Chapitre 9
PDV William
— Willy !
Je grogne quand le visage bien trop lumineux de mon cousin m'apparaît au bout du couloir.
— Bordel, combien de fois je t'ai dis d'arrêter avec tes surnoms à la con ?
— Ouh, j'en connais un qui est de mauvais poil.
— Non Natt, je suis simplement horripilé de te voir.
Il place une main sur son cœur, un air dramatique sur le visage, et chouine, tel l'enfant qu'il se plaît à rester. Parfois, je me dis qu'il aurait dû postuler en section théâtre. Et puis je me souviens que ce n'est pas jouer sur une scène, qui l'intéresse, mais avec mes nerfs. Je suis à peu près certain de retrouver sa photo dans le dictionnaire, à côté d'« emmerdeur ». Et la mienne près de « ronchon », probablement.
Ce qui est le plus incroyable, avec lui, c'est sa capacité à changer d'humeur en quelques secondes. Là, il nous la fait mélodramatique, et une seconde plus tard, il reprend la conversation comme si de rien n'était. Branché sur une pile électrique, il est difficile à suivre. Et je n'ai pas assez de Doliprane sur moi pour supporter une trop grande conversation avec lui.
— Tu rentres à la maison ?
— C'est le but. Va en cours.
— J'ai une pause d'une dizaine de minutes. Ce cours est d'un ennui !
— Je t'avais dis de ne pas prendre grec. Tu es nul en langue.
Et en plus de cela, ça le fait finir à 20h, et donc râler. Et qui doit le supporter ? Ça fait 6 ans que c'est la même chose, et c'est parti pour une année de plus.
Il fait mine de ne pas m'avoir entendu.
— C'est quand même injuste que tu n'ai que si peu de cours aujourd'hui. Sérieusement, vous n'en foutez pas une. Je voudrais bien commencer à 10 heures et finir à 18h moi aussi, en ayant deux heures de pause après le déjeuner.
— C'est exactement ce qui va t'arriver lundi, puisque tu as la même professeure de sciences absente. Tu finira à 15 heures d'ailleurs.
— Oui, mais le vendredi, c'est mieux. En plus tu n'as pas été en cours hier, ça fait comme un super week-end.
C'est surtout que j'avais des choses à régler après mon retour mais je ne cherche pas à le contredire, n'ayant que peu d'intérêt pour ce débat. Ça m'emmerde plutôt d'avoir du rester là presque 4 heures en comptant le déjeuner, simplement car Monsieur Perret en a profité pour me faire assurer le cours des premières années à sa place. J'aurai pu rentrer, et peindre, plutôt que de constater que cette année, ils n'ont recruté que des feignasses. Visiblement, ces messieurs dames avaient besoin de se reposer, après avoir mangé. Dommage pour eux, je ne suis pas aussi sympathique que leur professeur habituel.
Je continue d'avancer, et d'espérer qu'il va cesser de me suivre avant que je ne sortes du bâtiment et n'arrive à la voiture. Cette pipelette serait capable de ne pas s'en rendre compte et de monter dans le véhicule. Malheureusement pour moi, il ne s'arrête à aucun croisement de couloirs, alors je fini par le faire à sa place.
— On peut savoir ce que tu fais là plutôt que dans ta section ?
— Je ne peux pas venir te voir ?
— On vit ensemble. Je doute que ce soit nécessaire de passer tes pauses à m'attendre en plus de ça. Tu as du boulot, à mon avis.
Sa moue m'indique qu'il rechigne à se mettre au travail, rien qui ne m'étonne guère.
— Je ne suis pas venu pour toi, de toute façon.
Je n'ai pas le temps, ni l'envie de toute façon, de demander pour qui, que déjà, un sourire éclate sur ses lèvres, et qu'il se précipite quelques mètres plus loin.
— Kanakooooo !
