Chapitre 49

Me revoilà, après de longues semaines. Entre le master, le stage, le mémoire, et tout le reste, je n'ai pas trouvé une minute pour écrire, la fatigue n'aidant pas. Le début de l'année est plus cool, alors on s'y remet ! 

Reprise des chapitres tous les dimanches

Il y aura possiblement une petite pause lorsque je passerai mon concours (avril/mai) mais je vous tiendrai au courant ! 

Bonne lecture !

PDV Kanako

Pour une fois, je me sens fière. Fière de montrer à Obaachan ce que j'ai pu réaliser. Fût une époque où je lui partageais chacun de mes progrès, chacun de mes accomplissements avec une joie sans nom. Pourtant, depuis quelques mois, ces moments de bonheur n'existaient plus, comme de nombreux autres. Ils m'avaient été volés, eux-aussi, et je dois admettre que je ne pensais pas les retrouver. Au fond de moi, j'étais persuadée, à tort, que le moment où je lui présenterais fièrement l'une de mes réalisations n'arriverait plus. Car j'étais absolument certaine de ne plus pouvoir réaliser quoi que ce soit qui mérite d'être partagé, admiré.

Pourtant, alors que je me tiens là, les photographies du défilé dans les mains, mon sourire ne tarit pas, et mon cœur retrouve cette joie qu'il a autrefois connu. La lueur que je retrouve dans ses yeux me fait un bien fou, et je sais que son propre cœur se gonfle autant de fierté, que d'émotion de me voir retrouver cette confiance en moi.

Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Avoir confiance en mes capacités à mettre en œuvre des choses qui en valent la peine.

Je m'assois à côté d'elle sur notre vieux canapé, peut-être un peu trop collée à son corps. Au diable l'espace vitale, l'odeur caractéristique de la fleur de lotus qu'elle dégage me monte aux narines et me pousse à me blottir un peu plus contre elle. La tête contre son cou, comme lorsque j'étais enfant, je lui tends les clichés, sans honte aucune.

Je ne suis pas mannequin. Je ne sais pas défiler. Mais pourtant, là sur cette scène, et encore sur ces bouts de papier qui immortalisent ce moment, je me sens belle. Je me sens belle, et je veux qu'elle le sache, car je sais comme cette simple pensée lui fait du bien.

Ses petits doigts courbés, marqués par les années, tremblent un peu alors qu'ils les font défiler. Je ne vois pas son visage, mais je sens son émotion. Sur l'un des clichés, qui me montre de face, la tête haute, elle s'arrête, et caresse de son pouce la robe que je porte.

Le rouge.

Je me suis sentie si forte, en portant cette couleur. Si je l'ai mise à l'origine dans le but de le montrer à William, de lui faire voir ce que je pouvais ressentir, au final, me regarder dans le miroir vêtue de cette robe m'a fait réaliser une chose : je le faisais pour moi.

Je n'ai pas oublié la vision de ma mère dans cette couleur. Mes peurs étaient infondées, et au contraire, mon action me fait me sentir plus proche d'elle encore.

— Tu lui ressembles, Kana-chan.

Les émotions dans sa voix la font trembloter, et pour toutes réponses, je glisse un bras autour de taille, et me blottit un peu plus contre elle.

— Plus les années passent, plus je la vois en toi. Et avec cette robe... tu es son portrait craché.

Le fait de savoir que je ressemble à ma mère me fait du bien. D'autant plus lorsqu'elle met en mots une vérité que je n'aurai su formuler.

— C'est parce qu'elle vit en toi.

Sur le point de déborder d'émotions, je décide d'ajouter un peu d'humour à la situation, parce que je sens que nous en avons toutes les deux besoin.

Toi, tu as regardé le Roi Lion.

— Oui, hier soir, comment as-tu deviné ?

Mais le petit sourire qu'elle affiche me laisse deviner qu'elle a sciemment choisi de rentrer dans mon jeu. Et c'est aussi pour cela que je l'aime tant. Elle n'est peut-être pas ma mère, mais elle est la femme qui compte le plus pour moi.

Ma Oba, mon pilier, ma famille.

**

Le regard qu'il pose sur moi alors que j'arrive avec un pull de cette couleur qu'il aime tant me déstabilise autant qu'il me plaît. Voir cette envie dans ses iris, envie qui fait écho à la mienne, plus timide à se montrer, me retourne de l'intérieur.

