1.2 Donovann
Je remonte à regret, retrouve le silence et le calme de ma section de bureaux. À part Frank, de la compta, Angie, son assistante et Nikolai et Claire, deux des commerciaux, personne n'y occupe de poste fixe. Les deux derniers n'étant pas remontés de leurs rendez-vous respectifs, j'en profite pour passer un coup de téléphone à ma tigresse.
Malheureusement, la sonnerie retentit dans le vide et la voix sulfureuse que j'attendais est remplacée par celle, trop terne, qu'elle réserve au commun des mortels. Je lui laisse un message :
« Oui, ma belle ? C'est Do'. Le bureau est bien froid sans toi... Je ne savais pas que tu avais pris congé... Tu me manques. Ce soir, que dirais-tu de me rejoindre chez moi ? J'ai un appétit d'ogre, toi qui sais si bien cuisiner... »
Je raccroche sur cette luxurieuse proposition. Moi même je frémis à l'évocation fugace et déguisée de nos ébats. Encore un peu et j'en aurais la trique.
Je tente de traiter un autre sinistre mais je suis distrait. Je me contente de trier les pièces justificatives et de déléguer la prise de contact avec l'assurance du parti adverse à Lison, une conseillère.
Ce qu'il me faut, là, c'est ce café si gentiment proposé en début de matinée.
Rebelote : direction les escaliers. On pourrait croire que je perds du temps avec ces allers-retours et mon refus d'emprunter l'ascenseur, mais mon corps est mon meilleur atout de séduction. Ce qui me rappelle que ce soir, j'ai une séance de sport programmée. Mince, ça compromet mes plans avec Mutual Assurances. En même temps, à choisir entre pousser de la fonte et un repas en bonne compagnie... Si Angie me fait faut bond, la PDG pourrait peut-être convenir. Sa voix était stricte à souhait au combiné, je tiens sûrement une dominatrice. Pourquoi pas.
Sans y prêter attention, mes pas me guident vers la machine à café, en panne. Je bloque devant. Pas de belles femmes autour, à piailler...
— Je peux vous en préparer un, si vous voulez.
J'ai parlé trop vite.
Je pivote sur les talons et découvre avec ravissement Assya, face à moi. Si proche... Elle fait presque ma taille, ce qu'elle doit sans doute aux grandes échasses qui lui tiennent lieu de jambes. Ce n'est pas pour me déplaire. J'ai toujours aimé parcourir un corps de l'entrejambe aux chevilles, par conséquent, plus la surface est grande, mieux c'est. Comme si elle devine mes libidineuses projections, elle fait un pas en arrière.
Oh, non... Reviens...
— Assya. Vous feriez ça ?
— Bien sûr. J'ai vu votre détresse. Puis... Je vous l'avais proposé.
Son nez se retrousse légèrement, ses yeux sont rieurs. Ne se moquerait-elle pas un tantinet de moi ?
Je me penche vers son oreille, lui arrache un sursaut qui, moi, m'électrise, et souffle :
— À moi, vous pouvez le dire. Vous vous ennuyez à mourir, c'est pour ça que vous vous montrez charitable avec moi !
Elle déglutit, pouffe à moitié.
C'est parfait ça. Femme qui rit, femme à moitié dans mon lit.
Elle pince les lèvres et dodeline la tête. Docile, je la suis jusqu'à son espace bureau. Les murmures couvrent notre parcours, ainsi que les œillades meurtrières de Joachim. Je hausse les épaules en sa direction, feignant l'impuissance. Après tout, c'est elle qui m'est tombée dessus.
— Court ? Allongé ? s'enquiert-elle. Vous avez de la chance, on vient de l'installer ! Comme je n'ai pas d'impératifs aujourd'hui, ça arrange tout l'étage que je m'y colle. Bienvenue au Starbucks® interne !
— Allongé.
Pour faire durer le plaisir.
— Installez-vous, m'invite-t-elle en désignant une chaise. Il sera vite prêt.
Je m'exécute. Je prends place de l'autre côté de la table et cette barrière physique me frustre au plus haut point. J'aimerais être debout, près d'elle. J'en meurs d'envie.
Tu me tortures...
Elle se tourne, me dévoile son fabuleux fessier tandis qu'elle manipule la cafetière. La chute de ses hanches est un appel à mes penchants les plus bestiaux.
Les images m'assaillent. Bientôt, je les réaliserai.
Le claquement du plastique m'informe qu'elle a déjà fini la préparation. Trop tôt, à mon goût.
— Je le prends toujours avec un sucre, ajouté-je.
Juste pour profiter d'elle de dos plus longtemps.
Elle se décale comme escompté sur la droite et récupère le sucrier sur une des étagères. J'avais déjà usé de cette technique avec celle qui occupait son poste il y a trois mois, une certaine Chloé.
Ou Zoé ?
Qu'importe. Une femme est une femme, rien de plus. Une distraction temporaire qui ne vaut parfois pas tous les ennuis qui y succèdent. Mais un divertissement dont j'ai cruellement besoin, aujourd'hui.
— Je ne sais comment vous remercier, lancé-je.
— Ne le faites surtout pas avant d'en avoir bu une gorgée ! Je n'en ai pour ainsi dire jamais fait, même si j'entends que c'est un pré-requis dans de nombreuses filiales.
