Chapitre 100
PDV Lester
Les musiques s'enchaînent, et pour la première fois depuis des jours, j'y retrouve goût. Je retrouve cet amour pour les notes, pour le fait d'être sur scène. Mais il y a encore au fond de moi cette boule d'anxiété qui est là.
Je veux m'en débarrasser, je vais m'en débarrasser.
Je n'attends que ce moment depuis des heures, et je dois bien avouer que le stress monte en moi.
Mes yeux passent sans cesse sur les centaines de personnes plantées devant moi, mais je ne la vois pas.
Je ressens une sorte d'angoisse, à l'idée que Talia ne puisse la convaincre. Qu'elle refuse de venir, qu'elle refuse d'écouter, même si le mot n'est pas le plus approprié. J'ai besoin qu'elle le fasse. Elle en a besoin aussi. Pour moi, pour elle, pour nous.
C'est ma conclusion, et comme j'ai entendu la sienne, elle doit avoir la mienne. Parce qu'elles ne peuvent exister l'une sans l'autre. Parce que je refuse qu'elle reste sur ses derniers mots.
Elle ne m'a pas perdu. Je refuse de la perdre.
Pendant des années j'ai joué au con avec les personnes qui comptaient pour moi. J'ai repoussé mon père et Hélène en étant persuadé d'avoir brisé tout ce qu'il pouvait y avoir entre nous. Je refuse que cela se reproduise. Pas encore, surtout pas avec elle.
Je n'attendrai pas des années pour chercher à nous retrouver. Parce que nous sommes là, et que nous ressentons tout ça.
Je vais nous faire sortir de cette voie sans issus que nous avons à tort empruntée. Parce que nous avons devant nous un chemin encore long à suivre.
Les dernières notes se jouent et la voix de Carter se tarit, ne laissant que celles criantes des fans en face de nous. Mon meilleur ami dépose son regard sur moi, quand je jette un œil à mon téléphone. Jamais je ne fais ça. Mais j'ai besoin de savoir si elle est là.
Le SMS de Talia m'ôte un poids du cœur et je fais signe à Cart' que c'est bon. Il me sourit, l'un de ces rictus chaleureux, bourré d'un soutien dont je dois avouer avoir besoin.
— Mesdames et Messieurs, vous allez assister à un évènement historique. J'espère que vous êtes prêts.
Il me fait un clin d'œil et s'éloigne du devant de la scène. Je suppose que si je regardais le public, je verrais leurs mines curieuses. Mais je me concentre sur la guitare acoustique que j'attrape, le micro que mon ami baisse à la hauteur de la chaise où je m'assois. Sam pose ses baguettes, Arthur éteint son synthé, et moi je souffle un bon coup pour respirer.
— J'ai un message à faire passer, ce soir. Il est adressé à une personne en particulier. Je sais qu'elle est là, je sais qu'elle me voit. Et au fond d'elle, je sais qu'elle m'entend.
Je marque un temps de pause, avant de relever le regard, et de le planter directement dans le sien. Je la trouve au milieu de cette foule comme si il n'y avait qu'elle et moi dans cette salle. Malgré les mètres qui nous séparent, je vois sa peine, la difficulté qu'elle a à se trouver devant moi. A soutenir mon regard.
J'ai envie de briser cette distance et de la serrer contre moi. Mais avant, je dois lui dire. Peu importe la douleur que cette vision d'elle insuffle en moi, je dois rester là, et lui dire. Et elle doit absolument l'entendre. Le comprendre.
— Petit Ovni.
Je la vois tressaillir, et si la situation n'était telle, j'aimerais ça.
— Ne regarde pas uniquement mes doigts. Parce que ce sont les paroles, qui sont pour toi.
Et je joue. Je joue cette mélodie que nous avons écrite ensemble. Notre chanson.
Et je chante. Je chante ces mots que j'aurais dû lui prononcer bien avant. Mon amour.
Sans détourner le regard. Pour voir chacun de ses sentiments. Les ressentir autant qu'elle.
Ta présence était une menace
Près de moi tu n'étais pas à ta place
Mais j'ai très vite compris
Que tu étais indispensable à ma vie
Si un jour on m'avait dit
Que je tomberais amoureux d'un Ovni
Je vous aurais pris pour des fous alliés
Mais maintenant à elle je suis lié
Tu es ma petite musicienne
Celle pour laquelle je me tiens sur scène
Tu es mon inspiration
Celle pour laquelle je chante cette chanson
Sans toi, à quoi bon ?