Je manque de m'étouffer, mais fais mine de rien, avant de me retourner pour l'observer. Bordel, qu'est-ce que cet énergumène peut bien avoir dans la tête ? Je m'attends toujours au pire, avec lui. Et je suis à peu près certain qu'il ne la connaît pas, et qu'il n'a aucun intérêt à se déplacer jusqu'ici pour lui parler.
A trois ou quatre mètres de la scène, j'observe la jeune femme sursauter et le regarder tel un extraterrestre qui s'approche d'elle. C'est à peu près ce qu'il est, de toute façon. Un être dont le comportement laisse souvent perplexe.
Elle fronce les sourcils, comme en train de douter du fait qu'il s'adresse bien à elle, mais ça ne fait aucun doute quand il se plante devant sa personne.
— Salut !
Elle hoche la tête pour lui répondre, intriguée devant ce fou furieux qui débarque de nul part. C'est en tout cas ce que je déduis de l'observation de la scène.
— Je suis Natt, le cousin de William !
Elle me jette un coup d'œil en biais, avant de reporter son attention sur le plus excité de nous deux. Facile de déterminer de qui je parle.
— Je le savais que tu étais belle ! Avec un prénom aussi joli, tu ne pouvais que être jolie aussi.
Je m'appuie contre le mur, les bras croisés, légèrement exaspéré. Combien de fois m'a-t-il posé cette question depuis 36h ? Je ne saurai le dire, tant il m'a cassé les pieds. Au moins, il me foutra la paix sur ce sujet maintenant. Quoi qu'il serait capable de me demander ce que j'en pense.
Je ne sais pas pourquoi je reste là, mais j'ai comme la sensation qu'il va finir par dire une connerie.
Elle ne semble pas savoir quoi lui répondre, ni où se mettre. Gênant, c'est un autre qualificatif que l'on peut appliquer à Natt. Elle sort son téléphone, je suppose pour lui taper un remerciement, mais c'est mal le connaître – il faut dire qu'elle ne le connaît pas –. Quand il a quelque chose à dire, il ne s'arrête pas pour obtenir une réponse. Il parle, et parle encore.
— Mais ce n'est pas pour ça que je viens te voir.
Et alors que mon cousin se met à débiter à une vitesse folle ce pourquoi il l'interpelle, répétant en boucle les mêmes termes que mes oreilles en saigneraient presque, je reste complètement bloqué pendant quelques secondes. Le niveau grammatical de mon cousin passe au second plan quand j'analyse ce que j'entends.
— Je voulais absolument de parler. En fait, mercredi après le moment où William t'a crié dessus, on en a discuté, avec Charlotte. Charlotte c'est ma petite amie. Donc je disais, on en a discuté, et, je ne sais pas trop pourquoi, pour te désigner, j'ai dit « la muette ». Charlotte m'a dit que c'était vraiment irrespectueux et même William était d'accord. Pourtant, il est plus méchant que moi. Moi, je ne suis pas méchant. Alors je lui ai dit de te présenter mes excuses, mais il m'a répliqué de le faire moi-même. Alors voilà, je voulais te dire, je suis désolé. Je n'aurai pas dû dire ça, ce n'était vraiment pas gentil. Et...
Avant qu'il en rajoute, ou qu'il ne s'étouffe à force de parler sans respirer, je m'avance vers lui et l'attrape par le col. Mon regard croise à peine celui de la jeune femme que je suis déjà rendu dans un autre couloir, avec mon imbécile de cousin devant moi. Je le lâche, et il me regarde, hébété.
— Mais j'avais pas fini !
— Tu n'aurai même pas dû commencer, imbécile.
— C'est toi qui m'a dit de m'excuser moi-même.
— C'était une façon de parler bordel ! Mais tu réfléchis, des fois ?
Le pire, dans tout ça, c'est qu'il ne semble même pas saisir le problème. Du Natt tout craché. Le jour où il réfléchira avant de parler, celui-là...
— Ce que j'ai dit était blessant, c'est normal de m'excuser.
— Sauf qu'elle ne l'avait pas entendu, donc elle n'était pas blessée. Et là, tu viens de lui dire. C'est là, que tu l'as peut-être blessée.