Elle manque de confiance en elle. Et pourtant, elle sait se montrer entreprenante...
Qui es-tu, Assya ?
Je feins l'indignation :
— Voulez-vous m'empoisonner ?
— Le ciel m'en préserve ! Ne peut-on pas tout miser sur la chance des débutants ?
— Ici ? J'en doute, au vu des statistiques des conducteurs « débutants ». Pas le droit à l'échec, chez Lazarus&Co.
Elle se tait, sauvée par le gong.
— Votre café est avancé, se réjouit-elle en me tendant la tasse fumante.
Elle y rajoute une cuillère. L'index qui entoure la hanse est fin, serti d'un ongle rouge manucuré, à l'image des neuf autres doigts de ses adorables et délicates mains. Des pensées peu catholiques m'assaillent à nouveau. Je les imagine ailleurs qu'agrippés nerveusement à sa jupe ; sur mon torse nu, glissant le long de mon menton, glisser dans ma bouche, ma langue jouant avec eux, goûtant à leur saveur, ou plus bas, s'aventurant sur...
— Attention, c'est chaud, m'avertit-elle.
Si elle savait.
Je m'arrange pour que nos mains se touchent, sans la quitter des yeux. Elle cille. Je la déstabilise. Est-elle vierge ? Elle a l'air si innocente face à un homme comme moi...
Je profite du blanc de la conversation tout en touillant mon breuvage :
— Alors, vous plaisez-vous ici ?
La belle brune s'assoit contre son meuble de rangement et passe son index gauche sur sa bouche. En proie à la réflexion, sans doute prise de court, elle conclut :
— Il est tôt pour me prononcer à ce sujet.
Certes. Je bois une gorgée, poursuit :
— Les employés sont-ils accueillants ?
— Oh oui, très !
Ses paupières se plissent, de concert avec ses charnues lèvres vermeil. À qui pense-t-elle pour sourire ainsi ? Joachim ? Ce vaurien a-t-il tenté une approche ?
Un brin écœuré à cette idée, je repousse ma tasse sur sa table.
— Il est bientôt midi, je vais aller me chercher de quoi manger... Je vous prends quelque chose ? Nous pourrions ainsi faire plus ample connaissance.
— C'est adorable mais rien, merci, décline-t-elle. J'ai déjà tout ce qu'il me faut.
Un refus ? Motivé par quoi ? Un copain à rejoindre ? Un chien à nourrir à son appartement ?
— Vous rentrez ? je demande.
— Je ne peux pas, j'habite trop loin.
— C'est triste pour vous, mais heureux pour moi. Je mange ici, souvent.
— Vous aussi, vous habitez loin ?
— Non, mais mon père reste souvent et tient à ces moments.
Ce n'est qu'un demi-mensonge.
— Votre père ? Il travaille ici aussi ?
— Hum... Oui. Disons qu'il... Enfin Lazarus&Co, ça lui appartient, quoi.
Ses yeux étirés s'agrandissent en soucoupes.
— P... pardon ? bafouille-t-elle. Monsieur Lazarus est votre père ?!
Je retiens un esclaffement. Très distraite, cette jeune femme. Pourtant, elle n'a pas l'air d'être stupide.
— Vous ne le saviez pas ?
— Non ! s'écrie-t-elle, comme au comble de l'embarras.
— Pourtant c'est écrit sur la porte de mon bureau.
Elle baisse les yeux, devient écarlate.
La vilaine maladroite...
— Je n'y avais pas fait attention...
— Ce n'est pas grave, il n'y a pas mort d'homme. Je vous propose qu'on se tutoie. Et que vous ne m'appeliez plus « monsieur ». Ça me vieillit et je ne suis pas vieux. Pour vous, je suis Donovann.
Elle semble hésiter une seconde, durant laquelle elle me scrute, puis elle accepte. Je me relève victorieux et résume :
— On se retrouve après le déjeuner, donc. Où ai-je le plus de chances de te trouver ?
— S... Ici, à mon bureau.
Dommage que ce soit un open space avec des vitres pour seule intimité...
— Je te fais la promesse de tuer ton ennui à compter de ce jour.
Elle arque un sourcil, désigne ma tasse du menton :
— Même si le café que je fais est mauvais ?
— Il ne l'est pas.
Il l'est totalement.
— Pourtant, v... tu y as à peine touché.
Je m'en saisis, l'avale cul-sec.
— Satisfaite ?
Elle sourit.
Ranger mon contenant est le prétexte parfait pour me rapprocher. Je la rejoins à l'arrière, dans l'étroit couloir entre son bureau et la commode. Elle essaie de se faire toute petite mais partout où elle ira, j'irai.
Cette asiate m'obsède, me tourmente, m'allume plus vite qu'elle ne le ferait avec un briquet. Est-ce qu'elle fume ? Cela m'étonnerait, ses dents sont blanches à en faire pâlir un dentiste, son haleine fraîche comme si elle mâchait en permanence un chewing-gum à la menthe.
Mais oui, parce qu'elle sent bon. Je me délecte de notre proximité. Il faut que je me freine pour ne pas la humer à pleines narines.
La raison me rattrape. Ou plutôt l'éclat encoléré de voix de mon père, qui me ramène sur terre.
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