Chapitre 4

Désolée pour le retard, après huit heures de voiture hier, j'avais honnêtement la flemme de corriger le chapitre x)

PDV Kanako

Le bois sombre craque sous mes pieds. Il brille, éclatant sous la lumière des projecteurs. Ils réchauffent l'air, et ma peau, par la même occasion. Je passe mes doigts sur les gros rideaux rouges. Lourds, anciens, mais si doux. Ils ne sentent pas la poussière, mais dégage cette odeur particulière qui montre tout ce qu'ils ont vécu. J'aime ça.

J'attends qu'ils s'ouvrent. Je remets ma robe en place, vérifiant qu'aucun pli ne vient troubler ce magnifique vêtement. Obaachan s'est surpassée, une fois encore.

Je souffle un bon coup, détends mon corps. Là, seule de l'autre côté de ce tissus qui me coupe des spectateurs, je ressens un peu de cette émotion particulière, le trac. Mon cœur bat vite, et mes mains sont moites. Mais je sais que dès le rideau ouvert, cette sensation disparaîtra. Parce qu'être face à un public, c'est être à ma place.

Là sur cette scène, des milliers de paires d'yeux braquées sur moi, que je ne peux parvenir à distinguer.

Pourtant, j'aimerais pouvoir planter mon regard dans celui de chaque personne de cette salle. Pouvoir y lire quelles émotions je parviens à faire naître en eux avec ma voix.

Le mécanisme se met en route, et bientôt, le lourd tissus rouge laisse place à cette obscurité dans laquelle est plongé mon public. Je ne distingue que des formes. Ils ne sont pas spécialement là pour moi. Mais mon but reste le même. Qu'en repartant de cette salle, ils se souviennent d'à quel point j'ai pu les transporter.

C'est pour cela, que je chante. Ma manière de m'exprimer. De me faire entendre. Et chaque fois que je me tiens sur une scène, je fais en sorte qu'on m'entende. Qu'on m'écoute. Et que l'on oublie pas.

C'est pour cela, que je vis. Cette sensation de bonheur absolu qui m'envahit quand les premières notes sortent de ma gorge.

Je laisse le silence planer un instant, puis je passe mes doigts sur le métal froid du micro devant moi. Un regard entendu au pianiste, et les premières notes résonnent. Elles se répercutent dans cette salle aux résonances si particulières. Elles s'insinuent en moi avec une facilité déconcertante.

Le stress disparaît. Et je chante. Je vis.

Je respire, comme si j'avais passé les dernières minutes en apnée. Ma voix vibre en moi, les émotions aussi. Je les laisse sortir, s'envoler, entourer toutes les personnes en face de moi.

Je chante. Je parle, je m'exprime. Je leurs raconte ce que je souhaite, ce que je veux qu'ils entendent. Je les emmène avec moi sur ce sentier plein de bonheur que je parcours chaque fois que je me tiens sur une scène.

Parfois, je les fais pleurer. Parfois, je les fais sourire. Parfois, ils chantent avec moi. Mais toujours, ils m'entendent. Ils reçoivent mes paroles, mes intentions. Ils me comprennent.

J'ai toujours pensé qu'on ne pouvait pas me comprendre si je ne chantais pas. Parce que c'est de cette façon que je m'exprime le mieux. De cette façon que je me sens entièrement moi.

Je ne m'entends pas à chanter. Je le ressens. Mon âme vibre en même temps que mes cordes vocales.

Et quand les dernières notes se taisent, que les lumières s'allument, que la foule se lève et m'acclame, je ne souhaite qu'une chose, chanter encore. Que tout s'éteigne et recommence.

C'est une sensation grisante, et parfois je me dis que même voler ne me ferait pas ressentir autant d'émotions.

Là, alors que je vois cette fois leurs visages, que je croise leurs regards, je me sens toucher les nuages. Je décolle, vers un monde doux, qui m'accueille à plein bras. Un monde auquel j'appartiens. J'appartiendrais toujours.

