2.2 Assya
— Te revoilà déjà ! s'étonne Céleste.
Elle se lance sur sa chaise roulante pour être entièrement visible. Pour ma part, je me dissimule à moitié derrière mon nouvel antre.
— Comment ça ? demandé-je.
— Donovann aime bien retenir les jolies filles, en général.
Mon teint s'empourpre, pas tant pour le compliment sous-jacent que pour ma naïveté. Évidemment que c'est un charmeur, je l'ai su à la minute où il a souri... Mais j'ai été bête d'être touchée et de penser que ça m'était directement destiné... Je ne suis qu'une parmi d'autres... Ça a au moins le mérite d'être une bonne douche froide.
Je lève les bras, me désigne de mes mains.
— Ça répond à ton interrogation ?
Elle laisse apparaître ses dents et confie :
— J'aurais compris, tu sais. Comment dire non à Donovann ? Ce mec est un dieu vivant.
Elle glousse, se met debout. Aurait-elle dit oui, fut un temps ?
— J'ai un peu de temps devant moi, Assya... Tu veux que je t'explique comment ça fonctionne, ici ?
Je m'assois, attentive, et admets :
— Je n'osais plus l'espérer.
— Après, ce n'est pas très différent des autres agences d'assurance, j'imagine que tu en as connues plusieurs donc tu ne seras pas trop dépaysagée...
Essaie-t-elle de se débiner ?
Je décide de jouer carte sur table :
— C'est mon premier poste en tant que chargée clientèle... Premier dans le secteur, en fait. Je connais le métier sur papier, mais je ne crache pas sur une aide en temps réel.
Un rictus mi-choqué mi-admiratif fend le ravissant visage de mon interlocutrice. Elle se rapproche, pénètre mon espace.
— On commence tous un jour, résume-t-elle d'un haussement d'épaules.
Je ne me fais aucune illusion : je ne suis qualifiée pour aucun poste commercial, malgré des qualités humaines que je me reconnais. J'ai arrêté mes études prématurément, faute au grand amour. Par contre, j'apprends vite, en autodidacte, et il n'y a pas plus consciencieux que moi dans le boulot.
Sauf Céleste, peut-être... Elle a l'air d'être une vraie lionne... Le fait qu'elle se penche en avant, bras en appui sur ma table, ne fait que confirmer mon ressenti. Elle plonge ses iris sombres dans les miens et chuchote :
— Ça a été mon cas aussi, et je vais de suite te mettre en garde : tu es embauchée pour ton image, pas tes diplômes. Par contre, si les gens sont satisfaits, tu deviendras précieuse. Démène-toi et le directeur te récompensera avec de généreuses primes.
— Je fais plus que me démener. J'ai conscience de la chance qui s'offre à moi, je ne la gâcherai pas.
— Parfait. Tu seras en binôme avec Stella, l'autre responsable clients. Elle est malade aujourd'hui mais dès son retour, elle te briefera comme personne. Cette femme est exceptionnelle, tant humainement que professionnellement. En attendant, tu as surtout de la rédaction à faire pour vous deux...
Ça, c'est plutôt dans mes cordes. Et c'est assez rassurant de savoir que celle avec laquelle je travaillerai le plus est quelqu'un d'agréable. Je n'aurais pas parié dessus, il y a encore dix minutes...
— Tes codes d'accès sont sous le tapis de souris, poursuit Céleste. L'imprimante est dans le couloir. Pense à l'environnement et n'en abuse pas, ou tu t'attiras les foudres des écolos de l'étage. Un lundi sur deux, c'est réunion de huit à dix heures. Les retards sont particulièrement mal vus. L'équipe est divisée en trois : les commerciaux, comme toi et moi, les gestionnaires comme Donovann et les concepteurs. Tu as un document Cloud avec les noms et les adresses mail de chacun et les numéros pour les transférer depuis ton téléphone fixe.
Elle m'indique d'ouvrir un tiroir, où je découvre le dernier outil mentionné. J'acquiesce.
