Chapitre 47
PDV William
J'enfourne dans ma bouche la dernière bouchée de mon sandwich, ravi que cela sonne bientôt la fin de ce repas entouré de mon cousin, et des deux amis de Kana. Ce moment est bien trop bruyant, comme à leur habitude. Et les coups d'œil insistant que me jette l'un d'entre eux me tapent sur le système aussi bien qu'ils m'interrogent.
Ma voix qui s'élève, comme rarement, a pour conséquence de les faire taire instantanément.
— Tac.
Je claque des doigts en lui indiquant un lieu un peu plus loin des troubles-faits, et m'y dirige sans attendre qu'il me suive. Peu importe les regards étonnés de Tic et de mon cousin, leurs questions n'auront pas de réponses si ils les posent. Une intuition étrange me souffle que cette conversation va rester fermement gardée entre nous.
Bien que surpris, le dénommé ne me fait pas trop attendre et me rejoint, ignorant plus difficilement les œillades des deux autres sur nous.
— Vas-tu me dire pourquoi tu me fixes de cette manière ?
Je sais qu'il n'est pas le plus bavard des deux, surtout à cause du fait que son ami n'en laisse placer une à personne. Pourtant, j'ai bien l'impression qu'il gagnerait parfois à être écouté.
Pour l'instant en l'occurrence, je n'en suis pas certain. Toujours étant que je commence à en avoir assez d'être épié de cette façon par un type que je connais depuis quelques semaines. Quoi que je l'aurai été bien avant si c'étaient les yeux de Natt qui m'avaient suivis de cette manière.
— Ce n'est pas...
Je me contente de hausser un sourcil pour l'arrêter dans son explication sans intérêt. On sait tous les deux que c'est pertinemment ce que je crois, et je compte bien découvrir pourquoi.
D'autant plus que je suis à peu près certain que cela concerne une jeune femme qui a disparue de mes radars depuis des jours, enfermée à double tour avec Charlotte.
— Je ne suis pas censé t'en parler.
C'est déjà une meilleure excuse, mais pas suffisante. Je n'ai pas besoin de mots supplémentaires pour m'en faire comprendre. Les longues phrases qui franchissent le seuil de ma bouche sont rares, et en général, je ne m'en embarrasse pas pour n'importe qui.
— Mais après tout, c'est peut-être nécessaire.
Je suis interloqué par ces personnes qui défilent leurs pensées à voix hautes, nous offrant tout le loisir de suivre leurs dilemmes internes.
— C'est à propos de Kana. Elle m'a...
Il s'arrête un instant, mal à l'aise, et cela est suffisant pour que je capte ce qu'il va dire avant qu'il ne le sorte. Elle lui a dit.
Vu qu'aucun des deux hommes nous épiant de loin n'est venu me casser les burnes avec ça, je suppose qu'il est le seul au courant. Et je me demande bien pourquoi lui.
— Elle m'a dit pour le baiser.
— Pourquoi ?
Je pose la question froidement, me refusant de lui laisser la vue sur mes émotions. Personne n'y a accès, d'ordinaire, et je fais taire la petite voix qui me souffle que la jeune femme dont il est question dans cette conversation fait exception.
— Parce qu'elle se pose des questions. Sur ce que cela signifiait. Et sur ce que cela engendre.
Ce que cela signifiait ? Je n'en sais rien. Je sais juste que je n'en ai aucun regret, et que si je me retrouvais au même endroit, au même moment, je recommencerai. Je sais aussi que j'ai eu envie de recommencer mille fois, sans y céder, non sans difficultés. Que je déteste ne pas l'avoir dans mon champ de vision depuis des jours. Que je repense à ce moment bien trop souvent, éveillé ou non. Que j'ai dessiné ses lèvres sans y réfléchir. Et que plus d'une fois, j'ai regardé cette toile, où nos visages s'embrassant sont imprimés. Je n'en ai pas tiré de conclusions. Je les aies mises de côté.
Peut-être devrais-je y penser. Au fond, je me pose les mêmes questions qu'elle. Mais j'ai l'impression qu'aucun de nous n'est capable d'y répondre sincèrement. Tout du moins, pas en y réfléchissant. C'est spontané, chez nous. Comme ce baiser.
— Elle attendait que tu fasses un pas vers elle. Je lui ai simplement expliqué qu'elle pouvait le faire aussi. Maintenant reste à savoir qui le fera le premier.
Si son interrogation tourne en boucle dans mon esprit, je ne compte pas pour autant lui répondre, et je sais qu'il en a conscience.