Mes yeux s'ouvrent, et je n'ai pas besoin de passer mes mains sur mes joues pour sentir les larmes qui les dévalent. L'obscurité de la pièce ne me laisse pas savoir l'heure qu'il est, et je n'ai pas le cœur à chercher mon réveil. Pas le cœur à découvrir combien d'heures vais-je devoir supporter à me repasser ce souvenir qui vient de me hanter. Parfois, je ne comprends pas. Toujours, même, comment des instants si beaux peuvent à présent me blesser autant. Comment ces souvenirs deviennent des cauchemars et non plus des rêves. Au fond, la réponse est toute simple à trouver. Parce qu'ils ne reviendront plus jamais. Parce que je ne peux plus me tenir debout sur une scène, et chanter. Plus jamais. Et ce monde auquel je pensais appartenir à jamais me ferme ses portes. Il n'y aura pas de retours en arrière. Pas de miracle. Mes cordes vocales ne vibreront plus, et mon âme s'en noirci chaque jour un peu plus.

Malgré les mois qui passent, c'est un constat qui est tout aussi douloureux qu'au premier jour. Et je ne compte pas le nombre de nuit où je me suis réveillée de la même manière que celle-ci. Un souvenir auparavant heureux en tête, qui ne me fait à présent que du mal. Témoin d'un passé qui ne deviendra plus jamais un futur. Mon présent est douloureux. Mon passé me fait mal. Et mon futur me paraît flou. Je ne peux rien imaginer qui brise cette spirale infernale, dans laquelle m'a un jour enfermé de force un incapable.

Je suis contente d'être en vie. Mais je ne vis plus vraiment.

C'est difficile à accepter. Et pour le moment je ne suis pas prête à le faire.

Parfois, je me dis que cela aurait été plus simple, si j'avais perdu la mémoire, en plus de ma voix. Je n'aurai pas gardé toute cette douleur en moi. J'aurai pu recommencer de zéro, sans me détruire le cœur chaque fois que je m'endors. Et chaque fois que je ne parviens pas à contrôler mes pensées.

Mais avec des si, on pourrait faire tellement de choses. Je pourrais changer ce que le destin me fait vivre et faire en sorte que ce ne soit jamais arrivé.

Je ne sais qu'il n'y a aucune façon de changer le cours du présent.

Seulement je me demande, si il est possible d'apprendre à vivre sereinement avec ce qu'est devenu ma vie. Pour l'instant, je ne pense pas y arriver.

Et ce n'est pas les larmes qui sèchent sur ma peau, qui font me faire changer de pensée.

**

C'est... différent. Oui, différent, c'est le terme. L'aile réservée aux arts du dessin et de la peinture n'a rien à voir avec l'aile musicale. Notre bâtiment était bourré de charme. Les vieux parquets, les moulures, les lustres. Au gré des longs couloirs, l'on entendait pas seulement les instruments ou les voix s'élever dans une musique harmonieuse, mais également les voix de l'histoire. A chaque pièce, on entrevoyait un passé classique plein de charme.

Ce bâtiment ci est neuf. Résolument moderne. Aucune dorure, pas de relief sur les portes. Les murs sont blancs, et les lustres ont été remplacé par de grandes fenêtres de toit. Ce n'est pas laid. C'est simplement en total décalage avec ce dans quoi j'ai évolué toutes ces années. Et je me demande si ce n'est pas en total décalage avec moi tout court.

Je ne me sens pas forcément à l'aise. Je reconnais le talent des étudiants dont les œuvres recouvrent les murs. Celui de l'architecte qui a dessiné les lieux. Mais je ne me pense pas à ma place. J'ai l'impression de détonner dans cet univers. Après tout, je n'en fais pas parti.

Je me questionne encore sur ma présence ici. Ai-je bien fait ? N'aurai-je pas dû refuser cette offre, finalement ?

C'est une question qui me tourne dans la tête à chaque pas que je fais dans ce nouveau lieu. Qui est toujours là, présente, lorsque je rencontre de nouveau le directeur de cette branche. Qui me prend presque aux tripes, quand le premier professeur de la journée me présente à ma nouvelle classe.

Personne ne réagit vraiment à mon handicap. Ils semblent tous absorbés par les crayons qu'ils font jouer sur leur toile, où plutôt sur la feuille posée sur les toiles, pour une esquisse préliminaire. C'est peut-être le seul moment où je me dis que ce n'est pas si mal.

Alors qu'ils dessinent, je suis invisible, pour eux.

