1.1 Donovann
Les pieds sur le bureau de mon père, je l'écoute distraitement me passer un savon. Que c'est redondant... Dire que je tiens depuis cinq ans... 1825 jours à me tuer à la tâche dans l'entreprise familiale, sous son exigeante, ou plutôt tyrannique, direction. Certes, j'omets mes vacances et les congés dont j'ai abusé... Bien ces séjours de rupture eussent été de bien maigres compensations face au fait de supporter mon paternel...
Mais, comme il s'évertue à me le rabâcher, je devrais lui être reconnaissant... Puisque lui-même n'a agi qu'en bonté d'âme, par amour pour son fils en échec scolaire et au chômage. La vérité ? Il a été motivé par la honte et la pitié : il ne pouvait pas décemment parler de moi en société si je n'avais pas un minimum de situation. Quant à m'employer dans sa boîte, quel meilleur moyen que cela pour me garder sous contrôle... Et m'avoir assez proche pour me balancer tous ses reproches.
— Tu n'es qu'un branleur, Donovann ! Mutual Assurances a reçu une meilleure offre. Je t'avais dit d'être offensif, rapide.
Et voilà... J'attends les « incapable » et « bon à rien » qui suivent en général. Ces attaques favorites, dont il pense chaque mot...
Au début, ça m'atteignait, ça me démoralisait, d'autant plus que je n'avais ni frère ni sœur pour endosser une partie de sa colère et de sa déception constante.
Aujourd'hui, j'ai amadoué les sentiments que cela provoquait en moi et je vis avec. Je vis même bien avec. J'ai adopté une autre mentalité ; si d'ores et déjà je ne peux être à la hauteur de ce qu'il attend de moi, autant ne pas faire d'efforts. Je passe ainsi mon temps au bureau à conquérir toutes les femmes que je croise, avant que mon père ne le fasse à ma place. Que je lui vole la priorité le rend furieux et je le sais, mais ce ne sera jamais assez par rapport à ce qu'il nous a fait subir, à ma mère et moi.
— Papa, j'ai vingt-neuf ans, j'ai passé l'âge de me faire engueuler comme un gamin.
— Ôte tes pieds de là, tonne-t-il. Tu n'as toujours été qu'un gosse irrespectueux.
Je me renfrogne, replie mes genoux et m'assois correctement dans son siège en cuir. Face à lui, je ne suis rien d'autre qu'un morveux ; il provoque chez moi les réactions d'un gosse capricieux.
— Et les constats Adam/Lambert ?
— Tu m'as déjà posé la question et je t'ai dit que je ne les ai pas.
Je fais mon maximum pour rester calme, tandis que mon père vire au rouge.
— Le dossier devrait être bouclé depuis une semaine !
— Comment veux-tu qu'on finalise un dossier sans avoir reçu les différentes parties ?
— Ça c'est ton boulot, Donovann. Je ne te paie pas à rester assis. Alors tu me résous ça avant ce soir.
Agacé, je sors précipitamment du cocon de notre patron à tous, à Lazarus&Co, une agence d'assurance sur-côtée.
— Salut Donovann, tu vas bien ?
Je bougonne une réponse à peine audible.
Elle me gonfle, cette pouf de Malika, à l'accueil. Sous prétexte qu'on a baisé une fois ensemble elle s'imagine que je m'intéresse à elle, alors que la seule raison pour laquelle je me la suis faite dans le local de rangement, c'est parce qu'elle portait ce jour-là une robe bien aguicheuse. Et pour me détendre après une énième dispute avec mon géniteur, altercations qui ont le don de me mettre hors de moi.
Dans tous les cas, sans sa robe moulante et courte à souhait, elle m'est insignifiante.
En regardant son sourire niais et ses yeux de biche qui clignotent dès que je m'approche d'elle, je regrette presque ces quelques minutes de sexe sauvage entre les classeurs. Qu'est-ce qu'elle peut être insistante et collante. Ça dure depuis trois mois déjà.
Je traverse le hall et monte un étage pour me réfugier dans mon bureau, tout au fond. J'y suis tranquille et je suis installé en face d'une véritable bombe, blonde et coquine à souhait, Angie, mon plan « cul » depuis quelques semaines. J'ai mis du temps à l'avoir, celle-là. Farouche, mais elle en valait la peine. Je me rince l'œil à volonté et n'ai qu'à lever le petit doigt pour qu'elle vienne m'aider à... décompresser.
Je constate avec tristesse qu'elle n'est pas là aujourd'hui et je me morfonds d'avance à l'idée de la journée ennuyante qui m'attend en ce lundi matin. Il va falloir que je m'occupe autrement. L'idée me traverse alors de travailler.
Je m'affale dans ma chaise, allume mon ordinateur et commence par fouiller la paperasse. Ces foutus constats sont certainement quelque part. Je cherche partout, inspecte chaque tiroir, rien n'y fait. Je n'ai pas les deux papiers qui manquent à la suite du protocole.
