Chapitre 5

PDV William

Dans l'immense hall presque aseptisé de l'aéroport, il est impossible de manquer cet être à la chemise hawaïenne, une immense pancarte de la main, en train de sauter dans tous les sens pour être vu. Et évidemment, sur cette pancarte en lettres colorées, presque plus grande que l'homme en question, il fallait que ce soit mon nom, de marqué.

Je grogne, peu ravi des visages qui se tournent vers lui, et ne tarderont pas à nous associer, si tôt qu'il m'aura repéré. Pendant une minute, j'envisage les fuites possibles, mais je connais trop bien l'énergumène. Il me retrouverait même en enfer, si il le fallait.

— WILLIAM !

Repéré. Toutes tentatives de lui échapper sont maintenant vaines, et je ne tarde pas à le rejoindre, avant qu'il ne se mette encore à hurler. Je râle quand il me saute dans les bras, me faisant au passage manger l'écriteau de carton en pleine tronche, mais il n'en a rien à faire.

Parfois, je me demande comment cet être peut partager ne serait-ce que quelques pourcents de mon ADN.

— Te voilà enfin !

— A t'entendre, tu ne m'as pas vu depuis 10 ans. Tu es venu en vacances à Madrid il y a à peine 3 semaines.

— Peut-être, mais tu étais censé revenir la semaine dernière.

Je hausse seulement les épaules, et le suis vers l'extérieur. Je repère bien vite la voiture rouge caractéristique de Charlotte, sa petite-amie. A travers la vitre avant ouverte, elle fait un signe de la main, que je ne lui rends pas. Elle ne m'en tient pas rigueur, tandis que je m'installe à l'arrière, et me prépare à la diarrhée verbale dont va m'assaillir mon cousin si tôt son cul posé sur le siège passager.

Il est tout mon opposé. Avenant, excentrique, haut en couleur. Sociable, aussi. Aucune des qualités que l'on ne peut me trouver, si tant et que ce soient des qualités. Je dirais que cela dépend des jours, et de la quantité de Doliprane que vous avez à proximité. Et pourtant, malgré des caractères diamétralement opposés, nous ne nous sommes jamais quittés. Et il a beau m'agacer, je n'imagine pas qu'il en soit autrement.

— On peut savoir ce que vous foutez ici au lieu d'être en cours ?

— Dis pas merci, du con.

Charlotte me tire la langue dans le rétroviseur, et me tire un sourire. Natt se retourne sur son siège, les dents en avant, débordant de son énergie habituelle.

— On s'est dit qu'on allait t'éviter la présence de Sylvia.

— Ta présence est plus dérangeante.

Au moins, Sylvia n'épuise pas sa salive pour ne rien dire. Et heureusement, car si je supporte mon cousin, je doute de supporter une autre personne de ce genre.

— Et on serait en cours, si tu étais revenu la semaine dernière, comme prévu.

J'ignore la petite pique de Charlotte et m'enfonce sur le siège. C'est bien moins confortable que la première classe que je viens de quitter.

— J'avais besoin de vacances.

La conductrice ricane quand Natt lève les yeux au ciel en se retournant quand elle lui peste de se mettre bien. Il ne reste pas bien longtemps assis correctement avant de se retourner à nouveau.

— Il n'y a vraiment que toi, qui peux te permettre d'arriver avec une semaine de retard à la NSA sans te faire virer.

— On a le même nom de famille, tu as les mêmes avantages.

— Sauf que je ne suis pas un prodige, moi.

Je ne le contredis pas. Natt est bon, dans son domaine. Pour être en dernière année à la NSA, il le faut forcément. Mais il n'est pas autant habité que moi par son art. C'est là toute la différence. Entre une passion, et un besoin vital.

— Bordel Natt assis toi bien ! Je te jure si je me prends une amende je te la fais bouffer.

La fougue de la jeune femme me fait rire tandis qu'elle lui met une tape sur le bras pour qu'il se mette correctement dans son siège, alors qu'elle avait déjà fait un rappel.

— Parfois je me demande si tu es son mec ou son gosse.

— Je ne suis pas sûr qu'elle apprécie que tu la traites de pédophile. Hein mon chat ?

— C'est toi que je traite d'enfant, plutôt. Grandis Natt. Charlotte est ta cadette d'une année, pourtant, elle a le permis, elle. Et de la maturité.

Cette dernière me jette un coup d'œil dans le rétroviseur intérieur et je vois la malice dans son regard. Elle rentre dans mon jeu, pour mon plus grand plaisir.

— Maman, chauffeur, institutrice à mes heures perdues... tu n'as pas tort, au fond. Et pitié arrête avec ce surnom, ou je t'appelle chaton.

— C'est mignon les chatons.

— C'est les enfants des chats, si tu n'avais pas compris la référence.

Il râle mais se retient de se retourner vers moi, quand le regard de la conductrice lui rappelle qu'il n'a pas intérêt à se remettre dans une mauvaise position.

— Je déteste quand vous vous liguez contre moi. Vous êtes machiavéliques.