— C'était pour lui expliquer pourquoi j'étais désolé.
— C'était surtout fortement risqué.
— C'est un sans-cœur comme toi qui te soucie du fait qu'il puisse être blessée ?
— Si un sans-cœur comme moi s'en soucie, tu devrais peut-être te poser des questions.
Il ne répond pas, et je sais qu'il prend conscience de sa connerie. Il est idiot, mais parfois, ça lui passe. Au moins durant quelques minutes.
— William.
Je me retourne et aperçois Monsieur Perret, un peu plus loin. Sa tête dépasse de la porte de son bureau, et il me demande de venir le voir un instant. J'acquiesce, et me retourne vers Natt avant de le rejoindre.
— Et ne vas pas t'excuser de t'être excusé. T'en a assez fait.
Je le laisse au milieu du couloir et rejoins mon professeur, en me remémorant la scène. Sérieusement. Il l'a fait. Il faut croire que j'ai fondé trop d'espoir sur le nombre de neurones fonctionnels qu'il possède.
Monsieur Perret m'attend en triant quelques papiers, qu'il pose quand j'entre.
— J'ai croisé votre professeur de philosophie avant votre cours, qui m'a annoncé sa méthode d'évaluation. Et elle tombe très bien.
Je ne cherche pas à le questionner. Il n'est pas du genre à faire durer le suspens, et j'ai mes réponses assez vite.
— J'ai décidé de vous évaluer différemment des autres, William.
Je m'appuie contre une table, pour l'écouter plus confortablement.
— N'est-ce pas contraire à l'équité ?
En réalité, je n'en ai pas grand-chose à faire. Je suis conscient des avantages que j'ai au quotidien, et c'est ce qu'il me répond.
— Il faudrait pour cela que vous ne soyez pas autorisé à prendre des vacances quand cela vous chante.
Je ne retiens pas un petit sourire de percer, et lui non plus.
— Soyons honnête, William. Vous êtes le plus doué des étudiants de cette école, et personne ne peut le remettre en cause. En réalité, vous êtes déjà un artiste à part entière, et votre diplôme n'en sera qu'une confirmation, rien de plus. Les cours ne sont qu'une formalité pour vous. Vous n'apprenez rien, et c'est bien pour cela que vous êtes mon assistant. Je n'ai rien à vous apprendre car au contraire de vos camarades, vous vous êtes déjà trouvé.
— Je suppose que je dois vous remercier.
— Attendez que j'ai fini pour ça, vous pourriez le regretter.
Et malgré son sourire et la bonne humeur qu'il dégage, je sens qu'il n'a pas tout à fait tort.
— Je n'ai aucun intérêt à vous évaluer sur votre capacité à produire une peinture réaliste, un autoportrait plein de sens ou une œuvre abstraite. Vous en êtes plus que capable. Or, je pense que cela vous fera du bien, une fois dans votre scolarité, d'avoir du challenge. J'ai donc décidé que vos notes ne reposeraient pas sur votre peinture. Mais sur celle de quelqu'un d'autre.
Je commence à saisir où il veut en venir, et j'en râle déjà.
— Votre note dépendra de votre capacité à enseigner à Mademoiselle Kanako toutes les bases dont elle a besoin pour réussir dans mon cours.
— Vous êtes en train de me demander de lui apprendre six années d'enseignements artistiques en huit mois ?
— Effectivement.
— C'est impossible.
— Je ne vous demande pas d'en faire la prochaine peintre de la décennie. Je veux simplement qu'elle soit capable de développer son plein potentiel.
Je me pince l'arrête du nez. Comment dire poliment à ce vieux bougre qu'il est complètement fou ? Je sais que c'est un trait de caractère qu'on associe un peu trop facilement aux peintres, mais il faudrait veiller à ne pas en exagérer.
— Il y a à peine deux jours, je lui disais qu'elle n'avait rien à faire ici. Et je le pense encore.