J'ai peut-être l'air d'un désespéré ou d'un con
Mais je t'ai perdu si subitement
Que j'ai jamais eu aussi mal avant
Alors devant tous je me mets à nu
Sans rien en avoir à foutre des déconvenues
Je crie ma peine et mon amour
Pour celle qui illumine mes jours
Tu es ma petite musicienne
Celle pour laquelle je me tiens sur scène
Tu es mon inspiration
Celle pour laquelle je chante cette chanson
Tu m'as donné ta conclusion
La mienne tu la trouveras dans cette chanson
J'espère qu'elle soulagera ta peine
Et que tu voudras bien rester mienne
J'aurai peut-être du te le dire avant
Mais je ne sais pas trop parler de sentiments
Alors aujourd'hui je prends la peine
D'enfin te dire que je t'aime
Tu es ma petite musicienne
Celle pour laquelle je me tiens sur scène
Tu es mon inspiration
Celle pour laquelle je chante cette chanson
Et au cas où tu n'aurais pas bien compris
Alors encore une fois je te le dis
Promis je te le chanterai un millier de fois
Je t'aime, et je n'aime que toi
Les notes s'arrêtent, en même temps que mes mots, et le silence règne.
Une dernière phrase, des paroles sans musique, le point final de cette déclaration.
— Tu m'aimes sans un bruit. Je t'aime avec des milliers de notes.
Des centaines de personnes entre nous, qui disparaissent devant son regard. Elle a le cœur au bord des lèvres, et le mien entre ses mains.
J'attends un geste ou une parole, un sourire peut-être. Mais elle m'offre bien plus que cela.
Au milieu de cette foule, elle s'avance. Ils s'écartent pour elle, en silence, tandis qu'elle continue ses pas, qui la rapprochent de moi.
Je pose ma guitare dans un coin, je me dirige au bord de la scène. Deux personnes qui se trouvent là l'aide à monter, et nos iris s'accrochent de près, cette fois.
Je la détaille, comme je n'ai pas pu le faire depuis des jours, mes doigts se retrouvent d'eux-mêmes à replacer une mèche de cheveux derrière son oreille.
— Je t'ai écouté.
Quelques mots, dans un souffle. Ceux que j'avais besoin d'entendre. La boule au fond de moi fond, et mon front se pose sur le sien.
Je respire son odeur, je me rends compte que j'étais en apnée depuis des jours.
Sa main se glisse dans la mienne, celle qui n'est pas posée sur sa joue. Je resserre mes doigts contre les siens, je m'ancre à elle pour m'assurer que tout ça n'est pas qu'un simple rêve.
Et puis je vois son regard briller, d'une joie qu'elle n'avait pas éprouvée depuis bien trop de temps. Et ses lèvres se retroussent, signe de son amusement.
— Seulement un millier de fois ?
Je me laisse à peine le temps de rire, que je dépose mes lèvres sur les siennes. Je revis, et nos bouches scellées, nous ne parvenons pas à nous arrêter de rire.
Je ne fais pas attention aux applaudissements et aux cris de joie. Ni à Sam, qui siffle derrière nous, Carter, qui danse dans un coin de scène, faisant monter Talia pour qu'elle participe à sa chorégraphie, et Arthur, qui se contente de sourire.
Je ne fais attention qu'à elle, et ces sensations, que j'ai crû pendant un temps avoir perdu.
Je ne libère ses lèvres qu'une seconde, le temps de lui répondre.
— Autant de fois que tu voudras.
PDV Lyra
C'est comme retrouver la surface après de longues minutes sous l'eau, sans pouvoir reprendre son souffle. En réalité, j'ai passé bien plus que quelques minutes plongée au fond des abîmes.
Contrairement à la lumière extérieure, celle que les mots de Lester ramènent dans ma vie ne brûle pas mes rétines. Elle réchauffe mon cœur qui commençait à glacer sous la froideur de l'eau.
Une chanson. Il m'a écrit une chanson. En se servant de ces notes, que nous avons composées à deux.
Je ne retiens pas un sourire en pensant à nos déclarations. La mienne, en larme, lors d'un exposé que j'ai sûrement raté. La sienne, devant des centaines de personnes, en musique. Rien d'habituel. Un peu comme nous.
Le musicien, la sourde. Le Monsieur Cliché, l'Ovni. Lester, et Lyra.
Deux personnes pour un seul amour.
Le refrain passe en boucle dans ma tête. Les paroles des couplets me donnent envie de danser. J'entends ses mots. La mélodie joue à l'intérieur de moi, alors même qu'il a cessé de chanter. Les notes, je les connais sur le bout des doigts. Les vers, je compte bien les imprimer dans ma poitrine, pour que mon cœur puisse continuer à les chanter, quand sa voix ne le fera pas.
C'est peut-être mon seul regret, de ne pas savoir exactement à quoi ressemble sa voix, quand il me dit tout ce qu'il ressent pour moi. Mais son regard vient balayer ce sentiment, me gonflant de joie.
Je ne l'entends pas. Pas comme les autres. Mais seulement comme moi je suis capable de le faire.
Sans un bruit.
- Chante-la moi encore.