— Tu ne pouvais pas me faire meilleur compliment.

— Espèce de tyran.

Je ferme les yeux en m'appuyant contre le siège arrière, en souriant. Je ne lui réponds pas, considérant que la conversation m'a déjà tirée suffisamment de paroles pour un moment. Je ne suis pas avare des grandes discussions, et aucun d'eux ne cherchent à me tirer de mes pensées, tant ils me connaissent. La compagnie des gens n'est pas une chose à laquelle j'accorde grande importance. Si la présence de ces deux énergumènes est une exception, celle de tout autre être vivant auprès de moi n'est souvent qu'une nuisance. Je préfère le silence, l'intimité d'une toile et de mes pinceaux. La solitude n'est pas une tare pour une personne comme moi. C'est au contraire un cadeau qui me permet de me ressourcer. Si enfant, j'ai eu du mal à m'y acclimater, j'en mesure à présent tous les bienfaits.

Le trajet est long. Peut-être un peu trop, et c'est lorsque cette idée me traverse l'esprit, que je me décide à ouvrir les yeux. Il ne me faut que quelques secondes pour comprendre que le chemin emprunté n'est pas celui de la maison. Je grogne, et ça suffit pour faire comprendre ce que j'en pense.

— Joue pas l'ours mal léché avec nous.

J'envoie un doigt à Charlotte, qui pour toute réponse m'adresse un baiser à travers le rétroviseur.

— Monsieur Perret a dit que tu devais revenir pour le cours d'aujourd'hui. Et que si je m'avisais de ne pas ramener tes fesses dans sa salle de cours, il me ferait laver tous les pinceaux de l'année.

— Et tu l'as cru, sérieusement ?

— Il en est capable.

Je lève les yeux au ciel, n'imaginant pas un instant cette possibilité. Si il y a bien un professeur qui ne recourrait pas à ce genre de punition, c'est lui. C'est sûrement le plus bienveillant qu'il m'ait été donné de rencontrer. Mais Natt est naïf et peut-être un peu trop habitué aux remontrances des autres professeurs pour s'en rendre compte. Il a tendance à être trop bavard et maladroit, à priori. Rien qui ne m'étonne franchement.

— Tu n'as même pas ce professeur dans ton cursus. Il n'enseigne que dans le cursus peinture.

Il balaye d'un revers de main ma remarque comme si elle n'était que du vent. De toute façon, quand il a décidé quelque chose, il s'y tient, peu importe si il manque d'arguments. Il est têtu. Un trait de caractère que l'on se partage dans la famille.

— Dans tous les cas, tu es son assistant, cette année. Et tu as déjà une semaine de retard.

— Tu admettras qu'une journée de plus n'aurait rien changé.

— Tu admettras qu'une journée de moins ne change rien.

Charlotte me tire la langue, encore, avant de se concentrer sur l'enthousiasme de son petit ami à côté d'elle.

— Bien envoyé mon chat !

— Arrête avec ce surnom bordel !

Je cesse de les écouter quand cette conversation prend un tournant qui ne me concerne plus, et laisse mes yeux défiler sur le paysage à travers les vitres.

Bientôt, les grands bâtiments de notre campus s'étalent devant mes yeux. L'ancien côtoie le moderne, le tout donnant un savant mélange des styles. J'ai toujours trouvé cet endroit magnifique. Plus chez moi que ma propre maison. Quand bien même je n'en respecte pas les règles, et n'y viens que lorsque cela me chante. Ce qui n'est pas forcément le cas aujourd'hui.

Pourtant, je n'ai pas forcément le choix que de sortir de la voiture, quand Charlotte s'arrête devant l'aile des arts plastiques pour nous déposer. Elle reprend sa route direction les bâtiments de stylisme, un peu plus loin. Pendant un instant, j'hésite à appeler un taxi, mais je suis à peu près certain que mon cousin se mettrait à courir le plus vite possible pour informer le professeur de ma présence avant qu'il ne soit là. Il est casse-pied.

Je grogne devant son sourire satisfait quand il me voit entrer dans l'école, et avant qu'il n'ouvre la bouche, je lui souffle d'aller en cours et le sème au détour d'un couloir.

— William ! Ravi de vous retrouver.

Monsieur Perret s'avance vers moi, alors que je m'approchais déjà sensiblement de sa classe.

— Comment se sont passés ces derniers mois à parcourir le monde ?

— Riches en enseignement, Monsieur.

— Et c'est bien là le plus important. Nous allons fermer les yeux sur la prolongation de ce séjour.

Je lui offre un sourire respectueux, qui paraît pâle face au sien, presque malicieux.

— J'ai laissé la classe en autonomie le temps de régler quelques affaires. Ils doivent reproduire fidèlement une photographie. Dans un premier temps, je veux un dessin parfait, avant qu'ils ne se mettent à peindre, cela fait donc une semaine qu'ils perfectionnent. Les vacances en ont ramolli certains. Je te laisse les rejoindre et voir ce que cela donne. Le cours se clôture dans un quart d'heure, laisse les partir et nous pourrons discuter ensuite de cette année.

