Chapitre 6

PDV Kanako

— Tu l'as fait les yeux fermés ? C'est Monsieur Perret qui t'a demandé de le bâcler autant pour voir à quel point j'allais réagir ? Une mauvaise blague, peut-être ?

Je l'ai senti entrer sans forcément y faire plus que cela attention. Le silence a régné en maître, autant que l'angoisse a montée. Je n'ai pas eu besoin de tourner les yeux vers lui pour saisir qu'il s'agissait du fameux assistant, évoqué un peu plus tôt. Il a suffit que je ressente l'atmosphère de la pièce changer. Auparavant détendue, presque bon enfant, depuis que le professeur nous avait laissé, c'était comme si un nuage noir venait de s'abattre.

J'ai eu un instant de curiosité, c'est vrai. Mais bien vite, il s'est estompé, et je n'ai pas écouté un seul mot qu'il a pu prononcer à mes camarades. J'ai en revanche suffisamment compris de par les souffles presque retenus qu'il ne distribuait pas des compliments.

Qu'est-ce que cela aurait pu me faire, de toute façon ? Ce n'est pas comme si j'appartenais réellement à ce monde. Pas comme si j'étais au niveau de tout ceux qui m'entourent. Alors je n'ai pas jugé bon d'y faire attention. Concentrée sur mes traits de toute façon ratés, je l'ai à peine entendu arriver vers moi. J'ai été suffisamment surprise pour sursauter, avant de croiser son regard.

Si le ton de sa voix n'avait pas été si dur, peut-être me serais-je arrêtée un instant sur son visage. Des traits carrés, des cheveux noirs comme l'ébène, et des yeux d'un bleu si pâle qu'ils ne paraissent pas réels. Mais ce qui m'a frappé, c'est la lueur, dans son regard. Une lueur que je ne parviens pas à comprendre. Je ne saurais dire ce qu'elle renferme, et alors qu'il me crie dessus, je m'en fous bien, en réalité.

Dans un mauvais jeu mot, je dirais que je suis sans voix. Ses critiques fusent, assassines, ses piques, ses remarques. Devrais-je être touchée ? Sûrement pas. Je n'ai jamais prétendue avoir ma place ici. On me l'a donnée, voilà tout. Et pourtant, sa voix résonne au fond de moi. Et elle me blesse. Ce n'est pas tant les mots. C'est plutôt la froideur et la colère qu'elle contient. Elle est pleine de reproches. Elle me hait presque d'oser être ici avec si peu de talent. Sans talent, pour tout dire.

Je ne sais pas comment réagir. Je suis juste figée là, à le laisser s'agacer, et j'ai l'impression que cela l'énerve de plus en plus. Mais comment réagir ? Je ne peux pas le couper pour lui expliquer que oui, il a raison, je n'ai rien à faire ici. Que je ne sais pas dessiner comme eux, et spoiler alert, pas peindre non plus. Que je ne suis ici que parce que je me retrouve incapable de chanter.

— Tu comptes réagir, ou juste rester plantée là ? Parle bon sang ! Défends-toi, explique-toi, j'en sais rien mais réagis !

Je voudrais parvenir à lui griffonner que je suis muette et que je ne peux rien lui répondre, mais je m'en trouve tout simplement incapable. Sonnée par cette colère sourde qui se trouve dirigée contre ma personne alors qu'il ne me connaît pas.

— Tu n'as rien à faire ici.

Une dernière phrase, avant que la sonnerie ne retentisse, annonçant la fin de ce cours. Et la fin de ma remontrance. Il pince les lèvres, et, dans un geste rapide, le premier que j'arrive à exécuter depuis qu'il est en face de moi, j'attrape mon sac et quitte la pièce. Je marche sans vraiment savoir où aller, pour m'éloigner le plus possible de cette salle. De cet homme.

