3.1 Assya
Je lève les yeux vers la caméra. Malika va-t-elle me faire poireauter encore longtemps ? Je me retiens de faire les cents pas. Un coup d'œil à ma nouvelle montre.
9h02... Chiotte.
Ce retard ne m'incombe pas. Si cette bimbo faisait son travail correctement, je serais déjà assise, à l'heure qu'il est...
— Assya, quelle délicieuse surprise.
Je couine, me retourne.
— Donovann, soufflé-je.
Scandaleusement près.
Et toujours aussi séduisant.
Il porte un ensemble bleu marine qui met en avant l'éclat boisé de son regard... et son corps d'athlète, taillé en triangle. Il me détaille avec intérêt, chaleureux. Pourtant, je suis incapable de lui rendre son compliment ou d'engager la conversation...
Aurait-il le don de me rendre muette ?
N'ayant pas mes talons aujourd'hui, il me dépasse de deux têtes. Je me sens ridicule, comme avalée par son ombre. Son sourire m'attrape au lasso et je ne bouge pas d'un pouce. Sans se décaler, il se penche au-dessus de moi. Lit-il cette envie de ma part dans mon attitude ? Est-ce que je le dévore tant des yeux ? Je retiens ma respiration. Son parfum s'infiltre dans mes narines.
Punaise, qu'il sent bon !
Quand le bip du lecteur de badge retentit derrière moi, je comprends enfin son mouvement... et n'en suis que plus gênée. Je me décale fissa, lui laisse le passage. Il pousse la porte, les lèvres toujours étirées par l'amusement.
Quelle cruche. Bon sang, quelle cruche !
J'entortille mes doigts, fixe mes pieds. Comment ai-je pu perdre ainsi mes moyens ? Croire à une tension entre nous... Alors que je le dérangeais simplement à lui bloquer l'accès ! Et qu'on se connait depuis hier !
— Tu comptes rester là ? s'enquiert-il.
Je le dévisage et me décompose. Outre le tutoiement, instauré la veille autour de la machine à café, lors de notre deuxième rencontre, je réalise mon taux d'idiotie.
Je le précède tandis qu'il maintient la porte.
— Merci, murmuré-je.
— Ça arrive d'oublier son badge, je n'allais pas te laisser dehors, rit-il.
Évidemment que non. Comme n'importe qui, sauf cette sorcière de Malika. Qu'est-ce que je lui ai fait pour qu'elle s'acharne de la sorte ?
— Prête pour ce deuxième jour ? relance-t-il avec douceur.
Comme je lui suis reconnaissante d'agir comme si je n'avais pas été la dernière des potiches. C'est qu'il est gentil, ce Don Juan.
Je lui réponds, avec une franche affirmation ce coup-ci :
— Oui ! Même prête à vous refaire un café.
— Vous ? me reprend-il.
— Tu, rectifié-je, le fard aux joues.
— Je préfère ça, acte-t-il d'un clin d'œil.
Calme-toi, Assya. Ne vois pas du flirt partout, il essaie juste d'être accueillant parce que tu es la nouvelle recrue. L'hospitalité n'est pas de la drague.
Nous marchons côte à côte vers le comptoir, d'où la blonde nous sonde. Un vrai gardien au mirador. C'en est presque flippant... Le gestionnaire la salue et je fais de même. Il s'accoude à sa hauteur :
— Malika, tu as le badge d'Assya ? La pauvre était coincée... Tu ne l'avais pas vue à la surveillance ?
L'hôtesse fuit la confrontation avec lui, marmonne, fouille dans ses papiers et extirpe une carte blanche où figurent ma photo et mon nom.
Je l'attrape, verbalise un remerciement qui, au fond, s'adresse plus à mon sauveur qu'à elle.
Son attention passe de Donovann à moi, en une dizaine de clignement de cils.
Qu'est-ce qu'elle a, encore ?
Oh. Je pense comprendre : il l'intéresse. C'est donc pour ça... Elle me voit comme une rivale et ne veut pas me faciliter la tâche...
C'est raté pour cette fois, ma cocotte.
Mon collègue m'incite à continuer en posant sa main dans mon dos et en exerçant une légère pression. C'est subtil, et pourtant enivrant. Cet homme dégage un truc assez irrésistible. Docile, je quitte le hall, plutôt charmée par son attitude protectrice. Et surtout parce qu'il a remis Malika à sa place.
Il se décolle deux mètres plus loin, face à la cage d'escaliers.
— On se voit plus tard. Bonne matinée.
— Bonne matinée, Donovann.
Non. Je ne vais pas faire comme toutes les femmes de ce cabinet et fricoter avec lui, il faut que j'arrête ça tout de suite...
Je secoue la tête pour reprendre mes esprits et trace jusqu'au numéro six. Dans l'allée, je fais quelques signes de main à ceux qui m'en adressent ou ceux qui peuvent le remarquer.