J'ai l'impression d'être ivre, ivresse de bonheur, accro à ce sentiment que seul cet homme parvient à faire naître en moi. Je me sens rougir, autant que mon haut, et cette vision semble lui plaire un peu plus. Son sourire en coin, malicieux, plein de promesses que j'espère malgré moi qu'il va tenir, me fait fondre et m'enflamme en même temps. Et ne parlons pas de ce que je ressens au creux de mon corps autant qu'au fond de mon cœur lorsqu'il se mord les lèvres. Elles sont charnues, rosées, et affreusement tentatrices. Pourtant, je ne me sens pas encore le courage d'aller y poser les miennes, quand bien même mon esprit me joue mille fois cette scène. Ou peut-être aime-je simplement trop lorsqu'il s'avance vers moi pour conquérir mon souffle, que je n'arrive pas à imaginer qu'il puisse en être autrement. Cette fois, il ne le fait pas, cependant. Il reste à bonne distance, m'observe, l'esprit plein de ses pensées qui reflètent les miennes. Je n'ai pas besoin qu'il les dises pour les comprendre, son regard parle pour lui. Dans sa lueur, j'y lis un éclat aussi fou quand le mien. Jusqu'où la folie du désir, la folie des sentiments peut-elle aller ? Je suppose que j'aurai peur de la réponse.

Pendant quelques temps, nous travaillons. Assidûment, ou presque. Je jurerai qu'il se penche plus souvent vers moi que nécessaire. Que ses doigts effleurent les miens avec une toute autre intention que de m'aider dans mon geste. Que son regard n'est pas simplement posé sur ma tentative d'œuvre, mais bien sur ma personne. Ses conseils, ou bien ses directives, pour ne pas dire ordres, sont toujours aussi précis. L'amour qu'il possède pour son art empli toujours autant la pièce. Et son talent transpire toujours autant de son être. Mais dans ses mots, si tranchants, ses regards, tant acérés et ses interventions, bien calculées, j'y sens autre chose. Une douceur, une promiscuité, une attention particulière. Autant de façon d'être qu'il ne réserve qu'à moi, et que je ne veux laisser échapper pour rien au monde. Je me sens unique. Digne d'être le centre de ses petites – ou grandes – intentions qui ne sont que pour moi. Cette sensation de le valoir, c'est indescriptible. C'est comme retrouver une place dans un monde que j'avais perdu.

— Tu progresses.

Je sors de mes pensées et détaille ce qui est apparu sous mes doigts, me rendant compte que j'ai oublié pendant un moment ce que j'étais en train de faire. Mes lignes sont plus assurées, plus régulières, oui. Mes couleurs mieux dosées. J'ai presque envie de trouver mon travail beau. Mais quand je le compare à ce dont il est capable, lui, je ne m'en sens pas l'étoffe. C'est mieux. Suffisant ? Certainement pas. Pourtant, j'aime qu'il me le dise. Que celui que cette formation considère comme un tyran au sommet de son art remarque que je progresse, et qu'il y mette des mots. Je connais suffisamment sa personne et sa réputation pour savoir que cela sort de l'ordinaire. J'imagine d'ici le regard de Lewis, si il avait entendu ça.

— Fais attention, tu vas finir par perdre ta réputation de tyran de la NSA.

Il esquisse un sourire en coin, avant de se pencher vers moi. Il s'arrête juste là, à quelques centimètres de mes lèvres, son regard ancré dans le mien avec fermeté.

— Tu le voudrais ?

Non. Non, parce que ça le compose. Parce que c'est notre première rencontre, notre histoire, et que son amour pour son art est ce qui le pousse à agir de la sorte. Ça, et sa personnalité un brin taciturne. C'est lui, et je n'ai aucune envie qu'il change, parce que c'est ainsi que je l'aime. Une réalité que j'ai encore du mal à mettre en mot. Je ne suis clairement pas prête à le lui dire. Une peur que sa réponse soit différente de la mienne ? Peut-être. Mais ce n'est pas une question que je me pose pour l'instant.

Je n'ai pas besoin de lui répondre, il sait très bien ce que je pense. Il adore seulement me poser des questions dont il connaît la réponse, pour le seul plaisir de me voir rougir. Je lui laisse volontiers le loisir de se jouer de moi de cette manière, tant j'affectionne l'éclat de son regard lorsqu'il parvient à teinter mes joues. Il dépose un baiser sur le bout de mon nez, dans un élan de douceur qui me surprend autant qu'il me ravie. Lorsqu'il s'éloigne, j'en profite pour glisser un regard sur les fenêtres et la nuit déjà tombée. La NSA doit être vide, ou presque, et une idée, peut-être une envie, s'insuffle en moi.

— Quelle idée saugrenue vient de naître dans ta tête, petit zombie ?

Qui te dit qu'elle est saugrenue ?

— J'attends de voir.

Je lui réponds par un sourire et saisit sa main, avant de l'entraîner vers l'extérieur. Il se laisse faire, sans poser plus de questions. Je suppose qu'il attend que je craque sous le poids de son regard, mais je suis déterminée à résister, ce qui le fait sourire. Il comprend bien vite quand je commence à monter une série d'escaliers.