— Je n'ai pas à te demander d'explication, et je n'en veux pas. Je pense juste que tu devrais être au courant de ce qu'il se passe dans sa petite tête, car je crois bien que vous n'êtes pas les plus habiles pour vous dire ces choses-là.
Si je hausse un sourcil devant tant de malice et de courage de sa part, je ne nie pas. Je me contente de hocher la tête et de le laisser retourner avec les autres, pendant que je pars me réfugier dans mes pinceaux.
A présent, la question qui me turlupine est différente. Je ne me demande pas qui de nous deux fera un pas vers l'autre en premier. Je me demande si elle fera le sien, comme conseillé par son ami.
J'ai très envie de le savoir.
**
Il a du monde, mais ça ne m'étonne pas. Le show des stylistes de la NSA réunit souvent un bon nombre de personnes. Entre les étudiants, leurs familles, les sponsors et les employés de l'école, on compte le nombre de spectateurs en milliers. Je me demande si Kanako s'attend à voir autant de monde.
Je me demande comment elle a réagit, lorsqu'elle a passé sa tête derrière le rideau – je suis certain qu'elle l'a fait – et vu ces personnages qui vont n'avoir les yeux posés que sur elle, le temps que quelques instants.
Je suppose qu'elle a angoissé. Qu'elle a envisagé de tout laisser tomber. Pourtant, je sais qu'elle est déjà montée sur scène devant autant de paires d'yeux sans hésiter un instant. Mais cette fois-ci, elle n'est pas dans son monde. Charlotte trouve-t-elle les mots pour la rassurer ? A-t-elle réussi ces derniers jours à lui faire prendre suffisamment confiance en elle pour mener à bien ce défilé ?
Ce n'est pas rien, au fond. Le mannequinat est un métier, et là, on lui demande de l'exercer. Je sais qu'elle ne reculera pas. Qu'elle le fera, pour Charlotte. Mais une partie de moi voudrait lui éviter ça, car je sais que pendant que je suis là, sur ma chaise au premier rang, elle est derrière ce rideau, le cœur battant à mille à l'heure. Et une partie égoïste de moi me souffle que je suis le seul qui devrait lui faire cet effet. Et que dans mon cas, c'est agréable.
Je voudrais aller dans les coulisses et la rassurer, mais je sais que Cha' ne me le permettrait pas. Pour une raison que j'ignore, alors qu'elle était jusque là en train de parler jour et nuit de ce défilé et de la tenue qu'elle créait, elle s'est enfermée dans son studio improvisé à la maison. Elle a refusé en bloc que nous voyons ce qu'elle façonnait, alors pourtant qu'elle appréciait nous le montrer jusque là. Je suppose qu'elle a changé d'avis et tout recommencé, mais son suspens autour de tout cela m'intrigue.
Il faut attendre que les lumières se tamisent et que la musique retentisse pour que Natt et Lewis, à mes côtés, ferment leur clapet.
Les tenues défilent, et je dois avouer que les étudiants de dernière année ont du talent. Après tout, ils ne sont pas là pour rien. Comme dans notre section, arriver en septième grade dans la leur n'est pas une partie de plaisir, mais bien un chemin semé d'embûche que seuls les meilleurs parviennent à franchir. Malgré la beauté de cet art, je n'arrive pas à me concentrer. J'ai l'impression que quelque chose se trame, et lorsque Charlotte déboule et s'assoit à côté de nous, en me lançant un certain sourire joueur, mon intuition se confirme. Elle annonce à son petit ami que Kana est la prochaine, et étrangement, mon rythme cardiaque s'accélère quelque peu. Comme si mon cœur avait compris avant moi.
« Pour clôturer ce défilé, nous vous présentons la tenue créée par notre prometteuse élève de sixième année, Mademoiselle Charlotte... »
Je n'écoute pas le reste, parce que le rideau s'ouvre, et qu'elle avance. Et alors, je suis plus que d'accord avec mon cœur qui s'accélère.
La tête haute, le dos droit, le visage sûr d'elle, elle avance sur le podium, fixant un point que je ne peux définir.
Elle est belle. Magnifique, transcendante.
Et surtout. Elle est habillée de rouge.
Cette couleur qu'elle a toujours refusée de porter. Dans laquelle je l'ai cent fois imaginée. Que je lui ai soufflé vouloir apercevoir recouvrir sa peau.
Elle est en rouge, et son regard ne fixe plus le vide, mais le mien. Quand elle arrive au bout du podium, juste devant nous, et qu'elle pose comme Charlotte le lui a appris, je ne respire plus. J'ai le souffle coupé par ce qu'elle dégage.
Ce tableau magnifique qu'elle est, paré de nouvelles couleurs. Et dans son regard, de nouvelles lueurs.