— Il y a à peine deux jours, je vous disais qu'elle avait toutes les capacités en elle nécessaires. Et je le pense encore.
— Vous vous rendez compte du travail que cela a demandé aux étudiants de dernière année pour arriver jusqu'ici ? Comment pouvez-vous espérer qu'elle atteigne ce niveau si vite ? Même si elle était un génie caché, ça ne serait pas suffisant.
— Elle apprendra du meilleur.
— La flatterie ne me fera pas accepter.
— J'aurai essayé. Mais vous n'avez pas besoin d'accepter. Vous n'avez pas le choix.
J'ai l'habitude des idées loufoques de ce professeur. Et des autres, en général d'ailleurs. Mais là, il surpasse tout ce à quoi j'aurai pu penser.
— Vous êtes en train de me dire que vous m'empêcheriez d'avoir mon diplôme si j'échouais ?
— C'est tout à fait cela.
— C'est légal ?
— Allez-vous chercher à le vérifier ?
Pourquoi pas. Mais je suis à peu près certain qu'il trouverait une autre façon de m'emmerder.
— Je ne suis pas totalement fou non plus. Ainsi, je vous donne une idée : à la fin de l'année, je veux que Madame Kanako soit capable de réaliser une œuvre qui la représente.
— Vous savez que c'est très vague comme concept.
Et son sourire amusé me répond, signe qu'il en est tout à fait conscient. Le commun des mortels penserait qu'il faut réaliser un auto-portrait. En réalité, c'est plus complexe. Il n'y a pas besoin de réaliser un portrait aussi réaliste qu'une photo pour se représenter. On peut le faire grâce à une peinture au contraire tout à fait abstraite. En somme, il me demande de lui faire tout essayer, pour qu'elle trouve la façon dont elle pourra se voir avec un pinceau. Donc si, il est totalement fou. Il veut réellement que je la fasse passer par tous les styles, tous les mouvements, tous les concepts. J'ai presque envie de m'en arracher les cheveux.
— La voilà justement !
Elle entre dans la pièce et me jette un regard, avant de tendre son téléphone au professeur. Je suppose qu'elle lui explique un potentiel retard quand il lui réplique qu'il n'y a pas de mal, et que cela tombe bien car il a pu me parler avant.
Elle dérive rapidement ses yeux sur moi, perdue, mais ne reste pas bien longtemps fixée sur ma personne.
Tandis que Monsieur Perret lui réexplique ce qu'il vient de m'annoncer, elle paraît mal à l'aise. Parce qu'elle se rend compte que mon avenir se joue sur ses capacités ? J'espère bien qu'elle s'en rend compte, effectivement.
— Et puisque vous êtes ensemble également en philosophie, c'est une pierre deux coups ! Vous pourrez tout travailler d'un coup et apprendre à vous connaître.
Il est sûrement le seul à trouver du positif dans ce qu'il nous annonce, et cela ne semble pas le perturber le moins du monde.
— Bien, sur ce. Derrière vous William, vous trouverez les clés de l'atelier numéro 3. Il vous est réservé pour toute cette année. Bon travail !
Est-ce qu'il est en train de s'enfuir ? J'en ai bien l'impression. Kanako le regarde partir sans bouger, comme éberluée par tout ce qu'on lui annonce en si peu de temps.
Entre l'intervention de Natt et l'annonce du prof, ça fait beaucoup je suppose. On peut peut-être rajouter l'exposé de philosophie, à tout ça.
Je grogne, et attrape les clés, avant de me diriger, peut-être un peu vite, dans le couloir. Je lui lance un rapide « on commence maintenant », et n'attends pas de voir si elle me suit.
On n'a pas le temps. On a six ans à rattraper.
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Alala Natt... je ne sais pas pourquoi, mais je sais que vous allez l'aimer x)
Décidemment, William et Kanako vont devoir passer du temps ensemble...
Qu'est-ce que cela va donner ? Du bon j'espère x)
A dimanche,
Kiss :*
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