Un banc au détour d'un couloir m'appelle et je m'affale presque sur lui, toujours sonnée. Ses mots me reviennent en mémoire. Il n'a rien dit de faux. Je le comprends, en un sens. Je le ressens, cet amour pour son art, au point d'en haïr ceux qui le dénaturent. Peut-être aussi une pointe d'amertume, que je sois là, à la place d'une personne au dehors qui l'aurait mérité plus que moi. Je suis simplement chamboulée. Je n'étais pas franchement préparée à une telle tirade, avec une telle virulence. Et c'est la première fois depuis toujours que je n'ai pas l'occasion de me défendre. D'élever la voix pour répondre. Muette. Tant par les mots que par l'attitude. Rien de ce que je ne suis. De ce que je n'étais.

Je n'ai jamais été une forte tête. Mais je n'étais pas suffisamment timide pour ne pas me défendre.

Une barre chocolatée entre dans mon champ de vision, amenant mon regard à se poser vers celui qui me la tend. La première chose qui me frappe, c'est un sourire éblouissant, presque trop grand.

— Rien de tel que le chocolat après une rencontre avec le grand William.

Je ne bouge pas pour la saisir, et je crois même que je cligne plusieurs fois des yeux, un peu comme dans ces séries, où le personnage montre de façon très exagérée son trouble. Pourtant, cela ne provoque pas chez lui la réaction que j'aurais pu imaginer, et il me dépose simplement la barre dans les mains, avant de se lancer dans une présentation de sa personne.

— Moi, c'est Lewis. Et lui, Arwen. Mais, on aime bien Timon, et Pumba aussi.

Je passe mon regard sur les deux jeunes hommes devant moi, et de façon incontrôlée, je ris. Ils sursautent, autant que moi, devant le son qui s'échappe de ma bouche, mais ne posent pas de question. Sans vraiment y réfléchir, je sors mon téléphone et tape rapidement la raison de ce soudain éclat de voix. Ma condition n'a rien à voir avec mes cordes vocales. Et quand je leurs tends l'écran, j'observe leurs yeux passer sur les quelques lignes, avant qu'un sourire ne reprennent place sur leurs visages. Comme heureux que je leurs parle de moi.

Le plus petit, frêle, voir maigrichon, s'assoit à côté de moi, dans une joie presque contagieuse, quand son ami, plus grand et rondouillet, reste en face de nous, un sourire collé sur le visage. La comparaison avec les deux personnages de ce dessin animé culte est facile à faire, et je me laisse aller à rire encore, sans voix cette fois.

— On est dans la même classe, mais c'est la première fois qu'on vient te voir. On ne savait pas trop si tu avais envie qu'on vienne, alors on n'a rien fait.

Arwen, ou Pumba, acquiesce d'un signe de tête, sans se départir de son sourire.

— Mais on est là ! Les deux fidèles compagnons à la rescousse. Tu veux être notre Simba ? Quoi qu'on devrait modifier l'histoire. Notre Nala ?

Je me mords les lèvres, retenant mon nouveau rire, mais je sais que ce que je ressens s'affiche sur mes traits. Depuis combien de temps n'ai-je pas ressenti cette pointe de joie, juste au fond du cœur ? Le bien-être salvateur amené par le rire ? Deux minutes avec ces énergumènes, et me voilà à retrouver cette sensation, qui, je le comprends maintenant, m'avait affreusement fait défaut ces derniers mois.

— Si tu te demandes pourquoi Timon et Pumba, la réponse est évidemment, parce que ce sont les meilleurs de tous les temps. Sans eux, aucun intérêt à regarder ce film, n'est-ce pas ?

Il ne me laisse pas le temps de lui taper une réponse, et je saisis bien rapidement que le caractère est plutôt similaire également.

— Mais nous ne sommes pas ici pour disserter sur l'importance du phacochère et du suricate les plus cool de l'histoire, mais bien pour parler du sujet le plus préoccupant de cette journée : William. Et toi. Parce que même si il est un sujet à lui tout seul, c'est le rapport avec ce qu'il vient de se passer, qui importe. Tu vois ce que je veux dire ?

— Lewis, tu devrais la laisser te répondre.

— Une intervention fort judicieuse, mon très cher ami. Alors Nala, qu'as-tu à dire sur tout cela ?