La voix d'Arwen qui se penche vers moi parvient à surpasser la bulle dans laquelle je me suis enfermé pour ne me concentrer que sur elle.
— Je crois qu'elle a fait son pas. Et si tu faisais le tien ?
Je m'entends à peine murmurer des excuses à Charlotte pour ce que je vais faire, je vois peu son sourire me répondre, comme si elle savait.
Je me contente de me lever, d'utiliser à toute vitesse les marches menant au podium, et de saisir la main de Kana pour l'emmener avec moi. Elle est surprise, mais ne dit rien, et se contente de marcher avec moi sur cette allée surélevée, vers les coulisses d'où elle vient. Le rouge de sa robe s'étend sur ses joues, et je dois me faire violence pour ne pas m'arrêter en chemin. Jamais un podium ne m'a paru si long, et enfin, nous parvenons dans l'endroit attendu, cet entre-deux entre la scène et l'endroit grouillant de mannequins.
Ici, nous sommes seuls, bien qu'encore suffisamment proche du public pour les entendre murmurer de surprise, tandis que le présentateur tente de continuer sa cérémonie. Rien de tout cela n'a de l'importance.
Face à elle, je ne dis rien pendant un moment. Je me contente de l'observer, de l'admirer même.
— C'était ton idée ?
Sans son téléphone, elle hoche la tête pour acquiescer. J'ai comme dans le doute qu'elle ne parviendrait pas à taper quoi que ce soit, de toute façon.
Ma voix est rauque, pleine de promesses que je me sais incapable de briser. Mais j'ai besoin de réponses avant. Et j'ai besoin de la voir trembler d'envie comme j'en crève actuellement.
— Le W dessiné par les coutures de la poitrine aussi ?
Cette fois-ci, elle nie, mais son rougissement m'aiguille.
— Mais tu savais qu'il était là.
Pas une question, mais les yeux brillant de ce désir que j'attendais, elle acquiesce tout de même.
Alors je craque, autant qu'elle, et je me jette sur ses lèvres. Je le désirais depuis des jours, mais cette fois-ci, c'était plus que cela. Un besoin viscéral, qui prend aux tripes, qui vous retourne de l'intérieur. Comme ce baiser.
Il me transporte, me transcende, me rend fou. Fou d'elle, de ce qu'elle est, de qui elle est. Je colle son corps au mien autant que sa robe me le permet, je m'ancre à elle, à ses lèvres, à sa peau. Ses mains se retrouvent dans mon dos, et elle non plus n'a pas l'air décidée à me laisser partir.
C'est sa langue qui trouve la mienne, qui initie cette danse où nous sommes en parfaite symbiose. Je n'ai jamais rien connu d'aussi brûlant, et pourtant, cette chaleur me caresse. Ma main sur sa nuque tente désespérément de l'accrocher un peu plus à moi, comme si c'était possible.
Je détache nos lèvres quand l'air nous manque à tous les deux, sans pour autant éloigner nos corps. Son regard ancré dans le mien, mon front contre le sien, je nous laisse reprendre de l'oxygène à grande bouffée, alors même que la vision de son regard emplit de désir me coupe le souffle. Nous restons comme ça un moment, jusqu'à ce que mes pensées m'échappent.
— A présent, ils peuvent tous voir le chef-d'œuvre que tu es.
Et si je n'aime pas l'idée que d'autres puissent l'admirer comme je le fais, j'aime l'idée qu'enfin tous voient ce que je vois en elle depuis tout ce temps. Mais ce n'est pas cette pensée là, qui m'échappe le plus. Je rapproche nos lèvres, les laisse se caresser, brûlant de désir de les retrouver.
— Sois mienne, la mia musa.
Et lorsqu'elle hoche la tête, lorsque ses yeux me hurlent qu'elle l'est déjà, je me sens happé par des sentiments que je ne connais pas. Je les laisse m'envahir, me prendre tout entier, tandis que moi, je reprends les lèvres de ma muse, de mon chef-d'œuvre, de ma Kana.
-------------------------------------------------------------
Pour info, la mia musa signifie "ma muse" ;)
Désolée d'avoir mis si longtemps à publier ce chapitre, grosse fatigue avec le travail :')
Alors, on kiffe ce chapitre ?
Dans deux ou trois chapitres, la première partie de ce roman sera terminée. En effet, comme Amour Sourd, ces romans sont pensés pour être sécables en deux (de part leur longueur). A votre avis, comment va-t-elle finir ?
Il n'y aura pas de pause entre les deux parties du roman, je continue à sortir ça de façon régulière (enfin pas toujours régulière mais vous avez saisi l'idée x))
A bientôt,
Kiss :*
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top