— Monsieur... Donovann ? C'est bien vous ?
Je lève les yeux de mon écran. Tiens donc, une nouvelle tête. Pas mal, la bête. Elle se laisse regarder. Pas mon style, mais ok.
Je lui renvoie mon sourire le plus charmeur. Une fois qu'elle verra mes fossettes, elle sera déjà presque conquise.
— Oui, c'est moi, j'acquiesce.
Je détaille l'inconnue du regard. Sa poitrine avantageuse attire immédiatement mon œil et crée en moi un scénario inédit. Ronde, volumineuse sans être encombrante, elle semble à l'étroit dans le chemisier que porte la femme en face de moi. La femme... ou la fille, car elle me paraît bien jeune.
Ses cheveux très foncés, remontés en un chignon élégant, accentuent la pâleur de son visage, à moitié caché derrière des lunettes en papillon immondes.
Je jurais qu'elle a les yeux légèrement bridés. Une asiatique ? Elle n'est pourtant que très peu typée. Et plutôt grande pour une chinoise.
— Quelqu'un a déposé cela pour vous, explique-t-elle.
Elle me tend une enveloppe fermée. Je me lève pour l'attraper et mes yeux s'arrêtent sur ses jambes. Longues, fines, agréablement mises en valeur sous cette jupe crayon noire qui lui sied à merveille. Quelques modifications et cette fille serait un avion de chasse. Je paierais presque pour la voir nue. Mais je n'ai jamais besoin de payer, et elle ne fera pas exception.
Je me rassois, décachète le courrier, en extrais le contenu et ne peux retenir une exclamation de joie :
— Les constats !
Elle sursaute.
Fragile, sensible. Maintenant, c'est sur sa bouche bombée que je m'attarde. Elle ne porte aucun maquillage, sa bouche est naturellement pulpeuse, bombée et me donne envie d'y glisser ma langue.
Au cours de ma jeunesse, j'ai appris à apprécier la beauté de chaque femme. Je les aime rondes comme je les aime maigres, tout dépend de mon humeur.
Je m'arrange pour n'être attiré par la personne que sur quelques détails, je passe une bonne nuit puis me re-concentre sur les innombrables défauts qu'elle a. Parce que chaque femme en a énormément et qu'il est facile de se lasser d'une fleur fanée, d'une cigarette consumée.
— Excusez-moi, je vous ai fait peur. C'est que j'attendais ces papiers avec impatience. Vous savez comme ça peut être le stress, au boulot, certains jours.
— Je sais bien, en effet, acquiesce-t-elle timidement.
— Dites-moi... Je ne pense pas vous connaître.
Ses joues s'empourprent. Comme c'est mignon... Son teint d'albâtre n'est pas son allié pour dissimuler sa gêne. Est-elle coincée ? Ou simplement novice ? Ce ne sont pas les femmes les plus challengeantes. Je saurais m'en contenter.
— Comment vous appelez-vous ? la relancé-je.
— Assya, monsieur.
Monsieur... Mmh. Jolie, polie. Soumise. Un halo de perfection et de pudeur que je me vois déjà briser.
— Premier jour ? Je fais attention à connaître chacun de mes collègues, je trouve ça primordial dans une équipe.
Collègues féminines exclusivement, il va de soi.
— Oui, approuve-t-elle. D'où le courrier. Je suis mandatée pour les cafés également, si la soif devait vous terrasser.
Pour le coup, c'est la faim qui me tiraille...
— Eh bien... Bienvenue parmi nous. Et... bon à noter.
Je lui adresse un clin d'œil. Flirte-t-elle ? Ou n'est-elle qu'une maladroite et serviable assistante ? La seconde option est plus excitante, bien qu'elle s'inscrive dans un schéma souvent reproduit ici. Entre les naïves et les ambitieuses, ces bureaux sont du pain béni pour les hommes célibataires, ou à défaut discrets.
— Merci. Je... Je dois y retourner.
— Allez-y, consentis-je. N'hésitez pas à revenir me voir si vous avez une question, ou simplement envie de bavarder.
Elle approuve d'un léger signe de la tête et s'éloigne, me laissant tout le plaisir de contempler son petit fessier rebondi, fabuleusement moulé dans sa tenue.
Peut-être que ma journée ne sera pas si ennuyante, tout compte fait.
Du moins, c'est ce que j'aurais pu penser avant l'irruption du rabat-joie de service, qui croise la sensuelle Assya dans l'encadrement de la porte. S'en suit un moment d'hésitation aussi agréable que gênant à observer. Ils finissent par passer de profil, en s'excusant l'un l'autre.
— Joachim..., grogné-je. N'effraie pas notre stagiaire.
Le jeune hispanique me foudroie du regard.
— Elle n'est pas stagiaire, elle est désormais en charge de la relation client. Ton père lui a signé un CDI sans période d'essai.
— Encore mieux.
— Donovann, non. Pas elle.
Mes poils s'hérissent. Il veut jouer au protecteur, ce moins que rien ?