Il lève les yeux au ciel, et continue de me tirer par la main, derrière lui. Mon sourire ne quitte pas mes lèvres. Je chantonne à sa place, ne parvenant pas à me défaire de ce moment que nous venons de passer.
Quand bien même nous ne sommes plus dans cette salle de concert, mon esprit s'y trouve encore. Je me sens encore là-bas, plantée devant lui, à entendre en moi cette musique au milieu des battements de mon cœur.
Tous les doutes se sont dissipés, en quelques mots. Toute la peine a disparu. Les regrets se sont envolés pour laisser place à ses mots. J'ai oublié la douleur. Elle a été supplantée par l'amour.
Ma mère me l'avait dit. L'amour peut nous écraser au sol. Ou nous faire voler haut dans le ciel.
Là, je vole. Je recommence à voler, exactement comme avant que je ne me jette moi-même pour m'écraser.
Il ouvre la porte de sa chambre, l'appartement encore vide des garçons qui semblent vouloir nous laisser un peu d'intimité. Quoi que c'est peut-être lui qui leurs a interdit de nous suivre. J'imagine facilement Carter et Sam, et même Talia, batailler pour venir, et un Lester impitoyable face à eux.
Cela me donne envie de sourire, mais je n'ai pas cessé de le faire depuis de longues minutes, je peux plus tirer d'avantage mes lèvres sur mon visage.
Quand il la referme, j'ai l'impression de revenir dans un lieu que j'ai quitté depuis trop longtemps. Je le redécouvre. Et c'est un peu vrai. Je vois pour la première fois ce mur, recouvert de photo de moi. Celles envoyées par ma mère. D'autres qu'il semble avoir prises sans que je ne m'en aperçoive. Il y a aussi des photos de nous. Mais il n'a affiché que celles où l'on me voit plus moi, que lui. Comme si il ne voulait que mon image.
Son pouce sous mon menton dirige mon regard vers ses lèvres, pour sa réponse à cette pensée pourtant silencieuse.
— Parce que tu es celle qui compte le plus, pour moi.
Son front se pose sur le mien, une nouvelle fois. Nos yeux s'accrochent, et je découvre à quelle point cette teinte noire m'avait manquée. Plus encore que je n'aurais pu l'imaginer.
— Dis le moi.
— Je t'aime.
— Encore.
Il sourit, mais me le répète. Encore et encore. Jusqu'à ce que sa réponse ne prenne forme sur mes lèvres. Au milieu de nos baisers, je le sens me dire je t'aime sur ma peau. Je lui souffle mon amour, moi aussi.
Nos corps se retrouvent, nos souffles se mélangent, nos doigts s'entremêlent.
Les mots si durs prononcés ici s'effacent, au profit de notre amour, de ces paroles pleines de sentiments que nous échangeons.
Nous nous retrouvons, comme si nous nous étions perdus depuis longtemps. Mais j'avais tort. Nous n'étions pas perdus. Nous n'étions pas brisés. Nous avions simplement fermés les yeux un peu trop longtemps, pour ne plus réussir à voir l'autre.
J'ai ouvert les yeux. Je ne compte plus les refermer.
Mon cœur s'ancre au sien, comme nos corps. Il y a plus que notre passion, notre désir, notre amour.
Plus de non-dits, plus de cercles vicieux. Simplement nous et nos sentiments, des émotions qui réchauffent nos cœurs et nos corps.
Mon épiderme est un brasier. Moins que mon âme cependant.
Il est mon ancre. Non. Il est ma partition. Celle que je ne cesserais jamais de jouer.
Au milieu de ses bras, je trouve les réponses aux questions que je me posais.
Est-ce que vous savez ce que cela veut dire, d'être différent ? Moi je ne sais plus. Parce que je ne suis pas à part, je suis unique. Et cet homme là m'aime pour ça.
Avez-vous déjà tout perdu ? Je pensais faire partie de ces personnes dont la vie s'est effondrée. Peut-être que cela a été le cas, à une époque. Mais plus maintenant. J'ai des amis. J'ai une famille. J'ai Lester. J'ai la musique. Et au fond de mon cœur, j'ai ma sœur. Je n'ai pas tout perdu. J'ai retrouvé les choses d'une autre manière.
Être différente, tout perdre. C'est exactement ce que je pensais avoir vécu, ce jour-là. Ce jour où ma vie a brutalement changé, a basculé. Aujourd'hui est un autre jour. Un jour où la première chose d'une longue liste de ce que j'ai trouvé c'est une vraie partie de moi. Le bonheur. La confiance, en moi, en les autres. L'amour, l'amitié.
Un jour où j'ai appris à entendre. Avec mon cœur.
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Est-ce que vous avez remarqué le dernier paragraphe ? C'est le même que le dernier paragraphe du tout premier chapitre. Mais avec la nouvelle réalité de Lyra... j'avoue que je suis fière de ce petit effet x)
Retrouvez tout de suite l'épilogue de cette histoire !
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