— Sur ton écran, à droite, tu auras un dossier avec tous les échanges clients depuis leur espace personnel, ainsi que les liens vers la FAQ, nos contrats type et la règlementation en vigueur. Tu vas devoir maîtriser ça assez vite si tu veux être performante. Pas de blabla inutile.
Ne prend-elle pas un peu les devants sur Stella ? Elle embraye sur d'autres points pratiques :
— Tu as un badge ? Non, évidemment que non... Malika s'arrange toujours pour ne pas les donner quand elle a la personne dans le collimateur... Et elle a tout le monde dans le collimateur, sauf Donovann. Pas le choix, tu vas devoir demander ton sésame à la pouf de service, c'est ce qui te permettra de rentrer et de pointer par la même occasion. Au quatrième, il y a la cantine réservée aux travailleurs du bâtiment. Les repas y sont à cinq euros. Si tu n'es ni vegan, ni végétarienne, tu mangeras à ta faim.
Lorsqu'elle s'arrête enfin, je la regarde, amusée, et l'interroge :
— Tu es toujours aussi... ?
— Efficiente ?
— Speed.
— La rapidité est mère de toute patrie !
— Je suis quasiment certaine que ce n'est pas l'adage exact..., pouffé-je.
— Allez, je ne te retarde pas plus.
Elle tourne gracieusement sur elle-même pour s'éclipser. Je la retiens d'un « eh ! ». Elle me jauge, inquisitrice. Je ne fais pas durer le suspens et murmure, sincère :
— Merci. Si tu as besoin de quoi que ce soit, une fois que j'aurai pris le pli... N'hésite jamais.
Elle m'adresse un clin d'œil et chacune de nous va vaquer à ses occupations. La mienne ? M'y retrouver dans l'océan de données où je flotte...
**
Mes doigts enfoncent les touches du clavier frénétiquement. Je tape vite, sans erreurs. Les chiffres et les phrases se créent sous mes phalanges à la vitesse d'un éclair. J'adore entendre le cliquetis que je produis en recopiant de banales formules ; c'est un bruit qui me rassure, m'apaise. Je suis presque au bout de ma pile du jour, je suis fière de moi.
— Eh, Lana Lang.
Je décroche une seconde de mon écran pour écouter ce que Céleste a à me dire. Lana Lang est le surnom qu'elle m'a attribué dès la pause de midi. Elle n'est pas la première... Je ressemble d'après tout mon entourage à l'actrice qui a incarné la target de Superman dans l'adaptation en série... les origines indonésiennes que nous partageons y sont pour beaucoup.
— Oui, Céleste ?
— T'es pas obligée de faire des heures supp' ton premier jour.
Je jette un œil à l'horloge.
Mince, 18h15, déjà !
— Je finis ça et je remballe !
— Tarde pas. À demain.
— À demain !
Je boucle ma retranscription en un temps record et m'empresse de réunir mes affaires. Je dis au revoir aux collègues, sur le départ comme moi. Je ne me rappelle pas de tous les prénoms, une remise à niveau sera nécessaire avec Céleste demain !
Aussitôt dehors, je téléphone à ma meilleure amie, Manon. Elle décroche presque immédiatement et ne passe pas par quatre chemins :
— Alors, ce premier jour ?
— Des collègues sympas, d'autres moins... Et j'en ai encore pas mal à rencontrer. Je te raconterai ça avec une semaine de recul !
— Et le poste ?
— Je ne peux pas trop me baser sur ce que j'ai fait aujourd'hui mais la suite promet de me convenir. L'ambiance est agréable, passé quelques détails !
Prudente, car Manon s'emballe toujours pour peu, je me garde de mentionner le fils du directeur. Et l'autre bellâtre de la matinée...
— Je vois ! Rien d'autre ?
Je coince le téléphone entre mon épaule et ma joue, grimace en découvrant le petit papier rouge sur mon pare-brise, qui en cache un deuxième.
— Si... Deux amendes de stationnement..., marmonné-je.
Et merde, j'ai aussi oubliéde demander mon badge...
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