Je ne sais pas si je dois garder mon sérieux, ou non. Leurs interactions sont comme une bulle de gaz hilarant, et pour la première fois depuis que j'ai intégré cette section, je me sens bien. Voir même depuis que je me suis réveillée dans cette chambre d'hôpital.

Et bien, je n'ai pas vraiment saisi ce qu'il se passait... j'étais comme bloquée.

— Il fait souvent cet effet là oui.

Il avait l'air en colère.

— Il est rarement autre chose. Indifférent, parfois, mais guère mieux.

Qui est-il ?

Son sourire s'agrandit, ce que je ne pensais pas possible, et il se frotte les doigts. Je crois que je viens de trouver la commère de la section peinture. Même si, au fond, c'est lui qui m'a trouvé.

— Un prince. Un prince démoniaque.

— Mais pas un vrai prince.

Je jette un coup d'œil à Arwen que Lewis remercie pour le complément d'information, avant de reporter mon attention sur le plus bavard des deux.

— Mais il a tellement d'argent et de pouvoir que c'est tout comme. Ici, c'est un peu un intouchable. On l'admire de loin, mais on le craint.

Comment peut-on craindre et admirer quelqu'un en même temps ?

— On l'admire pour son visage, évidemment. Et pour son art. C'est un véritable génie. Le prodige. Mais on le craint exactement pour cette raison. Il est intransigeant. Il ne supporte pas la médiocrité.

Je crois que ce dernier point, je l'avais saisi. A mes dépens.

— Personne n'ose l'approcher, tout le monde craint lorsqu'il s'approche, car c'est un tyran. Mais un tyran incroyablement séduisant. Même moi je suis obligé de le reconnaître. Je pourrais bien virer de bord pour ses beaux yeux.

Je secoue la tête en souriant. En quelques minutes, ils parviennent à me faire oublier mon trouble, et à m'offrir un instant de détente que j'attendais depuis longtemps.

— Il a passé les 8 derniers mois à faire le tour du monde pour exposer son travail. Autant te dire que son retour était autant attendu que redouté. Le revoilà. Et tu as eu le privilège qu'il t'accorde plus de 2 phrases.

Je m'en serais passée.

— Il ne doit pas savoir qui tu es, d'où ses remarques. Quoi que, il aurait très bien pu être au courant et t'en mettre plein la tête quand même. Un tyran je te dis.

La remarque « Parle bon sang ! » me laisse effectivement penser qu'il n'en savait rien. Un tyran, je veux bien, mais un connard à ce point ?

— En tout cas, tu vas devenir, et c'est déjà le cas, la source de tous les ragots jusqu'à ce qu'il fasse autre chose de notable pour qu'on oublie ce moment.

Je m'en serais bien passée également.

Ses yeux deviennent rieurs, si ils ne l'étaient pas déjà.

— Bienvenue à la NSA des beaux-arts. Ici, on aime autant les potins que Gossip Girl.

Je me retiens de lui dire que j'avais plutôt bien compris ceci, depuis qu'il s'est approché de moi. Je ne sais pas trop comment il réagirait, mais vu son auto-dérision avec le surnom qu'il se donne, je doute qu'il ne le prenne si mal. Autant éviter de briser de suite le seul semblant de relation que je me créé ici. Que je n'avais pas prévu de créer, d'ailleurs. Mais, sans que je ne saisisse pourquoi, je me dis que ça ne serait pas si mal, de « discuter » avec eux, de temps en temps.

— Et si on allait manger ?

— Ça mon petit Pumba, c'est la meilleure chose que tu aies dites depuis le début de la matinée. C'est fou comme ça me donne la dalle de parler.

Il doit avoir très souvent faim, dans ce cas.

— Tu viens avec nous, Nala ?

Visiblement, il ne semble pas décidé à m'appeler par mon prénom, et bien que cela m'échappe, ça ne me dérange pas plus que cela. Pourtant, je me retrouve à secouer la tête, et devant sa mine déçue, je lui tape rapidement les raisons de mon refus.

Je voudrais aller retrouver une amie de la section chant, pour manger avec elle.

— Oh, on se voit cet après-midi alors !

