place, si je ne le faisais pas.

Nous arrivons vite devant la porte et je lâche son poignet pour lui retirer le casque. Je vois alors ses yeux, et sa gêne.

Je préfère ce visage, à celui qu'elle a affiché toute la journée. Mais ce n'est toujours pas celui-ci que je veux voir. Avant d'ouvrir la porte, je m'arrête quelques secondes. Qu'est-ce que je fous, bordel ? Je suis complémentent fou. J'avais juré que jamais je ne la ramènerais ici. Et pourtant, j'ouvre la porte pour la faire entrer à l'intérieur.

Dans le salon, il n'y a que Sam et Carter. Ce dernier se retourne vers moi pour me dire quelque chose avant de s'arrêter en voyant la petite créature à côté de moi. Il ouvre grand la bouche et les yeux, et sa réaction fait relever la tête de Sam, qui apparaît tout aussi rapidement interloqué. Les deux observent l'Ovni, trempée, mon blouson sur le dos, et surtout, ici. Je ne sais pas lequel de ses éléments est le plus choquant.

Ce qui me sert de meilleur ami se lève et vient à toute vitesse vers nous, ou plutôt vers elle. Elle a un mouvement de recul avant de se ressaisir.

- Oh mon dieu, oh mon dieu, oh mon dieu.

Elle n'a pas l'air de comprendre où il veut en venir. Ce qui est plutôt logique, étant donné que Carter lui même n'est pas capable de comprendre tout ce qui lui passe par la tête.

Sam s'avance aussi, et lui a déjà un discours plus cohérent.

- J'arrive pas à y croire. Tu es Lyra ?

Elle a l'air totalement intimidée par les deux hommes en face d'elle, et c'est fort que moi, je n'aime pas ça. Autant qu'elle est l'air si craintive, qu'ils lui mettent le grappin dessus. Ils continuent d'essayer de lui parler avant que je ne les coupe, excédé.

- Foutez-lui la paix.

Je lui attrape le poignet pour l'entraîner à ma suite et avant de faire un pas de plus, je pointe mon index vers mes deux amis.

- Je me passe de vos commentaires.

Je reprends mon chemin et tire l'Ovni vers ma chambre. Elle ne dit toujours rien, me regardant fermer la porte derrière nous, avant de m'avancer dans la pièce. Elle reste plantée debout en plein milieu tandis que je me saisis d'un t-shirt et d'un short dans mon armoire et revient vers elle.

Je la regarde un moment avant d'attraper son sac, de le balancer sur le lit et de lui mettre mes vêtements entre les mains.

Je la prends par les épaules et la retourne, la forçant à avancer vers la salle de bain de ma chambre. Une fois dans la pièce, elle me regarde, et si elle ne dit rien, je comprends qu'elle est touchée par mon geste. Je ressors sans un bruit de la pièce, la laissant seul un moment, attrapant moi aussi quelques habits de rechange. Heureusement que l'on a plusieurs salles de bain. A quatre mecs, c'est quand même bien pratique, même si je ne me suis jamais dit que ça servirait dans ce genre de cas.

J'entends l'eau se mettre en route derrière la porte, et je me dirige rapidement vers la seconde douche. Je ne mets pas longtemps, me passant seulement sous l'eau chaude, avant de revenir dans la chambre. L'eau coule toujours, et je m'apprête à retourner au salon en attendant, mais avant que je n'ai pu sortir, un téléphone qui vibre m'arrête. Ce n'est pas le mien. J'hésite, me disant que je n'ai pas à répondre à sa place mais la curiosité me pousse à regarder de qui il s'agit. Un message de sa mère s'affiche sur l'écran, précédé d'une bonne dizaine d'autre.

Je souffle un bon coup en décidant de l'appeler. Je ne suis pas du genre à rassurer les gens, mais sa mère doit franchement s'inquiéter pour elle.

En à peine une sonnerie, elle décroche, et j'entends dans sa voix qu'elle est plus qu'inquiète. Évidemment, elle sait que ce n'est pas sa fille qui risque d'appeler, alors elle demande directement qui est à l'appareil. Je n'arrive pas à croire que je m'apprête à faire ça. C'est la journée la plus étrange de ma vie, et encore une fois, tout à un rapport avec elle.

- C'est Lester, Madame.

- Oh mon dieu Lester je suis contente de t'entendre ! Lyra, Lyra elle...

Elle semble si paniquée que je ne peux que la couper. J'ai un minimum d'humanité, tout de même.

- Elle est chez moi. Elle va bien.

Je l'entends pousser un soulagement et se laisser tomber dans ce que je suppose être une chaise.

- Merci mon dieu.

Le silence règne quelques instants avant qu'elle ne reprenne la parole d'une voix hésitante.

- Aujourd'hui... ce n'est pas une bonne journée pour elle. Je pense qu'elle a besoin d'être loin de la maison... Je suis désolée d'oser te demander cela mais...

Je l'arrête avant qu'elle n'aille plus loin. De toute façon, je n'avais pas l'intention de la ramener maintenant. J'ai bien vu dans ses yeux que ce n'est pas ce dont elle avait besoin.

- Elle reste ici. Ne vous inquiétez pas.

Elle me parle encore un peu, me remerciant du mieux qu'elle peut, et la conversation finit par prendre fin.

C'est le moment que choisit l'Ovni pour franchir timidement la porte de la salle de bain. Mes yeux tombent dans les siens avant de parcourir son corps. Mes vêtements sont deux fois trop grand sur elle, ce qui rend le tout assez amusant.

Mais la pensée qui m'intrigue le plus, ce que malgré moi, je me dis que ça me plaît, de la voir porter mes affaires sur elle.

Et ça, je ne sais pas ce que ça signifie.  

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top