— Heyy ! s'exclame Céleste, à moitié assise sur son bureau comme si elle m'attendait.
— Salut !
Je balance mon sac à dos par-dessus ma table.
— J'ai besoin d'un café, décrété-je. Je t'en fais un ?
Elle m'inspecte, suspicieuse. C'est pas croyable, cette fille a des perceptions hors normes. Je vois bien dans son œillade qu'elle me perce à jour... Ai-je l'air si fébrile ?
Rappelez-moi de ne jamais lui mentir.
— Avec plaisir, répond-elle malgré tout.
Je n'ai qu'à me tourner et piocher dans le bol avec les dosettes pour m'exécuter. Céleste a eu une riche idée hier, de m'en donner le monopole. Ça pousse les collègues à me parler, et ça comble mon démarrage.
— Je propose qu'elle reste ici, proposé-je. Elle est bien, non ?
— Ce n'est pas moi qui vais m'en plaindre, enjoint-elle. Par contre, n'en abuse pas... ça jaunit les dents. Et tu es assez énergique comme ça.
Dit-elle !
Je lui tends sa tasse en attendant la mienne.
— Avant que j'oublie, Lana Lang, on organise une petite soirée entre collègues ce vendredi soir. Je te compte parmi les présents ?
J'avale une gorgée, hausse les épaules avec timidité. Ça ne peut qu'être une bonne idée, en soi. Quoi de mieux que l'alcool pour briser la glace ?
Un pied de biche, peut-être.
— Okay, ça marche !
— Chouette.
Son air ravi dévoile sa parfaite dentition. D'une blancheur presque provocante, à se demander si elle est mannequin dans une pub de dentifrice...
— Blanchissement, me souffle-t-elle à l'oreille.
Bon dieu, elle lit dans mes pensées.
— Tu es si transparente, Lana Lang. Fais attention, tu es la proie parfaite pour un requin...
Serait-ce une pointe d'inquiétude que je décèle dans ses sourcils soudain tombants ?
— Je ne m'aventurerai pas en eaux profondes sans un Superman à mon bras.
— Stella s'en rapproche bien. D'ailleurs, elle a une sale angine... Mais devrait être présente vendredi.
— Okay... ça se passe où, au fait ?
— Au MilkyShow, rue principale.
— C'est noté !
Le « pop » caractéristique d'un bouchon qui saute résonne dans le rez-de-chaussée. Intriguées, on essaie d'en déterminer la provenance.
Pas compliqué : le directeur arrive, bouteille en main, scandant « champagne ! ». Une magnifique rousse, l'assistante comptable si mes souvenirs sont exacts, lance des confettis autour de lui. Donovann les suit, la mine renfrogné.
Que se passe-t-il ?
Tous les employés sortent pour le rejoindre dans le corridor. Un questionne :
— Que fête-t-on ?
— Mutual Assurances appartient désormais à Lazarus&Co ! Donovann, montre l'acte de vente !
Mon sauveur lève le bras sans conviction. Il tient une liesse de papier qui a tout l'air d'être le Saint Graal, compte tenu de l'agitation qu'elle produit ; une salve d'applaudissement encense la nouvelle. Je tape dans mes mains par mimétisme, même si je ne comprends pas une telle démonstration de joie. J'ai entendu des ragots sur leurs litiges et la faillite probable de l'autre agence... La bataille a-t-elle été si rude ? Qu'importe, Lazarus&Co l'emporte, avec la clientèle du concurrent. Ce qui signifie du travail... et donc encore moins de risques de licenciement, si tant est que je fais bien mon boulot.
Une tête brune bouclée sort d'un bureau aux vitres teintées.
C'est donc là qu'il se cache...
Le bel hispanique que j'ai manqué de bousculer hier et que je n'ai depuis aperçu qu'en coups de vent, se terre en fait dans ce que je prenais pour un local de rangement.
Mon attention oscille entre lui et Donovann. Tous deux tirent une tête d'enterrement.
— Ce n'est pas une bonne nouvelle ? chuchoté-je à mon acolyte. Donovann n'a pas l'air ravi...
Sur le même ton, Céleste tente une explication :
— Si... Mais quand on sait comment ça a été obtenu...
— C'est-à-dire ?
Elle plante ses iris dans les miens :
— Quand on gagne un procès ou qu'on décroche un gros contrat, dis-toi que même si son père s'en attribue toujours les lauriers, c'est toujours grâce à Donovann.
Je manque d'avaler mon café de travers.
— Attends, quoi ?!
— Et pas parce qu'il est doué, hein... Juste parce qu'il couche avec nos ennemis.
Je recule pour prendre appui sur le premier meuble à ma portée. Le souffle court, j'encaisse les dernières informations.
Donovann est le fils du directeur, ok, je savais. Mais qu'il soit aussi la marionnette-gigolo de ce dernier, ça, j'en reviens pas.
Quelque chose me dit que je ne vais pas m'ennuyer ici...
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