Je n'ai jamais été invisible. Et maintenant, j'en viens à penser que c'est une condition qui me va plutôt bien.

En silence, je les observe. Leurs mains qui se mouvent sur cette surface blanche, laissant les traits de leurs dessins la recouvrir. Faites une reproduction réaliste de la photographie déposée à côté de vous. Voilà ce qu'a demandé l'homme aux cheveux grisonnants qui se tient derrière l'un d'eux.

Rien que je ne sache faire. Pourtant, quand je les regarde, ça a l'air si simple. La mine de leur crayon se déplace telle l'extension de leur bras. Et ce qui en ressort est magnifique.

Leurs mines ne sont même pas tirées, dans une expression de dure labeur. Non, au contraire. Cela leur semble aussi naturel que de respirer. Fût une époque où pour moi, mon art était une extension de moi-même. Un oxygène.

Maintenant, j'ai l'impression d'être en apnée. De ne pas réussir à respirer le même air qu'eux. Parce que je ne suis pas adaptée à cet environnement.

Une main sur mon épaule me fait sursauter, et je détourne le regard vers mon professeur. Il m'offre ce que je qualifierai d'un sourire chaleureux.

— Je sais que ce n'est pas votre domaine, mais, je suis sûr que vous pouvez y parvenir. Faîtes de votre mieux.

Et j'aimerais qu'il ait raison. J'aimerais voir des progrès se profiler sur ma toile au fil des jours qui passent. Mais la vérité est là. Plus d'une semaine d'entraînement, à écouter chaque conseil qu'il me donne, pour un résultat qui n'est en rien concluant. Parce qu'il ne faut pas une semaine, pour ce genre de chose. Mais des années. Et un don. Un don que je n'ai pas. Alors peu importe à quel point il se montre bienveillant, comme le reste de mes professeurs, j'en suis là. Au même point.

Chaque soir, je rentre chez moi les mains noires des coups de crayon que j'ai donné dans la journée. Les yeux fatigués d'avoir repassé sur ces lignes encore et encore. L'esprit éreinté d'essayer alors qu'il sait que je ne suis pas faite pour cela. Je n'ai rien à faire ici. Je le sais, autant que mon professeur, que mes camarades. Il n'y a sûrement qu'Oba, qui y croit encore. Et pourtant, je continue de me lever chaque matin et de venir ici. Je continue d'essayer encore et encore. Je ne sais pas ce qui me pousse à le faire. Une force que je ne contrôle pas, alors même que mon esprit n'en peut plus et que mon cœur a cessé de fonctionner il y a un moment déjà.

— Votre attention une seconde s'il-vous-plaît. Je vous avais annoncé que cette année, je prendrai parmi les élèves un assistant. Il se trouve que ce dernier va arriver, après quelques jours de retard. Je suppose que vous ne serez pas surpris de mon choix. Il s'agit de William.

Exclamations, soupirs, messes basses, craintes. Je capte un lot de chuchotages et de commérages impressionnants durant les minutes qui suivent. Je crois qu'ils écoutent à peine le professeur annoncer un temps en autonomie avant qu'il ne quitte la pièce, trop absorbés par ces ragots qu'ils se partagent. J'entends successivement des paroles étonnées, du retour d'un étudiant visiblement absent depuis un moment, des exclamations craintives, je crois même capter une sorte de prière, dans un coin, comme si on venait d'annoncer la venue du diable en personne.

Je n'y fais pas vraiment attention. Ce qui se passe dans cette classe m'est plutôt égal. Je ne suis pas de leur monde. Je ne compte pas m'y intégrer plus que nécessaire pour pouvoir m'en sortir. Je ne peux prétendre à faire partie de cette bande qu'ils ont crée pendant des années. De cet univers auquel ils appartiennent après un travail acharné. Je ne pourrais jamais rattraper toutes ces années qu'ils ont passé à étudier comme des dingues pour avoir une chance de se tenir sur ces tabourets. Je ne veux même pas essayer, par respect pour ce qu'ils ont accompli.

Alors je me concentre seulement sur ma toile. Et je constate une nouvelle fois dépitée que je suis loin de m'améliorer.  

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La rencontre arrive ! Comment va-t-elle se passer, à votre avis ? 

A dimanche pour la suite, 

Kiss :*

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