Et déjà, ils s'éloignent, visiblement incapables de résister à l'appel de la faim. Je le ressens également, alors je me dirige bien vite vers le bâtiment aux allures classiques. Je m'arrête un instant sur le seuil, incapable de faire un pas de plus. C'est comme si devant ces portes, je me sentais étrangère à l'univers qui commence à cette embrasure. L'espace d'une minute, mon souffle se coupe, et mes yeux me piquent sévèrement. La bille me monte à la gorge, et je sais que je suis sur le point de laisser mes émotions déborder. Je ne le veux pas. Je veux garder la tête haute, malgré les souvenirs douloureux. La nuit accueille déjà mes larmes, le jour ne sera pas leur témoin.

Je lâche un souffle qui me donne le courage nécessaire pour franchir ce pas, et je me concentre pour ne pas passer mes yeux sur le décor des lieux. Chaque recoin regorge de souvenirs que je ne veux pas voir remonter à la surface maintenant. Je ne cherche qu'un visage, et je suis soulagée de l'apercevoir assez vite, qui sort d'une salle de classe. Un sourire illumine mes traits, devant cette personne que je n'ai pas vu depuis trop longtemps. Je me rapproche d'elle, pour me placer sur son chemin, ne pouvant l'appeler comme je le voudrais. Elle s'arrête net et cesse de rire avec la jeune femme à côté d'elle, que je ne connais que de vue.

— Oh, Kana. Je suis... surprise de te voir.

En effet, elle a l'air surprise, et ce n'est pas l'expression que j'attendais, mais je m'en contente. J'aurais dû la recontacter bien avant.

Tess, ça fait longtemps. Ça te dirait qu'on mange ensemble ?

Elle glisse un coup d'œil vers son acolyte, et je ne parviens pas à décrire ce que j'y trouve.

— Et bien, j'ai déjà mangé. Désolée, une autre fois !

Aussi vite qu'elle balance cette phrase, elle s'éclipse au travers de la foule, mais pas assez vite pour que je ne remarque pas le sandwich qui dépasse de son sac. Une drôle de sensation me serre le cœur, et je ne peux empêcher mon esprit de me fustiger. Après des mois de silence, sans mauvais jeu de mots, de ma part, que pouvais-je bien espérer ? Quand bien même mon excuse est des plus compréhensibles. Je reste quelques minutes plantée là, à regarder ce bout de couloir où elle a disparue, avant de me sentir oppressée par le poids de certains regards et chuchotements. Je ne veux pas entendre ce qu'il se dit. Parce que je sens leur pitié face à ma situation. Et je n'en ai pas besoin.

Alors je quitte cet endroit, plus vite que je n'y suis entrée. Chaque pas qui m'éloigne de ce bâtiment me tiraille. Comme si mon corps reconnaissait ce lieu et me hurlait de ne pas le quitter. Pourtant, je n'y ai plus ma place.

Je ne serai plus jamais une chanteuse. Et je ne serai jamais une peintre.

Sans trop savoir pourquoi, je me retrouve devant la cafétéria ouest, plus petite que la principale, où Lewis et Arwen m'ont indiqué manger. Je découvre un lieu où je n'ai jamais mis les pieds, et je me sens un peu perdue. Pourtant, je croise leurs regards, et j'aperçois leurs sourires. Ils tirent la chaise à côté d'eux, et sans saisir ce qui me traverse, je me sens rassurée. Et tandis que je m'assois à leurs côtés, et qu'à aucun moment ils ne cherchent à savoir pourquoi je me retrouve ici, m'intégrant dans une de leurs conversations, je me dis que si je ne peux ni être chanteuse, ni être peintre... je peux au moins être leur amie. Et je crois que pour l'instant, ça me suffit.  

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Après Talia, Sam, Carter, et Arthur, il fallait des personnages secondaires tout aussi attachant pour prendre la relève... Alors j'espère que vous aimerez Lewis et Arwen, sans oublier Natt et Charlotte !

A bientôt pour la suite ! (Normalement dimanche, mais j'ai tellement de boulot pour ces dernières semaines de fac que je préfère ne rien promettre).

Kiss :*

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