— T'es personne pour me dire ce que j'ai ou non à faire. Elle te plaît, c'est ça ?
Il secoua la tête négativement avec ce sourire désapprobateur que je lui hais tant. Il m'a en piètre estime et pense tout mieux savoir... Que mon père l'apprécie ne fait qu'accentuer mon mépris à son égard.
— Contrairement à toi, je peux vouloir le bien de nos collègues sans arrière-pensée.
Donc elle lui plaît. Intéressant.
— Sérieusement, Donovann. On travaille ensemble depuis deux ans et le cabinet te doit presque toutes les démissions. L'ambiance dans l'équipe est pourrie avec toutes tes conquêtes qui se crêpent le chignon au rez-de-chaussée.
— De la jalousie, Joachim ?
Il soupire.
— Bref, je ne suis pas là pour ça.
— Pour quoi, alors ?
— Ça ne change pas... Les flyers pour les quarante ans de Lazarus&Co. Ton père m'a dit de vérifier nos partenaires avec toi.
Me ralentir avec des futilités... Il veut juste que j'échoue, pour avoir davantage d'arguments en ma défaveur.
— Tout lui, lâché-je malgré moi. Pourquoi ne m'as-tu pas envoyé de mail ?
— Parce que tu n'y réponds jamais, assène-t-il bras croisés.
Qu'il ôte cet air dédaigneux, ou je ne répondrai plus de rien.
— Écoute, je suis sur un dossier là, au mieux, reviens plus tard.
— C'est la dernière étape, la com' attend le visuel pour midi dernier délai.
Il a aussi peu envie de travailler avec moi que l'inverse. J'écarte les bras.
— Mec, t'as pas besoin de moi. Gère ça seul, tu veux ?
— C'était mon intention, grommelle-t-il.
— Alors pourquoi nous faire perdre du temps à tous les deux ?
— Parce que j'essaie d'appliquer les ordres avant d'improviser.
Toujours réponse à tout, ce morveux.
Je lui indique la sortie d'un geste nonchalant de la main. Il s'y plie sans difficulté, plus par soulagement que par respect. Il va falloir que je lui rappelle qui est le patron, ici.
Les yeux balayant les feuilles sur mon bureau, je le hèle :
— Une dernière chose.
Le séduisant brun se tourne, attentif.
— Non, je ne couperai pas mes cheveux, si tu veux me faire une énième remarque à ce sujet. Car non, ça ne fait pas fuir les clients.
Qu'il garde sa coupe mi-longue, il n'a aucune chance de séduire Assya ainsi et ça me va. L'avoir en concurrent professionnellement me suffit. Ce serait bien la première fois qu'on le serait sur le plan personnel... Tiens donc. Du croustillant pour palier à la fadeur de la nouvelle responsable-relationnel ? Un moyen d'écraser ce prétentieux plutôt deux fois qu'une ? Ça en serait presque tentant.
— Je m'en tape de ta dégaine négligée. Par contre, je te préviens : ne te mets pas en travers de mon chemin.
Quand je veux quelque chose, je l'obtiens. Et ce n'est pas ce jeunot qui me ravira ma cible.
Nous nous affrontons dans le silence et, sans surprise, c'est lui qui cède en premier.
Bye bye, bambino.
Maintenant qu'il est parti, je me reconcentre sur mon impératif. Je boucle l'affaire en deux heures ; un simple carambolage, accident dans lequel le coupable est tout trouvé. J'établis un rapport, imprime le tout et vais, fier, retrouver mon boss. J'entre sans toquer, la porte valdingue contre le mur. J'avance jusqu'à lui et lui jette le fruit de mon travail. Un coup d'œil à la montre. Il n'est même pas midi, j'ai carburé et assuré.
— Tu l'as bâclé pour qu'il soit déjà fini ? suppose mon père, qui ne prend pas la peine de se lever.
— Regarde et tu me diras.
Il tourne les pages, hausse un sourcil. Ça lui coûte de l'admettre mais rien ne cloche dans mon dossier vite fait, bien fait. Il bougonne :
— Ce n'est pas le pire que tu m'aies rendu.
— On s'en contentera. Tu as quelque chose d'autre à me donner ?
— Dîne avec la PDG de Mutual Assurance et renégocie leur rachat. Ce soir. Sans nous faire tout perdre.
— Je m'en occupe.
Je quitte les lieux, ravi d'avoir remporté la joute. J'aperçois la nouvelle. Comment elle s'appelle, déjà ?
Assya.
Un joli prénom quand j'y repense. Pourtant quand il me vient en tête, à l'instant, ce n'est pas à son petit visage angélique que je pense mais à ses petites fesses démoniaques.
Je lui destine un signe de la main, auquel Malika répond à sa place. Elle est accro, comme tant d'autres... J'ai mis du temps à me perfectionner, pour toutes les faire tomber.
Et crois moi, Assya, tutomberas aussi. Je t'en fais la promesse.
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