Chapitre 2

PDV Lyra

5 années auparavant.

- Lyra !

La musique se créée dans ma tête alors que la pièce est silencieuse. J'entends les notes, je les joue dans l'air avec mes doigts. Ma tête bouge au rythme de la musique classique et je me laisse emporter dans un tourbillon de notes. J'ai l'impression de les visualiser qui dansent autour de moi. C'est ça être une musicienne. C'est ça, aimer la musique. C'est être tellement connectée à elle que tout le reste vous paraît éphémère, sans importance. Le monde pourrait s'écrouler à cet instant que je n'en aurais cure. Pourtant, aucune musique n'est jouée ailleurs que dans mon esprit.

Un poids sur mon épaule me fait ouvrir violemment les yeux. Dans le reflet du miroir j'aperçois ma mère en face de moi.

- Lyra. Cela fait plusieurs fois que je t'appelle.

- Pardon.

- Prends ton violon. C'est à toi.

Elle quitte la pièce et je me regarde dans le miroir. Je replace une de mes mèches de cheveux avant de saisir mon instrument dans son étuis de protection. Je laisse ma main glisser contre le bois et mes doigts courir sur les cordes. Je le prends en main, connaissant par cœur son poids, et attrape de l'autre main mon archer. Avant de sortir de la pièce, je rapproche l'objet de mon visage et pose mon front dessus. C'est sûrement stupide, mais j'ai l'impression de me connecter à lui, de cette façon.

Je me dirige vers l'extérieur, passant de mon petit studio calme à l'agitation des coulisses. Une dame avec une oreillette et un micro m'invite à la suivre. Elle marche vite, et j'ai presque du mal à maintenir son rythme, avec ma longue robe qui traîne au sol. Mais j'ai l'habitude. Nous arrivons derrière les rideaux, sur le côté de la scène. Elle me fait attendre quelques instants, avant de m'enjoindre à avancer.

Sans hésitation, je vais me placer au centre du grand espace. Malgré les fortes lumières, je distingue sans mal les centaines de personnes qui me regardent fixement. Je suppose que beaucoup fuirait devant tant d'attention. Que le stress les envahirait, rongeant leurs tripes. Mais pas moi. C'est mon monde ici, ma place.

Le silence envahit l'espace et tous attendent. Doucement, je fais monter mon instrument et le cale contre mon épaule. Je regarde une dernière fois le public, puis je ferme les yeux. Je lève mon archer et le dépose sur les cordes, puis tout n'est plus que musique. Encore une fois, les notes s'imposent à moi et m'entourent. J'ai la sensation de planer, alors que plus rien d'autre n'existe que le sonate de Bach que j'interprète.

La lumière des projecteurs réchauffe ma peau, mais je n'en ai rien à faire. Je suis ailleurs, complètement transportée par l'air qui s'échappe de mon instrument. Je fronce les sourcils pour les passages les plus difficiles à exécuter mais comme toujours, ils ne me posent aucun soucis. Mes doigts bougent à l'instant précis où il le faut, sans que je n'ai besoin de les contrôler. Mon corps entier répond à la musique. Elle m'habite, elle me contrôle, je ne fais qu'un avec elle.

Plus rien autour de moi ne m'atteint. Je suis dans une bulle protectrice formée par la partition qui se déroule sous mes yeux clos.

Et quand les notes se taisent, je reste là un bon moment, les yeux clos, encore dans mon monde. Quand je me décide à les rouvrir, le son me revient en même temps que l'image. Je vois la foule debout, j'entends les applaudissements et les cris. A ma droite, un homme s'approche de moi, un trophée à la main.

Championne nationale. Je suis la championne nationale de violon.

Le bruit assourdissant qui m'entoure n'est en rien comparable à la musique que j'aime tant, mais il est grisant. Un sourire naît sur mon visage alors que je regarde ceux qui m'acclament. Je vois certains essuyer leurs larmes, tandis que d'autres crient en levant les bras. Mérite-je vraiment une telle ferveur de leur part ?

Je n'ai fais que ce que j'aime le plus au monde, jouer. Je me suis seulement plongée dans la musique, et ce qui pour moi est mon quotidien, semble être exceptionnel pour eux. Leurs acclamations m'assaillent mais me font du bien, alors je ferme les yeux, et je les savoure.

C'est une mélodie que je n'oublierais jamais.

Présent.

