Chapitre 52

Je suis de retour :)

PDV William

Son regard plein de tristesse ne me quitte pas. Les perles d'eau au coin de ses yeux non plus. Pourtant, ce jour-là, je n'ai pas eu l'impression de voir tous ces signes d'une profonde douleur, chez elle. Je ne voyais rien, rien d'autre que ma colère sourde. Elle m'a terrassée. Elle me terrasse encore.

Mais bien moins que son absence. Bien moins que la culpabilité de lui avoir fait du mal. Je m'étais promis que jamais je ne serai la raison de ses larmes.

« Will ». Sa voix brisée, ce brin de voix qu'elle parvient parfois à utiliser me vrille le cœur. Il repasse en boucle dans mes oreilles, alors que son image s'affiche sous mes paupières. Elle m'est apparue à l'instant où j'ai passé cette porte, puis elle ne m'a plus quittée. Peut-être ai-je eu tort. Je n'en sais rien. Je ne veux pas savoir. Chaque fois que je tente de penser à cette soirée, à ces quelques minutes où tout a basculé, ma colère rafle toute tentative de raison. Je ne veux pas raisonner, je veux laisser les ténèbres m'envahir. Ils ont déjà gagné. Marcus a gagné, mon père aussi. Ils auront réussi à prendre tout ce qui compte.

Je veux sombrer. Je me laisse sombrer.

Mes pinceaux et mes toiles ne parviennent pas à me faire penser à autre chose. La page blanche que j'ai pu ressentir n'est rien face à ce qui m'assaille en ce moment. Une putain de haine, envers la vie, et envers moi-même. Je regarde l'étendue de couleur en face de moi. J'ai essayé. J'ai voulu me réfugier dans mon monde pour éviter de penser à elle. A elle, à ce moment, à sa douleur, à ma colère, à notre destruction. Mais rien. Sous mes yeux, il n'y a que son visage. Que ses larmes. Que ma rage.

Son corps sur ce tabouret, mon demi-frère agenouillé devant elle, ses mains sur sa peau.

Son regard qui cherche le mien, ses doigts autour de mon poignet, qui tentent de me retenir.

Sa tristesse, sa voix brisée, mon prénom entre ses lèvres, avec sa peine comme accent.

Je serre contre ma paume mon pinceau, sentant le bois plier sous ma force.

Du vert ? Du violet ? Du bleu ? Quelle teinte devrais-je ajouter ? Je tente de me concentrer sur les couleurs qui manquent. Les forme à rajouter, les lignes à affirmer. Mais il y a ce tabouret, dans cette cuisine, et Marcus.

Peut-être une arabesque, dans ce coin-ci ? Sa peau douce, sous ses doigts, sa robe relevée devant lui.

Ou bien quelques tracés plus lisses juste ici ? Leur passé, sur cette plage, leurs étreintes que je m'imagine avec bien trop de détails.

Ce qu'il faudrait... c'est du rouge. Leurs baisers.

Je vrille. Dans un cri de rage, j'envoie valser l'outil que j'ai dans la main, ne regardant pas où il atterrit, et l'instant d'après la lame d'un cutter glisse sur la toile, la réduisant en lambeau. Je détruis, comme si je me détruisais moi-même. Quand il n'en reste que des morceaux, je jette la lame avant d'attraper un verre et une bouteille de whisky. L'une des rares de cette pièce encore pleine. Je ne compte pas le nombre de cadavre en verre que j'ai autour de moi, et je n'en ai rien à foutre. Être bourré me permet d'oublier. Ou peut-être d'y penser encore plus, histoire de me punir. Je n'en sais rien. Je m'en fous.

— Ça devient pathétique.

Je ne réponds pas à Natt, que j'ai à peine entendu entrer. J'ai déjà suffisamment d'alcool dans le sang pour avoir l'esprit embrumé. Je l'ai rarement vu aussi sérieux. Bien plus que sur toutes ses autres tentatives de me faire entendre raison.

— C'est ton plan ? Devenir un putain d'alcoolique ? C'était déjà bien con quand tu enchaînais des verres à cause de ton père, mais là, n'en parlons pas.

— Ouai, n'en parlons pas. Casse-toi.

— C'est ridicule. Tu bois comme un trou. Tu t'enfermes ici avec comme seule occupation de détruire tes toiles. Tu ne vas plus en cours, et je n'ai plus vraiment d'excuses pour Monsieur Perret. Tout ça parce que tu as vu une scène que tu as interprété sans laisser s'expliquer les principaux intéressés.

— J'en sais suffisamment.

Suffisamment pour que la partie sombre de mes pensées parviennent à prendre le dessus. Ça fait longtemps, qu'elle tente de me submerger. Depuis que ma mère a sauté par cette putain de fenêtre, en réalité. La seule personne qui a pu un tant soit peu l'éloigner est finalement celle qui lui a donné le pouvoir de gagner. Même si je ne devrais pas la blâmer. Je lui ai offert ce pouvoir.

Je hais ce que j'ai vu dans cette cuisine.

Je me hais d'avoir eu une telle réaction. Mais je suis incapable de revenir en arrière, de réfléchir à m'excuser, d'écouter une autre version. Incapable me pardonner. Parce que c'est à moi, que j'en veux.

Je sais que je suis en train de dériver. J'ai des centaines d'appels manqués de Perret, et du directeur. Je sais qu'il a interrogé Charlotte et Natt. Je sais que je suis sur une pente raide qui m'emmène vers des profondeurs d'où je ne saurai remonter. Je sais que je l'entraîne elle avec moi. Comme un con.

— Tu ne sais rien. T'as vu une putain de scène hors contexte et comme un abruti, tu t'es fait des films. Pourquoi ? Parce que tu détestes ton frère ? Parce qu'il a été le premier mec avec lequel elle a couché ?