— Besoin de crier ?

Je ne lui réponds pas tant que nous n'avons pas passé la porte qui mène au toit. J'attends de me trouver devant ce mur, sur lequel il m'a appris à crier à sa manière. Mais aujourd'hui, c'est un autre cri, que je veux faire. Parce que je ne ressens plus le besoin d'évacuer de la tristesse ou de la colère. Il m'a montré, lui comme mes amis, comment la sortir de mon corps lorsqu'elle arrive, sans la garder pendant des mois en soi.

Ce mur est important pour beaucoup de monde. Ils y gravent leurs émotions les plus fortes. Tu m'as appris à m'en servir. Mais je pense qu'il y a d'autres types d'émotions qui mériteraient d'avoir leur place sur ce toit.

— Qu'as-tu en tête ?

J'attrape deux pots de peinture et me dirige vers un autre mur, encore vierge. Il me regarde faire, avant de comprendre quand je pose mes yeux sur lui que j'attends qu'il me rejoigne. Il s'avance jusqu'à moi et me laisse attraper sa main, que je badigeonne de peinture sans qu'il ne râle trop. J'appose ensuite sa main sur le mur, avant de faire la même chose, d'une autre couleur, avec la mienne. Nos deux empreintes forment un cœur, et si cela peut paraître niais, la signification est importante. C'est le contact de nos deux âmes, qui a permi à mon cœur de se reconstruire. C'est exactement ce que je veux représenter.

Un mur de sentiments positifs.

Voilà ce que j'ai en tête. Un mur sur lequel on ne crie pas son désespoir, sa colère ou sa tristesse, mais l'un où on sublime sa joie, sa fierté, son amour et tout le reste. L'un ne devrait pas aller sans l'autre, car l'être humain est un mélange de tous ces sentiments. C'est ce qui le rend vivant. J'ai peut-être oublié de vivre pendant un moment, m'enfermant dans une spirale de douleur et de résignation négative. J'ai cependant rencontré des personnes qui m'ont rappelée comment vivre à nouveau. Il en est la plus grande contribution.

Je ne dis rien de plus et me contente d'observer mon œuvre. Notre œuvre. Pas seulement deux mains sur un mur, non. Mais deux êtres qui vibrent ensemble.

Après de longues minutes, il se saisit d'un torchon qui traîne là pour essuyer nos mains. Nous finissons allongés sur une bâche, à côté de ce nouveau mur, les yeux fixés sur les étoiles. Sa main se glisse dans la mienne, et la serre en me faisant passer mille révélations. Je n'arrive pas à me décrocher de la beauté du ciel tacheté de lumière. Il paraît infiniment grand, par rapport à nous. Je me sens si petite, et pourtant si apaisée en le détaillant. Je ne m'en détache que quelques instants, le temps de taper quelques mots qui me viennent à l'esprit.

Tu pourrais peindre un tableau qui refléterait la beauté exacte de ce ciel ?

Il glisse son regard vers moi, attirant le mien. Ses iris sont sûrement la seule chose que je trouve plus belle encore que l'immensité des astres au-dessus de nous. Et leur profondeur fait battre mon cœur avant même qu'il n'ait prononcé ses mots. Je sais qu'ils vont me transpercer de l'intérieur, mais sans douleur, simplement une explosion de sentiments comme seul lui peut créer en moi.

— Oui. La seule beauté que je ne peux égaler, c'est la tienne. Tu es un tableau que je ne peux reproduire parfaitement, parce que tes teintes sont uniques. J'en découvre chaque jour de nouvelles, et chacune d'entre elles m'émerveille. Tu es le seul chef-d'œuvre qui soit inégalable, la mia musa.

A-t-il conscience de ses mots ? Je ne saurai le dire. Comme je ne saurai en mettre sur tout ce que je ressens. Je suis incapable de lui répondre parce que j'en perds ma voix, au sens figuré cette fois. Alors je décide qu'il est tant pour moi de conquérir son souffle, puisqu'il vient de voler le mien. J'appose mes lèvres sur les siennes, et réponds sans paroles à sa déclaration. Ou peut-être ses mots étaient-ils une réponse à celle que j'ai gravée au mur. Nos lèvres se caressent, se dévorent, se répondent. Elles parlent à notre place, tandis que nos corps se rapprochent, et nos cœurs s'accrochent. Soudain, le ciel étoilé me paraît si minime face à la force de ce que je ressens. Ses astres me paraissent moins brillants que les sentiments qui courent entre nous. Et l'immensité de la galaxie bien dérisoire face à notre histoire. De l'accroche de nos âmes naît notre propre voie lactée. Et elle plus que tout autre chose, est d'une splendeur qui ne saurait être représentée.

La mia musa. Si je suis sa muse, il est ma voix.  

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