Je hoche la tête et me dirige vers la salle, entrant sans attendre. Je ne fais pas attention aux conversations qui se taisent lors de mon entrée. Ils auraient de toute façon dû être en train de dessiner, plutôt que de se raconter leur week-end. Je passe mon regard sur l'ensemble des étudiants, repérant une jeune fille que je ne connais pas, au fond. Une nouvelle, en dernière année ?

Je n'y fais pas plus attention et passe dans les rangs, posant les yeux sur les différentes représentations que j'y trouve.

— Les traits sont trop épais.

L'étudiant ne réplique pas et se saisit de sa gomme pour rectifier le tir. J'avance un peu, vers la suivante.

— La symétrie n'est pas respectée. Recommence.

Elle baisse les yeux mais se saisit d'une nouvelle feuille à poser sur sa toile, prête à reprendre son travail de zéro. Il y en avait besoin.

En une semaine, leurs dessins devraient déjà être parfait. A un tel niveau d'étude, ils auraient dû le finir rapidement. Pourtant, aucun des suivants que je n'examine n'est au niveau.

— Rappelle-moi combien de cours avec Monsieur Perret avez-vous eu depuis la rentrée ?

L'étudiant devant moi, dont j'ai oublié le prénom, me répond sans oser soutenir mon regard.

— Le troisième ? Donc cela fait minimum six heures – sans compter le temps que vous devriez prendre à vous exercer chaque soir – que vous êtes là-dessus, et aucun de vous n'a rendu quoi que ce soit de potable ?

Aucun n'ose me répondre. Ils se remettent tous à dessiner, conscients qu'ils n'ont que cela à faire. Rendre un travail digne de leur niveau. Je me fous d'être un connard. Je ne rigole pas avec mon art, et ils ne devraient pas le faire non plus. Si ils veulent en vivre, vivre de cette passion qu'ils ont, chaque instant doit être la recherche de la perfection. Leur propre perfection. Et je ne vois rien de tout cela, dans les dessins que je trouve dans cette pièce. Au contraire, je vois des jeunes gens qui se sont laissés aller, en oubliant l'élitisme de leur formation. Ils ne pourront pas être juste moyen, en sortant d'ici. Pourtant, c'est ce qu'ils me présentent, là. Ils étaient bien meilleurs dans les souvenirs que j'ai d'eux. Bien que je ne me sois jamais intéressé humainement aux êtres de cette classe, si il y a une chose que je n'oublie pas, et à côté de laquelle je ne peux pas passer, c'est le talent. Ils en ont tous, en plus ou moins grande quantité. Seulement j'ai comme l'impression qu'ils l'ont laissé aux vestiaires.

J'arrive au fond de la pièce pour poser mes yeux sur cette nouvelle élève qui ne semble pas avoir écouté un traître mot de ce que je viens de dire aux 22 autres imbéciles de cette classe.

Je reste un instant ébahis devant ce que je trouve sous la mine de son crayon. C'est une sombre blague ?

— Qu'est-ce que c'est que ça ?

Elle sursaute et se retourne vers moi, presque surprise de me trouver là.

— Aucune perspective, aucun relief. Les symétries ne sont pas respectées, les proportions n'en parlons pas.

C'est un désastre, pour le dire clairement.

— Tu t'es trompée de cours ? Non, d'école ? Même un premier année a plus de niveau ! Je doute que le concours d'entrée soit devenu si peu sélectif ces derniers mois, alors il va falloir m'expliquer ce que tu fous là ?

Je tire la feuille à moi pour la décrocher du chevalet et la voir de plus près.

— Les traits sont hachurés, rien n'est fluide. Les effets d'ombrages ne sont pas dans le bon sens, et mon dieu, les traits du visage ! Tu trouves vraiment que c'est ressemblant ?

Mais elle ne répond pas. Elle ne me quitte pas des yeux pour autant. Juste... elle ne dit rien. Et c'est rageant. Ça m'agace, qu'elle ne prenne pas la peine de me répondre, ou simplement de prendre une autre feuille, pour tenter de réparer ce carnage. Elle reste juste plantée là.

Je sens les regards des autres sur moi. Sans même les voir, je ressens une tension particulière en eux. Comme si j'ignorais quelque chose que j'aurai besoin de savoir.

Mais je ne veux pas savoir. Existe-t-il une seule foutue raison pour que je ne foute pas en rogne, en voyant ça ?

Ça m'étonnerait. Alors je continue à m'énerver contre cette jeune femme que je ne connais pas, mais qui fait la seule chose que je me refuse à laisser couler : dénaturer l'art. Mon art.

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En général, quand je demande comment va se passer une rencontre... c'est qu'elle se passe mal x)

William ne rigole pas avec son art... et Kanako n'est pas à la hauteur de ce qu'il attend. Alors, qu'est-ce que cela va donner ? 

A dimanche pour le prochain,

Kiss :*

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