J'ouvre les yeux en sentant de la bave sur mon visage. Je tourne la tête vers Note, mon labrador, qui affiche un grand sourire à sa façon. Je m'essuie la joue du revers de la main en râlant, avant de lui caresser la tête.

Dans mes oreilles, j'entends encore le bruit des applaudissements. Je me sens encore comme si j'étais sur cette scène. Mais petit à petit, la sensation s'estompe, et je retrouve mon quotidien. Un bruit de fond me parvient du côté gauche, tandis que du droit, je ne capte que le silence.

Je suis sourde à 100 % de l'oreille droite. Et j'ai un bon pourcentage à la gauche également. Telle que je suis maintenant, je ne suis capable que d'entendre le bruit du silence. Un acouphène permanent qui me donne souvent envie de frapper mon crâne contre le mur. J'ai l'impression permanente qu'on me souffle dans l'oreille, et c'est affreusement dérangeant. C'est comme si j'étais en permanence sous l'eau. C'est ainsi que j'entends ce qui m'entoure. Comme si mes oreilles étaient remplies de liquide, me coupant de l'extérieur, et me faisant souffrir de l'intérieur.

Après une dernière caresse à mon chien, je me relève dans le lit. Sur la table basse, j'attrape le petit appareil auditif pour le placer dans mon oreille gauche. Il me permet d'entendre un peu mieux. Mais cela reste bien insuffisant pour que je puisse suivre une conversation. Il m'aide seulement à détecter des bruits importants, tel un klaxon.

Je ne sais que la porte de ma chambre ne s'ouvre que grâce à Note, qui se tourne vers elle. Je vois ma mère, debout dans l'encadrement qui me regarde.

- Tu es réveillée, parfait. Descends prendre ton petit-déjeuner.

Je ne l'entends pas dire ça. A part un bourdonnement qui me laisse savoir qu'elle parle, je ne comprends pas ce qu'elle me dit. J'ai seulement appris à lire sur les lèvres. Je ne voulais pas apprendre le langage des signes. Peut-être parce que cela revenait à accepter que j'étais à présent sourde.

- Oui.

Je lui réponds de vive voix, je crois. Ayant déjà eu l'usage de parole, jusqu'à un âge bien avancé, je peux encore l'utiliser. Mais je ne saurai dire à quoi ressemble ma voix, ni si je prononce bien les mots. Il est probable que souvent, je me trompe, et que ce que je dises ne soit pas ce que je voulais dire. Parfois, je crie, ou parfois je chuchote à en devenir inaudible. C'est dur de doser, quand on ne s'entend pas. Mais j'ai toujours réussi à me faire comprendre. Alors, en continuant à parler, et en lisant sur les lèvres, j'ai presque l'impression que rien n'a changé.

Sauf que c'est faux.

Je n'entends plus. Que peut-il y avoir de pire quand la musique constituait toute ma vie ? Depuis que je suis née, je me suis réfugiée dans les notes et les partitions. Puis je me suis mise à fabriquer la musique. J'ai touché du doigt les étoiles, avant de brusquement manger le sol. Il y a 5 ans, j'étais au sommet, et quelques jours après, au fond du trou.

Alors depuis toutes ses années, je fais avec. J'essaye au moins, mais même si je fais bonne figure, au fond je n'accepte pas. Je n'accepte pas d'avoir tout perdu, je n'accepte pas que ma vie ai été réduite à néant pour quelque chose qui n'était absolument pas de mon fait. C'est sûrement encore plus dur à accepter en sachant que je n'y suis pour rien. Et cela me rend coupable en même temps. Car je ne cesse de trouver des excuses pour rejeter la faute sur moi.

Note pose sa tête sur mon genou, et je caresse distraitement son museau en pensant à cette journée. Aujourd'hui, je remets les pieds dans une école pour la première fois. Car depuis que ce jour est arrivé... j'ai toujours refusé d'y retourner. On m'a fait l'école à la maison. De toute façon, les premiers mois, il fallait que je « m'adapte » à ma nouvelle situation, comme disaient les médecins. Comme si je pouvais m'adapter réellement. Je peux trouver des solutions pour me donner une illusion que rien n'a changé, mais je ne peux pas, peu importe le nombre de mois, réussir à me faire à l'idée que je n'entends plus.

J'ai toujours pensé que j'allais pouvoir continuer à me terrer ici, histoire d'au moins éviter les jugements de toutes une foule d'adolescents généralement doter de peu de neurones et de respect pour autrui. Mais mes parents en ont décidé autrement. Mon père surtout. Pour lui, il est grand temps que je me sociabilise à nouveau, et mon avis, et bien pour dire les choses de façon claire, il s'en fiche.