— Ferme ta gueule, vraiment, Natt.

Je ne lui demande pas comment il est au courant. Je suppose que Charlotte a jugé utile de le prévenir de cette information, quand cette merde a éclatée.

— Non, je ne me la ferme pas. Pas quand toi, tu es là à descendre l'équivalent d'un bar par jour, et que Kana est en train de souffrir chez elle, tout ça parce que tu fais n'importe quoi. Écoute-la, si tu n'es pas capable d'écouter Marcus ! Je sais les relations que tu as avec lui. Mais elle n'a pas à en souffrir. Et il serait tant que tu arrêtes d'en souffrir aussi. Tu es en train de te punir, parce que tu es incapable de te dire que tu as le droit d'être heureux. Au fond, t'attendais juste un prétexte pour détruire ta relation avec elle, parce que t'as l'impression que t'as pas le droit au bonheur.

— T'as fini ?

Je porte mon verre à mes lèvres, mais dans un geste brusque, il l'envoie se briser au sol.

— Clairement pas ! Arrête ton cinéma d'artiste mélancolique, destiné à être seul et torturé. Ça ne marche pas avec moi. Et tu peux m'insulter si tu veux, comme si tu pensais arriver à me faire fuir un jour. Mais ça n'arrivera pas, William. Je ne fuirais pas. Je ne te donnerais pas la satisfaction d'avoir la sensation d'être dans le vrai quand tu penses ne pas mériter les autres. Parce que c'est de cela dont il s'agit. Tu crèves de peur. Tu crèves de peur d'être entouré, d'être aimé, parce que tu penses qu'on va disparaître, comme ta mère.

Je lui jette un regard noir, mais sûrement moins puissant avec les quelques grammes que j'ai dans le sang. Son effet semble laisser à désirer, car il ne frémit pas un instant.

— Oh, tu peux me regarder comme ça si ça te fait plaisir. Mais j'ai raison. Tu as inconsciemment attendu le moindre un petit truc auquel te rattacher pour repousser Kana, parce que tu avais peur qu'elle ne quitte ta vie. Et comme t'étais incapable de t'éloigner d'elle, il te fallait un prétexte. Tu crois franchement que ça marche comme ça ? On n'oublie pas si facilement une personne qu'on aime. On ne s'éloigne pas si facilement. Et ce n'est pas ton ami William Peel qui parviendra à t'aider !

— Je pense que c'est suffisant pour aujourd'hui, mon cœur.

La voix calme de Charlotte, qui apparaît dans l'encadrement de la porte, tranche avec celle énervée de mon cousin. Elle le regarde avec douceur, avant de poser des yeux défaits mais un brin protecteurs sur moi. Je me doute qu'elle a tout entendu. Et qu'elle n'en pense pas moins.

— Je pense que tu as de quoi réfléchir pour la soirée, Will. Mais n'espère pas qu'on va te laisser tranquille.

Natt me lance un dernier regard, avant de quitter la pièce et de refermer la porte derrière lui, me laissant seul dans un silence pesant. A défaut d'avoir un verre, j'attrape la bouteille et porte directement le goulot à mes lèvres. Je sais qu'ils ont raison. Sur tous les points. Que toute cette situation est stupide, que je profite de tout cela pour fuir une situation où je me sens bien, comme si je ne le méritais pas. Oui, j'en suis conscient. Mais l'admettre, je n'y parviens pas. Me morfondre, me laisser couler, me détruire, c'est bien plus simple. Arrêter de se battre contre moi-même, c'est plus simple.

Mon téléphone vibre, et machinalement, je porte mon regard sur l'écran, certain qu'il s'agit encore de Monsieur Perret. Pourtant, je tique en voyant le nom de sa grand-mère sur l'écran. En six jours, je pensais me voir demander des explications de sa part bien avant.

Presque tremblant, perdant toute ma prestance de tyran – qui s'est fait la malle depuis bien longtemps, en réalité – j'appuie sur la notification pour ouvrir le message.

« Elle est enfermée dans sa chambre. Elle refuse de voir qui que ce soit. Elle ne mange presque plus rien. Vous êtes deux idiots. Vous qui saviez vous parler, ne devenez pas muet... »

Mon cœur se serre en l'imaginant, alors pourtant que je savais pertinemment ce que je créais chez elle. Si je m'enterre, je l'enterre avec moi... J'ai réveillé ses couleurs, et pourtant, je suis en train de les assombrir.

A cette pensée, j'avale une nouvelle gorgée. J'assume de me détruire parce que je suis faible, trop faible pour me battre, contrairement à ce que je laisse entre-apercevoir de moi. Mais est-ce que j'assume de la détruire ? Sûrement pas. Une gorgée. Elle a mal. Elle pleure. Elle ne mange pas. Gorgée. Je lui vole ses mots, son bien-être, son bonheur. Je bois.

Il va me falloir une nouvelle bouteille, alors que je réponds à cette femme, qui compte tant pour elle.

« Je sais ».

Parce que je n'ai pas d'autres mots. Pas d'excuse. Seulement de la honte. Seulement de la haine. Puis-je me pardonner ? Pour elle ?

J'ai mal. Et j'en deviens muet.  

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Nouveau chapitre, qui marque le début de la seconde partie du roman. Seconde partie qui commence mal x)

Désolée pour cette longue absence. Comme expliqué sur mon mur, je passais un concours (celui d'enseignants). Maintenant, plus qu'à attendre les résultats, et profiter de ce temps pour écrire. Ça fait du bien ! 

Pour ceux qui suivent "Avec le Destin", le prochain chapitre arrive dans la semaine ;)

La suite ici, c'est dimanche prochain :D 

A dimanche donc, 

Kiss :*

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