Parce que je n'ai pas envie de me sociabiliser à nouveau. J'ai juste envie qu'on me foute la paix. Mais non, je n'ai pas le droit à cela. Alors me voilà condamner à rejoindre une classe de terminale, une semaine après le rentrée, à cause de la lubie de mon géniteur. Parce que oui, cette idée l'a pris il y a tellement peu de temps, que le temps que l'on fasses toute la paperasse, la rentrée c'était déjà passée. Je suis ravie, vraiment de rejoindre un lycée où je ne connais personne et où à contrario, tout le monde se connaît déjà, comme ça en cours de route. Je me sens déjà cataloguée comme la nouvelle, qui en plus est différente.

Ce n'est pas comme si je rejoignais mes camarades de collège. Après cette fameuse date il y a 5 ans, mes parents ont décidé de déménager loin de tout ce qui leur rappelait ce jour-là. Encore une fois sans me demander mon avis, évidemment. Mais sur ce coup, c'était sûrement une bonne idée. Bien que je me retrouve maintenant complètement isolée dans un endroit où je ne connais personne.

J'essaye de relativiser et de me dire que ce n'est que pour quelques heures par jour, et qu'avec un peu de chance, je pourrais me terrer dans un coin où le monde m'oubliera. Parce que je sens déjà les commentaires des imbéciles arriver. C'est sûrement ce qui sera le plus dur à supporter. Note tire sur ma manche de pyjama avec ses dents, ce qui signifie sûrement que ma mère m'a appelé une nouvelle fois. L'utilité de le faire alors que je suis sourde ? Allez savoir, il s'agit de ma mère. Elle pourrait très bien au bout de 5 ans ne toujours pas avoir assimilé totalement l'idée.

Je souffle un bon coup et me lève, me dirigeant vers la cuisine. Assise sur un tabouret, je n'entends pas -évidemment- mon père arriver. Je sursaute donc quand il apparaît devant moi et me fixe.

- Prête pour cette journée ?

L'avantage d'être sourde, c'est que je n'entends pas son ton enjouée alors que moi, je ne le suis pas du tout.

- J'ai le choix ?

- Non.

Voilà qui est dit. Ne pensez pas que mon père ne m'aime pas. Il a seulement une façon particulière de montrer son attachement. Et aussi un petit côté macho qui fait que ce qu'il dit, on ne peut pas le remettre en cause. Je décide de ne rien rajouter et me contente d'avaler mes céréales pour retourner me préparer dans ma chambre.

Une fois que c'est fait, et avant de quitter la maison, je regarde mon chien, mon seul vrai allié. J'aurai aimé qu'il puisse venir avec moi. Mais comme pour mon inscription, les papiers n'ont pas été fait à temps. Il va donc falloir quelques semaines afin qu'il puisse m'accompagner. Il vient me lécher la main comme pour m'encourager, et j'essaye de lui sourire, malgré mon manque cruel d'entrain.

Je sors et rejoins le chauffeur qui va m'accompagner jusqu'à mon nouveau lieu d'étude. Oui, ma famille s'en sort bien. Mais en même temps, que ce soit avec l'argent de mes parents ou non, j'aurai eu le droit à un chauffeur dans un cadre médical. La différence est que celui-ci m'accompagne depuis mon enfance, bien avant que je ne perde l'ouïe, et que du coup, il ne roule pas en ambulance ou voiture avec précisé service médical. Là, quand on ne me connaît pas, on croit juste que je suis une fille de riche. Une étiquette qui est moins difficile à porter que celle de la fille « handicapée ». Pour autant, ma famille n'est pas snob. Nous ne dînons pas dans des couverts en argent, nous mangeons aussi au fast-food, et nous ne roulons pas dans la dernière des lamborghinis.

Bref, je suppose que je m'éloigne volontairement du sujet pour éviter de me concentrer sur l'établissement qui se dessine devant moi. Mais je n'ai pas le choix que d'y faire face quand Martin -le chauffeur- s'arrête et se tourne vers moi. Il me fait un grand sourire -ce vieux monsieur est adorable- et me souhaite bonne chance. Je souffle un grand coup et sort de la voiture.

C'est parti.  

------------------------------------------------------------

On en apprends un peu plus sur Lyra ! Que pensez-vous d'elle et de ce début d'histoire ? 

A vendredi pour la suite, 

Kiss :*

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top